7 Dynamiques socio-économiques des femmes guiziga de Makassa, à l’Extrême-Nord du Cameroun
Rachel Asta Méré
Résumé
Les femmes guiziga ont toujours occupé une place importante dans leur ménage malgré les stéréotypes d’infériorité qui pèsent sur elles. Toutefois, les changements liés à la mondialisation leur ont permis de redynamiser leur statut socio-économique. Le présent article se donne ainsi pour objectif de mettre en exergue les facteurs internes et externes qui ont influencé les différentes mutations observées chez les femmes guiziga de Makassa (Extrême-Nord du Cameroun). Il s’appuie, pour ce faire, sur une approche empirique basée sur l’entretien individuel approfondi et l’utilisation de la caméra comme outil de recherche. Il souligne spécifiquement le rôle de la scolarisation des filles, de la religion chrétienne et des organisations non gouvernementales (ONG) dans ce processus.
Mots-clés : dynamique socio-économique, femme guiziga, changement social, stéréotype, Makassa
Abstract
Guiziga women have always held an important place in their households despite the stereotypes of inferiority that weigh on them. However, the changes associated with globalisation have enabled them to revitalise their socio-economic status. This article aims to highlight the internal and external factors that have influenced the various changes observed among the Guiziga women of Makassa (Far North of Cameroon). It uses an empirical approach based on in-depth individual interviews and the use of the camera as a research tool. It specifically highlights the role of girls’ schooling, the Christian religion and non-governmental organisations (NGOs) in this process.
Keywords: socio-economic dynamics, guiziga woman, social change, stereotype, Makassa
Introduction
Le monde traverse une période particulière de transition, voire de rupture à tous les niveaux. La question du rôle de la femme semble se poser avec acuité dans cette dynamique. En réalité, la femme, jadis considérée comme une simple ménagère dans certaines sociétés traditionnelles africaines jusqu’au début des années 90, refuse désormais ce statut d’asservissement. Cela est d’autant plus vrai que l’une des clés du renouvellement des sociétés africaines est sans doute cette mobilisation des énergies et des créativités féminines. Cette mutation observée sur le continent africain est prégnante sur les terres camerounaises, en particulier celles de l’Extrême-Nord, surtout en ce qui concerne les femmes Guiziga dont le rôle et le statut se résumaient jadis aux tâches ménagères. De nos jours, les dynamiques sociétales ont largement influencé ce statut, affranchissant la femme guiziga de son rôle traditionnel de domestique et l’érigeant en agent actif du circuit informel de l’économie moderne. Les activités génératrices de revenus (AGR) constituent l’essentiel des activités économiques informelles dans lesquelles la femme guiziga moderne est impliquée. Il convient dès lors de s’interroger sur les facteurs endogènes et exogènes de cette dynamique de statut de la femme guiziga de Makassa.
Les études sur les mutations du statut social de la femme ne datent pas d’aujourd’hui. Bien avant nous, Isabelle Droy (1990) analysait déjà les transformations vécues par les femmes paysannes africaines en général. Quelques décennies avant elle, Simone de Beauvoir (1949) s’était intéressée aux modalités sociologiques, psychologiques, économiques de la hiérarchie entre les sexes. Son étude montrait l’universalité des rapports de domination entre les hommes et les femmes. Son essai, prescriptif, invitait les femmes à s’affranchir de leur rôle de servante et de mère. Dans le même champ, Lisbet Holtedahl et Mette Bovin (1975), dans une perspective comparatiste, s’intéressaient à la situation des femmes au Niger et en Norvège, en essayant de comprendre leur vécu au quotidien. Plus proche de nous, dans le contexte africain, Diouf Ndiaye (2013), dans ses travaux sur les femmes et le développement local au Sénégal, met en exergue le rôle fondamental que celles-ci occupent dans les communautés en tant qu’actrices du développement. Il ressort que le statut et le rôle de la femme ont subi des mutations au fil des décennies, voire des siècles. Le présent article, qui s’inscrit dans ce sillage, entend s’intéresser à cette mutation dans le cadre spécifique des communautés guiziga de Makassa. Pour ce faire, il entend, dans un premier temps, présenter la méthode d’enquête et les approches théoriques devant guider les analyses, puis mettre en exergue les dynamiques sociales et économiques à l’origine de l’émancipation financière de la femme guiziga de Makassa.
