10 Les étudiant-e-s de l’Université de M’sila regardent La Bataille d’Alger
Réception d’un film et représentation de la langue française
Amira Rahal et Lakhdar Kharchi
L’image est partout autour de nous, dans le monde, occupant une place importante, attrayante et surtout motivante. « Nous sommes dans un siècle de l’image. Pour le bien comme pour le mal, nous subissons plus que jamais l’action de l’image » (Bachelard 1948 : 14). Les propos de Bachelard donnent à réfléchir sur ce que pourrait être le pouvoir de l’image. Comment subissons-nous son action? Surtout que celle-ci envahit notre quotidien, étant donné sa présence dans tous les domaines de la vie, aussi bien privés que professionnels.
L’image occupe une place privilégiée en didactique des langues. Susceptible de faciliter la compréhension, elle peut aussi jouer le rôle de déclencheur de la parole et d’une interaction en classe (Robert, 2008 : 104). À ce titre, l’image comme support d’enseignement fait intervenir des univers fictionnels, favorisant l’entrée de l’ailleurs dans les cours (Muller, 2014 : 124). En effet, l’image est « un outil de connaissance » (Gombrich, 2002 : 187) capable de faciliter l’interprétation et de développer la créativité. Parler de l’utilisation de l’image en classe, c’est évoquer, même implicitement, tous les supports visuels possibles, qu’il s’agisse de l’image fixe, de la vidéo, ou encore des images filmiques qui constituent l’objet de cet article.
Aujourd’hui, avec l’intégration des TIC dans le domaine pédagogique, il est très facile d’utiliser les images filmiques en classe de langue. En effet, elles sont d’une très grande variété, ce qui permet de proposer de nombreuses activités aux apprenants, évitant ainsi toute monotonie dans les apprentissages. Elles recouvrent un large éventail de sujets et de genres, qui sont autant de supports authentiques potentiels, pouvant donner lieu à une exploitation pédagogique. Elles permettent aussi de contextualiser l’apprentissage d’une langue étrangère, qui s’avère une langue authentique, vivante et naturelle.
Il ne s’agit plus seulement de lire, d’écrire, de parler mais surtout d’agir en langue étrangère. Mais nous pensons que l’utilisation d’extraits filmiques peut être le meilleur moyen pour motiver les apprenant-e-s. Notre article se propose de répondre aux questions suivantes : existe-t-il des liens entre les représentations sociales sur la langue et la culture française et son apprentissage? Les images filmiques peuvent-elles contribuer à la formation et l’évolution des représentations sociales des étudiant-e-s algérien-ne-s de l’université de M’sila?
Il s’agit donc de mettre la langue en contexte et de travailler en priorité les compétences de compréhension et d’expression orales. Il se pose alors la question des supports à utiliser pour travailler ces compétences. Il est certes nécessaire de trouver des moyens intéressants qui peuvent motiver les étudiant-e-s et surtout tenir compte des compétences culturelles à acquérir.
Pour ce faire, nous avons tenté, à partir d’un visionnement d’extraits du film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo (1966) et d’une enquête fondée sur des questionnaires, de montrer l’impact de l’image en général et l’image filmique en particulier sur la formation ou la transformation des représentations sociales des étudiant-e-s de plusieurs filières, de l’université de M’sila. Le film choisi est une reconstruction de la réalité, plus vivante et moins neutre et par conséquent, il tient un discours sur le réel et permet ainsi de dépasser les représentations figées.
De la spécificité de l’image filmique
L’image filmique, par opposition à l’image fixe, se définit comme une succession d’« images photographiques mouvantes » ( Metz, 1976 : 189) ou encore comme une image-mouvement. L’image filmique n’est pas une image à laquelle s’ajoute le mouvement, mais plutôt il [le mouvement] lui appartient comme « donnée immédiate ». Le mouvement « ne s’ajoute pas, ne s’additionne pas : le mouvement appartient à l’image ». L’image filmique est donc « une suite d’images (un plan, une scène, une séquence), une image-mouvement c’est-à-dire une image possédant le mouvement » (Deleuze, 1983 : 10-11). Or le mouvement est loin d’être le critère décisif de cette distinction. En effet, il relève des composantes de la spécificité « la plus superficielle et la plus manifeste » du cinéma, car « tous les films bougent » (Odin, 2002 : 19). Et si le mouvement n’est pas réellement ce qui fait la spécificité de l’œuvre cinématographique, le « son », en revanche, radicalise la différence entre l’image fixe et l’image filmique. Ainsi, un film est considéré comme un « tissage, d’une haute complexité, de multiples matières de l’expression » (Marin, 1981 : 7) et aussi, comme un « tout composé d’images [filmiques] et de son » (Bezin, 2014 : 9). Par « son », nous entendons non seulement les paroles (sons phoniques) mais également les sons musicaux et les bruits (Metz, 1976 : 189).
