Préface

Frédéric Sultan et Camille Laurent

Auteur incontournable dans le champ des communs, Étienne Le Roy nous invite, avec La révolution des Communs et le droit, à nous tourner vers l’avenir en regardant ce dont le domaine juridique est porteur. Les problématiques juridiques tiennent une place de premier ordre dans les préoccupations des acteurs et actrices engagé-e-s dans la sphère publique. Pour nombre d’entre eux et elles, choisir des statuts, adopter un règlement ou encore définir une licence ou un label, peut créer l’illusion que cela suffit à mettre sur les rails leurs projets. Pourtant, tous ceux et toutes celles qui se sont frotté-e-s à cette réalité savent par expérience que pour répondre aux premières incertitudes, rien ne vaut de prendre le temps de mettre en lumière les rôles de chacun-e et les modalités de collaboration souhaitées. Cela implique non seulement les mécanismes qu’on désigne sous le terme de gouvernance, mais aussi les relations humaines et les dynamiques qu’on cherche à activer, ou encore les rapports avec l’environnement institutionnel et social et la découverte d’expériences similaires. Pour que cela soit possible et donne du souffle à nos initiatives, nous gagnerions à ce que notre conception du domaine juridique ne réduise pas le droit au seul texte de la loi. C’est précisément cette transformation de notre culture juridique qu’a nourri Étienne Le Roy au cours de nos quelques années de compagnonnage autour des communs. Les concepts et les arguments qu’Étienne Le Roy a apportés dans la grande conversation sur les communs et face aux dilemmes auxquels sont confrontés les mouvements qui se réclament des communs, constituent une perspective radicalement nouvelle. Les travaux d’Étienne le Roy nous permettent de mieux comprendre certains des enjeux qui se nouent dans les dynamiques du faire en commun autour des enjeux juridiques.

Le pluralisme juridique, c’est-à-dire la reconnaissance de la diversité des sources du droit, et la juridicité définie comme la capacité des acteurs et actrices à produire leurs propres règles, désacralisent le droit en permettant d’en comprendre la nature et les modes de production, tandis que la maîtrise et la médiation apportent des outils d’interprétation pour mettre en perspective primo et néo-communs. Le texte présenté dans cet ouvrage et les apports d’Étienne Le Roy à l’anthropologie du droit invitent à resituer le droit dans une perspective politique et à l’investir comme un terrain de lutte sociale, ce qu’Étienne Le Roy concrétisa à travers son engagement au sein du Comité technique Foncier & développement (CT-F&D).

Il n’y a pas de communs sans pluralisme normatif et juridique

Étienne Le Roy reconnaît dans les pratiques du commun des formes de production du droit. Mieux, il nous explique que ces pratiques et le droit qui en découle sont légitimes et complémentaires du droit positif. À travers l’encadrement de travaux de recherche, le suivi attentif des travaux anthropologiques sur la propriété dans les contextes africains et ses propres recherches au Sénégal en 1969, puis au Congo en 1972 et 1973, Étienne Le Roy a étudié les formes juridiques de gestion communautaire dans le domaine des rapports de l’humain à la terre et plus largement la gestion des litiges à travers les palabres. Ces pratiques communautaires ont été, et sont encore, largement déconsidérées parce qu’elles ne font pas l’objet d’une forme écrite, alors que l’État colonisateur et de nombreux décideurs après lui, ne jurent, eux, que par le droit consacré par le législateur de la nation. Ces pratiques sont aussi jugées trop complexes, instables et spécifiques pour pouvoir prendre place dans un système juridique à vocation universelle.

