8 Ethos de crédibilité et stratégie d’influence. Le paraître vrai dans les discours de campagne présidentielle au Cameroun

Noussaïba Adamou

Introduction

Dans le discours politique, l’activité langagière est motivée par une visée qui est très souvent manipulatoire. C’est sans doute pour justifier cette affirmation que Charaudeau (2001, p. 26) définit la prise de parole en ces termes : « parler correspond à un enjeu social qui consiste d’une part à s’ajuster à des normes d’usage, d’autre part à jouer avec ces normes. Parler n’est plus affaire d’esthétique mais d’ajustement, d’adéquation et de stratégie ». Autrement dit, chaque prise de parole fonctionne comme un jeu qui consiste soit à perdre, soit à gagner. Elle a un enjeu qui permet au sujet parlant de mobiliser des stratégies dans le but d’exercer une influence sur son interlocuteur ou son interlocutrice. Lorsque celles-ci sont basées sur l’image du sujet parlant, l’on parlera de preuve éthique fondamentalement centrée sur le concept d’ethos ou d’image de soi. D’après la rhétorique, l’ethos concerne les qualités morales du sujet parlant qu’il ou elle transpose indirectement dans son discours pour être crédible (Declercq, 1992, p. 47; Amossy, 2000, p. 61). C’est dans cette logique que Ducrot, dans sa théorie polyphonique de l’énonciation, précise que cette preuve subjective est liée au sujet parlant comme un être du discours qu’il oppose à l’être du monde. Il dit, à cet effet, que « L’ethos est rattaché à L, le locuteur en tant que tel : c’est en tant qu’il est à la source de l’énonciation qu’il se voit affublé de certains caractères qui, par contrecoup, rendent cette énonciation acceptable ou rebutante » (Ducrot, 1984, p. 201).

La question de l’ethos apparaît, dès lors, très importante dans le discours politique, car il est par essence un discours argumentatif et donc un discours de séduction. Dans les discours de campagne présidentielle camerounais, cette preuve n’est pas ignorée des candidats[1]. Ceux-ci font de la construction de leur image l’une des principales stratégies pour manipuler et susciter l’adhésion de l’instance citoyenne.

Avec l’analyse du discours, Maingueneau développe le concept d’ethos en relation avec la scène d’énonciation. En effet, les marques linguistiques et les traces de la subjectivité ne sont pas les seuls procédés d’inscription du sujet parlant dans son dire; le type et le genre du discours définissent aussi d’avance la position que celui ou celle-ci doit occuper. Il s’agit alors d’une scénographie qui lui dicte la posture à adopter.

Ce que l’orateur prétend être, il le donne à entendre et à voir; il ne dit pas qu’il est simple et honnête, il le montre à travers sa manière de s’exprimer. L’ethos est ainsi attaché à l’exercice de la parole, au rôle qui correspond à son discours, et non à l’individu « réel », appréhendé indépendamment de sa prestation oratoire (Amossy, 2000, p. 66).

L’orateur ou l’oratrice doit donc se montrer digne de foi et crédible en faisant preuve de simplicité, de bienveillance et de sincérité. Dès lors, comment les candidats aux élections présidentielles se montrent-ils crédibles? Quels procédés emploient-ils pour projeter dans leurs propos l’image d’un homme politique vrai? Quels types d’ethos retrouve-t-on dans leurs dires? Pour répondre à ces interrogations, j’analyserai un corpus constitué de quelques discours de campagne produits aux élections présidentielles de 1992, 1997, 2004 et 2011 au Cameroun par le RDPC, le SDF, l’UDC et l’UNDP[2]. Les fondements argumentatifs de la pragmatique me permettront d’examiner les différentes figures de la crédibilité des candidats. J’étudierai ainsi la vertu, la compétence et le sérieux qui participent au paraître-vrai de la personne politique.

