8 Les films associatifs autobiographiques des migrant-e-s et l’espace de réception des foyers parisiens

Guglielmo Scafirimuto

Le thème de la « réception » étant le fil conducteur de ce corpus d’interventions, je tiens à préciser dès à présent que la réception du texte actuel, qui se présentera sous la forme d’un compte-rendu analytique, doit prendre en compte une double manière auto-réflexive : une critique autobiographique sur les efforts déployés pour mettre en œuvre un récit autobiographique de la part d’individus ayant récemment émigré. L’article suivant démontrera que les réflexions sur la pédagogie et sur l’expression des minorités donner un espace, un chemin, une voix et une forme à l’autoreprésentation ne peuvent être articulées que dans des contextes spécifiques et menées au centre des négociations entre différents acteurs et besoins. Je me concentrerai ici sur une action que je conduis personnellement depuis deux ans dans le domaine associatif les Ateliers Vidéo , sur un terrain qui est aussi particulier, à savoir celui des foyers sociaux pour migrants en France, appelés « foyers des travailleurs migrants ». Le texte tentera donc d’élucider, à travers la question de la réception des images, le rôle de mon association culturelle dans la relation entre les politiques publiques d’intégration des migrants dans les quartiers dits « politiques »[1] de Paris et les pratiques qui régissent les foyers susmentionnés. Une production de récits autobiographiques qui rencontre et parfois se heurte aux attentes des différents lieux de diffusion et de son public.

Les foyers et l’intervention associative

Avec la formule « foyers des travailleurs migrants », je me réfère à un très grand nombre de logements sociaux nés dans toute la France et particulièrement en Ile-de-France dans les années 1950 destinés aux populations immigrées africaines (hommes) qui ont quitté les colonies françaises afin de trouver un emploi en région parisienne. Ce sont d’abord les Algériens qui, émigrés au lendemain de la guerre d’Algérie, étaient alors considérés comme des travailleurs à court terme et ont fait l’objet de cette politique du logement liée au contrôle colonial. Viennent ensuite les migrations postcoloniales de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique du Nord. Des foyers ont ensuite été construits aux marges des principales villes françaises, dans les quartiers plus périphériques ou directement dans la banlieue, où les résidents ont commencé à vivre isolés et dans des conditions insalubres, occupant à plusieurs la même chambre et partageant une cuisine par bâtiment. Malgré les efforts récents pour reconvertir certains foyers plus anciens en logements sociaux plus modernes, la relation entre les résidents du foyer et les autres habitant-e-s du quartier, ainsi que le reste de la ville, reste pratiquement inexistante. Aujourd’hui encore, les foyers sont des espaces invisibles et inconnus pour la plupart des Parisien-ne-s, un terrain privilégié pour observer les tensions entre les communautés diasporiques établies de longue date et les politiques municipales. En effet, du fait du regroupement de villages africains entiers (de la Kabylie algérienne ou de la région de Kayes au Mali, pour citer deux exemples majeurs), des conflits permanents avec les gestionnaires et de la forte présence de personnes âgées résidant aujourd’hui à un âge avancé, les foyers représentent, plus qu’un logement « temporaire » comme le ministère avait prévu, des résidences de longue durée tendant à reproduire les systèmes et pratiques communautaires liés aux sociétés d’origine. Gérés en interne par les services administratifs, par les imams qui réglementent la vie religieuse et par les personnes âgées qui contrôlent les jeunes, les foyers ont un fonctionnement très huilé et hiérarchisé, souvent fermé sur lui-même. Les nouvelles générations qui arrivent, précarisées à cause du chômage et de toutes les difficultés liées au fait d’être des sans-papiers, trouvent sur place l’avantage de l’aide d’un résident de la même famille ou du même village. Cependant, tant que ces jeunes restent dans le foyer, ils doivent faire face également à un risque d’immobilité sociale, linguistique et culturelle qui est certainement plus important que dans d’autres contextes.