La similitude avec la situation des communs est frappante. Ces derniers nous apparaissent au premier abord comme des microcosmes où s’élaborent des règles. Règles qui se font à travers des comportements, des formes de négociation entre les acteurs et actrices en présence et un effort permanent pour les faire accepter à l’extérieur du collectif. L’adaptation est constante et nécessite des espaces et des temps pour la négociation. Les règles qui font et sont faites par les communs tirent leur légitimité de leur logique fonctionnelle. Elles sont souvent discrètes, parfois secrètes. Elles sont mises en œuvre avec pragmatisme. Elles sont établies avec le souci de répondre aux besoins de la communauté de manière efficiente. Elles ne se présentent pas comme une liste de procédures préconçues. Il est rare qu’elles puissent se résumer à une telle liste si bien que les tentatives de les figer sous la forme de règlement montrent rapidement leurs limites. Il faut reconnaître que leur souplesse permet à ces dispositions de « faire système ».

Étienne Le Roy observe notamment que le partage, par opposition à l’échange, est caractéristique des façons de faire en commun. Il unit autant qu’il sépare et donc permet à la communauté de tisser des liens entre les membres qui la composent et de définir les relations, pas forcément justes ou égalitaires, avec ceux et celles qui lui sont extérieur-e-s. Ces liens sont entretenus dans un travail permanent qui permet à la communauté de se (re)instituer. Comme le rappelle Abdourhamane Seck[1], en wolof l’en-commun peut se dire mbokk qui désigne « la parenté, le principe de communauté », le « partage, mais aussi [l’]inclusion ». Ce principe est politique, car il y a un devoir de cultiver la socialité :  « les Wolofs disent que la parenté se travaille ».

Pour Étienne Le Roy, la terre et « les ressources qu’elle porte » se distinguent comme communs parce qu’elles ne peuvent être aliénées discrétionnairement et affectées sans influencer la reproduction sociale et la transmission intergénérationnelle. Cela signifie que le collectif est plus que la simple addition des individus. De fait, le détour par les pratiques des Wolofs nous montre encore que les droits et obligations qui naissent du partage ne sont pas réductibles à leur seule dimension juridique telle qu’elle est décrite sous la forme de faisceaux de droits par Edella Schlager et Elinor Ostrom[2], et introduite en France par Fabienne Orsi[3]. Ces pratiques sont la base du lien social qui fonde des communautés singulières selon qu’elles sont familiales, amicales, d’intérêt, etc. Elles organisent le partage des ressources, elles participent de l’interprétation des modes de conduite et des comportements de chacun-e des membres et définissent donc in fine la composition et les contours de ladite communauté. Nous, du Nord, regardons parfois avec distance les pratiques communautaires africaines; pourtant, nous aussi, nous avons nos coutumes. Au sein de nos communautés d’intérêts, de nos groupes familiaux, territoriaux ou amicaux, nous élaborons des règles non dites, au point qu’elles peuvent être incompréhensibles pour les non initié-e-s. Nous configurons alors des lignes de partage, le plus souvent implicites, entre celles et ceux qui sont intégré-e-s dans la communauté et celles et ceux qui en sont à la marge et n’en ont pas les codes.

Le pluralisme juridique s’affirme donc ici comme le rejet d’une pensée dogmatique du droit qui fait de sa production le monopole de l’État occidental. Les communs n’ont pas attendu ce que nous appelons depuis trois siècles « le droit » en Occident pour inventer ce qui, avant d’être écrit, prenait la forme de gestes posés, de simples regards échangés, poignée de mains, qui ont valeur symbolique d’engagement et obligent, au risque d’une sanction, tous les commoneurs et commoneuses[4] qui se reconnaissent dans la finalité des usages poursuivis. Dès le XVe siècle en France, ce qui fut qualifié de coutume ou de droit coutumier prit une forme juridique qui permettait de résoudre les litiges entre personnes et institutions, et permettait donc finalement de faire société. C’est ce qu’Étienne Le Roy nomme juridicité.