Précisions sur le corpus

Comme je l’ai signalé en amont, ce travail s’appuie sur les discours de campagne présidentielle de quatre scrutins au Cameroun (1992, 1997, 2004 et 2011). Les premières élections multipartites à l’ère de la démocratie se sont déroulées en 1992 et ont connu la participation de plusieurs formations politiques à côté de celle au pouvoir, le RDPC. Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais est la nouvelle dénomination du parti créé le 24 mars 1984 à partir des cendres de l’UNC (Union nationale camerounaise) lors de son quatrième congrès. Paul Biya (PB) s’est présenté à toutes les élections. Le Social democratic front est le principal parti d’opposition. Il a été lancé à Bamenda le 26 mai 1990 avec pour candidat Ni John Fru Ndi (JFN). Adamou Ndam Njoya (ANN) a représenté les couleurs de l’Union démocratique du Cameroun pendant la période couverte par le corpus. L’UDC a été légalisée le 26 avril 1991. L’UNDP, créée le 25 mai 1990, a fait de Bello Bouba (BB) son candidat.

Par ailleurs, il faut préciser que l’élection de 1997 s’est déroulée dans un contexte de boycott. Les trois partis politiques de l’opposition sus-cités, accompagnés d’autres, ont appelé au boycott et ont multiplié des communications pour en expliquer les raisons. La campagne électorale, qui devrait leur permettre de faire connaître leur programme politique et présenter leur profession de foi, a été un cadre de protestation contre l’ordre gouvernant en place. L’objectif était de faire pression sur le pouvoir afin qu’il mette sur pied un code électoral fiable et des structures indépendantes chargées des élections. Dans cette optique, le slogan « Pas de bonnes lois, pas d’élection » a retenti lors de cette campagne électorale.

Le corpus de l’étude est constitué des professions de foi, des programmes politiques, des manifestes, des déclarations conjointes, des discours prononcés par les candidats lors des tournées électorales. Il a été codé à partir du nom de la formation politique (RDPC, SDF, UDC, UNDP), du contexte (boycott), de l’année électorale (1992, 1997, 2004 et 2011) et de l’ordre de production du discours (A, B, C, D, etc.). À titre illustratif, RDPC-1992-B correspond au discours de campagne prononcé à Garoua en 1992. Cette codification est annexée à la fin du texte.

Paraître vrai par l’ethos de vertu

Dans le discours politique, la crédibilité du sujet repose sur un pouvoir de faire qui remplit les conditions de sincérité, de performance et d’efficacité (Charaudeau, 2005, p. 91). C’est une qualité reconnue aux praticien·ne·s de la chose politique; qualité qui débouche sur une construction de l’identité discursive. Pour être jugée crédible, l’instance politique doit apporter les preuves de cette qualité dans son discours; lesquelles preuves permettent de vérifier que ce qui est dit correspond à ce qui est pensé, que ce qui est promis peut être réalisé à travers des moyens disponibles. De ce fait, la vertu est la première qualité à mettre en discours. L’ethos de vertu répond à la condition de sincérité qui se caractérise par une attitude qui consiste à respecter les règles de moralité comme le fait d’honorer la parole donnée. Cette image exige de l’instance politique qu’elle « fasse preuve de sincérité et de fidélité, à quoi doit s’ajouter une image d’honnêteté personnelle » (Charaudeau, ibid., p. 94).

La sincérité

La sincérité est un modèle de droiture qui justifie la transparence de l’instance politique. Une transparence qui fait d’elle une personne intègre et loyale. Cette image se caractérise dans le discours de campagne présidentielle par le récit des engagements antérieurs sur lesquels les candidats se basent pour en prendre d’autres. En effet, l’attitude sincère que le sujet politique veut afficher s’observe dans ses propos par le recours aux événements passés. Il s’agit pour le candidat de faire un bond en arrière dans le but de retracer son parcours en termes de réalisations des projets annoncés. Pour ce faire, son discours est élaboré de telle manière qu’il ou elle fait voir à son auditoire que ce qui avait été annoncé a été réalisé. Le peuple est alors interpellé pour témoigner de l’effectivité des réalisations, comme dans l’exemple suivant :

(1) Pour l’essentiel, vous le constatez, les promesses que je vous avais faites ont été tenues. Vous l’avez d’ailleurs reconnu tout à l’heure. Vous l’avez reconnu puisqu’aux élections législatives et municipales de 2002 vous aviez accordé à la majorité présidentielle une adhésion massive (RDPC-2004-A).

