4. La pandémie de Covid-19 dans un hôpital tertiaire au Mali et ses enjeux financiers

Valéry Ridde, Abdourahmane Coulibaly, Laurence Touré, Mouhamadou Faly Ba, Kate Zinszer, Emmanuel Bonnet, Ayako Honda

Résumé

Cette étude examine comment la gestion de l’épidémie de la Covid-19 par les acteur·rice·s de l’hôpital a été affectée par la réponse financière du gouvernement pendant les 1ère et 2ème vagues dans un hôpital du Mali. Alors que le gouvernement souhaitait soutenir l’accès universel aux services de santé liés à la Covid-19, les efforts ont été minés par les problèmes liés aux procédures complexes de gestion du financement public et l’hôpital a connu de longs retards dans le transfert des fonds publics. L’hôpital a subi une baisse des revenus au cours des premiers stades de la pandémie. Les budgets gouvernementaux n’ont pas été utilisés efficacement en raison de procédures complexes qui n’ont pas permis de s’adapter à la situation d’urgence. Les difficultés rencontrées par les hôpitaux ont entraîné des retards dans le paiement des salaires du personnel et des primes promises, ce qui a eu des répercussions néfastes pour les patients. Les problèmes préexistants en matière de financement et de gouvernance des soins de santé ont limité la gestion efficace des services liés à la Covid-19 et ont créé la confusion pour les prestataires des services de santé.[1]

Mots-clés : Covid-19, finance, hôpital, Mali, management public

Introduction

Les systèmes de santé dans de nombreux pays africains ont souffert en raison de la faiblesse des dépenses publiques et les utilisateur·rice·s de soins de santé payent des coûts élevés pour accéder aux soins. En 2017, 15 millions de personnes en Afrique sont tombées dans la pauvreté en raison des dépenses de santé (WHO 2021). Dans les pays africains où l’utilisation des services de santé est basée sur la capacité de paiement des personnes, il y a des préoccupations quant à l’accès équitable aux services liés à la Covid-19. Cependant, peu d’études ont été entreprises pour analyser comment le contexte actuel de financement des soins de santé a affecté la prestation des services de santé et l’accès aux services de santé pendant la pandémie de Covid-19.

De nombreux systèmes de santé en Afrique de l’Ouest sont fragiles et incapables de résister à de grands chocs. Au Mali, par exemple, le système de santé est mal financé par le gouvernement, il y a un certain nombre de problèmes liés à la gouvernance. Le pays était mal préparé à l’arrivée d’épidémies et de pandémies, comme la Covid-19 (Waya et al. 2021; Tessema et al. 2021). En Afrique de l’Ouest, les questions de financement de la santé impactent les établissements de santé et les prestataires de soins de première ligne, qui sont au centre de la prestation des services de santé.

En réponse à la pandémie de Covid-19, fin février 2021, les pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avaient mobilisé un financement de 158 milliards de dollars, dont 42% étaient utilisés pour des interventions de santé publique et des systèmes de santé (Ahanhanzo et al. 2021). En mai 2020, l’OMS a encouragé la suspension des frais d’utilisation pour les services essentiels pour tous les niveaux de prestataires de soins de santé afin de garantir un accès équitable aux services de santé nécessaires pendant la pandémie. Par conséquent, de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, dont le Mali, ont mobilisé des fonds publics pour traiter gratuitement les patient·e·s atteint·e·s de Covid-19 lorsqu’ils et elles ont été testé·e·s positif·ve·s à la Covid-19 et traité·e·s dans des hôpitaux. Parallèlement, alors que de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest ont mis au point des programmes de transfert d’argent pour les ménages, peu de mesures étaient disponibles pour les patient·e·s atteint·e·s de Covid-19 qui ont été invité·e·s à rester à la maison (Bonnet et al. 2021).

Compte tenu des problèmes de financement de la santé auxquels les pays d’Afrique de l’Ouest étaient déjà confrontés avant la pandémie de Covid-19, il est important d’examiner comment ces défis ont affecté la réponse à la pandémie et la résilience des systèmes de santé (Rispel et al. 2021). Ce chapitre examine le rôle des questions financières dans la réponse à la pandémie dans un hôpital tertiaire de la capitale malienne, Bamako.