L’autre caractéristique qui permet de distinguer l’image filmique de l’image fixe est en relation avec les conditions spatiotemporelles de la réception : tandis que la première « impose à l’observateur son propre déroulement spatial et temporel réel » (Regimbeau, 1997 : 286), la seconde n’impose pas au spectateur un cadre aussi prédéfini. L’image fixe abolit le temps et l’espace. Elle est lecture instantanée et présence immédiate du monde.
L’image filmique, un vecteur culturel
Outre les caractéristiques que nous venons de citer ci-dessus, l’image-cinéma est considérée comme un objet culturel (Bourgatte, 2014 : 83), qui « reflète la société d’où il est issu » (Michaud, 1961 : 8) et symbolise son dynamisme culturel. C’est pourquoi les films bénéficient d’une importance, qui ne cesse de croître de la part des enseignant-e-s des langues étrangères, notamment ceux du FLE, vu leur rôle dans « l’approfondissement de la compétence culturelle des apprenants » (De Margerie et Porcher, 1981 : 92).
En effet, l’image filmique restitue, mieux que toute approche, la dimension d’une communication totale, en créant un environnement authentique, qui peut mener l’apprenant-e à l’accès au sens. Ainsi l’image filmique prend en charge tous les éléments de la situation de communication linguistique et non linguistique, ce qui offre à l’apprenant-e la possibilité d’identifier, d’interpréter et de répéter des structures authentiques, et par voie de conséquence, faciliter son apprentissage.
Les représentations : des constructions « malléables »?
Parler de représentations, c’est parler d’une « notion transversale » qui n’est pas propre à la linguistique ni d’ailleurs à la didactique des langues. Ses premiers usages remontent au XIXe siècle avec les travaux de Durkheim, père fondateur de la sociologie moderne. Ce dernier confère aux représentations un caractère à la fois « collectif » et « figé ». Une représentation est collective dans la mesure où elle est partagée par tous les membres de la société, car c’est elle qui « impose les représentations et les individus s’y soumettent ». Elle est figée dans le sens où elle est statique et inchangeable (Groult, 2017 : 11).
Contrairement aux recherches développées par Durkheim, la psychologie sociale a eu le mérite de « promouvoir l’usage actuel » du concept (Cuq, 2003 : 214). Il ne s’agit cependant plus de représentations collectives mais plutôt de représentations sociales qui sont dynamiques et modifiables. Elles se forment et se transforment grâce à la communication et à l’interaction entre les sujets sociaux (Groult, 2017 : 24). Ainsi, les représentations ne sont pas un objet stable ou un système clos, mais « une configuration absorbante, essentiellement dynamique capable d’intégrer des informations nouvelles en les reliant de manière spécifique à des informations mémorisées, capable de dériver des opinions particulières d’attitudes déjà installées » (Rouquette, 1994 : 22).
De ce fait, les représentations sociales constituent une modalité particulière de la connaissance, dite « de sens commun » dont la spécificité réside dans le caractère social des processus qui les produisent. Il s’agit donc de l’ensemble des connaissances, des croyances, des opinions partagées par un groupe à l’égard d’un objet social donné (Guimeli, 1994 : 12).
En sociolinguistique, le concept de représentations linguistiques a fait son apparition dans les années 1970 en grande partie grâce aux travaux de William Labov dans lesquels il établit la relation entre les représentations et l’insécurité linguistique (Labov, 1976). Par représentations linguistiques, on entend l’image mentale que les locuteurs et les locutrices se font de leur langue, de leur façon de la parler, de sa légitimité (LeBlanc, 2010 : 19). Les représentations linguistiques vont désormais occuper une position centrale en didactique des langues étrangères. De par leur importance, ces images peuvent constituer un obstacle à l’apprentissage d’une langue (Castellotti, Moore, 2002 : 10). L’image filmique nous semble un bon prétexte pour « mettre en mouvement » (Amireault, 2017 : 47) les représentations qu’ont les étudiant-e-s algérien-ne-s de la langue française.
