1 Essai de géohistoire du champ littéraire

Le corpus africaniste entre localisation, périodisation et liminalité

David N'goran

Résumé

Ce chapitre tente de penser, selon les termes du renversement braudélien de l’épistémologie de l’espace-temps, les modes d’appréhension du corpus littéraire d’obédience africaniste. Plus précisément, il s’agira d’observer l’historiographie telle qu’elle s’applique au champ littéraire africain suivant les modèles de l’ordre proclamé des coordonnées spatio-temporelles. Le fait est que la situation épistémique qui héberge l’ainsi nommé « champ littéraire africain » ressort au vaste régime du postcolonial dont on sait qu’il formule des interrogations face à la modernité coloniale gouvernant encore l’imaginaire des sociétés issues de cette expérience historique et leurs régimes de positivité. Se trouve donc à l’œuvre une métaphore de la mensuration euclidienne dont les démarches méritent d’être questionnées face aux métaphores en cours dans le champ mais non suffisamment prises en compte par la critique : ce sont, entre autres, celles de l’éclatement, de la multiplicité, de l’anachronisme, de la fixité du temps et de la dérive de l’espace. Cet essai de géohistoire postule, en fin de compte, un rapport de correspondance entre la littérature africaine et sa société en mouvement.

L’impensé qui sous-tend ce chapitre est relatif à deux apories de l’historiographie littéraire de type africaniste : la première permet de penser la notion de « champ littéraire africain » dont les modes d’objection ont toujours reposé sur un dogmatisme de type nationaliste avec son relent d’évolutionnisme à l’aune du modèle français théorisé par l’école bourdieusienne (Jourdain et Naulin, 2011). Quant à la seconde, elle prolonge la précédente pour se jouer d’une écriture de l’histoire africaine en générale, et littéraire particulièrement, jusque-là tissée, selon la métaphore d’Héraclite, comme un long fleuve qui s’écoule, projetée sur une logique de spatialité immobile et intimant au soleil son mouvement cyclique d’avant Copernic.

Pourtant, il semble qu’une épistémè particulière, avec son régime de positivité nommé « postcolonial », pas suffisamment prise en compte par la critique, devrait s’appliquer au corpus africaniste afin de pouvoir cerner les termes décisifs de sa nature et ses fonctions que sont : la localisation, la périodisation et la liminalité. Peut-être faudra-t-il préciser que ces concepts évoqués ici comme ossature de l’analyse ne jurent pas d’emblée avec l’évidence tant qu’ils sont empruntés aux disciplines voisines comme la géographie, l’histoire et l’anthropologie.

Ainsi, « la localisation » en littérature est un concept qui embrasse à la fois les notions de « lieux » et d’« espace », sans dire s’il s’agit de situer localement l’énonciateur ou l’énonciatrice, l’énoncé ou son référent. Tout au plus devrait-on faire appel à la théorie du monde social pour comprendre comment ce concept sert à rendre compte de l’homologie censée exister entre l’économie de l’espace-temps du monde réel et l’imaginaire des mêmes catégories qu’adopte le monde de la fiction.

Il en est de même de « la périodisation » qui tient d’une épistémologie de l’histoire à partir de laquelle l’axe de la temporalité est scandé selon une idéologie de la continuité en compartiments, eux-mêmes motivés par l’événement suivant sa durée et son identité. En littérature, cette tradition de la découpe reste une ambiguïté problématique que Valéry (1920) décrit par l’heureux syntagme du temps « immobile à grands pas » dans son poème « Le cimetière marin ».

Enfin, « la liminalité », elle, est une condition de seuil que l’anthropologie sociale investit dans l’analyse des rites de passages. « Elle qualifie ainsi le moment où l’individu a perdu un premier statut et n’a pas encore accédé à un second statut. Il est dans une situation intermédiaire et flotte entre deux états […]. Elle met ainsi en jeu une situation de seuil comme un trait essentiel d’une condition sociale » (Calvez, 1994). En littérature, elle ne désigne non pas les porteurs et porteuses de stigmates au sens où l’avait entendu Goffman (1975), mais plutôt un état de société paratopique, donc à la recherche de ses repères d’identification. De la sorte, elle introduit une critique du lexique absolu du temps et de l’espace promu par la modernité en relativisant l’axiologie de ses extrêmes, afin de valoriser ses zones interstitielles.