Méthode

Le présent chapitre examine l’impact de la réponse du gouvernement sur l’organisation hospitalière, le personnel et les patient·e·s dans le cadre du financement de la lutte contre la Covid-19 au cours de la première et de la deuxième vague de la pandémie. Du point de vue de l’hôpital (organisationnel), le chapitre examine les changements dans l’allocation du budget et le processus de facturation et de remboursement mis en place par le gouvernement. En ce qui concerne le personnel des hôpitaux, les effets sur les salaires et les primes du personnel ont été analysés. Enfin, du point de vue des patient·e·s, la charge financière subie en raison de l’accès aux services liés à la Covid-19 est également explorée.

L’étude de cas qualitative a été réalisée dans un hôpital tertiaire de Bamako, la capitale malienne. L’hôpital dispose d’une autonomie de gestion administrative et financière, avec une obligation de service public en tant qu’hôpital de référence. Des tentes médicales ont été utilisées pour accueillir les premiers cas de Covid-19. Par la suite, à la demande du gouvernement, l’extension de l’hôpital nouvellement construite a été choisie pour devenir le site de soins Covid-19 de l’hôpital. L’expérience de l’hôpital, de son personnel et des patient·e·s sont les unités d’analyse (Yin 2012).

Au Mali, les établissements de santé facturent des frais d’utilisation des services par les patient·e·s, à l’exception de certains services du secteur public. La couverture de la population par tous les mécanismes d’assurance est d’environ 15% de la population à Bamako, la capitale (INSTAT, CPS/SS-DS-PF et ICF 2019). Le système de santé malien souffre d’une faible dépense publique en matière de santé. En 2019, moins de 6% du budget du gouvernement a été alloué au secteur de la santé. Les sources externes de financement représentent 33,5% des dépenses de santé, ce qui est supérieur à la moyenne des pays d’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale qui s’élève à 11% (World Bank 2022). Les dépenses directes représentent 31,4%. Les derniers comptes nationaux de santé (2015) indiquent que 35% des dépenses de santé courantes sont dépensées dans les hôpitaux aux niveaux national, régional et local.

Les hôpitaux publics reçoivent un budget global du gouvernement qui est calculé sur une base historique. Le personnel hospitalier est employé en tant que fonctionnaire; toutefois, les hôpitaux peuvent également recruter du personnel contractuel. Les frais d’utilisation des services par les patient·e·s sont l’une des principales sources de revenus des hôpitaux publics. En réponse à la pandémie de Covid-19, le gouvernement a élaboré un plan national d’intervention de 3,5 millions de dollars, qui comprenait la fourniture de services gratuits liés à la Covid-19, les coûts étant couverts par le budget de l’État.

Collecte de données

Des entretiens ont été réalisés au cours de la première vague de la pandémie (d’avril à juillet 2020) et de la deuxième vague (de décembre 2020 à février 2021) dans les différents départements de l’hôpital. Au total, 51 entretiens ont été réalisés auprès de 8 médecins, 3 pharmacien·ne·s, 19 ambulancier·ière·s paramédicaux·ales, 21 employé·e·s de soutien. Pour avoir une vision globale de l’expérience vécue par le personnel hospitalier et les patient·e·s, 229 observations ont été effectuées : 106 dans les services hospitaliers Covid-19, 35 dans la salle de triage Covid-19, 25 dans l’unité de soins intensifs contre la Covid-19 et le reste dans d’autres services du bâtiment Covid-19 et ailleurs à l’hôpital. Enfin, un examen des articles de presse et de la documentation du service comptable de l’hôpital a été entrepris.

Résultats

Retard dans le transfert de fonds et diminution des recettes de l’hôpital

Depuis 2012, le Mali est confronté à un contexte politique et sécuritaire fragile, entraînant une diminution du budget gouvernemental alloué à l’hôpital. Les dépenses prévues pour 2020 étaient de 5,9 milliards de francs CFA (FCFA), dont 2,5 milliards pour les activités hospitalières. Le chiffre d’affaires prévu (issu principalement du recouvrement des coûts) était de 1,6 milliard de FCFA.