Cadre théorico-méthodologique
Cette étude a été réalisée à Makassa, un village de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, précisément dans l’arrondissement de Kaélé, département de Mayo-Kani. Makassa est situé à 2 500 m sur l’axe Kaélé – Maroua. Il se caractérise par l’abondance des espaces cultivables, une végétation de type savane et d’abondants cours d’eau qui sillonnent le village. Les résultats du dernier recensement général de la population et de l’habitat (RGPH3, 2005) estiment les populations de ce village à 573 habitant-e-s. Makassa est majoritairement peuplé de femmes, jeunes et enfants. L’enquête a pris en compte le groupe majoritaire de cette localité, à savoir les Guiziga. Toutefois, on y retrouve d’autres groupes ethniques : les Guidar, les Toupouri et les Peul.
Les données sur lesquelles repose cette étude sont qualitatives. Conformément à la pratique anthropologique, nous avons fait le terrain en adoptant la posture méthodologique de l’observation participante. Cette méthode nous a permis de nous immerger dans la société d’étude et de nous impliquer dans les activités quotidiennes des femmes, d’avoir des entretiens décomplexés avec elles et de regarder les faits de l’intérieur. Les rencontres avec les informateurs et informatrices ont permis de recueillir leurs points de vue et leurs opinions sur la question du dynamisme et de l’émancipation des femmes. Ces rencontres ont été enrichies par l’observation directe des faits qui a principalement permis de vérifier la véracité des éléments consignés lors de différents échanges. Outre la collecte de ces données empiriques, nous avons également effectué une revue documentaire dans l’optique de faire le point sur les mutations sociales du statut de la femme au sein de différentes sociétés à travers le monde et en Afrique en particulier.
L’approche sociologique dynamique de Georges Balandier (1971), selon laquelle les sociétés subissent au fil du temps des transformations influencées par des facteurs à la fois endogènes et exogènes, a été privilégiée pour cette analyse. Selon Balandier, les bouleversements observés dans les sociétés et les mouvements des populations participent à la construction de nouvelles manières de penser, d’agir et de sentir. Les contraintes de développement sont dès lors toujours disposées à transformer les cadres de vie des individus tant dans les milieux urbains que ruraux. C’est en cela que cette approche apparaît pertinente pour observer la dynamique du statut des femmes de Makassa.
L’église, l’école et les ONG au service de l’émancipation de la femme guiziga
Les facteurs à l’origine de la mutation du statut social des femmes guiziga de Makassa sont nombreux. Ceux qui retiennent particulièrement l’attention sont entre autres l’avènement du christianisme au Nord-Cameroun en général et en pays guiziga en particulier (Deussom Noubissie, 1998). L’église a joué un rôle déterminant dans la scolarisation de la jeune fille. Elle reste à cet effet l’un des principaux facteurs de changement des comportements et d’émancipation de la femme en pays guiziga. En prenant pour référence le rapport de féminité, le taux de filles parmi les effectifs scolarisés dans l’enseignement primaire et secondaire, l’on constate, depuis les années 90, un accroissement considérable. Lors de notre terrain, nous avons par exemple remarqué que le nombre des filles est supérieur à celui des garçons (65 % contre 35 %) l’École Publique de Makassa. Les filles semblent être les plus motivées à poursuivre leurs études par rapport aux garçons. C’est le constat qui découle de nos entretiens avec les habitant-e-s du village.
Outre la scolarisation de la jeune fille, l’avènement du christianisme a également favorisé l’esprit de leadership chez les femmes, leur permettant ainsi, dans le cadre de différentes associations ecclésiastiques, de prendre la parole en public et d’exprimer leur point de vue. C’est le cas de Foutchou qui dirige le groupe « Femmes Charité » de l’Église catholique de Makassa. C’est aussi l’exemple de Madam Lydia qui préside l’association « Femmes Chrétiennes » de l’Église fraternelle luthérienne du district de Moumour. Les femmes sont également représentées dans les partis politiques. Nous mentionnons ici le cas de Pratang qui est la présidente des femmes de la sous-section RDPC de la localité. Cette dernière participe à presque toutes les rencontres dans ce domaine et défend les intérêts communs de toutes les femmes de Makassa.