Ces affirmations mettent en scène l’image d’un candidat sincère qui tient ses promesses et se fait crédible devant son auditoire. Le témoignage de celui ou celle-ci confirme cette qualité et la crédibilité de la candidate ou du candidat peut s’observer par la référence à un contrat qu’auraient passé les deux instances. D’un côté, l’instance citoyenne adhère au projet de la candidate ou du candidat en lui donnant ses voix pendant le scrutin; et de l’autre, le candidat promet d’améliorer ses conditions de vie par des réformes à plusieurs niveaux. Lorsque vient le temps des bilans pour entamer un nouveau mandat, le candidat remet au goût du jour les engagements antérieurs pour prouver non seulement qu’ils ont été tenus, mais aussi qu’il ou elle a respecté sa part de contrat et est prêt·e à le renouveler. Cette attitude peut être lue dans les déclarations du candidat du RDPC ci-dessous :

(2) Lorsque je me suis présenté à vos suffrages en 1997, j’avais pris devant vous un certain nombre d’engagements qui avaient fait l’objet entre nous d’un contrat de confiance. Eh bien, pour l’essentiel, ces engagements ont été tenus (RDPC-2004-B).

L’évocation des anciennes promesses est une stratégie permettant au candidat Paul Biya de se présenter comme un homme crédible, vertueux et sincère. La réalisation de ces promesses lui permet de confirmer la qualité de candidat sincère et d’emmener ainsi le peuple à continuer à lui faire confiance, à croire en lui et à ce qu’il dit.

Le langage de la vérité

Le langage de la vérité fait également partie de l’ethos de vertu en ce sens que le sujet politique produit un discours exempt de tromperie et de mensonge. De ce fait, le candidat s’inscrit dans son discours de manière directe pour revendiquer lui ou elle-même la transparence et l’honnêteté dont il ou elle fait preuve. Dans un tel discours, l’on note une forte présence des termes se rapportant à la franchise et à la vérité, comme nous le remarquons dans les extraits ci-dessous :

(3) Entre le langage de la démagogie et celui de la vérité, nous avons opté pour celui de la vérité. Je ne vous fais pas de vaines promesses! Je n’ai jamais dit que la lutte contre la crise serait une partie facile (RDPC-1992-B).

(4) L’honnêteté et la certitude d’agir au mieux des intérêts de la Nation / Nous, … nous tenons ce que nous promettons! / Nous le disons… et nous le ferons! / Mais nous, … nous ne promettons que ce que nous sommes sûrs de tenir! (RDPC-1992-C).

(5) Il est vrai que la route est difficile et qu’elle demande beaucoup d’efforts, je ne vous l’ai jamais caché (RDPC-1997-A).

Les mots et expressions en gras tournent autour d’un même réseau sémantique et ont, par conséquent, une même parenté de sens, celle de la franchise. Il est question en effet d’un franc-parler qui permet au candidat d’établir une différence entre le vrai et le faux (3), d’associer toujours le dire au faire (4), de faire des déclarations directes dénuées d’ambiguïté ou de confusion (5). Par ailleurs, le franc-parler du ou de la candidate qui se veut crédible devant son auditoire traduit une confiance en soi. Cette personne a confiance en elle, elle croit en ce qu’elle dit et il est facile pour elle de convaincre de la véracité de ses propos (4). Si le candidat au pouvoir se fait crédible en se basant sur la réalisation des promesses, les candidats de l’opposition, par contre, font appel à leurs expériences et à leur notoriété.

(6) Vous le ferez aussi parce que vous êtes convaincus que j’ai à mon actif beaucoup de réalisations et, au-dessus de tout, la parole, le respect de la parole donnée, la fidélité dans les engagements […] parce que j’ai une forte expérience dans la gestion de la chose publique tant sur le plan local que sur le plan national et aussi sur le plan international; à tout cela ajouter un capital de sympathie et d’estime que nous partageons avec beaucoup de Camerounais et de non-Camerounais dont les retombées positives et objectives des plus riches font honneur au Cameroun (UDC-2011-B).