Les effets de l’image filmique
Le cinéma est un art, une industrie et une machine à rêver. À travers des images mouvantes mettant en relation le réel avec l’imaginaire, il permet à l’individu de rêver, d’aspirer et d’espérer. Pour un spectateur ou une spectatrice, voir un film est une « […] expérience à la fois esthétique, affective, cognitive et existentielle » (Béguelin, 2018 : 13). Il ou elle se trouve impliqué-e dans l’histoire, la co-construit (Compte, 2013 : 7) et participe, même, d’une certaine manière à sa réalisation vu que « la production ultime » (Gravas, 2016 : 188) de l’objet filmique se fait au moment de son visionnage par les spectateurs et spectatrices.
Les gens vont au cinéma par besoin, par loisir et par amour; ainsi, lors de la projection, une interaction entre le spectateur ou la spectatrice et le film se crée. L’image capture le spectateur ou la spectatrice, qui s’identifie à la caméra et aux personnages (Metz, 1975 : 33). Les images diffusées sont facilement mémorisables et s’imprègnent dans son esprit au point de pouvoir changer ses représentations mentales (Compte, 2013 : 1).
En prenant appui sur ces effets, nous avons invité des étudiant-e-s des facultés des lettres et des facultés des sciences humaines et sociales de l’université de M’sila à une séance libre, au cours de laquelle nous avons projeté des extraits de film à fin d’évaluer l’impact de l’image cinématographique sur la formation et la transformation des représentations sociales.
Méthodologie
Partant des idées soutenant l’impact considérable de l’image filmique sur le spectateur ou la spectatrice, la malléabilité des représentations sociales et de leur analysibilité, nous avons mené une enquête qui comprend trois étapes :
La première consiste en un questionnaire avant le visionnage des séquences filmiques, distribué aux étudiant-e-s dans le but de collecter des données concernant leurs profils sur l’apprentissage des langues étrangères puis l’apprentissage et l’utilisation de la langue française ainsi que les représentations qu’ils et elles se font de la France, des Français-es et de la langue française.
La deuxième met en œuvre l’expérimentation qui se fonde sur des visionnements par nos enquêté-e-s de deux extraits distincts du film La Bataille d’Alger. Les séquences sont adaptées au niveau des étudiant-e-s, à leur degré de connaissance de la langue française et sa culture. Nous avons tenu compte de plusieurs paramètres tels que l’intérêt, la longueur, le niveau de langue, les structures et le lexique. En effet, les séquences filmiques, comme tout support multimédia authentique, permettent à l’enseignant-e de mettre en œuvre plusieurs tâches en fonction de ses objectifs.
La dernière comprend aussi un questionnaire distribué aux étudiant-e-s après le visionnement des deux extraits du film portant sur le comportement des personnages principaux de La Bataille d’Alger et l’aspect linguistique et culturel à travers le verbal et le non verbal aussi le recours à la langue française par Yacef Saadi et Larbi Ben M’hidi, deux grandes figures de la bataille d’Alger.
Choix du support
Le choix du film La Bataille d’Alger n’est pas fortuit. C’est un film-culte qui retrace la lutte en 1957 pour le contrôle de la Casbah d’Alger entre les parachutistes du « général Massu » et les réseaux de l’armée de libération nationale (ALN). Les actions du FLN n’étaient peut-être pas justifiées mais légitimes, face à l’injustice de l’occupation et de la domination française de l’Algérie. Le FLN s’est trouvé obligé de recourir aux mêmes méthodes que son ennemi. À la suite des nombreux attentats perpétrés contre la population par le FLN, le général Massu est appelé la rescousse pour faire face aux actions du FLN et démanteler l’organisation de la Zone autonome d’Alger du FLN et ainsi mettre fin aux attentats. La bataille d’Alger s’est soldée par l’arrestation de Yacef Saadi et Larbi Ben M’hidi, ainsi que l’élimination d’Ali la Pointe.