On l’aura compris : ces concepts ainsi investis engagent une problématique à propos de la façon dont le champ littéraire entend résoudre l’équation presque sempiternelle du rapport entre l’institution de la littérature africaine et sa société réelle, précisément sous la forme d’une « autre » épistémologie d’un espace-temps littéraire proclamant ses propres repères orthonormés. Dès lors, se pose la question de savoir comment la littérature africaine affronte les faiblesses des proclamations modernistes sublimées en grille de lecture du monde. Comment doit-on situer le texte, son auteur ou autrice, son discours et son imaginaire sur les axes normés de l’espace géographique et du temps historique sans considérer ses zones d’incertitudes, telles qu’elles sont déclinées en métaphores de la non-fixité, de l’instabilité et de la discontinuité? Dans quelle mesure les seules catégories de l’espace et du temps projetées l’une sur l’autre permettent-elles de rendre compte de la spécificité d’un champ littéraire africain, dont les modalités géo-spatiales sont prescrites par une vaste histoire de ses territorialités, et consacrant, par le fait même, une politique du « dé-placement » de ses agents? Enfin, la flexibilité de la trame africaine qu’offrent ses coordonnées spatio-temporelles, et dont on ne sait pas très bien si son rapport à l’institution littéraire est de l’ordre de l’antériorité ou de la postériorité, ne configure-t-elle pas ce chaos de la mondialisation qu’Édouard Glissant propose d’esthétiser sous les couleurs de la « mondialité » avec ce que cela comporte comme enjeu d’occupation de l’espace littéraire? Aucune méthode autre que celle qu’initia Fernand Braudel ne pourra permettre de proposer réponse à cet ensemble de questionnement. On le sait, cette dernière a pu opérer un renversement de perspective relatif aux postulats de la géographie et de l’histoire en postulant une « nouvelle » histoire sociale à partir de la géographie (Braudel, 1997 : 128). De la sorte, l’idée centrale que « toute civilisation est espace : qu’elle est donc à étudier en fonction de l’espace qu’elle occupe et par la façon dont elle l’organise » (Pageaux, 2007 : 128) revient à cerner l’objet étudié suivant ce que l’historien-géographe nomme « le temps de la longue durée » sur « un espace très large ».

Cette approche, combinée avec celle du champ littéraire, elle aussi intéressée par la problématique de l’espace et du temps, mais sous un jour de disposition, de position et de prise de position, devrait créer les conditions de possibilité de la présente réflexion suivant trois moments : le premier portera ainsi sur quelques prolégomènes nécessaires à une géohistoire du champ littéraire africain. Le deuxième exposera des métaphores du champ, selon qu’elles sont susceptibles de conduire à une analyse d’un « chronotope du seuil » emprunté au vocabulaire bakhtinien. Enfin, le dernier moment servira à méditer le rapport entre littérature africaine et le chaos de l’espace-temps normatif sublimé en esthétique de la mondialité ou, à tout le moins, comme une part des écritures africaines de soi.

Géohistoire et champ littéraire (africain) : réflexion sur deux paradigmes

La faiblesse apparente d’une géohistoire appliquée à la littérature appelle quelques notes préliminaires de l’ordre de l’explication. En effet, l’applicabilité d’une démarche conçue pour l’espace réel des humains ne peut s’importer dans le monde de la fiction sans poser quelques problèmes théoriques. On le sait : dans la géohistoire, le milieu ou l’espace (termes équivalents) sont avant tout des histoires de vie et des indices de civilisation. De cette dernière, Braudel dira qu’elle est « un espace travaillé par l’homme et l’histoire » (Braudel, 1979). De même, dans sa lecture lumineuse de l’œuvre de l’historien-géographe, Paul Ricœur écrit :

L’homme y est partout présent et avec lui un fourmillement d’événements symptomatiques : la montagne y figure comme refuge et comme abri pour les hommes libres. Quant aux plaines côtières, elles ne sont pas évoquées sans la colonisation, le travail de drainage, de bonification des terres, la dissémination des populations, les déplacements de toute sorte : transhumance, nomadisme, invasion. Voici maintenant les mers, leurs littéraux et leurs îles : c’est encore à l’échelle des hommes et de leurs navigations qu’elles figurent dans cette géohistoire… (Ricœur, 1985 : 367-368)

Autrement dit, la géohistoire fait appel à une phénoménologie de « la place » et du « lieu » que Ricœur, suivant l’interprétation qu’il confère à l’œuvre de Braudel, sublime en trois actes : celui d’« habiter », celui de « construire » et celui de « configurer ». Ainsi, l’acte d’« habiter » serait incarné par l’expérience vive du corps au sens où celui-ci serait tout à la fois biologique, environnemental et géométrique, tant que ses repères sont des points, des lignes, des surfaces, des distances euclidiens, cartésiens et newtoniens, avec leurs coupures asymétriques « ici/là-bas, proche/lointain, inclus/exclus, gauche/droite, haut/bas, débout/couché, etc. » (ibid.) doublés de leurs valorisations éthiques contextuelles.