Au-delà du débat sur la légitimité et l’efficacité de ce type de politique du logement, il me semble en tout cas utile de souligner le choix des communes des arrondissements parisiens concernés de soutenir les projets associatifs culturels qui ont organisé depuis longtemps, pour les publics marginalisés de ces « quartiers politiques », des ateliers de langue, théâtre, informatique, cinéma, etc. L’espoir des institutions françaises en matière d’animation culturelle dans les foyers est celui de briser la « méfiance réciproque entre citoyens et travailleurs migrants » : « L’objectif est de mieux faire connaître les cultures des communautés étrangères résidentes dans la ville et d’inciter ces dernières à participer à des événements culturels locaux »[2]. Grâce au financement public de la DRAC et des municipalités susmentionnées – en particulier du 20ème, 13ème et 14ème arrondissement -, mon association, appelée à l’origine Attention Chantier et maintenant Parcours, entretient depuis 2008 des relations durables et prolifiques avec les foyers intéressés (le foyer Bisson dans le quartier de Belleville, le foyer Tolbiac dans le quartier d’Olympiades, le foyer Gergovie dans le quartier de Plaisance) et avec d’autres acteurs associatifs similaires (Aarao, Raconte-nous ton histoire, Autremonde, etc.). Le défi a toujours été d’expérimenter et de renouveler notre rôle de médiateur entre l’espace intérieur du foyer et l’espace extérieur du quartier. D’une part, l’ouverture des foyers passe de sa transformation en un bassin de réception cinématographique : chaque été, un festival de cinéma a été organisé dans le circuit le plus large possible des foyers de migrants parisiens pour animer des projections de films suivies de dîners de groupe, concerts et débats. D’autre part, la participation active des habitants à la vie citadine passe de la prise de parole favorisée par la création d’une radio participative et de différents ateliers (stop-motion, peinture, vidéo).

Les actions de l’association et les dynamiques de réception

J’ai donc l’intention de commencer par la première des activités de l’association, de manière à accentuer la dimension de l’accueil au sein des foyers à l’occasion des festivals et des ciné-foyers (projections occasionnelles de films dans les foyers, normalement sous forme de collaboration avec d’autres associations). Tout d’abord, il faut rappeler que les résidents des foyers n’ont généralement aucun moyen d’accéder aux salles de cinéma à Paris, trop onéreuses et souvent éloignées de leur circuit d’action habituel, et qu’ils ne l’avaient pas auparavant dans leur pays d’origine, en raison de l’absence de cinéma dans les villages d’où ils viennent, ou même dans les villes où ils ont habité. Les projections, en transformant le foyer en un espace de réception, permettent ainsi aux résidents de devenir pour la première fois les spectateurs d’un film sur grand écran. Elles permettent également de se consacrer à l’installation du matériel, de partager un moment convivial assis sur les tapis africains disposés devant l’écran, de participer à des repas et des débats communs et de rencontrer des gens extérieurs au foyer, le festival étant ouvert à tou-te-s. Le choix des films – documentaires ou de fiction, voire même d’animation – ainsi que des décorations, de la musique, de la nourriture et des thèmes en discussion – se focalise sur les pays d’origine des résidents, et donc sur l’Afrique de l’Ouest. Cela pour attirer toutes les générations présentes à l’événement (en général, les personnes âgées restent habituées aux plats africains et les jeunes continuent à préférer le hip-hop et le reggae au rock ou à la pop, par exemple) et pour apporter également des points de vue novateurs sur des questions associées à l’Afrique et aux migrations récentes. Les films programmés sont tous en français ou dans les langues les plus répandues dans le foyer – bambara et soninké – sous-titrés en français, afin de favoriser la compréhension de l’ensemble du public[3].

Le festival a toujours été bien accueilli par les participants car ces espaces manquent de moments de loisirs au niveau de la communauté. Les projections deviennent ainsi une occasion de fête pour le foyer et une distribution de tracts comprenant parfois une communication porte à porte dans les chambres est sollicitée pour alimenter une plus grande participation. D’autres associations ou personnalités liées aux questions débattues sont également invitées au festival en vue d’un dialogue plus substantiel avec le monde extérieur au foyer. Les projections sont généralement organisées le soir afin d’éviter l’éclairage naturel et se déroulent dans une cour extérieure (si le foyer en dispose) ou dans une grande salle polyvalente toujours présente à l’intérieur. En regardant le film, le public est généralement assez bruyant, car les spectateurs peuvent arriver et partir librement à tout moment. La majorité du public réagit aux séquences vues à l’écran avec des commentaires à voix haute ou des éclats de rire sur les points les plus comiques, la participation étant nettement plus visible et intense dans ce contexte que dans celui d’une salle de cinéma classique. En se déroulant devant un public musulman, les projections s’adaptent au Ramadan en ce qui concerne la période de l’année et aux cinq prières quotidiennes relativement aux horaires. Tous ces facteurs contribuent alors à donner l’impression de se retrouver dans un espace entre-deux, où tout renvoie à l’Afrique tout en restant à Paris. Cette ambiance est aussi l’une des raisons qui attire non seulement le public des résidents des foyers, mais aussi ceux et celles qui viennent pour la première fois dans cet espace et qui finissent par apprécier les conditions inédites de cette expérience de réception filmique.

