3. Les adaptations et réponses à l’épidémie de Covid-19 d’un hôpital de référence parisien

Fanny Chabrol, Lola Traverson, Renyou Hou, Lisa Chotard, Jean-Christophe Lucet, Nathan Peiffer-Smadja, Gisèle Bendjelloul, François-Xavier Lescure, Yazdan Yazdanpanah, Kate Zinszer, Valéry Ridde

Résumé

Peu d’études se sont intéressées à la gestion de la crise Covid-19 au sein de plusieurs services d’un même hôpital sur plusieurs vagues épidémiques. L’objectif de cette étude était d’analyser la réponse à la crise Covid-19 d’un hôpital de référence parisien et d’analyser ses capacités de résilience. Entre mars 2020 et juin 2021, nous avons mené des observations, des entretiens semi-directifs et organisé des ateliers pour faire émerger des leçons apprises de la gestion de la crise. L’analyse des données a été guidée par un cadre conceptuel sur la résilience des systèmes de santé et des hôpitaux.

Trois configurations ont émergé de l’analyse des données empiriques : 1) la réorganisation des services; 2) la gestion du risque de contamination; et 3) la mobilisation des ressources humaines et l’adaptation du travail. Notre étude démontre la capacité de l’hôpital et de son personnel à absorber le choc Covid-19 en mettant en place des mécanismes d’adaptation continue. Mais cette mobilisation sans précédent a principalement reposé sur les épaules des professionnel·le·s, ajoutant à leur épuisement. Il s’agirait de déterminer si ces adaptations seront durables pour évaluer les capacités de transformation de l’hôpital dans un contexte de crise des financements et de rationalisation des activités des hôpitaux publics.

Mots-clés : Covid-19, hôpital, résilience, gestion de crise, France

Introduction

Les premiers cas de SRAS-CoV-2 déclarés en France ont été admis dans un hôpital de référence parisien le 24 janvier 2020. Le 23 février 2020, le gouvernement français a activé le plan ORSAN-REB. Ce dispostif déclenche des mesures spécifiques pour faire face à des situations sanitaires exceptionnelles, telle que la pandémie de Covid-19. Parmi ces mesures, le Plan Blanc d’urgence hospitalière a été activé le 13 mars 2020 pour permettre la mobilisation exceptionnelle des hôpitaux (adaptation des activités, moyens humains et financiers exceptionnels, etc.). La pandémie de Covid-19 est survenue dans un contexte très tendu pour les hôpitaux en France. Les manifestations fréquentes des personnels hospitaliers, qui s’étaient intensifiées en novembre 2019, avaient été suivies de l’annonce par le président de la République d’un grand plan hospitalier. Les conditions de travail, et surtout le manque de moyens financiers et humains, étaient déjà critiqués. Dans ce contexte fragile, la crise de la Covid-19 a gravement affecté le système de santé français, au sein duquel l’hôpital occupe une place centrale. Elle a posé la question de la capacité du système de santé et des hôpitaux à s’adapter, à absorber, voire à se remettre de ce choc. Les hôpitaux ont été à l’épicentre de la crise et ont fait l’objet d’une grande attention de la part des médias. En tant que prestataires de soins aigus, ils étaient en première ligne de cette « guerre contre le virus » (Gaudillière, Juven et Izambert 2021).

Ces dernières années, et en particulier depuis l’épidémie d’Ebola de 2013-2014 en Afrique de l’Ouest, l’idée que les systèmes de santé doivent être résilients lorsqu’ils sont confrontés à des chocs soudains (par exemple, des épidémies) a fait l’objet d’une attention considérable (Kruk et al. 2015). Bien que la résilience continue de manquer de clarté conceptuelle (Pailliard-Turenne et al. 2019) et de puissance empirique (Biddle, Wahedi et Bozorgmehr 2020), elle s’est présentée comme un concept prometteur pour une étude hospitalière de terrain au sein d’un projet de recherche comparatif multi-pays (Ridde et al. 2021). En effet, le concept de résilience hospitalière existait avant la survenue de la Covid-19 mais il se rapportait aux questions d’infrastructure (comme la résistance des bâtiments) plus particulièrement à la préparation des hôpitaux en cas de catastrophe naturelle (Zhong et al. 2014).