Quant à l’« acte de construire », il est « l’équivalent spatial de la configuration narrative dans sa mise en intrigue » (Ricœur, 1985), par lequel abondent des analogies et des interférences entre « espace raconté » et « espace habité ». Dès lors, du récit à l’édifice, du narrateur au bâtisseur, réside la même intention de la cohérence des catégories du temps et de l’espace, voire d’une relation nécessaire entre architecture et narrativité.

Enfin, l’« acte de configurer », rappelle toujours selon Ricœur, la triple mimésis de « la préfiguration, de la configuration et de la refiguration ». De la sorte, la configuration de l’espace consiste en l’interaction de plusieurs sites majeurs de la vie là où s’enchevêtrent et se superposent le temps raconté et l’espace construit selon les attentes déjouées de l’espace des géomètres ou du temps de l’universel. En guise d’illustration, c’est l’urbanisme qui permettrait de mieux cerner l’inscription du temps dans l’espace, à l’image de la ville confrontant dans le même espace différentes époques, c’est-à-dire, « une histoire sédimentée des goûts et des formes culturelles » (Ricœur, 2000 : 186-187). Comme on le voit, la géohistoire est affaire de société, de milieu ou d’espace vécu, c’est-à-dire des histoires réelles des humains. Comment alors peut-elle s’appliquer au champ littéraire?

On ne reviendra pas sur une définition canonique de la notion de « champ » tant elle aura déjà fait l’objet de plusieurs travaux consacrés, reconnus et discutés[1]. Qu’il nous suffise d’élucider très rapidement les modalités à partir desquelles le concept de « champ littéraire » résout l’équation du rapport entre histoire, espace et fiction.

Fondamentalement, « le champ » est une approche géo-spatiale, voire socio-empirique de la réalité sociale, avant que le qualificatif « symbolique » ne lui confère également une dimension imaginaire, c’est-à-dire représentationnelle de tout l’espace de production culturelle. De ce point de vue, il est justiciable des paradigmes de l’ »habiter », du « construire » et du « configuré » chers à la géohistoire.

Ainsi, à l’aune du champ littéraire, la notion de littérature reste absolument une affaire d’ »espace » à occuper à partir duquel se revendique le statut d’ »écrivain »[2]. Dès lors, il est un « espace habité ou vécu » non pas à la façon de l’environnement climatique des géographes, mais plutôt par sa fonction de représentation des histoires de vie, c’est-à-dire « la genèse des classes : groupes que l’on peut découper sur du papier, qui n’existent pas en tant que groupes réels, mais expliquant la probabilité de se constituer en groupes pratiques » (Bourdieu, 1984 : 3). Ici, les agents, tout comme le champ lui-même, n’ont d’existence que par le caractère à la fois multidimensionnel et relationnel de l’espace investi (proximité ou ressemblance, distance ou dissemblance par les points ou les lignes de démarcation).

Dans le second cas, « le champ » comme « espace construit » tient sa fonctionnalité du principe d’ »homologie structurale » légitimant la médiation entre société réelle et monde de la fiction. Appliqué à la littérature, on parlerait d’une construction sociale de la littérature au sens où cette dernière, par analogie au construire architectural, pourrait être une « histoire des places à prendre » au sens où l’entendait Marielle Macé, à savoir que cet espace pense les formes de son historicité, celle de ses valeurs esthétiques en termes d’une « histoire des places à prendre, des œuvres à faire et des vies à vivre […] » (Macé, 2005). Cela entraîne la nomenclature des dispositions ou des positions en tant que temps raconté (l’énoncé de la narration ou de l’histoire) et espace habité (lieu de placement et de dé-placement), étroitement associés dans l’édifice textuel, lui-même dépendant des ressources symboliques (capitaux) et des enjeux positionnels (distinction).