La reconnaissance de la pluralité de ses sources donne une dimension supplémentaire à notre conception du droit. Elle permet aussi de questionner le monopole de l’État au sein même de notre culture juridique. Les normes sociales proviennent « du bas » dès lors qu’elles sont instituées par la répétition des pratiques au sein d’une communauté. En travaillant sur le pluralisme normatif et juridique, Étienne Le Roy poursuit les travaux de Michel Alliot[5] et remet en cause cette idée profondément ancrée que le droit ne peut être fondé que sur des lois qui résultent d’un pouvoir suprême, omniscient et omnipotent détenu par le seul législateur, qui reproduit ou incarne une conception de l’État de droit divin.

En même temps qu’il nous libère de ce dogme, Étienne Le Roy nous invite à reconsidérer notre connaissance et notre perception du domaine juridique dans une perspective d’émancipation en même temps que décoloniale. C’est sans doute parce que l’intention d’Étienne Le Roy résonne avec le projet d’une école des communs interculturelle qui articule politisation des communs et éducation populaire[6] qu’au sein de Remix the Commons, la rencontre avec ses travaux nous a paru si enrichissante. Avec Étienne Le Roy, nous sommes convaincus qu’il faut ouvrir la boite noire du droit pour questionner les mécanismes de sa production et de son usage dans le contexte de la culture juridique occidentale, aussi bien que dans celui des autres cultures. Ce que nous disent la pluralité juridique et la juridicité, c’est que le droit n’est pas réductible à une expertise car c’est aussi un terrain de luttes sociales, comme le montre l’usage créatif du droit que nous développerons plus loin.

La cohabitation de primo-communs et néo-communs

Aux côtés des pluralismes normatifs et juridiques et de la juridicité, Étienne Le Roy nous propose les concepts de primo et néo-communs. D’une part, à travers les primo-communs, Étienne Le Roy valorise les pratiques ancestrales et transversales qui sont à la base de façons de faire en-commun (partage, inappropriabilité, transmission intergénérationnelle) qui sont toujours présentes, mais menacées ou en recul, car existant en dehors ou avant le marché et l’État. D’autre part, et c’est l’un des apports originaux du présent livre, l’étude des néo-communs révèle la pertinence de l’approche par les communs pour appréhender des « créations de notre temps », mobilisant les caractéristiques des primo-communs tout en devant se faire une place face à la propriété privée.

Étienne Le Roy explore des notions nouvelles parce qu’il est convaincu que « notre addiction au propriétarisme est telle que nous avons beaucoup de mal à nous passer de la terminologie de la propriété pour traiter des communs »[7]. C’est avec la notion de maîtrise qu’il a tenté de dépasser l’usage du terme « droit », en illustrant le rapport d’appropriation qui imprime la marque occidentale sur les rapports de l’humain à la terre. Les maîtrises foncières et fruitières qu’il a étudiées dans les contextes africains sont les pouvoirs et les responsabilités qui découlent des affectations d’un espace dont les usages peuvent être divers. Elles organisent le patrimoine commun d’un groupe et la multiplicité des formes d’usage et de gestion permettant sa durabilité.

Étienne Le Roy étend son analyse au-delà des pratiques caractéristiques des maîtrises des primo-communs et interroge la combinaison entre le faire-commun et l’échange marchand. Il propose une approche pragmatique de la place que peuvent prendre les communs aujourd’hui lorsqu’un collectif produit des biens et services en commun et les échange sur le marché, ou lorsque des modes de gouvernance collective s’appuient sur des espaces protégés par des formes de propriété, qu’elles soient privées ou collectives.

Rejoignant Serge Gutwirth et Isabelle Stengers, Étienne Le Roy reconnaît dans les néo-communs la nécessité « de générer, d’entretenir, et de faire évoluer en cas de besoin, des règles qui organisent leur fonctionnement et les obligations qu’implique le fait de se comporter comme un commoner »[8]. Dans une société contemporaine où le lien social tend à se distendre et où les appartenances communautaires sont de plus en plus multiples, les communs font société, car ils obligent à une forme de régulation même si elle est informelle et toujours en mouvement.