Le candidat Adamou Ndam Njoya rapporte l’image qui lui est attribuée par les autres. Il fait savoir à l’instance citoyenne qu’il est connu pour sa crédibilité : « la parole, le respect de la parole donnée, la fidélité dans les engagements ». Pour cela, il se focalise sur les idées qu’on a de lui pour manipuler son auditoire. Pour lui, l’auditoire doit pouvoir comprendre que cette image d’homme crédible est une construction qui provient du jugement des autres; il est apprécié des Camerounais·e·s et des étrangèr·e·s avec qui il partage une sympathie et une estime inégalables.

En outre, l’image de candidat crédible se traduit davantage par la forte expérience dont il est doté. Il connaît la mesure de la tâche qui l’attend, il a les capacités de l’accomplir, il est connu pour le respect de sa parole et surtout, il a la sympathie des autres. Toutes ces qualités font de lui un candidat vertueux à qui le peuple peut faire confiance et lui accorder ses voix. Mais seulement, le candidat doit prouver à l’instance citoyenne qu’il reste aussi fidèle à ses engagements.

La fidélité

La force de conviction des candidats repose sur des valeurs qui fondent leur projet politique. En effet, le sujet politique doit être fidèle aux valeurs qu’il ou elle défend, montrer son attachement et son dévouement à celles-ci pour séduire l’instance citoyenne. Son projet de société doit, dès lors, refléter son idéologie.

(7) Mon souci majeur a toujours été d’être digne de votre confiance. D’être à la hauteur de la tâche que les Camerounais m’ont confiée. J’ai toujours agi en mon âme et conscience… L’engagement moral […] repose sur un code d’honneur qui m’a toujours guidé (RDPC-1992-C).

(8) Nous sommes restés constants depuis 1990 […]. Nous n’avons jamais failli à notre devoir. Nous avons toujours eu le pied à l’étrier. Aujourd’hui, nous voulons achever ce travail et même faire plus (SDF-2011-A).

Dans l’extrait du discours du RDPC (7), les valeurs défendues sont la confiance, la responsabilité républicaine, le respect de la parole donnée, l’égalité, entre autres. Le candidat se dit être resté fidèle à ces principes ayant toujours guidé ses actions, et ce, depuis des années. Cette image de candidat fidèle se matérialise par l’emploi de l’adverbe « toujours » qui marque la constance dans une dynamique, dans un processus. L’utilisation des temps passés telle que le passé composé justifie également cette fidélité tout aussi perceptible dans les propos du candidat John Fru Ndi. La négation « ne… jamais » (8) décrit cette qualité de fidélité qui a toujours conduit les actions du candidat. C’est un discours qu’il prononce à l’élection présidentielle de 2011, mais il se réfère au scrutin de 1992 pour rendre compte de la fidélité à ses engagements : développement du Cameroun, égalité des chances, justice sociale. Cela démontre en effet que le candidat a toujours suivi une même ligne de pensée et d’action, toute chose qui fait de lui un homme vertueux. La compétence participe elle aussi à la mise en exergue de la crédibilité des candidats.

Se montrer vrai par l’ethos de compétence

L’ethos de compétence, dit Charaudeau,

exige de quelqu’un qu’il possède à la fois savoir et savoir-faire : il doit avoir une connaissance approfondie du domaine particulier dans lequel il exerce son activité, mais il doit également prouver qu’il a les moyens, le pouvoir et l’expérience nécessaires pour réaliser concrètement ses objectifs en obtenant des résultats positifs (2005, p. 96).

En d’autres termes, la compétence fait référence à la capacité du sujet politique à réaliser les projets annoncés au travers des moyens dont il dispose. De ce fait, l’ethos de compétence remplit les conditions de performance et d’efficacité. Dans les discours de campagne présidentielle, les déclarations de la personne politique mettent en évidence ses capacités par le récit de ses réalisations et des expériences acquises.

Aptitude à mettre en application les projets

Un sujet politique est compétent lorsqu’il est capable de tenir ses engagements, c’est-à-dire qu’il dispose des moyens pour mettre en application ce qu’il a promis, le discours politique étant fait de promesses. Pour ce faire, il peut recourir à la fonction qu’il exerce pour se distinguer de ses adversaires qui ne possèdent pas les mêmes atouts. En adressant son discours de campagne à la population de Monatélé en 1992, le candidat Paul Biya évoque de manière indirecte sa fonction de président pour se construire une image de personne compétente :

(9) Sachez bien qui vous parle et à qui vous avez à faire (RDPC-1992-C).