Enfin, s’il est un « espace configuré », le champ pose la question du rapport entre Histoire et littérature, voire réel et fiction. Ainsi, la première de ses stations, la « préfiguration », serait une appréhension de l’expérience réelle dont le référent pourrait, dans notre cadre, se rapporter à l’histoire coloniale, par exemple. Celle-ci serait l’événement fondateur venant bouleverser les certitudes formulées à propos de la représentation traditionnelle d’un temps dynamique et d’un espace statique. C’est exactement ce que dit le géocriticien Bertrand Westphal à propos de la Seconde Guerre mondiale :

Au sortir de la seconde guerre, les deux coordonnées du plan de l’existence étaient en crise, et avec elles tout l’existant. Le temps était privé de sa métaphore structurante […]. Le temps et l’espace souffraient d’une rupture chronique et topique, d’une effroyable déchirure. Ils se retrouvaient finalement dans des métaphores communes qui les associaient au point, au fragment, à l’éclat, à une sorte de géométrie du vestige qu’accompagnait un vertige issu des profondeurs du chaos […]. (Westphal, 2007 : 24)

Quant à la deuxième station, la « configuration » proprement dite, elle pourra être celle de la représentation du vécu africain en ce contexte de chaos, surtout par la façon dont elle est mise en intrigue par la narration romanesque dont un Sony Labou Tansi ou un Ahmadou Kourouma sont des paradigmes, puisque ces deux auteurs, comme plusieurs autres du corpus africaniste, proposent une articulation de la narration spatio-temporelle en posant la question du rapport de la fiction au réel; en demandant à peu près selon quelle possibilité la Katamalanasie pouvait entrer en correspondance avec l’espace-temps entropique du Katanga, Kinshasa ou Gbadolité, ou comment la cartographie que propose Kourouma dans Allah n’est pas obligé (2000) et Quand on refuse on dit non (2004) pouvait être projeté sur le Libéria, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire.

Pour ce qui est de la dernière station, « la refiguration », elle incarnerait la façon dont la mimésis dans le champ littéraire se donne à lire comme une insubordination au réel. Aussi maintient-elle la frontière entre la réalité du champ et le réel, en posant cette réalité fictionnelle comme un effet du réel. Si l’on a recours au vocabulaire des mondes possibles, on verra combien « la spatialisation du temps » (Wesphal, 2007) engage un éclatement des temporalités en « tempuscules » (Westphal, 2007), puis une dérive de l’espace réel et/ou de l’espace rêvé, ou encore une uniformisation des deux catégories en un tout « transposable à merci, dans un contexte à géométrie variable et non euclidienne » (Even-Zohar, 1990).

Des métaphores géohistoriennes du champ : analyse d’un « chronotope du seuil »

Par son concept central de « chronotope », cette partie de notre analyse s’entonne comme un dialogue entre Braudel et Bakhtine dans la mesure où le théoricien Russe définit les catégories du temps et de l’espace comme l’avait énoncé le géohistorien :

Le chronotope exprime l’indissolubilité de l’espace et du temps […]. Dans le chronotope de l’art littéraire a lieu la fusion des indices spatiaux et temporels en un tout intelligible et concret. Ici, le temps se condense, devient compact, visible pour l’art, tandis que l’espace s’intensifie, s’engouffre dans le mouvement du temps, du sujet, de l’histoire. Les indices du temps se découvrent dans l’espace, celui-ci est perçu et mesuré d’après le temps. Cette intersection des séries et cette fusion des indices caractérisent, précisément, le chronotope de l’art littéraire. (Bakhtine, 1978 : 324)

Mais du point de vue de la typologie des chronotopes, celui du « seuil » semble proclamer la pertinence de l’espace-temps du corpus africaniste. En effet, ce type de chronotope est fondamentalement celui de l’entropie telle qu’elle peut être associée aux changements brusques de l’histoire, faisant passer d’un moment à l‘autre (« passer le seuil », « prendre un tournant décisif »). Ainsi, « le chronotope du seuil » est sans doute ce qui permet de postuler les questionnements décisifs du rapport entre littérature africaine, son histoire et sa société. Par exemple, selon quelle intelligibilité peut-on postuler dans l’histoire africaine le passage d’un temps ou d’une époque (avant) à un autre (après)? Comment (re)lire les représentations africanistes du temps et de l’espace affectées aux grands récits du champ littéraire dont les indices les plus visibles sont la colonisation et les indépendances?

Il semble que, contrairement aux apparences d’une épistémè importée, le texte littéraire, quoique faisant partie du corpus africaniste, propose plusieurs conceptions opposées aux hypothèses de continuité, d’équilibre et de stabilité de la mensuration moderniste. On peut les situer sur une durée relativement longue (1920-1960 et 1960-1990).