En avril 2020, 100 millions de FCFA ont été alloués à l’hôpital par le gouvernement pour couvrir les dépenses liées à la fourniture de services liés à la Covid-19 lors de la première vague de la pandémie (70 millions pour les primes, les salaires et les indemnités journalières et 30 millions pour les médicaments et le matériel médical). Toutefois, l’hôpital a estimé que les besoins trimestriels en matière de Covid-19 s’élèveraient à 582 millions de FCFA sur cette même période.

Le gouvernement a demandé des justifications pour la première ronde de financement que nous avons reçue. Nous avons envoyé ces justifications, mais il n’y avait pas de ministre. Nous avons donc été bloqués à ce niveau. Il n’y avait pas d’argent pour payer les agents de l’hôpital et les agents disaient déjà qu’ils allaient cesser de prendre en charge le patient dans un avenir proche. (Membre du personnel, Unité technique)

En mars 2020, avant que les 100 millions alloués ne soient reçus, l’hôpital a acheté des équipements de protection individuelle (EPI), y compris des gants et des masques, et a dépensé 5 millions de FCFA pour l’aménagement des tentes de triage pour les patient·e·s atteint·e·s de Covid-19, la confection des panneaux de signalisation du site Covid, les frais de peinture des tentes. En plus des 100 millions, en octobre 2020, le ministère de la Santé a accordé à l’hôpital 131 millions de FCFA par l’intermédiaire des services du Trésor public. Le financement a été fourni pour compenser les déficits de recettes dus à la pandémie et permettre l’achat de médicaments, de réactifs pour le laboratoire et d’équipements pour le service d’imagerie médicale. Le montant total du financement alloué à l’hôpital par le ministère de la Santé avant la deuxième vague était proche de 600 millions de FCFA. Toutefois, le financement ne couvrait pas les décaissements déjà effectués par l’hôpital.

En outre, il y a eu des problèmes concernant l’utilisation de ces fonds parce qu’ils étaient détenus par le Trésor public et non transférés sur le compte de l’hôpital (à l’exception des 100 millions qui ont été directement transférés sur le compte de l’hôpital). Le transfert du financement implique une procédure supplémentaire et complexe de gestion des finances publiques, suivant laquelle les fonds ne sont mis à la disposition du Trésor public qu’après un ordre administratif. Pour les dépenses directes (paiement des primes, carburant, etc.), les débours sont effectués par l’hôpital par l’intermédiaire du contrôleur financier de l’hôpital désigné par le ministère de l’Économie et des Finances. Les fonds non-dépensés sont restitués au Trésor public par l’hôpital à la fin de l’exercice budgétaire, conformément aux procédures de dépenses publiques. Pour les dépenses indirectes, tels que le paiement des services fournis par les fournisseurs, l’hôpital émet une demande de paiement pour que le Trésor public paye le fournisseur par transfert direct. En ce qui concerne les procédures de passation de marchés publics, l’hôpital émet une demande financière pour que le Trésor public paye les contractants. Les demandes de paiement ont été transmises au ministère de l’Économie et des Finances. En outre, les fonds alloués n’ont pas pu être utilisés pour couvrir les services fournis pendant la deuxième vague de la pandémie, étant donné que le budget pour l’exercice 2020 devait être utilisé d’ici la fin décembre 2020. En conséquence, les fonds ont été conservés par le Trésor public.

Lorsque la deuxième vague de pandémie a commencé début décembre 2020, l’hôpital n’avait pas de financement spécifique du gouvernement pour traiter les patient·e·s atteint·e·s de Covid-19, bien que les besoins estimés en ressources aient été transmis par l’hôpital au ministère de la Santé en décembre 2020.

Outre les procédures complexes liées au financement public, l’autorité décisionnelle partagée du ministère de la Santé et du Trésor public concernant l’allocation des ressources gouvernementales semble être la cause principale du retard dans le transfert des fonds engagés à l’hôpital. Toute décision budgétaire devait être négociée entre l’hôpital, le ministère de la Santé et le Trésor public depuis le début de la crise de la Covid-19, comme en témoignent les journaux : « les dépenses ont été effectuées sans consultation ni accord de Michel Hamala Sidibé, ministre de la Santé et des Affaires sociales du Mali » (Nouveau Réveil, 04/2020); « le patron du ministère des Finances devrait mobiliser des ressources » (L’indépendant, 05/2020). En effet, fin avril 2020, un débat animé a eu lieu entre le ministre de la Santé et le Premier ministre (également ministre de l’Économie et des Finances) sur la gestion des fonds Covid-19 (Info Matin, 04/2020).