Ici, il attire l’attention de l’auditoire sur sa personne (Paul Biya), mais aussi sur sa fonction (chef de l’État). L’emploi du verbe « savoir » à l’impératif ordonne l’auditoire d’avoir à l’esprit que c’est le président de la République qui leur parle, bien qu’il soit candidat dans cette situation. Il évoque sa fonction pour justifier son aptitude à pouvoir réaliser ce qu’il dit, car il en a les moyens en tant que président de la République.

Toujours pour se faire crédible par le savoir-faire qu’il possède, le candidat du RDPC met en relation des termes et expressions ayant un rapport antithétique pour faire voir à l’auditoire qu’il est le meilleur parti, qu’il est le meilleur candidat. Il oppose, de ce fait, les agissements de ses adversaires à ses propres réalisations, en prenant le peuple à témoin :

(10) Qui vend des chimères… et qui réalise concrètement. / Qui détruit, brûle, empêche les enfants d’aller à l’école… et qui construit, créé et innove. / Qui gesticule, qui injurie et… qui travaille discrètement… / Je vous laisse seuls juges… (RDPC-1992-C).

L’emploi anaphorique du pronom relatif « qui » permet d’insister sur les actions accomplies par les candidats. PB met en exergue des actions à connotation dépréciative de l’opposition (vend des chimères, détruit, brûle, gesticule, etc.) qu’il oppose à ses propres actions qui sont, elles, présentées avec des appréciatifs (réalise, construit, créé, innove, etc.). Ces termes ont un rapport antonymique. Utilisés par le candidat, ils ont pour but de mettre en relief les qualités négatives de l’adversaire politique pour mieux se valoriser. PB se présente ainsi comme le bâtisseur de la nation. Il emporte l’auditoire dans cette description en lui octroyant d’ailleurs le rôle de juge :

(11) Constatez par vous-mêmes. Je vous laisse seuls juges (RDPC-1992-C).

C’est une stratégie d’adhésion qui consiste d’abord à discréditer l’adversaire politique pour se construire une image embellie dont l’auditoire ne pourrait nier l’évidence puisqu’elle dispose des éléments pour juger et trancher.

En outre, la compétence peut se justifier par l’expérience acquise par un candidat. Celui qui a plus de connaissances et d’expériences en matière de gestion a plus de chance de se faire accepter et de multiplier les adhésions. Conscient de l’effet de cet atout, le candidat Adamou Ndam Njoya se présente à l’auditoire camerounais en partant de ses expériences :

(12) […] parce que j’ai une forte expérience dans la gestion de la chose publique tant sur le plan local que sur le plan national et aussi sur le plan international (UDC-2011-B).

La connaissance mentionnée concerne la gestion de la chose publique, laquelle est dotée des valeurs éthiques et humaines ayant une portée nationale et internationale. À ce sujet, il est important de rappeler que le candidat de l’UDC a été ministre de l’Éducation nationale et plusieurs fois maires. C’est donc le savoir-faire acquis de ces différentes fonctions qui font de lui un candidat compétent et apte à diriger le pays, puisqu’il n’en est pas à sa première expérience en matière de gestion. Les déclarations sur ses expériences permettent de mettre en évidence un ethos de compétence. ANN se construit ainsi une image qui le présente comme le meilleur choix à faire. De plus, la compétence d’un candidat peut se justifier par son aptitude à surmonter les obstacles dans l’accomplissement de ses projets.

Aptitude à surmonter les obstacles

Être compétent c’est aussi faire preuve d’endurance et de ténacité face aux difficultés qui apparaissent dans l’accomplissement d’une tâche. Dans le champ politique, les difficultés sont diverses et variées et sont susceptibles d’entraver la bonne marche des projets initiés par les politiques. Elles peuvent être de nature structurelle, humaine, conjoncturelle ou sociopolitique. Le candidat ou la candidate aspirant au pouvoir devra, dès lors, convaincre l’auditoire qu’il ou elle a les moyens et les aptitudes à poursuivre ses engagements, quel que soit l’obstacle qui se présente à lui ou à elle. Il ou elle doit apporter, par son dire, la preuve de sa compétence comme le fait le candidat Paul Biya dans les propos tenus à Garoua en 1992 :

(13) Nous nous sommes parfois heurtés à des susceptibilités, des malentendus. Nous avons surmonté de nombreux obstacles et traversé de multiples dangers. Tout n’a pas toujours été facile (RDPC-1992-B).

