Conclusion générale

Sans rechercher à être exhaustif de la diversité et de l’originalité de ces solutions, je relève finalement les situations suivantes de montages institutionnels inédits et parfois risqués.

Se revendiquent de la logique et de la pratique des communs les modes de gestion d’espaces naturels ou de ressources sur lesquels se superposent des formes anciennes d’organisation relevant des primo-communs et des cadres institutionnels relevant du droit positif et reconnus par les droits nationaux ou internationaux. Les parcs et réserves en sont les applications emblématiques, ainsi pour le parc marin de Mohéli aux Comores (Saïd et Le Roy, 2017) ou le rahui polynésien (Bambridge, 2018).

Sont aussi passibles de néo-communs les formes de production et d’échange relevant de l’économie dite collaborative ou solidaire où, en particulier, des collectifs adoptent la forme juridique de sociétés coopératives (SCOOP) ou d’associations selon la loi française de 1901, pour s’inscrire dans les rapports marchands et accepter les contraintes du marché en visant non l’accumulation des bénéfices au profit d’investisseurs (capitalistes), mais le partage des revenus selon des modalités privilégiant la justice sociale, la lutte contre l’exclusion ou contre la pauvreté, la réinsertion des personnes marginales, le recyclage des chômeurs et chômeuses, etc.

Restent encore dans l’orbite des néo-communs les pratiques préférant les rapports de location à l’accession à la propriété et le recours à des services temporaires plutôt qu’à un cadre contractuel et institutionnel permanent mais perçu comme trop lourd ou trop contraignant (Audier, 2014). On évoque parfois une « co » civilisation en émergence autour de la co-location qui s’est étendue des résidences de vacances aux véhicules de déplacement, bicyclettes, voitures électriques, au matériel de bricolage, etc. (Baudet, 2014). La location d’emplacements de travail et de bureau, dite « co-working » (Rollot, 2015) prend une place significative chez les cols blancs trentenaires condamnés aux stages ou à l’expertise à répétition. Et on n’oubliera pas la tendance, au-delà du co-voiturage, à l’uberisation où, sur le modèle concurrentiel, des voitures de location venant se substituer aux taxis, l’usage d’application sur les téléphones mobiles permet de faire l’économie de frais intermédiaires dont profitent usagers et usagères et néo-chauffeurs ou producteurs (pour les plats cuisinés). Ces pratiques remettent en question, non seulement les revenus puis l’existence de catégories d’entrepreneurs ou de salariés, mais aussi l’idée selon laquelle certains types d’activités doivent être réglementées pour assurer la santé, la sécurité, et le principe de libre concurrence. Ici la confusion entre les avantages de la plus totale déréglementation néolibérale et ceux des communs peut conduire d’incidents à répétition à de vraies crises de société.

On parle assez peu des expériences de partage de propriétés immobilières (Falque et Falque, 2003) qui ne se limitent pas à la gestion de parties communes par un organe syndical mais poussent beaucoup plus loin la mise en commun d’outillages, comme les machines à laver le linge ou la vaisselle, les aspirateurs, voire des véhicules collectifs à usage individuel. On peut aussi, sur le mode des anciens appartements moscovites de l’époque soviétique, partager les cuisines et salles de séjour, organiser ensemble les distractions des jeunes et moins jeunes hors d’une logique marchande. Il ne s’agit plus de co-propriétés mais, en Belgique, de néo-communs immobiliers, des pratiques pas toujours reconnues explicitement par le droit, mais justifiées par la liberté des engagements contractuels.

Enfin, mais naturellement « pas à la fin », le droit et la justice font quelques efforts pour intégrer les valeurs de solidarité, d’empathie et d’altérité dans le fonctionnement des institutions. Du côté de la justice, et outre les tentatives d’introduire ou de valoriser les pratiques de médiation, les idées de justice « restaurative », expérimentées au Canada, se développent dans des situations privilégiant les mesures éducatives, ainsi en matière d’assistance éducative ou d’éducation surveillée pour les mineurs de justice (Le Roy, 2014b). On n’oublie pas non plus qu’en prétendant faire une certaine place aux droits des animaux et aux droits de la nature, on étend, au nom de valeurs de partage, la notion de sujets de droits à des situations inattendues.

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La révolution des communs et le droit Copyright © 2021 by Étienne Le Roy is licensed under a License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, except where otherwise noted.

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