Le manque de ressources à l’hôpital, en raison du retard dans le transfert des fonds gouvernementaux, a affecté les services fournis aux patient·e·s. Par exemple, le service de restauration de l’hôpital a été interrompu pendant plusieurs jours en raison d’arriérés de paiement des factures de trois à quatre mois.

La pandémie et une réduction du nombre de patient·e·s accédant aux services hospitaliers au cours de la première vague de la pandémie ont entraîné une baisse des revenus de l’hôpital d’environ la moitié des niveaux normaux, selon les responsables de l’hôpital. La base de données du département des finances hospitalières montre que les revenus hospitaliers habituels étaient d’environ 100 millions de FCFA par mois avant le début de la pandémie de Covid-19, mais qu’ils sont tombés à 48 et 50 millions de FCFA respectivement en mars et avril 2020. En outre, la réduction des recettes a entraîné une diminution des rabais versés au personnel (normalement 30% des bénéfices).

Retard dans le paiement des primes et des salaires promis aux personnels

Bien avant la pandémie, l’hôpital souffrait d’une pénurie de personnel de toutes catégories. Alors que de nombreux stagiaires abandonnaient leur poste au début de la pandémie, au cours de la première vague, la prestation de soins Covid reposait fortement sur les stagiaires, les étudiant·e·s en médecine et les infirmier·ière·s stagiaires, qui se sont porté·e·s volontaires pour travailler dans les services Covid. Les contrats pour les personnes qui prodiguaient des soins contre la Covid-19 étaient de courte durée, généralement de seulement trois ou quatre mois.

En outre, la direction de l’hôpital a pris la décision de redéployer les fonctionnaires de l’hôpital (permanents). En juin 2020, sept médecins fonctionnaires et 22 médecins sous contrat privé ont travaillé avec des patient·e·s atteint·e·s de Covid-19. Les salaires mensuels du personnel du service Covid-19 étaient de 400 000 FCFA pour les médecins contractuels de courte durée et de 250 000 FCFA pour les infirmier·ière·s sous contrat de courte durée, soit environ le double des salaires habituellement versés au personnel exerçant ces fonctions dans la fonction publique. En outre, des primes ont été versées aux fonctionnaires (10 000 FCFA) par jour pour les médecins et les infirmier·ière·s de catégorie A; 9 000 FCFA pour les infirmier·ière·s de catégorie B et 8 000 FCFA pour les autres catégories de personnel. Dans des circonstances autres que la Covid-19, les médecins reçoivent des primes de garde de 4 000 FCFA par jour et les infirmier·ière·s reçoivent 2 000 FCFA. Ces salaires et primes liés à la Covid-19 ont donné lieu à un certain enthousiasme du personnel hospitalier pour fournir des services liés à la Covid-19.

L’affectation des personnels aux services Covid a créé des tensions et des frustrations chez ceux ayant postulé pour travailler dans les services Covid mais n’ayant pas été sélectionnés pour effectuer le travail, y compris les stagiaires qui faisaient du bénévolat à l’hôpital depuis longtemps. En outre, l’affectation du personnel clinique pour la fourniture de services Covid a entraîné une pénurie de personnel fournissant des services non-Covid.

Avec la majorité des médecins fonctionnaires affectés à la Covid-19, ce sont les jeunes doctorants qui font le suivi [des patients non-Covid-19]. C’est d’où vient le problème [des pénuries]. C’est sérieux maintenant. (Infirmière, Service de médecine générale)

Bien que les salaires et les primes offerts pour le travail lié à la Covid-19 aient été suffisamment attrayants pour encourager le personnel hospitalier à occuper des postes dans les services Covid, il y a eu de longs retards dans le paiement des salaires et des primes (jusqu’à trois mois lors de la première vague et six mois lors de la seconde).