De notre côté, c’est avec l’exemple de la médiation que nous proposons d’illustrer les néo-communs. Étienne Le Roy se plaisait à raconter qu’il avait aussi conduit des observations en France, c’est-à-dire dans le contexte juridique occidental. Il s’est, entre autres, penché sur le cas des pratiques de la justice des mineur-e-s ou de la justice « restaurative » au Canada. Dans l’observation de ces milieux, il a décelé l’importance des pratiques de médiation qui tiennent lieu, pour les acteurs et actrices, de processus d’arrangement, d’un droit tout à fait effectif, et, pour les observateurs et observatrices tels que lui, d’une forme de néo-communs. Il s’est penché sur ce chantier à travers l’association R.E.G.A.R.D.S. dans une perspective inter-culturelle[9]. La médiation est un moyen de produire des compromis acceptés par toutes les parties d’un différend. Dans le domaine de la justice des mineur-e-s, la médiation a pour objectif de résoudre un problème que ni une condamnation judiciaire ni l’invocation de règles formalisées ne peuvent résoudre à elles seules. Elle permet de prendre en charge le problème à travers des procédures typiques qui cherchent en priorité à apaiser des tensions. Elle intègre les valeurs de solidarité, de partage et de soin au sein de processus institutionnalisés de règlement des différends. Ainsi, la médiation, parce qu’elle n’a pas vocation à seulement appliquer les règles pré-établies, permet de reconstruire un récit partagé et de relier des personnes aux intérêts différents, parfois contradictoires.

L’apaisement des tensions et le règlement des différends par la médiation ne doivent pas être compris comme un rejet par principe de la sanction. Si celle-ci est parfois discutée dans les pratiques contemporaines qui mettent en avant la liberté d’accès, il nous paraît important de souligner avec Étienne Le Roy que l’on trouve dans les primo-communs des formes de sanctions rituelles, sans dimension punitive, par lesquelles la ou les autorités désignées peuvent obliger au respect des règles décidées par le groupe, même si elles ne sont pas entérinées par une autorité judiciaire étatique. Les néo-communs, incluant la médiation, n’évitent pas la sanction. Ils la définissent comme une pénalité dont on va s’assurer, en raison de sa nature et de sa forme, qu’elle s’inscrit bien dans un continuum qui fait toute leur place à l’information, au rappel et à l’acceptation collective des responsabilités et à la prise en compte du contexte de l’action et des contrôles réalisés.

Pour autant, l’existence de montages institutionnels mêlant des formes de faire-ensemble propres aux communs et des processus relevant du marché ou des prérogatives de l’État, dans le cadre de la médiation, ne signifie pas que l’on doive faire l’économie de la construction de mécanismes juridiques complexes et propres aux communs. Un usage créatif du droit est plus que jamais indispensable.

Usage créatif et politique du droit

Aujourd’hui, outre le renouvellement de la culture juridique que nous venons d’évoquer, il est nécessaire pour le mouvement des communs de prendre la mesure du défi politique auquel il fait face. Il nous faut imaginer les outils et les mécanismes juridiques qui permettent de déployer l’en-commun et les stratégies qui permettent de les faire évoluer afin qu’ils servent un projet de transformation de la société sans être récupérés. L’une des forces des communs est d’instituer le collectif en action comme un interlocuteur de la puissance publique sur le terrain de la production juridique. Reste à obtenir une véritable reconnaissance de sa part!

À cet égard, le témoignage du réseau italien des biens communs[10] éclaire les enjeux démocratiques des communs. Après plusieurs années passées à soutenir les revendications de collectifs locaux qui le composent, son constat est sans appel : si les collectifs sont parfois parvenus à obtenir des avancées réglementaires concrètes, ils ont fait le plus souvent le constat d’une instrumentalisation politique du discours sur la participation. La réalité des rapports entre puissance publique et citoyen-ne-s relève trop souvent d’un paternalisme politique et administratif qui isole et infantilise des « citoyens actifs », les excluant systématiquement de l’élaboration des projets de réglementation.