Figure 1. Festival au foyer Gergovie (Juillet 2017). Source : Guglielmo Scafirimuto

J’aimerais maintenant approfondir la deuxième partie du projet : les films associatifs autobiographiques réalisés au sein des Ateliers Vidéo, que je coordonne depuis le début de 2016. Les Ateliers Vidéo se déroulent dans deux foyers avec deux groupes parallèles d’une dizaine de participants, dont chacun se réunit un jour par semaine pour deux heures. Les participants s’engagent (même si en pratique, la nature de cet engagement fluctue toujours de manière problématique ou n’est que temporaire) sur la continuité d’une année divisée en deux semestres, correspondant à la création totale de deux films pour chaque groupe. Les objectifs principaux des ateliers sont avant tout : de sensibiliser le public des foyers, normalement en marge de la vie culturelle et sociale de la ville, au langage cinématographique et à l’intérêt de produire et de diffuser des images à la première personne; d’initier les participants aux différentes étapes de la réalisation audiovisuelle, de la pré-production à la post-production. C’est un travail participatif qui place au centre de ses préoccupations et de sa méthodologie une sorte de « pédagogie militante », basée sur le concept d’auto-représentation des minorités et sur l’intervention active de nouveaux acteurs sociaux à travers la mise à disposition d’outils d’expression. La réalisation de courts métrages permet aux participants de prendre la parole à travers l’imagination, en s’appropriant les moyens techniques et créatifs pour communiquer leur expérience migratoire (ou simplement autobiographique) à partir d’un point de vue subjectif. Les participants sont invités à élaborer ensemble les récits du film de manière à pouvoir combiner apprentissage pratique et réflexion personnelle sur leur expérience. Chacun peut ensuite choisir s’il souhaite être scénariste, réalisateur, ingénieur du son, acteur et/ou monteur.

De quel contexte et de quelle base naît ce que j’appelle la « pédagogie militante » des ateliers? Ce projet s’inscrit certainement dans le contexte français de la pédagogie audiovisuelle et de l’éducation populaire, récemment coordonné par, entre autres, le groupe Passeurs d’images. Cependant, les Ateliers Vidéo, plus que du côté institutionnel conçu comme une éducation « envers le peuple », s’alignent sur les actions de solidarité militante « aux côtés du peuple », promulguées par le réseau associatif parisien : les collectifs des sans-papiers, Paris d’exil, Atelier des artistes en exil, Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (BAAM), Raconte-nous ton histoire, Aarao, Belleville en Vues, Belleville Citoyenne, CIP20, Autre Monde, Canal Marche, etc. Distinction délicate (et peut-être un peu hypocrite) – entre institutionnel et militant – qui, à mon avis, aide toutefois à définir un horizon attitudinal différent : concevoir les participants (et non les « apprenants » ou les « usagers ») non pas comme des objets de « réception » d’une politique sociale, mais en tant que protagonistes d’un changement et d’une action commune. Cela pour questionner ce que Boucher définit comme la « dynamique de recomposition du contrôle social » (Boucher, 2006 : 219), en se référant à l’insistance du travail social et des politiques de la ville sur l’intégration, l’éducation et la reconversion. Bien évidemment, je suis parfaitement conscient de l’ambivalence de cette aspiration (les associations sont néanmoins financées par des organismes publics) et de l’idéalisme du modèle participatif, qui se confronte à une pratique sur le terrain présentant toujours de nombreux variables, imprévus et impasses.

Au fondement de mon engagement associatif, il y a certainement mes recherches universitaires d’esthétique et d’anthropologie sur l’autoreprésentation cinématographique des migrants, sur les études postcoloniales et sur l’exemple italien de l’association Asinitas qui a conduit plusieurs jeunes migrants à Rome à la réalisation cinématographique. Les lectures sur la médiation culturelle ont également apporté une inspiration méthodologique. Gisèle Legault, par exemple, indique quels sont, selon elle, les préalables essentiels à une action interculturelle : savoir (s’informer), savoir-être (avoir conscience de son rôle) et savoir-faire (rendre l’intervention compatible avec le contexte) (Legault, 2006 : 301). En tout cas, si les débats sur la « bonne distance » (Piault, 2000 : 237) ou sur la « proximité relative » (Morel, 2002 : 287-294) à adopter dans toute relation avec l’Autre ne semblent pas conduire à un point de rencontre, on peut convenir que la communication interculturelle, même s’il s’agit d’un « dilemme » (Jovelin, 2002 : 26), est tout de même « une nécessité sociale », comme le rappelle Saïd Bouamama (2002 : 35). La « pédagogie militante » nait précisément d’un besoin : la politique des actions sociales reste indispensable et structurée du « haut », mais doit viser un changement concret pour ceux et celles qui poursuivront ces initiatives à partir du « bas ».