Il se dégage de cet énoncé une figure d’homme politique courageux et tenace du fait d’avoir braver les dangers pour l’intérêt commun. En effet, le candidat a rencontré des obstacles de nature humaine (susceptibilités) qui ont certainement porté un coup aux relations qu’il entretient avec l’instance citoyenne et ont créé des « malentendus ». D’ailleurs, l’emploi de la gradation ascendante (susceptibilités, malentendus, obstacles, dangers) traduit l’intensité des difficultés rencontrées. Pour le sujet politique, la gravité de la situation était favorable à l’abandon des engagements pris : « tout n’a pas été facile ». L’esprit patriotique qui l’anime a été un atout et une force lui ayant permis de s’accrocher et de poursuivre dans la voie de la réussite. Pour soutenir cela, il affirme :

(14) Sachez cependant que je ne suis pas resté les bras croisés devant ces difficultés. Au contraire, malgré la crise, qui a fortement diminué les moyens de l’État, nous avons poursuivi nos réalisations (RDPC-1997-D).

Le candidat du RDPC se donne donc l’image d’un homme persévérant qui ne recule devant rien.

Par ailleurs, le candidat de l’UDC se construit l’identité discursive de l’homme de la situation et de l’action. Dans un discours produit pour la présidentielle de 1992, le candidat se désigne par son nom propre suivi de l’apposition :

(15) Adamou Ndam Njoya, le candidat de la situation. / Adamou Ndam Njoya, pour relever les défis du moment. / Pour un peuple à genoux, un homme d’action, Adamou Ndam Njoya (UDC-1992-A).

La forme emphatique des énoncés traduit la volonté du candidat de se construire une image positive. Il se désigne par son nom pour maintenir le contact avec le peuple, pour se faire intime et proche de lui. Il s’agit d’une dimension de la connaissance (Perret, 1970) qui a pour but d’associer le nom qui est donné à l’apposition qui suit. Il y a analogie, voire une égalité entre les deux segments séparés par la virgule. Lorsque nous faisons une analyse sémantique des segments apposés, l’on se rend compte qu’ils font référence à la compétence (candidat de la situation), à l’aptitude à poser des actions concrètes face à une situation (relever les défis). D’ailleurs, la locution adverbiale « à genoux » traduit cette capacité du candidat à remettre le peuple debout puisqu’il se présente tel « un homme d’action ».

De plus, la compétence peut se lire par des réformes que l’on a actionnées, faisant ainsi la fierté de leurs initiateurs. Pour se faire crédibles et être jugés compétents, les candidats de l’opposition, par la voix d’ANN, rapportent les combats qu’ils ont initiés afin que la démocratie soit une réalité au Cameroun :

(16) Notre présence à l’Assemblée nous a permis de remettre tout cela en cause et d’ouvrir la voie pour la démocratie dans notre pays (BOYCOTT-A).

Ils se montrent ainsi compétents dans la mesure où les actions de protestation et de revendication menées à l’Assemblée nationale ont porté des fruits. C’est dire, en d’autres termes, que s’ils n’étaient pas représentés dans cette chambre du parlement, des changements n’auraient pas eu lieu.

En somme, l’ethos de compétence est lié au savoir et au savoir-faire des candidats. Pour mettre en scène cette image, les candidats s’appuient sur la fonction qu’ils occupent ainsi que sur leur statut. Ils mettent en avant les expériences qu’ils ont acquises dans leur parcours et se montrent aptes à réaliser les projets et à braver les difficultés. Disposant de toutes ces qualités, les candidats inspirent la crédibilité qui se matérialise aussi par leur caractère sérieux.

Dire vrai par l’ethos de sérieux

L’ethos de sérieux se construit au travers des déclarations que le candidat fait sur lui-même, sur l’esprit qui l’anime et sur les projets annoncés. Le sérieux des candidats s’observe d’abord par la nature des promesses faites.