Par ailleurs, les organisations non gouvernementales (ONG) telles que le Comité apolitique local de paix et développement sans but lucratif (CAPDI), l’Association pour la coopération en Amérique latine et en Afrique (ACRA) et le Programme d’amélioration de la compétitivité des exploitations familiales agropastorales (ACEFA), qui œuvrent à l’Extrême-Nord en général, ont permis aux femmes de Makassa de s’ouvrir au monde extérieur. Cette ouverture leur a ainsi permis de bénéficier des aides dans le cadre de la création des groupements d’intérêt communautaire (GIC). En guise d’illustration, nous pouvons mentionner l’exemple de l’Association de femmes dynamiques de Makassa qui exploite des hectares pour produire du niébé (haricot blanc) et du Groupe des femmes de charité qui bénéficie des semences améliorées de pois de terre grâce à l’appui financier et matériel les de ces organisations. Cette insertion des femmes dans les secteurs de production au sein des groupements était inconcevable il y a quelques années. L’appui des ONG aux associations féminines est d’ailleurs mentionné par une des enquêtées : « Nos groupements nous aident beaucoup et c’est aussi grâce à ces ONG que nous, les femmes, avons commencé à nous regrouper en des associations et discuter des choses qui peuvent nous aider à grandir » (entretien avec Wouya, 15/03/2020 à son domicile à Makassa). Selon cette informatrice, le rôle des ONG dans le soutien des causes et de l’autonomisation féminines est fondamental. Ces organisations participent au changement social qui s’opère depuis peu dans la localité de Makassa. Leur influence sur la dynamique du statut de la femme ne se limite pas uniquement au soutien des GIC. Elles influencent également d’autres types d’initiatives communes et d’activités de socialisation.
Initiatives communes et activités de socialisation désormais gérées par des femmes
Depuis la ratification par le Cameroun de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing en septembre 1995, à la suite de la Quatrième conférence mondiale sur les femmes, le statut de la femme en général et celui de la femme guiziga de Makassa en particulier s’est profondément transformé. Des initiatives communes et activités de socialisation gérées par des femmes voient de plus en plus le jour dans la localité. Elles s’associent en groupes et mènent des activités collectives de promotion économique de leurs membres et de renforcement des liens de solidarité sociale entre femmes telles que les tontines, les aides mutuelles et la collecte des fonds journaliers dont le montant est souvent redistribué en fin d’année pour l’achat des vivres et autres produits de première nécessité.
D’après les entretiens menés auprès de quelques femmes, les raisons qui poussent les femmes à adhérer à ces initiatives communes et associations sont de plusieurs ordres. La première raison est d’ordre économique. Elle est liée à la recherche d’une autonomie financière leur permettant ainsi d’entreprendre dans divers secteurs d’activités avec un capital conséquent. La seconde raison est d’ordre humanitaire. Elle est liée au désir d’amélioration de leur condition de vie en réduisant la pauvreté, la discrimination et l’assujettissement dont elles sont victimes, etc. La vie au sein de ces associations leur permet également d’acquérir des compétences empiriques, des savoir-faire dont elles ont besoin pour gérer leurs économies familiales. C’est également un espace d’expression, de divertissement, d’épanouissement, bref de socialisation au sein duquel se partagent des expériences sur le vécu quotidien et la gestion des différends conjugaux. Ainsi, ces associations d’initiatives communes apportent souvent des solutions aux problèmes d’éducation et de scolarisation de leurs progénitures, les jeunes filles en l’occurrence. Dans ce contexte, l’adhésion à un groupement ou une association permet aux femmes de développer une certaine solidarité, la confiance en soi et une autonomisation socioéconomique. Toutefois, l’ouverture d’esprit et le changement des mentalités des femmes par les biais de ces facteurs exogènes (ONG et école) nous appellent à nous interroger sur la dynamique de la configuration des liens matrimoniaux dans cette socioculture.
De la nouvelle configuration des liens matrimoniaux
Du fait de nombreux facteurs exogènes, la notion de mariage a également subi de nombreuses mutations en pays guiziga. À une époque lointaine, il n’était pas évident pour une jeune fille de choisir son fiancé ni son époux. Les parents s’en occupaient pour chacun de leurs enfants. Cette situation ne permettait pas aux jeunes, surtout aux filles, de jouir de leur liberté et leur droit à choisir leurs partenaires. Elles étaient par exemple contraintes de se soumettre aux choix parentaux. Aujourd’hui, avec l’évolution des mentalités, c’est à la fille elle-même que revient ce choix. À ce propos, une octogénaire de la place nous dira d’ailleurs :
Avant, pour que tu te maries, on ne demandait même pas ton avis. Un matin, ton père t’appelait simplement et te disait voilà ton mari, c’est tout! Tu ne pouvais dire non. Que tu l’aimes ou pas, ce n’était pas son problème! Mais de nos jours, aucun enfant ne peut accepter cela. Souvent, les parents ne savent même pas quand leur fille commence à échanger avec le garçon, ils causent seulement au téléphone (entretien avec Bawa, 80 ans, le 03/11/2021, chez elle à Makassa).