Figure 2. Atelier Vidéo au foyer Gergovie (Janvier 2018). Source : Guglielmo Scafirimuto

Les Ateliers Vidéo : créer des espaces de production et de réception

L’artiste multimédia Krzysztof Wodiczko, qui travaille avec les migrant-e-s depuis les années 1990, précise la priorité du « public interne » (inner public) – les personnes impliquées dans toutes les étapes du projet participatif – vis-à-vis du « public externe » (outer public), qui n’est que l’utilisateur du travail final des participant-e-s (Wodiczko, 2016b : 288-289). Selon Wodiczko (2016a : 184), le rôle de l’artiste (et du coordinateur dans mon cas) est celui d’être un « catalyseur » de ce « public interne », par le biais de la méthode socratique de la maïeutique, qui aide à faire naître spontanément l’inspiration artistique d’autrui. Ces réflexions m’ont certainement suggéré certaines postures, mais je rapporte ici leur négociation avec le contexte spécifique des foyers parisiens.

Afin de mieux comprendre le contexte de communication des ateliers, il faut prendre en compte que presque tous les contacts des participants sont obtenus à la suite d’une présentation rapide du projet que je fais au début de chaque année durant les cours de langues donnés dans les foyers. C’est aux personnes qui m’ont donné leur contact de décider ensuite si elles veulent répondre positivement ou négativement à ma proposition informelle, étant donné qu’il n’y aucun « appel à participation » officiel de la part de l’association. Cette prise directe de contact permet de susciter la curiosité de ceux qui ne seraient pas immédiatement attirés par un tel projet, mais le manque d’intentionnalité initiale diminue l’effet de motivation interne et augmente donc malheureusement les désistements. Un élément qui conditionne le bon fonctionnement des ateliers est par exemple la corrélation directe entre participation et réception. Récemment, un participant malien qui avait joué dans le dernier documentaire a cessé de fréquenter parce que d’autres résidents, ayant vu le film en question (j’avais fait circuler le lien Vimeo sur notre groupe WhatsApp), se sont coalisés pour l’empêcher de poursuivre cette activité. Cela provient du fait que faire des films et plus généralement des images, ou participer en tant qu’acteur, est une activité souvent mal vue par la communauté du foyer (les personnes âgées en premier lieu et, par transmission, certains jeunes) et jugée comme une distraction indécente, inutile et à éviter. Les jeunes ne sont venus jusqu’ici que pour trouver un vrai travail rémunéré et aider leur famille, pas pour d’autres activités « ludiques », affirment les anciennes générations qui se sentent responsables des nouvelles. Cependant, ce tabou fréquent de l’image ne concerne pas toujours la majorité, et ceux qui se sentent mal à l’aise devant la caméra vidéo (pour gêne, timidité ou pour ne pas être vus par les aînés ou par leur famille) peuvent décider de rester derrière la caméra, en filmant ou en tenant la perche du microphone.

On peut donc dire que les participants, pour la plupart récemment arrivés à Paris où ils n’ont encore pu nouer de nombreux liens sociaux et affectifs, assistent constamment aux ateliers plus pour le plaisir de construire un groupe uni par l’amitié que pour un authentique intérêt préexistant envers le monde du cinéma. Chaque fois que je les questionne sur les objectifs de notre projet cinématographique, j’assiste régulièrement à une confusion générale entre le concept de film et celui de vidéo YouTube ou d’émission télévisuelle, dans une incertitude de définition révélatrice de leurs pratiques de réception audiovisuelle. Le point de départ consiste alors à essayer d’expliquer les termes de base que je vais utiliser sans cesse : cinéma, film, court métrage, documentaire, fiction, genres, tournage, plans, etc. Mais les ateliers ne proposent pas un apprentissage frontal scolastique; j’essaie de clarifier immédiatement que mon rôle dans ce contexte n’est pas celui d’enseignant et d’autorité, mais plutôt celui de complice et d’animateur. Voulant être plus réceptif et prêt à l’écoute, l’un des premiers exercices que j’organise est celui de raconter face à la caméra – chacun à son tour filme et témoigne – sa relation avec le cinéma. Qu’il s’agisse de matches de football, de reportages télévisés, de clips musicaux ou de vieux films d’action américains (les noms de Van Damme et de Schwarzenegger sont fréquemment mentionnés), tout est valable pour comprendre les pratiques de réception, et donc les connaissances à développer. La compréhension des goûts et des désirs de chacun – souvent peu explicite ou claire, compte tenu de la très faible expérience des spectateurs – m’aide à diriger la première phase : la formation d’une réception. Regarder des films précédemment réalisés par les ateliers permet, par exemple, de prendre conscience de la possibilité réelle de reproduire le produit que l’on vient de voir. La réception devient ainsi préparatoire à la réalisation. Mis en place des références communes – sketches, vidéos ou émissions qu’ils ont peut-être pu regarder – il est important ensuite de diriger ces premières connaissances vers l’appropriation des codes de la réalisation cinématographique, de l’écriture au tournage, puis enfin du montage.