Pourtant, les collectifs militants où se croisent l’expérience de la solidarité et les savoirs juridiques démontrent un véritable usage créatif du droit pour produire des réponses aux besoins exprimés à travers les communs de surmonter les inégalités sociales, de partager des responsabilités en impliquant les personnes concernées, et d’inscrire la puissance publique dans une logique vertueuse d’encouragement de la coopération entre les initiateurs et initiatrices d’actions de solidarité. La richesse de la palette des outils et mécanismes juridiques pour les communs n’est plus à démontrer. L’usage civique à Naples, les chartes ou réglementations municipales dans le reste de l’Italie, le programme de patrimoine citoyen d’usage et de gestion communautaire à Barcelone[11] ou d’autres dispositifs illustrés dans l’Atlas des chartes des communs urbains[12], sont des exemples proches, qui inspirent largement le mouvement des communs.

Le combat dans le domaine juridique est politique dans le sens où il ne vise pas seulement à protéger les expériences d’en-commun, mais aussi et surtout à nourrir une transformation de l’usage du droit, et à introduire des précédents qui permettent de revendiquer une mise en œuvre concrète des droits civils et sociaux, de l’égalité, de la fonction sociale de la propriété, des droits à la participation et de la possibilité pour les usagers et usagères de participer à l’organisation des services essentiels. Principes qui, bien qu’inscrits dans nombre de constitutions, restent trop souvent lettre morte.

Au regard de cette forme de lutte sociale, les commoneurs et commoneuses sont parfois à la recherche de la protection d’un droit positif des communs, d’un droit qui puisse prétendre rivaliser avec le droit de propriété privée exclusive pour instituer une autonomie des communautés. Étienne Le Roy propose quant à lui de penser la juridicité comme une hétéronomie, c’est-à-dire comme le résultat d’un enchâssement des droits générés par les communs et des droits législatifs. La logique fonctionnelle qui, dans les communs, guide l’élaboration des règles et des principes d’action rencontre celle de l’État garant de l’intérêt général. Pour les commoneurs et commoneuses, le défi est de faire vivre la démocratie en donnant à l’État le rôle de garant de la dimension universelle des droits humains (et peut-être bientôt non-humains), à travers des mécanismes qui garantissent la compatibilité des communs avec l’intérêt général.

Dans le même temps, il faut combattre le caractère invasif et destructif du droit occidental propriétariste dont les effets sur les communs se poursuivent sous des formes nouvelles au nom de la rationalisation économique néo-libérale. Aujourd’hui, nous constatons l’instrumentalisation des outils juridiques initialement destinés à permettre l’exercice de la coopération et de la solidarité (chartes en tous genres, conventions, licences, mais aussi statuts associatifs et de coopératives) pour singer les communs. L’économie collaborative nous a donné quelques exemples qui alimentent les discussions[13]. Parfois, ce phénomène résulte d’un désir de l’institution publique d’exercer une hégémonie sur la sphère publique, que ce soit pour exercer un contrôle bureaucratique comme au siècle passé, ou bien pour la marchandiser comme aujourd’hui, ce qui est parfois servi par des rapports ambivalents des commoneurs et commoneuses aux institutions. Ces procédés sont d’autant plus faciles lorsque les outils juridiques sont essentialisés et que le discours réduit les communs à des choses simplement définies par le mécanisme légal qui les protège, sans leur reconnaître les valeurs sociales, éthiques et politiques déjà soulignées.