Dans le premier cas, déjà avec des classiques comme Batouala (1921), Ville cruelle (1954), Une vie de boy (1956), etc., la colonie en tant que lieu de rencontre, seuil ou passage est narrée selon une temporalité connectée à l’espace et partageant avec lui sa crise caractéristique. Ainsi, l’espace colonial est-il inséparable de ses casernes de police (Fanon, 1979 : 8), dont on voit la tâche d’ordonnancement par sa façon de mettre l’espace conquis en friche, le quadrillant, y cultivant un imaginaire, une économie d’intérêt. Dans la préface de l’œuvre, René Maran décrit une histoire spatialisée de cette localité selon les images du désert ou de la désolation :

Cette région était très riche en caoutchouc et très peuplée. Des plantations de toutes sortes couvraient son étendue. Elle regorgeait de poules et cabris. Sept ans ont suffi pour la ruiner de fond en comble. Les villages se sont disséminés, les plantations ont disparu, cabris et poules ont été anéantis […]. (Maran, 1921 : 16)

De même, dans Ville cruelle (1954), on peut voir surgir une histoire de la ségrégation spatiale d’un Tanga-nord vs Tanga-sud, structurée selon des cultures différentes d’acteurs hiérarchisés et dont on peut dire qu’ils sont chronotopiques, c’est-à-dire des indicateurs d’un espace-temps cernés comme une histoire commune. La révolution géohistorienne qui a ainsi lieu fait du temps colonial un temps immobile à force de s’appliquer ainsi au temps de l’Autre (ici l’altérité nègre placée sous tutelle), et projeté sur l’espace dont la mise en coupe n’est rien d’autre que l’autre nom de la monopolisation, connotée comme son éclatement en compartiments. Ce temps colonial est exactement ce que décrit Mbembe comme un temps de l’existence qui n’est « ni un temps linéaire, ni un simple rapport de succession où chaque moment efface, annule et remplace tous ceux qui l’ont précédé, au point qu’une seule époque existerait à la fois au sein de la société […] » (Mbembe, 2000 : 36).

Dans le second cas, l’histoire de l’indépendance est racontée comme un

fait de turbulences, un faisceau d’aléas, de fluctuations et d’oscillations plus ou moins régulières […] un temps fait de brusques ruptures, de soudaines et brutales poussées, de volatilités, échappant à toute modélisation simpliste et remettant en cause l’hypothèse de stabilité et d’équilibre unique qui sous-tend la théorie sociale […] ce à quoi l’histoire des sociétés africaines nous renvoie, c’est à l’idée d’une pluralité d’équilibre due au fait qu’en tant que sociétés historiques, les formations sociales africaines ne convergent pas nécessairement vers un point, une tendance où un cycle unique, mais qu’elle recèle en elle la possibilité de trajectoires fractionnées, ni convergentes, ni divergentes, mais imbriquées, paradoxales. (Mbembe, 2000)

C’est sans doute à cette réalité d’un temps hors du commun qu’est confronté le personnage de Fama Doumbouya dérouté par la symbolique des « soleils des indépendances ». D’abord par les lieux capitaux de la ville et du village. Ainsi, le clivage classique quartier blanc/quartier noir du roman colonial est reproduit dans le roman des indépendances sous la forme « ville/village », sous-tendue par l’idéologie de la tradition et de la modernité. Cependant, chez Kourouma, l’espace de la ville, quoique grouillant de monde et surpeuplé par la circulation est lié à l’espace du village par un fil de continuité. Il est vrai que du Togobala de son enfance, Fama, après s’être frotté les yeux pour s’assurer qu’il ne se trompait pas, ne voyait que « deux cases penchées, vieillottes, cuites par le soleil, isolées comme des termitières dans une plaine[…] reconnut le baobab du marché, il était décrépit lui aussi, le tronc cendré et lacéré, il lançait des branches nues, lépreuses vers le ciel sec, un ciel hanté par le soleil d’harmattan » (Kourouma, 1968a). Mais du point de vue de leurs valeurs chronospatiales, la ville et le village entrent en confusion (Garnier, 2013 : 81). D’où la bâtardise qui frappe ses sujets désorientés à l’image du héros du roman.

D’ailleurs, à force de recherche de repères, l’espace de Sony Labou Tansi est corrélé à un temps hors histoire, donc logé définitivement dans les régions du mythe, à l’instar de la Kamatalanasie ou de la Darmellia transposées dans les lieux éclatés et différents de la ville et de la brousse, parcourus par des humains et des monstres, et défiant la frontière étanche dressée entre Histoire et fiction.