Dans les traditions guiziga d’antan, les parents donnaient alors leurs filles en mariage à qui ils désiraient, souvent à l’adolescence. Les filles se mariaient à 13 ans, 15 ans, 18 ans, d’après nos entretiens avec certains patriarches. Avec l’avènement de l’école occidentale qui requiert parfois de nombreuses années pour se former, la situation n’est plus la même. Les filles en âge de s’instruire ne se marient plus si jeunes, à quelques rares exceptions. Les modalités de célébration des mariages ne sont plus les mêmes non plus. Aux us et coutumes locaux se sont substituées des cérémonies hybrides influencées à la fois par les rites chrétiens catholiques et les médias. Djaligué, l’une de nos informatrices dira d’ailleurs à ce sujet :
D’aucuns pensent que le meilleur mariage est celui des papiers que l’administration nous fait signer. Le mariage, c’est normalement l’union entre deux grandes familles, non comme on le réduit aujourd’hui au lien entre deux jeunes tourtereaux. Nos familles, malgré les distances, se connaissent et se respectent. Le fil rouge du destin est là. Pourtant le mariage n’est pas un contrat (entretien avec Djaligué, le 02/07/2021).
Au vu de ces entretiens, il est évident que des facteurs externes, à l’instar de l’école occidentale, ont influencé les normes du mariage chez les Guiziga de Makassa. Cette émancipation féminine, qui débute à partir du choix du conjoint, des modes et rites de mariage, s’étend également à la sphère conjugale, à la pratique des activités autonomisantes axées aussi bien sur l’agropastoral que sur des activités génératrices de revenus de toutes sortes.
Dynamiques économiques axées sur les activités agropastorales et les AGR
Trois grandes activités économiques structurent, sur le plan économique, le quotidien des femmes de Makassa. Il s’agit entre autres de l’agriculture, de l’élevage et du petit commerce qui leur permettent non seulement de satisfaire leurs besoins, mais aussi de nourrir leur famille et de s’autonomiser.
Une agriculture axée sur les cultures de rente
Autrefois interdite aux femmes et exclusivement réservée aux hommes, la culture du coton est aujourd’hui pratiquée en majorité par les femmes guiziga à Makassa. Jusqu’au début des années 2 000, les femmes guiziga pratiquaient exclusivement la culture vivrière centrée sur des produits destinés directement à la consommation tels que les arachides, le gombo, le haricot et les légumes. Mais, avec la prise en compte du facteur genre dans les productions de rente, elles se sont également investies et imposées dans la culture de rente dont les retombées pécuniaires sont immédiates et parfois considérables. Cette dynamique s’explique en l’occurrence par une certaine prise de conscience chez les femmes de l’intérêt que représente cette culture dans le cadre de leur autonomisation financière.
Consciemment ou inconsciemment, la société s’est toujours organisée selon un paradigme dichotomique discriminant les tâches masculines de celles féminines. De Beauvoir (1949) expliquait d’ailleurs comment la civilisation et l’éducation agissent sur les enfants pour les orienter vers un rôle masculin ou féminin qui sert l’ordre social alors même que filles et garçons ne sont initialement pas distincts à la base.
Le genre est ainsi l’identité construite par l’environnement social des individus. Selon Simone de Beauvoir (ibid.), la masculinité ou la féminité ne sont pas des données naturelles, mais le résultat des mécanismes de construction et de reproduction sociale. Ainsi, l’engagement et le dévouement des femmes de Makassa dans la culture des produits de rente ne sont pas un fait du hasard. Bien qu’elles n’aient pas la possibilité de travailler toute la journée dans leurs propres parcelles de champ, elles trouvent quand même le moyen de faire leurs propres champs de coton[1]. C’est ce qui ressort de notre enquête :
J’ai mon champ de coton. Chaque année, je cultive un, deux carrés et je bénéficie souvent de 12 à 200 000F, c’est beaucoup! Chaque matin, je viens très tôt travailler avant de repartir dans le champ de notre papa [mari]. Surtout que maintenant, j’ai des filles pour faire les travaux ménagers. Avant, je venais tôt au champ, je travaillais juste un peu et repartais aussi vite pour faire à manger. C’est pourquoi je n’avais pas assez de temps pour mon champ. Il n’y avait que le Sourga[2] pour me permettre d’évoluer avec ces travaux champêtres (entretien avec Vagaï Rosaline le 18/08/2020 à Makassa).