Les Algérien-ne-s s’identifient à Ali la Pointe, un petit truand, devenu combattant sans concession et figure légendaire de la Casbah à travers son sacrifice final. Si le film est moteur de décolonisation des esprits, il permet, notamment, aux Français-es ainsi qu’aux Algérien-ne-s de se regarder à travers le regard de l’Autre.
Malek Bensmaïl, dans son film documentaire intitulé La Bataille d’Alger, un film dans l’Histoire (2018) précise les conditions de réalisation du film à l’aide d’une recherche très fondée, mobilisant de nombreux interviews et documents mais aussi sur la réception du film encore aujourd’hui. Il explore comment ce film a nourri l’Histoire et comment l’Histoire l’a nourri. Le film est le produit des deux scénaristes, Yacef Saadi ancien chef FLN de la Zone autonome d’Alger, qui tient son propre rôle dans le film et Franco Solinas, célèbre scénariste italien.
C’est un film riche en contenu socioculturel et linguistique. Nous pensons qu’il fera un bon moteur pour la réflexion et l’imagination des étudiant-e-s et aussi un bon support pour faire évoluer leurs représentations individuelles et collectives. Avec ces deux extraits, nous avons tenté d’amener les étudiant-e-s à se sentir concerné-e-s par les évènements comme s’ils se déroulaient près de chez eux ou elles. Ils ou elles peuvent se saisir d’informations réelles et construire une vision claire et objective à partir d’un pan de leur histoire.
Échantillonnage et collecte des données
Les échantillons d’étude concernent 75 étudiant-e-s, 51 filles et 24 garçons, réparti-e-s selon les filières suivantes : 29 Langue et Littérature arabe, 21 Histoire, 15 Sociologie. La moyenne d’âge des étudiant-e-s est de 22 ans. Ces étudiant-e-s ont accepté volontairement de participer à notre expérience. Nous avons refusé de travailler avec les étudiant-e-s du Département de français, puisque notre objectif de départ était de savoir la véritable représentation de la langue française chez les étudiant-e-s de l’Université de M’sila. Ces étudiant-e-s ont fait tout leur cursus scolaire en langue arabe. Dans leurs spécialités, le français est un module secondaire.
Nous avons eu une seule rencontre avec les participant-e-s. La notion de temps n’a pas été prise en considération. Dans cette rencontre nous avons d’abord ramassé le premier questionnaire, expliqué la méthodologie du travail, distribué le deuxième questionnaire et visionné les extraits du film.
Notre enquête est fondée sur deux questionnaires; le premier est distribué avant le visionnement, tandis que le deuxième est distribué après le visionnement des séquences filmiques.
Questionnaire avant visionnement
Le premier questionnaire a été distribué aux participant-e-s quatre jours avant la rencontre. Nous avons pris le soin de distribuer le questionnaire à 150 étudiant-e-s avec une invitation à participer à la séance de visionnement des séquences du film. Soixante-quinze étudiant-e-s seulement se sont présenté-e-s avec le questionnaire dûment rempli.
Le questionnaire est organisé en quatre rubriques. Chaque rubrique est composée de plusieurs questions. La première est destinée à recueillir des informations générales sur le ou la questionné-e, la deuxième concerne l’apprentissage des langues étrangères, la troisième l’apprentissage des langues étrangères et l’utilisation de la langue française, tandis que la dernière rubrique s’intéresse à l’image ainsi qu’à la représentation de la France et des Français.
Première rubrique : Informations générales
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Deuxième rubrique : Apprentissage des langues étrangères
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Troisième rubrique : Apprentissage et utilisation de la langue française
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Quatrième rubrique : Représentation de la langue française
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Visionnement des extraits du film
La faculté des lettres de l’université de M’sila a mis à notre disposition un amphi équipé en matériel audiovisuel nécessaire. Nous avons veillé à réunir toutes les conditions indispensables pour mettre à l’aise les participant-e-s. L’ambiance était agréable et les étudiant-e-s avaient hâte de découvrir le document.
Nous avons choisi des séquences courtes qui ne sont pas lourdes pour ne pas être une entrave au plaisir de voir et de comprendre. Ces extraits ont été choisis dans le but de permettre aux étudiant-e-s de comprendre globalement l’histoire, même s’ils ou elles éprouvent des difficultés en français. Or nous étions conscients que l’une des principales difficultés est d’amener les étudiant-e-s à être actifs et actives face aux images filmiques.