Ces retards de paiement ont été attribués aux procédures administratives du Trésor public, qui restent lourdes et qui n’ont pas été résolues pendant la pandémie. Les retards dans le paiement des salaires et des primes semblent avoir eu lieu non seulement à l’hôpital où les enquêtes ont été menées, mais aussi dans de nombreux autres hôpitaux du pays.

Le personnel a décidé d’organiser une grève pour protester contre ces retards de paiement. Cependant, la grève n’a pas été très efficace car de nombreux médecins n’ont pas suivi les ordres de grève et les services ont été maintenus pendant que les infirmier·ière·s et autres membres du personnel se mettaient en grève. Beaucoup de personnels en grève ont été visés par des sanctions prises par les responsables de l’hôpital et remplacés par de nouvelles et de nouveaux employé·e·s. Certain·e·s dirigeant·e·s de la grève étaient des travailleur·euse·s contractuel·le·s et ont été licencié·e·s sans recevoir leurs primes et salaires dus.

En décembre 2020, lorsque la deuxième vague a commencé, les arriérés de salaires et de primes variaient entre trois et six mois, selon la catégorie du personnel. Ces arriérés ont fait l’objet de discussions quotidiennes au sein du personnel, qui ne pouvait pas comprendre comment une telle situation s’était produite.

Beaucoup d’infirmier·ière·s sous contrat ont accepté de travailler dans les services Covid, pour des raisons financières et surtout parce qu’elles pensaient que l’embauche pourrait ouvrir la porte à un emploi permanent.

Cependant, à la fin de la première vague, plusieurs agent·e·s contractuel·le·s ont été licencié·e·s à la demande du ministère de la Santé, et contre l’avis de l’hôpital qui souhaitait maintenir des effectifs suffisants pour faire face à une éventuelle nouvelle vague pandémique.

Au début de la deuxième vague, certains personnels licenciés après la première vague ont dû être rappelées pour faire face à l’afflux de patient·e·s atteint·e·s de Covid-19. Certains ont refusé de retourner dans les services Covid en raison des salaires et primes impayés au cours de la première vague.

Les défis de gestion de la première vague n’ont pas été entièrement résolus lorsque la deuxième vague a commencé. Le retard dans la mise à disposition des fonds à l’hôpital par le gouvernement a rendu la passation de marchés, la gestion et le paiement du personnel hospitalier difficiles, provoquant de grandes tensions au sein des personnels hospitaliers (hiérarchies professionnelles, actions syndicales). Les relations entre le personnel administratif et d’autres catégories de personnel sont devenues tendues, un certain nombre d’infirmier·ière·s critiquant le personnel administratif hospitalier pour manque de transparence, notamment en ce qui concerne les salaires et les primes. La mauvaise relation a même conduit à des soupçons de corruption.

Les agents financiers de l’hôpital ont indiqué que les retards de paiement étaient dus à des erreurs dans les pièces du dossier financier envoyé par l’hôpital au Trésor public et que les paiements n’étaient pas effectués avant que ces erreurs soient corrigées. Mais, pour s’assurer que les dossiers financiers de l’hôpital soient conformes aux procédures définies par le gouvernement pour la gestion des fonds publics, un suivi a été assuré. Par conséquent, en cas d’erreur dans le dossier de l’hôpital, celui-ci pouvait être maintenu à un autre niveau pour attendre de plus amples informations ou des éclaircissements sur le contenu. Le dossier devait également être traité par la direction nationale du budget avant d’être envoyé au Trésor public (Direction national du Trésor public).

La tension liée à la pandémie a été exacerbée par les tensions entre le personnel administratif et les autres personnels hospitaliers, en particulier le personnel infirmier. Cela était dus à une combinaison de besoins financiers en fournitures médicales, de retards dans le paiement des salaires et des primes, l’ensemble lié aux retards dans la réception des fonds publics.