On voit donc que le rapport entre temps et espace ne se joue pas forcement selon le modèle de la primauté de l’une de ces catégories sur l’autre. Ce rapport est surtout celui de la correspondance dans un tout spatio-temporel, suivant des variations qu’il n’est pas aisé de systématiser, car ici l’histoire est tantôt « un passé qui ne passe pas », à la façon du temps qui suspend son vol, tantôt une donnée éclatée sur l’axe du temps et imbriquant passé, présent et futur, quand l’espace est tantôt fixé, c’est-à-dire quadrillé, tantôt, éclatée à la façon d’une terre à la dérive, avec des personnages à la recherche de l’air du temps dans des lieux où prospère la bâtardise, à savoir l’illégitimité des indices de représentation du monde et des pouvoirs symboliques à lui associés.

Enfin, en suivant le fil chronologique de cette histoire des représentations des lieux, des époques et des transits en jeu dans le corpus africaniste, l’année 1990 apparaît comme celle d’un autre paradigme.

En effet, jusqu’ici, les représentations de l’espace et du temps par la fiction littéraire restèrent foncièrement attachées aux référents de la société réelle malgré ses formes diverses de transgression, de résistance ou de contestation. Or, cette société africaine, sans doute du fait de son histoire fut très sensible aux grands récits militants (décolonisation, indépendance, souveraineté) dont le logos et le topos ont toujours reposé sur les idéologies d’intérêt collectiviste. Pour autant, ici, tout se passe comme si, du fait de l’indistinction sur l’axe du temps et de l’espace, entre colonisation et indépendances africaines, la thématique des « indépendances de malheurs » proposée par Kourouma et Sony Labou Tansi, entre autres, investie autrement par des écrivain-e-s plus jeunes et moins intéressé-e-s par les discours sur un fardeau collectif africain. Aussi, cette « génération » d’écrivain-e-s formule-t-elle la problématique du temps et de l’espace, du réel et de la fiction africains à partir d’une déconstruction de la cartographie officielle des espace-temps physiques et sociaux. Dans cette perspective, peut-être sommes-nous confronté-e-s à de nouvelles expériences d’écritures par lesquelles les écrivains et les écrivaines d’Afrique se réapproprient les représentations de l’espace-temps non plus selon le vocabulaire crépusculaire de la critique friande d’un imaginaire de la crise ou du chaos, mais plutôt en termes de cartes à redistribuer, qui tendent à réinterpréter l’espace-temps du désordre en une esthétique des écritures de soi et de la mondialité.

Chaos, opacité et esthétique de la mondialité : une redistribution des cartes

Pour le discours moderniste, dont l’unité de mesure du monde ressortit aux instruments de l’ordre, de la cohérence et de la logique rationnellement instituée du temps et de l’espace, toute autre configuration (inversion, dislocation, instabilité, multiplicité, etc.) affectée à ces indices premiers de représentation du monde est désignée par un imaginaire de l’angoisse, avec son vocabulaire conséquent du chaos, du désordre et de la fin de l’histoire. L’idée contraire à ce postulat est qu’en régime postcolonial, les écrivain-e-s des pays dominés sont soumis-es à une prescription de l’acte d’écrire déterminée par une logique de positionnement symbolique inséparable d’un enjeu de pouvoir. En effet, décrivant les pouvoirs symboliques rattachés à un tel acte, Madeleine Borgomano affirme que « celui qui trace les frontières et nomme les lieux prend le pouvoir » (dans Husti-Laboye, 2009 : 96).

De la sorte, deux types de stratégies peuvent s’interpréter comme des actes de révolte, de contestation, puis de reformulation de l’imaginaire lié à la cartographie du monde. Le premier est que « la présence d’un penchant pour une reconfiguration de la carte du monde va de pair avec la réappropriation d’un discours personnel et la revendication d’un droit à l’autocréation de l’image de soi » (Husti-Laboye, 2009). La seconde est, quant à elle, relative à la sublimation du chaos ou du désordre en une esthétique positive.