Nous comprenons ainsi que la femme, malgré ses occupations domestiques, fait des sacrifices pour remplir ses obligations familiales, mais aussi pour ses propres intérêts. Elle développe des stratégies pour concilier son rôle en tant que cheville ouvrière de la famille et sa volonté de s’épanouir sur le plan économique. C’est ce qu’explique d’ailleurs l’informatrice Wouya :
Pour maximiser mes revenus, je suis dans l’obligation de pratiquer plusieurs cultures, notamment celles du mil et du coton. Seulement, il faudrait tout d’abord m’assurer que le champ du père de famille soit fini. Chose qui ne me facilite pas la tâche. Étant donné que j’ai une activité connexe, c’est-à-dire la vente du bois qui me rapporte un peu d’argent, cela me permet d’avoir un peu de moyens pouvant me servir à payer la main-d’œuvre pour mon champ (entretien avec Wouya le 28/08/2018 à Makassa).
En réalité, les efforts fournis depuis quelques années par le gouvernement, les structures et partenaires au développement pour promouvoir la condition féminine, que ce soit en termes d’appui financier, institutionnel et de soutien aux initiatives féminines, ont généré un bilan positif sur l’amélioration des conditions de vie des femmes en général et celles de Makassa en particulier.
Outre la culture du coton, du mil et des arachides en saison pluvieuse, les femmes pratiquent également, en saison sèche, des activités de jardinage et d’arrosage des vergers pour gagner de l’argent. Elles exercent ainsi dans les plantations et leurs tâches consistent notamment à arroser les arbustes, moyennant une somme de 5 000 F CFA toutes les deux semaines. Cette rémunération leur permet ainsi de subvenir aux besoins quotidiens de leur famille respective (achat du savon, du poisson, du sel, du cube, du mil, des vêtements, scolarité des enfants, etc.)
L’important changement de la participation des femmes à la production agricole à Makassa est tel qu’elles sont devenues, au même titre que les hommes, des exploitantes très productives et incontournables dans le circuit économique local et des environs. Cette évolution progressive, dans le temps et dans l’espace, est liée à plusieurs facteurs tant exogènes qu’endogènes.
Activités pastorales florissantes
Dans le domaine pastoral, les femmes guiziga de Makassa excellent dans l’élevage de petits ruminants (chèvres, moutons, porcs et volaille). C’est une activité certes rudimentaire, mais très productive. Elle débute généralement par l’achat d’un couple de porcs, de moutons, de cabris, etc. qui se multiplient au fil des années au point d’en constituer un troupeau.
Ces activités agropastorales sont encouragées par les structures et les ONG comme ACFA, ACRA qui ont permis aux femmes d’augmenter le troupeau de leurs porcins et/ou de leurs chèvres. Toutefois, les femmes ne se limitent pas à l’agriculture et à l’élevage. Certaines font dans le petit commerce à l’instar de la vente de la bière traditionnelle localement appelée bilbil, la vente du bois de chauffe, la transformation des produits agricoles, etc.
Autres AGR des femmes guiziga de Makassa
À côté des activités agricoles et pastorales, les femmes guiziga pratiquent d’autres activités génératrices de revenus. Elles font notamment dans les ventes des légumes, des beignets, du tabac, du sucre, du thé, du sel, des arômes alimentaires, du bil-bil, etc. Chacune d’elles exercent au moins l’une de ces activités. Mais, la plupart font surtout dans le brassage et la vente du muzum, communément appelé bilbil, une bière locale faite à base de mil rouge appelé galan. La matière première utilisée pour le brassage de ce vin traditionnel provient soit de leur grenier personnel, soit des achats effectués sur le marché local. Foutchou, une brasseuse du muzum, s’exprime à ce sujet :
Je fais dans le bil-bil parce que c’est une activité que j’exerce depuis ma jeunesse. Elle m’aide à subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille. Je gagne généralement 7 000 à 8 000 F CFA comme bénéfice par marché et cela dépend du jour du marché et de la saison aussi. Si c’est en saison de récoltes, la vente est fructueuse parce que les clients ont de l’argent qui provient de la vente des produits de la saison (entretien avec Foutchou, le 02/09/2018).