Cela pourrait causer des problèmes entre le personnel infirmier et nous [département des finances]. Ils ont d’autres idées sur nous, et ils pensent que nous, à notre niveau, retardons délibérément [les paiements] ou négligeons notre travail [qui a un impact sur le paiement]. Quand je dis « nous », je veux dire aussi la direction de l’hôpital. (Membre du personnel, Département des finances)

Charge financière et traitement injuste pour les malades

L’arrivée de la pandémie et l’obligation de porter des masques, bien que nécessaires pour le contrôle des infections, ont eu un impact sur les patient·e·s qui venaient à l’hôpital lors de la première vague. En plus du prix habituel de la consultation (1 500 FCFA), les médecins ont demandé aux patient·e·s ne portant pas de masques d’en acheter dans la pharmacie privée en face de l’hôpital (masque facturé à 300 FCFA) ou dans la rue (50 à 100 FCFA). En outre, des articles de presse mentionnent que des masques étaient censés être donnés dans le cadre de l’opération gouvernementale « un Malien, un masque » étaient vendus dans la rue (Wagadu, 21/02).

Comme dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, les accompagnant·e·s des patient·e·s (c’est-à-dire les membres de la famille, les parents et les ami·e·s accompagnant les patient·e·s dans les établissements de santé) sont des soutiens essentiels dans les hôpitaux (voir chapitre 12). En effet, les ressources humaines de l’hôpital sont rares. Les mesures de lutte contre les infections, qui ont nécessité l’isolement des patient·e·s, ont rendu difficile l’entrée des accompagnant·e·s dans l’hôpital, créant ainsi une tension entre l’hôpital et les patient·e·s. De nombreux·euses accompagnant·e·s ont donné de l’argent au personnel de l’hôpital, espérant que les patient·e·s recevraient des services de qualité et de meilleurs soins à l’hôpital.

Des différences dans les soins de santé reçus par les patient·e·s se sont produites au cours des premières vagues de la pandémie de Covid-19, ce qui a permis à certaines personnes, ou aux accompagnant·e·s de certains membres du personnel hospitalier, de recevoir un traitement privilégié. Indépendamment de leur état clinique, les patient·e·s ayant des réseaux étaient souvent privilégié·e·s (chambres VIP dans l’unité Covid, meilleures conditions de soins) par rapport aux personnes sans contact à l’hôpital.

Contrairement aux patient·e·s de l’unité de soins Covid-19, où tout est gratuit, les patient·e·s admis·e·s à l’unité de triage payaient pour les médicaments, les examens et les tests sanguins avant que les résultats du dépistage ne soient livrés.

Les appareils à rayons X thoraciques étaient souvent utilisés dans le diagnostic pendant la deuxième vague de la pandémie en raison de longs retards dans l’obtention des résultats des tests biologiques. Les tests biologiques ont été analysés dans un laboratoire national situé à l’extérieur de l’hôpital. L’utilisation des rayons X n’a pas été incluse dans le protocole de prise en charge de la Covid-19 au Mali, mais l’utilisation de la machine à rayons X pendant la deuxième vague montre la capacité de l’hôpital à s’adapter à la situation. Pendant le temps passé à attendre les résultats (des scans et/ou des tests biologiques), les patient·e·s ont encouru de multiples dépenses, pour les médicaments, etc., certaines personnes signalant des factures de plus de 35 000 FCFA.

Une fois en triage ou dans le bâtiment Covid, les patient·e·s étaient tenu·e·s d’avoir leurs résultats de tests biologiques pour décider s’ils et elles étaient positif·ve·s et donc hospitalisé·e·s, ou négatif·ve·s et libéré·e·s. Les tests de dépistage de la Covid-19 étaient effectués au sein d’une installation centrale unique à Bamako, ce qui a causé des problèmes importants de délais par exemple. Au cours de la deuxième vague, l’installation semblait avoir été submergée par le nombre de tests à effectuer.

Pendant plus de deux semaines, il n’y a eu aucun résultat. Nous avons recherché un partenariat avec un laboratoire privé. Ce laboratoire fera l’analyse, sinon [le centre de tests de Bamako] donne rarement les résultats des tests de contrôle. (Médecin, Unité Covid-19)

La gestion inefficace du centre de dépistage centralisé a eu des conséquences négatives sur les prises en charges des patient·e·s atteint·e·s de Covid-19 en raison de retards dans la prestation des soins ou d’hospitalisations inutilement longues, de longs retards dans l’obtention des résultats des tests, ou simplement de l’absence de résultats. En outre, le retard dans l’obtention des résultats des tests PCR a également déclenché des pratiques visant à obtenir plus rapidement les résultats des tests.