Les promesses réalistes

Le caractère réaliste des projets annoncés rend compte du sérieux du sujet politique. Il doit être véridique envers l’électorat quant à la réalisation des projets. Pour ce faire, les engagements qu’il prend ne doivent pas aller au-delà du possible, ils doivent s’inscrire dans la limite du temps d’un mandat (sept ans, selon la loi électorale camerounaise) et dans la disponibilité des moyens dont dispose le candidat pour rendre ses promesses effectives. De ce fait, il ne suffit pas pour l’instance politique de faire des promesses, mais surtout d’avoir conscience que ce qui est dit est réalisable. L’extrait ci-après est un exemple de promesses faites, bien que voilées, par le candidat du RDPC :

(17) […] je vous ai toujours tenu le langage de la vérité. Aujourd’hui, encore, […] je vous propose un programme réaliste, correspondant à nos besoins et compatible avec nos moyens. Mais, les résultats obtenus aujourd’hui montrent que ces derniers ont été salutaires. C’est un vaste programme; mais, il est réaliste! […] la mise en œuvre de toutes ces mesures s’inscrit dans le cadre d’un mandat de 7 ans (RDPC-1997-A).

Il ressort de cet extrait deux éléments à prendre en compte qui justifient le caractère réaliste des projets. D’abord, le jugement que le sujet politique porte sur ses propositions. Dans ses déclarations, il relève le réalisme de son projet de société (programme réaliste / il est réaliste) qui se base sur la véracité de ses propos (langage de la vérité / avec ce même langage). D’ailleurs, le candidat défend cette image de sérieux lorsqu’il fait savoir que la mise en application de son programme politique est effective : « ces derniers ont été salutaires ». Ensuite, la prise en compte de la durée de réalisation d’un projet s’inscrit dans la construction d’un ethos de sérieux. En effet, le candidat, pour se faire crédible et être vrai avec l’auditoire, situe l’exécution des résolutions dans la durée du mandat présidentiel qui est de sept années. La locution adverbiale « bien sûr » lui permet également d’insister sur la durée d’exécution, il rassure sur le réalisme des projets, ce qui le dédommage sur la réalisation immédiate des projets et fait de lui un homme vrai et réaliste :

(18) Bien sûr tout ne pourra pas être fait tout de suite (RDPC-1997-A).

En outre, le candidat confie à l’auditoire que ce qu’il s’engage à faire correspond aux besoins des Camerounais·e·s et qu’il le fera à partir des moyens disponibles : « correspondant à nos besoins et compatible avec nos moyens ». Cette précision montre que le sujet politique n’a pas l’intention de plonger l’auditoire dans l’illusion, il lui fait voir les choses telles qu’elles sont en lui tenant le « langage de la vérité », en lui montrant, à travers ses dires, qu’il est sérieux.

Le jugement de valeur que le candidat peut faire sur ses actions participe de la construction d’un ethos de sérieux. C’est cette image que l’opposition veut afficher lors de l’élection de 1997 pour laquelle elle a appelé au boycott. À cet effet, pour répondre à certaines critiques qui qualifient leur décision de boycott comme un appel à la guerre et à un non-respect des institutions, les candidats de l’opposition déclarent mener des actions réfléchies et conformes, dans la mesure où leurs actions contribuent à dénoncer les mauvaises lois. C’est parce qu’ils sont contre ces dernières qu’ils revendiquent que d’autres soient votées, afin que les élections se déroulent dans la transparence et que les organes en charge de leur organisation soient mis sur pied pour veiller au bon déroulement du processus. Le passage suivant résume cette motivation :

(19) Les choses ont été claires depuis le début. Nous menons des actions réfléchies (BOYCOTT-B).

La prise de conscience des contraintes

Prendre conscience des contraintes liées à l’exécution du programme annoncé est favorable à la construction d’un ethos de sérieux. Le sujet politique est vu comme une personne assez pragmatique qui a le souci de réaliser des projets de façon réaliste et non de les exécuter coûte que coûte. Le candidat Paul Biya adopte cette attitude :

(20) […] le développement est œuvre de longue haleine. On ne peut pas tout obtenir en un seul jour (RDPC-1997-D).