Dans le premier cas réside un ensemble de mouvements intenses de sujets diasporiques modifiant l’ordre de la pensée, avec des auteurs et autrices ayant érigé l’exil, l’immigration et toute autre spatialisation du corps en esthétique littéraire, puis les déplacements des territoires (déterritorialisation et reterritorialisation) en politique de la littérature. Par exemple, les déictiques spatio-temporels (ici vs là-bas) destinés à fixer les points de références de l’espace sont élevés au rang de réalité abstraites, fluctuantes avec des sujets à l’identification problématique. Que ce soit, dans La fabrique des cérémonies (2001), Place des fêtes (2001), Bleu Blanc Rouge (1998), Verre cassé (2005), 53 cm de Bessora (1999) et bien d’autres textes d’auteurs et d’autrices dont l’entrance dans le champ littéraire coïncide avec la modification de la carte d’Afrique liée aux bouleversements de l’histoire des années 1990, et écrivant et vivant hors du continent africain, les normes littéraires de l’espace et du temps d’autrefois sont déconstruites, puis reconfigurées à l’aune de l’imaginaire de chaque écrivain-e corrélé-e à sa propre image. Distances tantôt abolies entre l’Afrique et la France, relâchement de la tension traditionnelle du centre et de la périphérie, remise en cause des dichotomies identitaires du « chez soi vs chez eux » par une insubordination contre la notion de « frontière », imaginaire instituant de la marge défiant les lieux institutionnels, etc., les espaces des textes littéraires ici convoqués ne sont pas ceux des lieux ontologiques de repérage du monde, ne remplissant donc aucune fonction identitaire, relationnelle ou historique. Ils sont plutôt des espaces privatisés, lieux de mise en scène (théâtrale) de soi que Carmen Husti-Laboye interprète superbement comme étant « le miroir du temps » (2009). Ce temps est celui de « l’au-delà » tant qu’il n’est, comme dit Homi Bhabha :

Ni un nouvel horizon, ni une façon de laisser derrière soi le passé… le commencement et la fin peuvent être des mythes porteurs pour des années médianes […] nous sommes dans ce moment de transit où l’espace et le temps se croisent pour produire des figures complexes de différence et d’identité, de passé et de présent, d’intérieur et d’extérieur, d’inclusion et d’exclusion. Il y a, en effet, dans l’« au-delà » un sentiment de désorientation, une perturbation de la direction […]. (Bhabha, 2007 : 29-30)

Dans le second cas, cet investissement particulariste de l’espace-temps suggère la scène chronotopique de la mondialisation. Selon ses figurations les plus contestées, ce phénomène d’homogénéisation de l’espace et du temps se lit comme une histoire violente de mise en contact du corpus inter (culturel). Pour Édouard Glissant, tout comme pour la plupart des écrivain-e-s d’identité diasporique, il s’agit de positiver le mouvement de dérive spatio-temporel nommé « chaos-monde » plutôt que de le penser sur le mode des systèmes rigides (systèmes de pensée), avec leur vision tragique de l’histoire. Il s’agit également de le considérer comme l’autre part de l’expérience d’où sont nées des cultures, des langues créoles, des coutumes, des danses, des religions, des cuisines, des musiques, que la littérature et l’art sont chargés de pérenniser.

De la sorte, « le chaos-monde » offre « une pensée de système » qui met à mal les systèmes rigides, soumis à la logique de « guerres culturelles », et ignorant cette esthétique de l’« imprévisible » qu’offre le grand magma ou le monde en ébullition. Ceci pose la question du mode qui fonde notre relation au monde, à savoir : comment sortir de la connotation dominatrice de la mondialisation à l’avantage des cultures dominantes, tenants de l’uniformisation ou de la standardisation? Comment mettre sur pied une politique de la mondialité qui puisse assurer le principe de la relation? Par quelles pratiques le lieu qui nous est particulier (où l’on vit) peut être associé au lieu qui nous est commun (le tout-monde)? En guise de réponse à ce qui précède, Glissant écrit :

J’appelle Tout-monde notre univers tel qu’il change et perdure en échangeant et, en même temps, la « vision » que nous en avons. La totalité-monde dans sa diversité physique et dans les représentations qu’elle nous inspire : que nous ne saurions plus chanter, dire ni travailler à souffrance à partir de notre seul lieu, sans plonger à l’imaginaire de cette totalité. (Glissant, 1997 : 176)

C’est ainsi que la « mondialité » viendra en alternative à la « mondialisation » pour que soit le « tout-monde », permettant de « passer à autre chose » que les imaginaires ataviques de restriction du monde. Achille Mbembe nomme cette tendance actuelle d’un espace-temps africain, à la fois uniforme, varié, complexe et dynamique « afropolitanisme », c’est-à-dire « une stylistique et une politique, une esthétique et une certaine poétique du monde […] lieu par excellence de l’autocréation et de l’auto-engendrement, de l’auto-explication, de passages constants, de circulation et frayage et de la fabrique de la multiplicité… » (Mbembe, 2010 : 232). De ce point de vue, la littérature reste par excellence le laboratoire qui autorise que soit pensé un autre monde à partir d’une poétisation à rebours du normatif, des catégories du temps et de l’espace, des sujets et des identités, de l’individu et la collectivité et de l’ordre de la pensée.