L’usage créatif et politique du droit est un travail du quotidien et l’une des dimensions essentielles de l’en-commun. Une conception créative du droit ne se limite ni à la création de nouvelles réglementations, ni au travail des juristes enfermé-e-s dans leur expertise. Elle les oblige à se placer dans une perspective d’émancipation des personnes. La maîtrise créative du droit passe par des pratiques collectives de reconnaissance, de partage et de reproduction de la connaissance sur le droit attaché aux communs, à l’image de ce qui, dans un autre temps, a pu prendre la forme de célébrations des communs et de leurs règles telles que nous les rappellent les historiens comme Peter Linebaugh[14] ou Edward P. Thompson[15].

Ce qui fait la beauté des communs, c’est précisément qu’une liste de chartes, de statuts et de licences types ne suffit pas pour en réduire la complexité. Et c’est aussi qu’ils nous enseignent la nécessité de déployer avec les commoneurs et commoneuses un usage créatif et politique du droit, comme une partie indispensable des actions qui protègent et soutiennent notre capacité à faire communauté ensemble. Étienne Le Roy a consacré une grande partie de son énergie à cette idée afin qu’elle transforme notre société. Son dernier ouvrage en témoigne et nous sommes particulièrement heureux de vous inviter à le découvrir.

 

 

Frédéric Sultan est un militant d’éducation populaire engagé dans le mouvement des communs depuis le début des années 2000. Passionné d’éducation et de transformation sociale, il a exercé son activité dans le domaine de la culture scientifique et technique en Seine-Saint-Denis avec F93 Atelier des sciences pendant les années 1990, puis dans celui de la culture numérique au sein de l’association VECAM.

En 2009, il participe avec Alain Ambrosi à la fondation du collectif Remix the commons pour contribuer à l’émergence de la culture des communs à travers le développement d’outils pour agir, apprendre et s’organiser en commun. Frédéric Sultan fait connaître le dessous des mécanismes juridiques des communs avec l’Atlas des Chartes des Communs Urbains et coordonne le site web politiquesdescommuns.cc. Il propose une définition du terme Commoner dans le Dictionnaire des biens communs (La Découverte, 2019).

À partir de 2015, il participe au lancement de l’Assemblée Européenne des Communs (ECA), pour doter le mouvement européen d’une arène politique et défendre et promouvoir les communs en Europe.

 

Camille Laurent est doctorante en Géographie au Laboratoire PRODIG de l’Université Paris 1. Elle travaille sur les pratiques du commun des groupes ruraux des forêts du Gran Chaco argentin, et s’intéresse à la reproduction de ces pratiques au travers des conflits fonciers et des interactions avec les acteurs locaux et internationaux du développement.

Sa curiosité pour les communs est née de son engagement pour la justice environnementale, climatique et sociale. Elle a vécu et travaillé en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Mali et Sénégal) et en Argentine et collaboré avec plusieurs collectifs de luttes et résistances éco-territoriales et associations de solidarité internationale. Elle est membre de Remix The Commons depuis 2019.