Dans ces propos, la négation permet au candidat de nier la rapidité, la facilité des actions à accomplir. Il prend conscience du temps et des efforts à fournir pour atteindre ses objectifs. Pour lui, le développement est une dynamique qui demande beaucoup d’efforts et de travail, dans la mesure où les retombées s’étaleront sur la durée allant d’étape en étape. En effet, le candidat PB se montre sérieux parce qu’il évalue la mesure de ses tâches, il est conscient des difficultés qui peuvent survenir et des efforts à fournir. Dès lors, il situe l’exécution de ses projets dans le temps en prenant en compte toutes ces contraintes. C’est donc un candidat réaliste et pragmatique, car il s’adapte aux circonstances dans la mise en application de son programme.

Conclusion

In fine, l’image de l’instance politique est une construction personnelle dans les discours de campagne présidentielle au Cameroun. Les qualités que les candidats veulent projeter sont perceptibles dans leurs déclarations. Ils veulent paraître vrais pour ainsi influencer l’auditoire. La crédibilité, qui caractérise leur ethos, participe à construire l’image d’une société où la vérité et la vertu occupent une place primordiale. En effet, les candidats se montrent vertueux, compétents et sérieux afin que l’auditoire les admire et puisse ainsi croire à la sincérité de leurs propos.

Si l’ethos de vertu laisse transparaître la sincérité, la vérité et la fidélité dans leurs dires, l’ethos de compétence contribue à la mise en scène de leur savoir et savoir-faire, car ils démontrent qu’ils sont aptes à mettre en application leur offre politique et à surmonter les obstacles. Pour sa part, l’ethos de sérieux justifie le dire vrai des candidats dans la mesure où ceux-ci font des promesses réalistes par la prise de conscience des contraintes liées à leur exécution.

Tout compte fait, l’ethos de crédibilité est une stratégie d’influence dans les discours de campagne présidentielle. Les candidats s’appuient sur leur image pour activer le processus de manipulation : ils paraissent vrais dans le discours en vue de faire croire vrai à l’auditoire. Toute chose qui pourrait faciliter l’adhésion et pousser dès lors l’instance citoyenne à faire son choix lors du scrutin.

Références

Amossy, R. (2000). L’Argumentation dans le discours. Nathan.

Aristote (1991). Rhétorique. Le livre de poche.

Charaudeau, P. et Maingueneau, D. (2002). Dictionnaire d’analyse du discours. Seuil.

Charaudeau, P. (2001). De l’Enseignement d’une grammaire du sens. Le Français aujourd’hui, 4(135), 20-30.

Charaudeau, P. (2005), Le discours politique. Les masques du pouvoir. Vuibert.

Declercq, G. (1992). L’Art d’argumenter. Structures rhétoriques et littéraires. Éditions universitaires.

Ducrot, O. (1984). Le dire et le dit. Minuit.

Maingueneau, D. (1991). L’Analyse du discours. Hachette.

Perret, D. (1970). Les Appellatifs. Langages, 5(17), 112-118.

Codification du corpus

RDPC-1992-B : Discours de campagne à Garoua en 1992

RDPC-1992-C : Discours de campagne à Monatélé en 1992

RDPC-1997-A : Discours de campagne à Maroua en 1997

RDPC-1997-D : Discours de campagne à Douala en 1997

RDPC-2004-A : Discours de campagne à Maroua en 2004

RDPC-2004-B : Discours de campagne à Monatélé en 2004

SDF-2011-A : Manifeste du parti en 2011

UDC-1992-A : Discours de campagne en 1992

UDC-2011-B : Lettre du candidat en 2011

BOYCOTT-A : Déclaration conjointe des partis politiques de l’opposition

BOYCOTT-B : Conférence de presse réunissant les partis de l’opposition


  1. Aucune femme n’a brigué la présidentielle dans le corpus qui m’intéresse. C’est la raison pour laquelle je ne féminiserai pas la fonction politique à chaque fois je ferai référence plus ou moins indirectement à ce corpus.
  2. RDPC : Rassemblement démocratique du peuple camerounais; SDF : Social democratic front; UDC : Union démocratique du Cameroun; UNDP : Union nationale pour la démocratie et le progrès.

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