Pendant les exercices en cercle avec la caméra, la réception s’exprime à travers la ré-élaboration active de l’image à travers l’image : les participants, attendant leur tour, filment souvent avec leur portable ceux qui sont en train de filmer avec la caméra de l’association. De nombreuses images circulent alors à la fin de nos réunions, que ce soit les vidéos susmentionnées mises sur Facebook par les participants pour les montrer à des ami-e-s, ou les photos prises ensemble et partagées sur notre groupe Facebook et notre chat WhatsApp. En phase de montage, le visionnage collectif des rushs soulève toujours des questions, de l’hilarité, de la curiosité et de nouveaux débats sur ce qui a été dit pendant le tournage (certains sont souvent absents et viennent par intermittence). Comme il est normal dans ces circonstances, le fait de revoir sa propre image à l’écran et sa première interprétation filmée génère de l’embarras et certains, discrètement, tournent leur regard ailleurs. Particulièrement au moment du sous-titrage (si les acteurs ont adopté leur langue, généralement le soninké ou le bambara), quelques participants, écoutant leurs témoignages, expriment le souhait de refaire certains passages « pas bien dits ». Pour en revenir à la phase d’écriture, force est de constater que c’est surtout au travers de débats collectifs que les idées de scénario émergent et convergent ensuite vers une structure narrative. Bien sûr, dans notre élan amateur, les codes s’entremêlent sans limites prédéfinies. En supposant qu’il serait plus que compliqué d’écrire un vrai scénario collectivement (la grande majorité des participants est semi-illettrée), les séquences de dialogue sont principalement improvisées. Nos films de fiction incluent alors différents éléments documentaires basés sur les idées et sur les expériences réelles des personnages / participants, une sorte de « docufiction » qui finit par constituer l’une des particularités de notre production et peut-être même un croquis d’un nouveau genre de film (avec ses règles et ses méthodes de production et de diffusion).

Films « interdits » et films de « réparation »

À cet égard, il me semble pertinent de citer l’un des derniers films d’un groupe des Ateliers Vidéo – celui du foyer Gergovie, situé dans le 14ème arrondissement, Les Aventuriers Sentimentaux, une comédie sur les fantômes et les illusions des relations de couple entre l’Afrique et l’Europe. Ce court métrage est un exemple intéressant pour montrer comment la réalisation doit négocier dès le début avec la réception attendue. À l’origine, les critères de choix thématique de nos films sont : les désirs et les intentions du groupe de participants; le caractère pertinent mais aussi original de la nouvelle œuvre par rapport à notre précédente production; l’intérêt hypothétique du public (interne ou externe au foyer) pour les questions affrontées. Au moment où nous avons entamé l’écriture de ce film, les débats avec les jeunes ivoiriens et maliens du groupe ont été assez rapidement tournés vers la question de l’interdiction de l’accès des femmes dans les foyers (sauf lors des cérémonies et des visites de week-end) et vers la nécessité pour les garçons de rencontrer des filles à l’extérieur de la résidence. En comptant naturellement toutes les difficultés et divergences linguistiques et culturelles liées au succès des rencontres hypothétiques, dans la rue ou ailleurs. Le résultat a été une docufiction très amusante et spontanée, absolument ni vulgaire ni scandaleuse, mais qui a été finalisée dans la dernière phase en sachant que nous ne pouvions pas la projeter dans ce foyer. Il était déjà arrivé une fois qu’un film des ateliers – le premier – ait à procéder à une « censure », en évitant de filmer ou de mentionner certains détails critiques concernant un foyer, afin de ne pas exposer la honte des conditions d’hygiène et de logement des anciens bâtiments. Mais dans ce cas, c’était la première fois que nous traitions d’un sujet « interdit ».

D’habitude, nous avons toujours préféré nous attaquer aux problèmes qui évoquent les « bons » efforts des sans-papiers, tels que l’apprentissage de la langue française ou la recherche d’un emploi. À la suite d’une projection, il y a un an, un imam du foyer avait cité par exemple un de nos films pour parler des bons modèles à suivre en termes d’approche de l’intégration linguistique et professionnelle. Ces mêmes préoccupations des personnes âgées et des autorités du foyer, qui, rappelons-nous, sont comme des tuteurs et des guides pour les jeunes qui viennent d’arriver, ne correspondaient donc pas cette fois-ci aux prétendues « distractions » mal vues, comme celles des rencontres amoureuses au centre du film. De plus, lors du tournage, nous avions dû demander un accord pour utiliser une salle, et certaines répliques d’un participant / acteur ivoirien devant le foyer avaient été jugées déplacées par les résidents maliens de la salle, révélant ainsi certains conflits entre les différentes communautés et entre les habitants et les « occupants » externes. Ainsi, finalement, l’association a assumé son rôle de médiateur, comme je l’ai dit, entre l’espace du foyer et l’espace de la ville, non seulement en tournant à nouveau la séquence discriminée, mais en tournant un nouveau film « de réparation ». Ce dernier, encore une fois traitant des difficultés d’insertion professionnelles, administratives et linguistiques, pourra donc être montré dans le foyer Gergovie en question, tandis que le film « interdit », né d’autres besoins des jeunes participants, a déjà été l’objet de projections externes et de débats intéressants.