Nous avons conduit une étude qualitative au sein de l’hôpital Bichat Claude-Bernard (BCB), l’un des trois hôpitaux de référence parisien pour les maladies infectieuses émergentes suspectées ou confirmées, afin d’étudier ses capacités de résilience. Nous avons défini la résilience des hôpitaux comme leur capacité, face à des chocs, des stress ou des tensions chroniques déstabilisantes, à mettre en œuvre des stratégies d’absorption, d’adaptation et/ou de transformation afin de maintenir et/ou d’améliorer l’accès aux soins de santé (Ridde et al. 2021). L’hôpital BCB est un hôpital universitaire parisien d’une capacité de 850 lits employant environ 9 000 personnes. Il appartient au plus grand réseau hospitalier public d’Europe, l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui emploie plus de 100 000 personnes dans 39 établissements de soins de santé. L’hôpital BCB a pris en charge les trois premiers cas de Covid-19 en France, diagnostiqués le 24 janvier 2020. Au plus fort de la première vague, le 4 avril 2020, les patient·e·s atteint·e·s de Covid-19 occupaient 313 lits dans neuf unités cliniques de l’hôpital, et jusqu’à 60 lits des services de réanimation médicale et réanimation chirurgicale. Près de la moitié de la capacité d’accueil de l’hôpital a été dédiée aux patient·e·s Covid à cette date.

Notre étude a ciblé les professionnel·le·s de santé et les personnels d’encadrement de tous niveaux hiérarchiques, des aides-soignant·e·s à la directrice de l’hôpital. Entre mars 2020 et juin 2021, l’équipe de recherche a mené de longues sessions d’observation (n = 44), des entretiens semi-directifs (n = 94), et a également organisé des groupes de discussion (n = 3) ainsi que des ateliers pour faire émerger des leçons apprises (n = 2). Les observations ont été principalement conduites dans le service des maladies infectieuses et tropicales (SMIT), à la chambre mortuaire et auprès de l’équipe de prévention du risque infectieux (EPRI). Les entretiens ont été conduits avec des professionnel·le·s de ces services et d’autres services médicaux (pneumologie, réanimation chirurgicale, soins de suite et de réadaptation), techniques et administratifs (cellule de crise, services logistiques, transport des patient·e·s, etc.) de l’hôpital BCB. La période d’étude a couvert les trois premières vagues de Covid-19, c’est-à-dire mars-mai 2020, septembre-novembre 2020 et mars-juin 2021.

Dans le cadre de l’étude comparative HoSPiCOVID, le présent chapitre présente l’étude de cas française. Parmi les quatre configurations analytiques récurrentes identifiées au sein des huit hôpitaux choisis dans les cinq pays sélectionnés pour l’étude (voir chapitre 1), trois configurations ont émergé des données empiriques collectées en France : 1) la réorganisation des services et des espaces; 2) la gestion des risques de contamination des professionnel·le·s et des patient·e·s; et 3) la mobilisation des ressources humaines et l’adaptation du travail. Afin de comprendre comment la pandémie de Covid-19 a affecté les routines organisationnelles de l’hôpital BCB et comment l’hôpital a organisé sa réponse pour faire face à la transmission du virus, nous nous sommes appuyés sur le cadre conceptuel de l’étude HoSPiCOVID visant à étudier la résilience des hôpitaux, et avons notamment analysé les dimensions suivantes : 1) l’occurrence d’événements ou de chocs, tels que la pandémie de Covid-19; 2) les effets de ces évènements ou chocs sur les routines organisationnelles de l’hôpital; 3) les stratégies déployées par l’hôpital ou son personnel pour y faire face; et 4) les impacts de ces stratégies, perçus comme positifs ou négatifs par le personnel hospitalier.

Ce chapitre dévoilera quelques stratégies opérationnelles déployées par l’hôpital BCB et son personnel qui, selon le personnel hospitalier interrogé, ont eu des impacts positifs et/ou négatifs.