Le premier extrait met en scène trois femmes algériennes, pendant la guerre de libération, en train de se changer. Elles enlèvent leurs haïk, habits traditionnels pour s’habiller à l’européenne pour sortir de la casbah sans se faire fouiller. Elles sont chargées de déposer des bombes qui explosent dans deux cafés et dans une agence Air France.
Le second extrait montre Yacef Saadi et Larbi Ben M’hidi, responsables FLN de la zone d’Alger et hommes politiques s’exprimant en français pour défendre la cause algérienne; « Il reste encore Ali La Pointe dans la Casbah », disait Yacef Saadi aux soldats français, sous la torture, et « donnez-nous vos avions et on vous donne nos bombes » répondait Larbi Ben M’hidi à un journaliste.
Rappelons que notre objectif était d’amener les étudiant-e-s à construire progressivement du sens et transformer ainsi leurs représentations sociales à partir du visionnement des séquences filmiques : déduire à partir du verbal, du non verbal, déduire le sens à partir du contexte ou d’éléments connus. Dans cette perspective, plusieurs questions ont été posées pour permettre aux étudiant-e-s d’accéder à la compréhension des deux extraits et développer ainsi leurs stratégies de recherche du sens.
Questionnaire après visionnement
Une fois le visionnement des séquences terminé, nous avons distribué le deuxième questionnaire. Ce dernier se compose de cinq entrées qui ont pour thématique l’influence de la culture de la langue française pendant l’occupation française de l’Algérie. Nous avons accordé un quart d’heure aux participant-e-s pour répondre au questionnaire.
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Résultats et analyse
La première rubrique a été dûment complétée par tou-te-s les étudiant-e-s. Elle a été introduite en guise d’entrée pour les inciter à parler d’eux-mêmes ou d’elles-mêmes et les mettre en confiance.
La deuxième rubrique porte quant à elle sur l’apprentissage des langues étrangères. 92% des questionné-e-s sont favorables à l’apprentissage des langues étrangères. Le classement des langues étrangères a été en faveur de l’apprentissage de l’anglais. En effet, 79% des participant-e-s ont choisi l’anglais au détriment des autres langues, car, selon les questionné-e-s, c’est la première langue internationale et la langue de l’économie. Le français arrive en deuxième position avec seulement 10%. En revanche, le français est relativement bien classé par rapport à l’allemand (4%), l’espagnol (4%) et l’italien (1%).
La troisième rubrique a réellement montré un écart entre les étudiant-e-s qui sont pour l’apprentissage et l’utilisation de la langue française et ceux et celles qui sont contre. Ainsi, 32% des questionné-e-s sont favorables à l’apprentissage du français, alors que 68% y sont défavorables. Ceux et celles qui sont contre pensent que la langue française ne permet pas d’établir des échanges dans les quatre coins du monde.
La dernière rubrique montre aussi la déconsidération de la langue française due à l’histoire du pays. En effet, dans l’esprit de beaucoup d’Algérien-ne-s, le français renvoie à la langue du colonisateur. 72% des participant-e-s approuvent cette idée, 12% la désapprouvent et 16% sont indifférent-e-s.
Les appréciations durant le visionnement
L’ambiance pendant le visionnement était agréable, les étudiant-e-s étaient calmes et attentifs et attentives. Connaissant le profil des étudiant-e-s, nous craignions le rejet du document, sous prétexte qu’ils ou elles l’avaient déjà vu. Nos craintes étaient infondées, car nous avons vu qu’ils et elles étaient captivé-e-s par les séquences filmiques. Ils et elles sont entré-e-s très vite dans l’univers fictionnel. Grâce à l’image, ils et elles sont entré-e-s à l’intérieur des personnages et s’imaginent à leur place. Les émotions exprimées par les apprenant-e-s peuvent être de l’ordre de l’identification.
Les participant-e-s ont légitimé le comportement des jeunes femmes, tout en approuvant le recours à la violence. Ils et elles ont qualifié ces actes de « patriotiques » et de « légitime défense ». Ils et elles se sont identifiés à Ali La Pointe en pleurant sa mort. Ils et elles ont partagé la douleur de Yacef Saadi et apprécié l’éloquence de Larbi Ben M’hidi.