Figure 3. Projection au foyer Tolbiac (Octobre 2017). Source : Guglielmo Scafirimuto

Les projections constituent un moment fondamental des Ateliers Vidéo, car elles permettent aux participants de présenter et de valoriser eux-mêmes le travail accompli et les travaux terminés, mais aussi de pouvoir regarder le film sur grand écran dans des contextes inhabituels et de débattre avec le public. Au cours des projections à l’intérieur des foyers, la situation est semblable, dans une certaine mesure, à celle décrite pour le festival. Tout d’abord, il y a un flux continu de personnes : celles qui arrivent en retard, celles qui partent tôt, celles qui se lèvent pour répondre au portable qui sonne. Le niveau sonore est généralement plus élevé, incluant le mouvement des chaises, les commentaires à voix haute, les éclats de rire à chaque sketch ou gaffe ou à chaque apparition d’un ami dans le film. On s’identifie facilement dans la situation représentée, on reconnaît un ensemble de non-dits qui acquièrent une autre dimension sur un grand écran, établissant une atmosphère unique de complicité. Une fois dans la discussion, la plupart des questions sont généralement posées par les quelques personnes extérieures au foyer qui souhaitent contacter les participants pour connaître le dispositif participatif utilisé, commenter la musique, le langage ou l’interprétation des acteurs. À la fin, le moment convivial des boissons et des snacks clôture la soirée avec d’autres conversations, des photos de groupe, des blagues et des contacts pour les ateliers à venir.

La réception s’articule différemment dans les autres espaces de la ville où, contrairement aux foyers, la prédominance des spectateurs et spectatrices français-e-s déplace l’attention générale sur d’autres aspects du projet. En mars et avril, par exemple, nous avons organisé deux projections de Les Aventuriers Sentimentaux à Paris, la première lors d’un séminaire universitaire à l’EHESS, et la seconde lors d’une soirée dans un restaurant associatif de Belleville, le CIP20. Les participants se sont retrouvés pour la première fois plongés dans des contextes qui leur étaient inconnus et au centre de l’intérêt collectif, assis derrière la chaise d’un amphithéâtre d’une grande école, parlant au microphone et s’adressant directement à des personnes qui n’appartenaient pas au milieu du foyer. Le public a beaucoup apprécié le film, en mettant en avant la sincérité et la spontanéité des jeunes, la dynamique interculturelle des relations de couple, le ton humoristique de différentes séquences et la manière de jouer avec certains fantômes postcoloniaux. Au cours du débat, les spectateurs et spectatrices ont posé des questions sur les parcours migratoires des participants, sur les méthodes d’écriture et de tournage du film et sur la véracité d’un dialogue sur le mariage, un sujet discuté à la fin du court métrage. Les participants ont ensuite adopté cette dimension autobiographique en défendant les idées exprimées et en racontant leurs expériences personnelles ou en expliquant d’autres éléments, tels que la langue adoptée, un « français ivoirien » parlé à Abidjan, qui se démarque sur plusieurs fronts du français de France.

La projection, ouvrant un nouvel espace de réception, constitue ainsi un moyen non seulement de participer activement à l’espace public, de présenter ses travaux, de construire une image de soi différente et de s’inscrire dans un environnement plus vaste et hétérogène, mais aussi de recueillir enfin de la gratification être applaudi par le public, voir son nom au générique de fin, être arrêté à la fin de la sélection pour d’autres questions . La participation aux ateliers, si elle est vécue de cette manière, permet donc d’articuler création et réception, connaissance et échange, en répondant probablement aux objectifs fixés par les politiques publiques en matière d’animation culturelle et, espérons-le, aux attentes concrètes des participants dans leurs projets de vie à Paris.

Conclusion

Le bref compte-rendu analytique présenté dans cet article démontre ainsi les négociations nécessaires pour produire et diffuser les films associatifs autobiographiques de migrants afin d’inscrire les espaces et les identités des foyers dans ceux du quartier et de la ville. Des adaptations et des solutions qui tentent de répondre à la fois aux besoins des habitants et aux autorités des foyers, aux questions des institutions parisiennes qui accompagnent et suivent le projet, à une méthode de « pédagogie militante » et aux curiosités et aux intérêts des autres lieux et des autres publics de la ville. Ce sur quoi tout le monde s’accorde semble être en tout cas l’importance d’une occasion d’échange humain et horizontal sincère offert par les Ateliers Vidéo, ainsi que la manière la plus subjective, participative et légère dont nos récits autobiographiques traitent les différents aspects problématiques de la migration, contrairement aux représentations communes, à sens unique et tragiques, auxquelles les médias et les cinémas occidentaux ont habitué leurs spectateurs et spectatrices.