La réorganisation des services et des espaces

En tant qu’hôpital de référence pour les maladies infectieuses émergentes (MERS, Ebola, SRAS), l’hôpital BCB était prêt à s’adapter et à répondre à l’arrivée des premiers cas de Covid-19. Pour faire face à l’afflux considérable de patient·e·s atteint·e·s d’une maladie inconnue, contenir les risques de contamination des patient·e·s et des professionnel·le·s et éviter la pénurie de lits et de matériel, des réorganisations spatiales importantes de l’hôpital ont été nécessaires.

L’hôpital a tout d’abord créé, dès février 2020, une cellule de crise chargée de mener les stratégies globales de réorganisation des services et des capacités d’accueil. La composition de cette cellule était initialement relativement ouverte pour permettre une large participation des professionnel·le·s, mais elle a ensuite été limitée à quelques décideurs clés. Dirigée par une triade de directeur·rice·s de crise – la directrice de l’hôpital, une directrice médicale de crise (spécialisée en gestion des risques et de la qualité) et un directeur médical, elle était composée des responsables des principaux services sollicités pour la gestion de la crise – maladies infectieuses, prévention et contrôle des infections, réanimation et soins intensifs, service des urgences – et des services administratifs. Ainsi, la cellule de crise a décidé de l’ouverture, de la fermeture et de la fusion des services ou de lits. Les réunions étaient d’abord quotidiennes, puis bi-hebdomadaires, et les décisions étaient prises en fonction du nombre de nouvelles et de nouveaux patient·e·s admis·e·s aux urgences pendant la nuit et des chiffres de l’incidence de la Covid-19 dans le pays. Les décisions de la cellule de crise faisaient l’objet d’un rapport quotidien adressé à l’ensemble du personnel de l’hôpital

Les professionnel·le·s se sont également organisé·e·s pour « repousser les murs » et « armer les services ». L’EPRI a coordonné les réorganisations spatiales et logistiques et l’ouverture des unités Covid. Son rôle était d’informer le personnel de ces réorganisations, de le former aux mesures de prévention des infections et de préparer les chambres des patient·e·s. Lors de la première vague de la pandémie, le service des maladies infectieuses et tropicales (SMIT) a été entièrement transformé en unité Covid (unité vidée, chambres nettoyées, installation d’un système informatisé de codage des patient·e·s, etc.). Lors de la deuxième vague, les deux étages du bâtiment du SMIT ont été séparés, le premier étage étant dédié aux patient·e·s non-Covid et le second aux patient·e·s Covid (avec des équipements spécifiques, notamment des appareils à oxygène à haut débit). La capacité de la chambre mortuaire (CM) a été augmentée tant à l’intérieur (mise en place de racks en hauteur pour augmenter la capacité d’accueil au sein de la chambre frigorifique) qu’à l’extérieur (camion frigorifique, utilisé très ponctuellement) pour faire face à l’afflux de patient·e·s décédé·e·s. Enfin, des paravents ont été installés dans plusieurs services pour séparer les sections Covid et non-Covid, et des lits de réanimation Covid ont été installés dans les salles d’opération.

Ces stratégies ont été perçues par les professionnel·le·s comme ayant des effets à la fois positifs et négatifs. Le leadership de la cellule de crise a facilité la mise en œuvre des décisions (grande efficacité, collégialité, acceptabilité). Au quotidien, l’équipe a anticipé les besoins en déprogrammant certaines activités pour augmenter les capacités en lits dédiés aux patient·e·s Covid. La séparation des zones Covid de celles non-Covid a permis un gain d’espace efficace (par exemple, 20 places dans la chambre mortuaire). Cependant, en raison du manque de personnel et d’équipement, les espaces n’ont pas pu être agrandis massivement sur le court terme. L’étanchéité des espaces et la difficile régulation des mouvements des professionnel·le·s et des patient·e·s ont constitué des défis majeurs, entraînant des contaminations croisées occasionnelles. De plus, la rapidité d’exécution des décisions prises par la cellule de crise (décisions prises dans les 24 heures) a souvent été mal vécue par les professionnel·le·s qui se sont vu·e·s imposer des changements réguliers de pratiques.