En ce qui concerne le bois de chauffe, les femmes partent le chercher dans la brousse. Il est généralement vendu en fagots dans les villages voisins tels que Tchoadé ou en bordure de route (axe numéro 2 de Kaélé). Cette activité est pratiquée par la quasi-totalité des femmes du village Makassa. En plus de la vente du bilbil, Foutchou s’est aussi mise à cette activité. La vente du bois permet en réalité aux femmes de gagner des revenus journaliers qui leur permettant d’assurer les besoins vitaux dans les ménages tels qu’acheter du sel, du savon, du poisson, etc. L’image ci-dessous illustre la façon dont le bois est stocké.
Conclusion
L’objectif de ce travail était d’analyser les dynamiques socioéconomiques des femmes guiziga de Makassa. Il en ressort que le statut de celles-ci a subi de profondes transformations. À leur rôle prépondérant dans la sphère domestique se sont substituées de nombreuses pratiques économiques innovantes qui les ont propulsées au-devant de la scène économique locale. Elles sont ainsi devenues, au même titre que les hommes, des actrices du développement local, des exploitantes agricoles, des leaders d’opinion, des entrepreneuses dans le domaine de l’agropastoral et des AGR. À partir de cette observation, l’on peut donc inférer que la dynamique de Georges Balandier s’applique nettement à la condition métamorphosée de la femme guiziga, particulièrement celle de Makassa. Dans le prolongement de ces observations, l’on pourrait toutefois s’interroger sur l’influence de ces mutations sur les normes et les valeurs traditionnelles des femmes dans cette socioculture.
Références
Balandier, G. (1971). Sens et puissance. Les dynamiques sociales. Presses Universitaires de France.
Beauvoir, S. de. (1949). Le deuxième sexe, II, L’expérience vécue. Gallimard.
Deussom Noubissie, G. (1998). Monseigneur Yves Plumey (1946-1986). Dans Thierno Mouctar Bah (dir.), Annales de la FALSH (p. 163-197). Ngaoundéré Anthropos, Université de Ngaoundéré.
Diouf Ndiaye, A. (2013). Les femmes et le développement local au Sénégal : Le rôle des associations féminines dans le bassin arachidier. L’exemple de Diourbel [Doctorat]. Université de Bordeaux 3.
Droy, I. (1990). Femmes et développement rural. Karthala.
Holtedahl, L. et Mette, B. (1975). Zawar et Kamu nyia, Femme libre et femme mariée du Manga. Presses Offset de l’Église Évangélique Luthérienne du Cameroun.
Rinady, A. (2011, novembre). L’anthropologie visuelle : la pratique filmique en anthropologie [PowerPoint]. En ligne : https://nanopdf.com/download/lanthropologie-visuelle-la-pratique-filmique-en-anthropologie_pdf
Sources orales
Nom et Prénom | Âge | Statut | Date/lieu |
Foutchou | 62 ans | Femme au foyer | 02/09/2018 à Makassa |
Wouya Jacqueline | 50 ans | Femme au foyer | 28/08/2018 à Makassa |
Bawa Ma’ay | 80 ans | Veuve | 03/11/2021 à Makassa |
Djaligué Oumarou | 38 ans | Homme marié | 02/07/2021 à Maroua |
Vagaï Rosaline | 66 ans | Veuve | 18/08/2020 à Makassa |
Pratang Martine | 57 ans | Présidente des femmes de la sous-section RDPC | 02/11/2021 à Makassa |
Madam Lydia | 48 ans | Présidente des femmes chrétiennes | 02/11/2021 à Makassa |
- Dans les localités Guiziga, les travaux champêtres sont organisés de telle sorte qu'hommes, femmes et enfants travaillent régulièrement, tous les jours du matin jusqu’au soir dans le champ du père de la famille. Femmes et enfants ont souvent une journée par semaine pour travailler dans leurs parcelles. Et le plus souvent, c’est lorsque le champ familial est presque fini qu’ils ont cette possibilité. ↵
- Sourga : appel à la solidarité populaire. ↵