Vous allez voir ces gens et leur dire que vous voulez avoir les résultats rapidement. Vous contournez le circuit normal et il y a un prix pour cela. (Médecin, Unité Covid-19)

Discussion

L’hôpital au Mali était soumis à de graves contraintes de ressources, même avant la pandémie de Covid-19. L’étude a mis en évidence les perturbations subies par les gestionnaires de l’hôpital, le personnel de soins et les patient·e·s lors des premiers stades de la pandémie. L’histoire du système de santé au Mali (Touré 2015) et le contexte de ce pays sahélien, en crise politique et sécuritaire depuis de nombreuses années, contribuent à expliquer les causes sous-jacentes des perturbations survenues pendant la pandémie (Olivier de Sardan et Ridde 2015). En effet, le système de santé est sous-financé depuis longtemps, ce qui a conduit les patient·e·s à payer des frais d’utilisation. La situation s’est aggravée depuis les turbulences politiques de 2012. Le gouvernement est confronté à de graves problèmes budgétaires récurrents, qui ont une incidence sur la capacité de sécuriser et de payer les ressources humaines pour la santé. En 2021, le budget de la santé du Mali s’élevait à environ 150 milliards de FCFA (moins de 230 millions d’euros). Les dépenses de santé des administrations nationales sont inférieures à 6 % des dépenses publiques depuis 2006. Par conséquent, la pandémie a ajouté des défis aux problèmes existants rencontrés par le système de santé malien.

Financement des interventions gouvernementales

Un système de santé résilient nécessite trois stratégies de financement à mettre en œuvre en cas de choc sanitaire : 1) veiller à ce que des fonds suffisants et stables soient disponibles pour répondre aux besoins; 2) adapter les systèmes d’achat, d’approvisionnement et de paiement; et 3) soutenir la couverture sanitaire universelle et réduire les obstacles à l’accès aux services de santé (Sagan et al. 2021). Au Mali, en réponse à la pandémie de Covid-19, le gouvernement a priorisé le financement du dépistage et du traitement de la Covid-19 et a fourni ces services gratuitement aux patient·e·s. Afin d’accroître la disponibilité des tests de dépistage de la Covid-19, le gouvernement a également entrepris l’achat de matériel de test PCR. Mais le nombre insuffisant de tests n’a pas permis de stopper la propagation de la pandémie au Mali (Mady Cissoko et al. 2023). Alors que le gouvernement visait à soutenir l’accès universel aux services liés à la Covid-19 en adaptant les fonctions d’achat de soins de santé, les efforts ont été minés par les problèmes liés à la mise en œuvre des mesures stratégiques.

Gouvernance et gestion des finances publiques

Les problèmes de financement des soins de santé au Mali sont dus à la faiblesse des dépenses publiques consacrées à la santé et à la forte dépendance à l’égard du financement externe de la santé, ce qui semble avoir un impact sur la capacité du gouvernement à mobiliser suffisamment de ressources nationales en temps de crise. En outre, la rigidité dans l’utilisation des fonds publics limite la réponse aux crises, comme on le voit au Mali depuis le début de la crise sécuritaire en 2012 (Ataullahjan et al. 2020; Paul et al. 2014). Cette rigidité a été illustrée par le défi pour le Trésor public de répondre aux besoins du ministère de la Santé et pour le ministère de la Santé de débloquer des fonds supplémentaires à l’hôpital en temps opportun. Les études sur les systèmes de santé et la résilience des systèmes de santé face à la pandémie de Covid-19 montrent l’importance de l’agilité dans l’allocation des fonds, qui dépend en grande partie des réglementations associées à la gestion des finances publiques (Sagan et al. 2021).