Conclusion

Cette réflexion a affronté la problématique redoutable du rapport entre la littérature africaine et sa société. Elle a tenté de répondre aux questions relatives à la recevabilité d’un ordre spatio-temporel selon la logique géométrique de la cohérence, du prévisible et de la norme par la mensuration. Ainsi, il est à noter qu’il y a dans les fictions littéraires africaines sur une période relativement longue conformément à l’histoire africaine, une reconfiguration des catégories du temps et de l’espace telles qu’elles font obstacle à toute réponse confortable à propos des modalités par lesquelles le corpus africaniste devrait être situé entre localisation, périodisation et liminalité. Après en avoir posé les prédicats théoriques et méthodologiques relativement aux paradigmes de la géohistoire et du champ littéraire, l’analyse a pu dénicher dans les textes d’auteurs et d’autrices des années 1920-1960 (René Maran, Ferdinand Oyono, Eza Boto Ouologuem, Sony Labou Tansi) 1990 et après (Alain Mabanckou, Sami Tchak, Kossi Efoui, Sandrine Bessora), les traitements chronospatiaux dits « du seuil » et permettant de problématiser les points de repère d’un « avant » et d’un « après » de l’histoire littéraire, et par effet de réel, celle de la société africaine dans ses tourbillonnements effrénés. Ceux-ci, en lieu et place d’un ordre institué de l’axe du temps et de l’espace, apparaissent plutôt comme démesure, discontinuité, instabilité, rupture et ambiguïté de l’uniformité et de la variation. De même, face à une explication psychologique de l’angoisse liée à la fin de l’histoire, ce traitement des repères fondamentaux de la représentation a pu s’interpréter conformément à la logique du champ littéraire comme une redistribution des cartes au profit des sujets de l’écriture et de leur place dans la vaste république mondiale des lettres. En définitive, le grand magma du monde dont les repères spatio-temporels sont rendus et pérennisés par la littérature offre une place de choix aux écrivains et écrivaines des pays dominés pour ré-sémantiser la mondialisation en une esthétique positive de la mondialité.

Bibliographie

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Biographie

 

David N’Goran est Docteur ès Lettres (option : littérature comparée) et diplômé de science politique. En tant que comparatiste, il a fait l’option d’une approche transversale, voire interdisciplinaire, qui l’autorise à s’intéresser aux trois principaux axes de recherche que sont la sociologie du champ littéraire, les postcolonial studies et l’analyse du discours social. Actuellement Maître de Conférences à l’Université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, également chargé de cours de sociologie à l’Institut des sciences et techniques de la communication (ISTC), il a fait paraître en 2009 chez l’Harmattan Le champ littéraire africain. Essai pour une théorie, en 2012 chez Publibook, à Paris, Les Illusions de l’africanité, ainsi qu’un essai politique chez le même éditeur intitulé Les enfants de la lutte. Chroniques d’une imagination politique à Abidjan. Il est également auteur de nombreux articles scientifiques.

Courriel : nkdavid2001@yahoo.fr

Abstract

This paper tries to ponder over, in the words of Braudelian reversal of epistemology of space-time, the modes of apprehension of the literary corpus of Africanist field. Specifically, we will observe historiography as it applies to African literary field following the models of proclaimed order from space-time coordinates. The fact is that the epistemic status that hosts the so-called « African literary field » came out in large postcolonial regime known to formulate questions facing the still modern colonial ruler, and the imagination of societies from this historical experience and their positivity plans. There is a metaphor for the work of Euclidean measurement whose efforts deserve to be questioned as to the current metaphors in the field but not sufficiently taken into account by critics: they are, among others, those of the outbreak, multiplicity, of anachronism, the fixity of time and drift in space. This geohistory essay postulates, ultimately, a correspondence relationship between African literature and its society in motion.


  1. On peut renvoyer à toute la biographie de la sociologie de Pierre Bourdieu et leurs orientations similaires (Gisèle Sapiro, Nathalie Heinch, Pascale Casanova, Alain Viala, ainsi que tous les travaux de la revue Actes de la recherche en sciences sociales ou encore du Centre de sociologie européenne). Voir aussi à un niveau plus modeste nos propres travaux sur l’importation de cette démarche dans l’espace littéraire africain (N’goran 2009; 2012).
  2. En élargissant cette hypothèse, on pourrait montrer que toute proposition épistémologique, purement scientifique, critique, ou littéraire (stylistique, thématique, générique, esthétique et éthique) reste tributaire en grande partie de l’espace occupé dans le champ concerné.

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