  1. 2017, "Panser l’en-commun, contribution à une anthropologie de la forfaiture au Sénégal", In Achille Mbembé & Felwine Sarr (dir.), Écrire l’Afrique-Monde, Jimsaan, Dakar.
  2. 1992, "Property-rights regimes and natural resources: a conceptual analysis", Land Economics, vol.68, n°3, 249–262.
  3. 2014, "Réhabiliter la propriété comme bundle of rights : des origines à Elinor Ostrom, et au-delà?", Revue internationale de droit économique 2014/3 (t. XXVIII), 371-385.
  4. Commoneur et commoneuse est une traduction du mot anglais "commoner". Ce dernier apparaît en Angleterre au IVe siècle de notre ère pour désigner l'une des trois principales classes sociales, celle des gens du peuple, à côté du clergé et de la noblesse. Le terme comporte une dimension politique : il désigne celui et celle qui défend les communs contre l'accaparement. Progressivement cette dimension politique s'estompera lorsque le mouvement des enclosures aura eu raison de la paysannerie anglaise, jusqu'à être réduit à homme du peuple à la fin du XIXe siècle. Le terme resurgit, porté par le mouvement des communs, au début du XXIe siècle, pour désigner à la fois celui et celle qui prend soin des biens communs et se reconnaît dans les pratiques, les principes et les valeurs des communs. Différents terme français pourraient valablement être candidats à la traduction de l'anglais commoner. Communier est un mot ancien, utilisé pour la traduction du livre de J. P. Thompson, Les usages de la coutume. Communiste, avant d'être capturé par l'expérience historique communiste, était utilisé pour nommer les personnes copropriétaires dans la ville ou le village. Ménager ou mainagier est cité par Étienne Le Roy, comme désignant dans le Vermandois au XIIIe siècle et jusqu'à une période récente, l’homme du petit peuple, le journalier, l’habitant. Et contemporain, dans le milieu de Wikipédia (culture libre), on rencontrera couramment commoniste. Commoneur utilisé pour la traduction de La renaissance des communs de David Bollier, par le lien qu'il conserve à l'anglais, nous semble le plus à même de refléter la complexité, exprimée par la langue anglaise : les relations de la personne à la ressource et à la communauté et de la personne aux classes sociales. Enfin, il n'occulte pas l'histoire de la disqualification et du renouveau du mot "commoner" en anglais. Cela permet de rendre compte des enjeux à la fois culturels, sociaux et politiques de la traduction.
  5. Étienne Le Roy, 2019, « Pourquoi et comment la juridicité des communs s’est-elle imposée dans nos travaux fonciers? Récit d’une initiation », CT-F&D. Regards sur le foncier, n°8.
  6. À titre d'exemple, voir la présentation qu'en a faite Alain Ambrosi en 2012, au moment du Printemps Érable au Québec : "Le bien commun est sur toutes les lèvres", Remix the Commons. https://wiki.remixthecommons.org/index.php/Le_bien_commun_est_sur_toutes_les_lèvres
  7. Étienne Le Roy, 2016, « Des communs à double révolution ». Droit et Société 2016/3, n°94, 606.
  8. « Le droit à l’épreuve de la résurgence des commons », Revue juridique de l’environnement 2016, 41 (2), 336, cité dans Étienne Le Roy, « Des communs à double révolution », Droit et Société 2016/3 n°94, 613.
  9. Association qu'Étienne Le Roy a co-fondée avec Stéphane Tessier : http://dautresregards.free.fr
  10. Rete Nazionale Beni Comuni Emergenti e ad Uso Civico, "Proposte per lo sviluppo dei beni comuni “emergenti”", 23 novembre 2020. https://www.labsus.org/2020/11/proposte-per-lo-sviluppo-dei-beni-comuni-emergenti
  11. Cadre conceptuel et normatif dont s'est doté la Mairie de Barcelone en 2017. https://ajuntament.barcelona.cat/participaciociutadana/es/patrimonio-ciudadano
  12. https://wiki.remixthecommons.org/index.php/Atlas_des_chartes_des_communs_urbains
  13. Voir, par exemple, les débats sur La ruche qui dit oui sur la liste Échanges du réseau francophone des biens communs : https://listes.cfcloud.fr/bienscommuns.org/info/echanges
  14. The Magna Carta Manifesto: Liberties and Commons for All. Berkeley: University of California Press, 2008.
  15. La Guerre des forêts. Luttes sociales dans l’Angleterre du XVIIIe siècle [Whigs and Hunters: The Origin of the Black Act], trad. de Christophe Jaquet, Paris, La Découverte, coll. La Découverte Poche/Sciences humaines et sociales, n°460, janvier 2017 (1re éd. 2014) et Les usages de la coutume. Traditions et résistances populaires en Angleterre, XVIIe-XIXe siècles [Customs in Common], trad. de Jean Boutier et Arundhati Virmani, Paris, coll. Hautes Études, Gallimard, Le Seuil, EHESS, 2015.

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