Salaires et primes

Les défis en matière de financement public ont eu des répercussions sur la gestion des fonds aux niveaux des hôpitaux. Cette étude confirme qu’il existe des défis persistants dans la gestion des salaires et des primes pour les travailleur·euse·s contractuel·le·s, ainsi que dans la pratique des dons aux professionnel·le·s de santé par les patient·e·s. Les travailleur·euse·s contractuel·le·s et d’autres bénévoles jouent un rôle important dans les soins de santé dans les systèmes de santé ouest-africains, qui souffrent de ressources humaines limitées pour la santé, (Tantchou 2018; Jaffré et Olivier de Sardan 2003). La gestion de ces personnels est donc très importante. Dans un contexte de pénurie de ressources humaines, les défis liés au recours aux travailleur·euse·s contractuel·le·s et aux volontaires pour répondre à une pandémie sont soulignés, comme on l’a vu précédemment en Guinée avec l’épidémie d’Ébola (Kolie et al. 2021) et dans d’autres études sur la pandémie de Covid-19 au Mali (McQuide et al. 2022).

L’importance de disposer de ressources humaines suffisantes pour la santé pour permettre aux hôpitaux d’être résilients face à un choc a été défendue (Sagan et al. 2021). En effet, pendant la pandémie de Covid-19, il est essentiel de veiller à ce que des ressources financières suffisantes soient disponibles pour garantir qu’un nombre suffisant de ressources humaines pour la santé soient rapidement disponibles dans les hôpitaux (Bourgeault et al. 2020). Au Mali, ces conditions ne semblent pas avoir été remplies en raison de difficultés administratives dans la rémunération adéquate et à temps des travailleur·euse·s. La grève tentée par le personnel reflète ces défis et le déséquilibre dans la relation de pouvoir entre les différentes catégories de personnel, qui devrait faire l’objet de recherches futures.

Équité dans l’accès aux services Covid

À la suite des recommandations de l’OMS visant à supprimer les frais d’utilisation pour les soins de santé pendant la pandémie, le traitement contre la Covid-19 a été fourni gratuitement dans les hôpitaux. Cependant, cela a été réalisé seulement après que les tests de dépistage de la Covid-19 chez les patients aient confirmé l’infection et les frais d’utilisation pour les services autres que la Covid-19 sont restés. Bien que le traitement Covid gratuit ait été accueilli favorablement par les patient·e·s, une variété de problèmes ont limité l’accès équitable aux services de santé pendant les premiers stades de la pandémie au Mali. L’une des questions abordées dans la section sur les résultats était la pratique des patient·e·s et/ou de leurs familles, offrant des « cadeaux » aux prestataires de soins dans le but de recevoir de meilleurs services. Cette pratique peut être comprise dans une société où la personne anonyme recevant des soins n’obtient pas l’attention dont elle a besoin. Elle a été bien étudié depuis longtemps dans la région (Blundo et Olivier de Sardan 2006; Tantchou 2018; Schnitzler 2014), et au Mali, en particulier (Berche 1998). Un examen attentif d’un point de vue socioculturel est nécessaire, mais cette pratique pourrait avoir une incidence sur l’accès équitable aux services de santé, car ceux et celles qui peuvent offrir de meilleurs cadeaux peuvent avoir accès à de meilleurs services.

Conclusion

La pandémie de Covid-19 a révélé plusieurs problèmes critiques liés au financement et à la gouvernance des soins de santé dans le système de santé au Mali. Ces problèmes existaient avant même que la pandémie impacte la gestion efficace des hôpitaux et crée de la confusion en première ligne des prestations des services de santé. Il est nécessaire de réfléchir aux activités hospitalières et à la gestion des ressources humaines au Mali et d’apprendre de l’expérience de la Covid-19 afin que les hôpitaux puissent mieux répondre aux futures crises sanitaires. Un examen approfondi de la gestion des finances publiques et du processus de transfert des fonds publics vers les hôpitaux est nécessaire pour comprendre comment créer un environnement favorable dans lequel les hôpitaux et le personnel hospitalier peuvent fournir des services de qualité et où les patient·e·s peuvent équitablement accéder aux services nécessaires en temps de crise.

Références

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  1. Ce chapitre est une traduction adaptée de Ridde, V., Coulibaly, A., Touré, L., Ba, M. F., Zinszer, K., Bonnet, E., & Honda, A. (2023). Financial issues in times of a COVID-19 pandemic in a tertiary hospital in Mali. The International Journal of Health Planning and Management, n/a(n/a). https://doi.org/10.1002/hpm.3690.

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Hôpitaux et santé publique face à la pandémie de Covid-19 Droit d'auteur © par Valéry Ridde, Lola Traverson, Kate Zinszer est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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