La gestion du risque d’infection pour les professionnel·le·s et les patient·e·s

En tant qu’hôpital de référence en France, l’hôpital BCB était chargé de définir des lignes directrices sur les mesures de protection contre les risques d’infection. Les incertitudes liées au virus SRAS-CoV-2 et sa transmissibilité ont conduit à des mises à jour rapides et fréquentes des directives et des protocoles, provoquant une forte anxiété chez les professionnel·le·s. L’annonce du port obligatoire de masques chirurgicaux et l’arrivée massive de volontaires à l’hôpital ont entraîné une surconsommation d’équipements de protection individuelle (EPI), les volontaires étant souvent surprotégés. Des vols de matériel et d’EPI ont également été signalés. La fatigue physique devenant un combat quotidien, une certaine lassitude s’est installée, entraînant une diminution du respect des protocoles de protection. De plus, lors de la première vague, les tests n’étaient pas largement disponibles pour les professionnel·le·s, ce qui a entraîné des diagnostics manqués et des clusters d’infection parmi le personnel dans plusieurs unités.

Pour atténuer ces effets induits par la pandémie, l’hôpital BCB a appliqué des protocoles de protection pour limiter les risques de contamination, tel que le port universel obligatoire de masques chirurgicaux (dès le 4 mars 2020, quelques jours avant l’adoption de la directive nationale). Ces protocoles ont été continuellement mis à jour en fonction des connaissances virologiques et cliniques les plus récentes. L’EPRI a joué un rôle pivot dans la gestion des risques de contamination en 1) expliquant les nouvelles mesures de prévention et de protection aux professionnel·le·s; 2) gérant les stocks/quotas d’EPI (phases spécifiques de distribution des EPI); et 3) menant des enquêtes systématiques par grappes pour identifier les raisons et les sources d’infection des professionnel·le·s afin de mettre en œuvre des stratégies appropriées de réduction des risques. À la fin de la première vague, un centre de dépistage a également été ouvert pour tous les professionnel·le·s et les patient·e·s ambulatoires. D’autres stratégies, telles que l’interdiction ou la limitation des visites familiales (une règle plus ou moins stricte selon les périodes) ainsi que la création de circuits spécifiques pour les patient·e·s Covid, ont été mises en place.

Ces stratégies ont permis, selon les professionnel·le·s interrogé·e·s, un accès facilité au dépistage et une meilleure utilisation et gestion du matériel dans un contexte de ressources limitées. Cependant, les changements fréquents des mesures de contrôle des infections (par exemple, la préconisation d’utiliser des masques chirurgicaux plutôt que des masques N95 et de porter des tabliers plutôt que les surblouses traditionnelles, plus couvrantes) ont semé la confusion parmi le personnel de l’hôpital et ont créé une anxiété et une atmosphère de méfiance à l’égard de l’EPRI et de l’administration de l’hôpital pendant la première vague. Plusieurs départements ont contourné l’interdiction des visites familiales car elle présentait un dilemme éthique complexe. La communication était descendante et a entraîné un décalage entre la prise de décision et l’exécution et les pratiques du personnel. Le sentiment des professionnel·le·s d’être insuffisamment informé·e·s et équipé·e·s, et de pratiquer des soins dans des conditions sous-optimales, s’est cristallisé en véritable ressentiment.

La mobilisation des ressources humaines et l’adaptation du travail

En fonction des pics de contaminations et des vagues Covid, l’afflux de patient·e·s a été plus ou moins intense et a entraîné une charge de travail variable pour le personnel hospitalier. Les périodes les plus intenses ont engendré une pénurie de personnel et un stress accru pour les professionnel·le·s.

Pour faire face à ces effets induits par la pandémie, l’hôpital a redéployé le personnel d’unités non-Covid vers les unités Covid et a recruté du personnel en fonction des besoins. Les horaires de travail ont été réorganisés. Par exemple, il a été décidé qu’une infirmière était nécessaire pour six patient·e·s Covid (plus tard étendu à huit) au lieu d’une pour 10 ou une pour 12 habituellement. Pour autant, le ressenti de la charge de travail, lié aux spécificités des patient·e·s Covid a augmenté pour les professionnel·le·s impliqué·e·s dans la gestion de la pandémie (augmentation des heures supplémentaires et des gardes). En avril 2020, les congés maladie des professionnel·le·s ont été ramenés de 14 à 7 jours, conformément aux nouvelles directives nationales. Enfin, des mécanismes de soutien psychologique (par exemple, visites systématiques des services Covid par des psychologues, ligne d’assistance téléphonique) ont été activés pour le personnel.