Le débat après le visionnement
Les données recueillies et les impressions des étudiant-e-s après le visionnement des extraits du film nous ont permis de démontrer qu’au-delà de la variabilité individuelle, il existe bien des opinions partagées. En effet, les étudiant-e-s portent des jugements de valeur; ils et elles évoquent la difficulté de l’apprentissage ou la complexité de la langue française; ils et elles sont également plus nombreux et nombreuses à insister sur le fait de l’absence d’enseignant-e-s de français ou d’enseignant-e-s compétent-e-s durant leur cursus scolaire. Cette faille dans leur scolarité a développé chez eux et chez elles un complexe envers cette langue. À cela s’ajoutent les croyances socialement enracinées et partagées par tous les Algérien-ne-s, dues à la violence et l’injustice endurées pendant la période coloniale.
Il faut signaler que le visionnement des deux extraits du film a eu un impact favorable sur les étudiant-e-s et contribué à faire évoluer leur représentation de la langue française. Ainsi, ils et elles acceptent le fait que les héros légendaires de la guerre de libération s’expriment en français pour porter et faire valoir la cause algérienne.
Néanmoins, les étudiant-e-s restent partagé-e-s quant à l’enseignement de la langue et de la culture française. Les défenseur-e-s de la langue française avancent des arguments en faveur de cette langue étrangère considérée comme une langue de culture et d’altérité. Par contre, les détracteur-e-s voient en cette langue un facteur de déracinement des origines et de décadence progressive des valeurs.
Conclusion
Les recherches actuelles ont montré que les représentations sociales, contrairement aux représentations individuelles, peuvent se transformer, évoluer. Nous avons cherché à montrer que l’apprentissage d’une langue est tributaire des représentations sociales, qui peuvent évoluer en contact de situations contextualisées. Il était donc intéressant et utile de chercher à savoir jusqu’à quel point les représentations sociales sont susceptibles de modifications.
L’image filmique, de par sa nature même, et par les histoires qu’elle développe, authentiques et chargées de sens, constitue une grande source de motivation pour les apprenant-e-s. De plus, elle peut être à la base de nombreuses activités ludiques et variées, permettant d’acquérir les notions indispensables à la communication, puis de les réinvestir en situation. Elle modifie notre conception de la réalité et oriente nos actions. Elle peut affecter nos émotions et influer sur nos prises de décisions. Elle ne contribue pas seulement à construire et à former les individus sur le plan personnel et culturel mais aussi à confronter leurs représentations préalablement conçues avec de nouvelles représentations. Son effet sur l’individu peut ainsi constituer un facteur d’évolution et d’acquisition de nouvelles conceptions.
Il est vrai que l’image et le son affectent l’esprit du spectateur et de la spectatrice. Ils et elles peuvent changer leurs représentations conditionnées par le milieu familial ou sociétal. La représentation de la langue française chez les étudiant-e-s de la faculté des lettres et de la faculté des sciences humaines et sociales de l’université de M’sila trouve son sens dans un héritage idéologique appartenant à l’histoire du pays, alimenté par les discours politiques et médiatiques. Notre expérimentation a montré que les étudiant-e-s pouvaient s’ouvrir sur l’Autre grâce, notamment, à l’utilisation de séquences filmiques qui sont à la fois des objets fortement polysémiques et des moyens de communication entre les cultures.
Références
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Résumé/الملخـــص/Abstract
L’image, véhicule d’un message suscitant une interprétation personnelle et ayant un effet significatif en termes de connaissances et d’apprentissage, fait partie du quotidien, plus particulièrement l’image filmique qui a un effet sur le téléspectateur ou la téléspectatrice notamment sur la représentation d’une langue étrangère, telle que la langue française, historiquement ancrée en Algérie, et le statut qu’on lui octroie. À cet effet, une expérience a été menée auprès d’étudiant-e-s de différentes spécialités, qui consistait à visionner des séquences d’un film historique (La Bataille d’Alger, Gillo Pontecorvo, 1966) dont quelques répliques sont en expression française. Ce film-culte a été volontairement choisi pour inciter les étudiant-e-s arabophones à déconstruire des représentations sociales figées. Notre expérience est accompagnée préalablement d’un premier questionnaire portant sur leur représentation de la langue française et d’un second questionnaire, en fin du visionnage, afin d’observer l’impact des scènes filmiques sur l’opinion des étudiant-e-s. Après le visionnage, les statistiques ont révélé d’abord une réticence pour exprimer une opinion controversée, puis une reconnaissance du rôle qu’a joué la langue française lors des évènements de la lutte armée ou politique des militants algériens. Ainsi, l’usage de séquences cinématographiques en didactique du français peut-il contribuer non seulement à l’acquisition de connaissances en français mais aussi à revaloriser cette langue.