Références

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Bouamama S., 2002, « Les discours de l’interculturalité : modèles, enjeux et contradictions », in Jovelin E., dir., Le travail social face à l’interculturalité. Comprendre la différence dans les pratiques d’accompagnement social, Paris, L’Harmattan, pp. 31-42.

Boucher M., 2006, « Le nouvel espace de contrôle social en France. Travailleurs sociaux et médiateurs sociaux à l’épreuve des logiques d’intégration, de régulation et de racisation », in Prieur E., Jovelin E., Blanc M., dir., Travail social et immigration. Interculturalité et pratiques professionnelles, Paris, L’Harmattan, pp. 209-222.

Jovelin E., 2002, « Comprendre l’interculturalité : l’ouverture à l’autre », in Jovelin E., dir., Le travail social face à l’interculturalité. Comprendre la différence dans les pratiques d’accompagnement social, Paris, L’Harmattan, pp. 17-30.

Legault G., 2006, « Interculturalité et diversité des pratiques professionnelles. L’étranger, cet autre moi-même », in Prieur E., Jovelin E., Blanc M., dir., 2006, Travail social et immigration. Interculturalité et pratiques professionnelles, Paris, L’Harmattan, pp. 297-304.

Morel D., 2002, « Vers une “relative proximité” : la distance, une notion centrale commune à l’épistémologie et à l’éthique », in Jovelin E., dir., Le travail social face à l’interculturalité. Comprendre la différence dans les pratiques d’accompagnement social, Paris, L’Harmattan, pp. 287-294.

Piault M. H., 2000, Anthropologie et cinéma. Passage à l’image, passage par l’image, Paris, Teraedre.

Wodiczko K., 2016a, « I want to be a Catalyst. An Interview with William Furlong, 1988 », in Wodiczko K., dir., Transformative Avant-Garde and Other Writings, London, Black and Dog Publishing, pp.184-186.

Wodiczko K., 2016b, « The Inner Public, 2015 », in Wodiczko K., dir., Transformative Avant-Garde and Other Writings, London, Black and Dog Publishing, pp.287-299.

Résumé/ملخص/Riassunto

Les Ateliers Vidéo, menés au sein de l’association Parcours à Paris, forment depuis deux ans et demi les résidents des foyers des travailleurs migrants d’Ile-de-France à la création audiovisuelle. L’article, qui se présente comme un compte-rendu analytique des activités déroulées dans le cadre de cette association, met en avant la question de la réception à partir des dynamiques liées au rapport entre l’espace interne des foyers et l’espace externe de la ville. L’analyse porte sur les manières dont l’organisation d’un festival de cinéma, le fonctionnement des ateliers, le tournage des films et leur réception dépendent fortement de plusieurs facteurs tels que la réglementation des foyers, la transmission culturelle entre les habitants de différentes générations, la cohabitation entre les ethnies présentes et la relation de celles-ci avec les autres habitants du quartier et de la ville.

Les court-métrages de l’association, à travers une démarche participative durant laquelle tous les participants contribuent aux étapes progressives de la réalisation, mettent en forme les récits autobiographiques des migrants sans papiers, souvent mélangeant documentaire et fiction. Les participants, en majorité provenant du Mali, mais aussi de la Côte d’Ivoire, de la Mauritanie, du Sénégal, de l’Algérie, du Cap-Vert, deviennent pour la première fois en même temps des spectateurs de films (des projections sont organisées tout au long du semestre) et des créateurs (scénaristes, réalisateurs, acteurs, techniciens, monteurs). Dans le contexte particulier des foyers de travailleurs migrants, l’article souligne la négociation nécessaire entre la production et la réception des images, entre un « Sud » africain reproduit dans les logements sociaux et un « Nord » parisien toujours présent à travers les politiques de la ville, les financements publiques et les lieux de diffusion et débat.

Mots-clés : Foyers, Paris, immigration africaine, vidéo, participatif, pédagogie, projections.

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الافلام الجمعياتية الخاصة بالسيرة الذاتية للمهاجرين ومنطقة استقبال الأسر الباريسية

  كوّنت حلقات الفيديو المنعقدة داخل الجمعية « باركور بباريس »  (فيرنسا)، ولمدة سنتين ونصف ، سكان مراكز إيواء العمال المهاجرين في منطقة  باريس (إيل دي فرانس) إلى تحقيق منتجات سمعية بصرية.

يهدف هذا المقال إلى تقديم حوصلة تحليليةً للأنشطة التي أجريت في هذه الجمعية، ويسلط الضوء على مسألة الاستقبال انطلاقا من الديناميات المتّصلة بالعلاقة بين الفضاء الداخلي الذي يمثله مراكز الإيواء والفضاء الخارجي الذي تمثله المدينة.