Mots-clés Didactique du FLE, film, réception, représentation, visionnement
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استقبال فيلم وتمثيل اللغة الفرنسية: طلاب العلوم الإنسانية والاجتماعية بجامعة المسيلة وفيلم « معركة الجزائر«
الصــورة الحاملة لرسالة، المثيرة لتأويل شخصي والتي لديها تأثير معنوي من حيث المعارف والتعلم، هي جزء من الحياة اليومية وعلى الخصوص الصورة السينمائية التي لديها تأثير على المشــاهد لاسيما التمثيل للغـة الأجنبيــة مثل اللغـــة الفــرنسية الراسخة تاريخيـا بالجـــزائر وكــذا المكانة الممنوحــة لهـا. وبهذا الصــدد، فقد تم اجــراء تجــربة مع طــلاب ذوي تخصـصات متعــددة والمتمثــلة في مشــاهدة مقــاطع من فيلــم تــاريخي (معركةالجــزائر،جيـوبونتيكوفرو 1966) وبعض من المشاهـد باللغــة الفــرنسيـة. وقـد تم اختيار هذا الفيلــم طـوعا لحــث الطلبــة الناطقين باللغــة العــربية إعـــادة النظــر في التمثيلات الاجتماعية الثابتة. ترفق تجربتنا هذه باستبيــان أولي حول تمثيلهم للغــة الفــرنسية واستبيــان ثــاني عند مشــاهدة العرض السينمائي من أجــل ملاحظــة مدى تأثير المقاطع السينمائيـة على رأي الطــلاب. بعـد نهــاية المشــاهدة، كشفت الإحصــاءات في بداية الأمـر عن تــردد للتعبيــر عن رأي مثيــر للجــدل، ثم الاعتراف بالــدور الذي لعبتــه اللغــة الفــرنسية خــلال أحــداث الكفــاح المسلــح أو السيــاسي للمناضلين الجــزائريين. وبالتــالي فهل استخــدام المقــاطع السينمائية في تعليميــة اللغــة الفــرنسية يمكن أن يساهم ليس فقط في اكتساب المعرفة باللغة الفرنسية ولكن أيضا في إعادة تقييم هذه اللغة.
الكلمات المفتاحيــة: تعليمية اللغة الأجنبية الفرنسية, فيلم ,استقبال ,تمثيل, مشاهدة.
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Title : Film Reception and the Representation of the French Language: Students at the University of M’sila and the Battle of Algiers.
The image, being a message vehicle that evokes a personal interpretation and has a significant effect in terms of knowledge and learning, is part of everyday life. Particularly, the filmic image is a form of a message, that has an effect on the viewer, especially on the representation of a foreign language, such as the French language, which is historically rooted in Algeria, and the status granted to it. For this purpose, an experiment was conducted with students in different specialities which consisted of the viewing of sequences from a historical movie (The Battle of Algiers, GilloPontecorvo, 1966). Some of these sequences are in French. This cult film was deliberatly chosen to encourage arabik-speking students to deconstruct fixed social representations; our experience is accompanied by a first questionnaire on their representation of the French language and a second questionnaire, at the end of the viewing, in order to observe the impact of the film scenes on the students’ opinion. After the viewing, the statistics first revealed a reluctance to express a contentious opinion, then an acknowledgment of the role played by the French language during the events of the armed or political struggle of the Algerian militants. Thus, the use of cinematographic sequences in French language didactics can contribute not only to the acquisition of knowledge in French but also to revaluate this language.
Keywords : FFL didactics, film, reception, representations, picture, viewing.
- Harraga : terme tiré de l’arabe algérien désignant des migrants nord-africains qui tentent de rejoindre clandestinement l’Europe sur des embarcations. ↵