ويركز التحليل على كيف أنّ تنظيم مهرجان سينما، سير نشطات الورشات وتصوير الأفلام واستقبالهم ، كلّ هذا يعتمد  اعتماداً كبيرا على عدة عوامل مثل تنظيم مراكز الإيواء  والتبادل الثقافي  بين السكان من مختلف الأجيال، والتعايش بين هذه الجماعات الإثنية وعلاقة هذه الأخيرة مع غيرها من سكان الحي والمدينة.

تقدم الأفلام القصيرة للجمعية كخلط بين الفيلم الوثائقي والخيالي، على أساس منهج تشاركي يساهم فيه جميع المشاركين في مراحل تدريجية من تحقيق المشروع، غالباً على شكل سرد قصص ذاتية للمهاجرين  بدون وثائق.

يأتي معظم المشاركين من المالي، وأيضا من كوت ديفوار، وموريتانيا، والسنغال، والجزائر، والرأس الأخضر، وأصبحوا كلهم لأول مرة وفي نفس الوقت المشاهدين (ينظم بث أفلام خلال كل السداسي ) والمبدعين (كتابة سيناريوهات، وكممثلين وتقنيين، ومختصين في المونتاج) .

يٌبرز هذا المقال، في الإطار الخاص بالقاطنين في مراكز العمال المهاجرين، مدى أهمية التفاوض الضّروري بين الإنتاج واستقبال الصور، بين   ‘جنوب’ إفريقي متمثل في السكن الاجتماعي و’شمال’ باريسي ممثل من خلال السياسات العمومية الخاصة بالمدينة، والتمويل العمومي وأماكن النشر والمناقشة

الكلمات المفتاحية

مراكز، باريس، الهجرة الأفريقية، فيديو، تشاركية، العلوم التربوية، عرض   

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Titolo :  I film associativi autobiografici dei migranti e lo spazio di ricezione dei foyers parigini

Gli Ateliers Video, condotti dall’associazione Parcours a Parigi, formano da due anni e mezzo i residenti dei foyers dei lavoratori migranti d’Ile-de-France alla creazione audiovisiva. L’articolo, che si presenta come un resoconto analitico delle attività svoltesi nell’ambito di questa associazione, mette in risalto la questione della ricezione a partire delle dinamiche legate al rapporto tra lo spazio interno dei foyers e lo spazio esterno della città. L’analisi verte sulle maniere in cui l’organizzazione di un festival cinematografico, il funzionamento degli ateliers, le riprese dei film e la loro ricezione, dipendono fortemente da numerosi fattori quali la regolamentazione dei foyers, la trasmissione culturale tra gli abitanti delle diverse generazioni, la convivenza tra le etnie presenti e la loro relazione con gli altri abitanti del quartiere e della città.

I cortometraggi dell’associazione, attraverso un metodo partecipativo durante il quale tutti i partecipanti contribuiscono alle tappe progressive della realizzazione, mettono in scena le storie autobiografiche dei migranti sans papiers, spesso unendo documentario e finzione. I partecipanti, in maggioranza provenienti dal Mali, ma anche dalla Costa d’Avorio, Mauritania, Senegal, Algeria, Capo Verde, diventano per la prima volta allo stesso tempo spettatori di film (delle proiezioni sono organizzate lungo tutto il semestre) e creatori (sceneggiatori, registi, attori, tecnici, montatori). Nel contesto particolare dei foyers dei lavoratori migranti, l’articolo sottolinea la negoziazione necessaria tra la produzione e la ricezione delle immagini, tra un “Sud” africano riprodotto negli alloggi sociali e un “Nord” parigino sempre presente tramite le politiche cittadine, i finanziamenti pubblici e i luoghi di diffusione e dibattito.

Parole chiave : Residenze, Parigi, immigrazione africana, video, partecipativo, pedagogia, proiezioni.


  1. Expression employée par les mairies des arrondissements parisiens pour indiquer les zones considérées les plus touchées par les tensions sociales et donc prioritaires au niveau de l’intervention d’une politique d’intégration.
  2. ADEL, ALFA Consultants (dir.), 1999 : 50.
  3. Les foyers sont actuellement habités par une population entièrement issue de l’Afrique de l’Ouest (notamment Mali, Côte d’Ivoire, Sénégal et Mauritanie). Une présence maghrébine (surtout algérienne) est cependant observable dans la fréquentation des prières collectives (celle du vendredi en premier), des activités (les ateliers associatifs et les projections) et de la cour (où l’on vend de la nourriture et d’autres marchandises). À l’intérieur de mes groupes, un participant kabyle a été parmi les plus constants pendant deux ans au foyer Tolbiac.

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