Au niveau individuel, les professionnel·le·s ont impulsé des dynamiques spontanées d’auto-organisation, principalement au cours de la première vague. Ils·elles ont consacré plus de temps à l’accompagnement des patient·e·s et des familles en fin de vie, ainsi qu’à des discussions collectives sur l’éthique (par exemple, les bénéfices et/ou les risques de la réanimation).

Selon les professionnel·le·s interrogé·e·s, les pénuries de personnel ont été partiellement atténuées par ces stratégies de recrutement et de redéploiement. Ces dernières ne se sont pas avérées si avantageuses, compte tenu du manque de compétences et du besoin de formation des professionnel·le·s nouvellement arrivé·e·s. Cette situation a parfois entraîné une surcharge de travail pour le personnel plus expérimenté, qui s’est interrogé sur l’utilité de ces renforts. Les cadres infirm·ier·ière·s notamment du SMIT et du service de réanimation médicale ont joué un rôle clé en informant et en mobilisant le personnel et en étant responsables de la sécurité et du bien-être des professionnel·le·s. Le manque de personnel a été ressenti plus intensément lors des deuxième et troisième vagues car, à ce moment-là, toutes les régions de France étaient touchées par la Covid et aucun renfort n’était possible, ce qui a contribué à l’épuisement des professionnel·le·s (fatigue physique, stress, burnout). Enfin, compte tenu des efforts intenses nécessaires à la prise en charge des patient·e·s Covid, de nombreuses hospitalisations médicales et chirurgicales programmées ont dû être annulées, à l’exception des urgences et de la chirurgie cancérologique, ce qui, de l’avis des professionnel·le·s, a inévitablement eu des répercussions négatives sur la santé des personnes concernées et leur accès aux soins.

Une expérience mémorable qui ne résout pas une crise plus profonde

Les professionnel·le·s ont perçu la première vague comme une « expérience mémorable », soulignant le ralliement extraordinaire des équipes au sein des différents services. La crise a renforcé la solidarité et la proximité professionnelles (par exemple, l’empathie, les expériences riches et formatrices). Ces nouvelles coopérations au sein des professions médicales et paramédicales a conduit à un relatif effacement de la hiérarchie professionnelle, avec une plus grande attention portée à la collaboration et à la prise de décision partagée. Plusieurs études ont en effet mis l’accent sur la mobilisation exceptionnelle des professionnel·le·s et le leadership hospitalier dans ce contexte de crise épidémique (Lot et De La Garza 2022; Harkouk et al. 2022). Le leadership déployé à l’hôpital BCB a fait primer les valeurs professionnelles plutôt que l’intérêt personnel (Forster, Patlas et Lexa 2020). Travailler ensemble dans un environnement favorable a galvanisé la collaboration et l’engagement du personnel (Harkouk et al. 2022). Mais, dans le même temps, les professionnel·le·s ont exprimé leur incertitude quant à leur capacité à maintenir leur engagement à l’avenir en raison de l’épuisement ressenti (Santos et al. 2021).

La communication a été l’un des plus grands défis soulignés par les professionnel·le·s au cours de la gestion de la crise (Harkouk et al. 2022). La cellule de crise a éprouvé des difficultés à communiquer efficacement ses décisions et à travailler en étroite collaboration avec l’encadrement intermédiaire c’est-à-dire les cadres infirm·ier·ière·s ou cadres de santé. Les informations étaient souvent communiquées de manière descendante – depuis la direction de l’hôpital et la cellule de crise vers les exécutant·e·s, avec peu d’apport de la part de la majorité du personnel hospitalier. Les professionnel·le·s souhaitaient davantage de discussions collectives, et l’on a observé une tension entre une forte demande d’informations actualisées et un manque général de temps pour les discussions. De même, l’hôpital et la cellule de crise ont eu du mal à trouver un moyen efficace de réguler le flux d’informations provenant de sources multiples, et les professionnel·le·s ont été submergé·e·s par les courriels. Les informations ont souvent dû être relayées par d’autres canaux de communication informels par le personnel lui-même (bulletins d’information, groupes WhatsApp, etc.).

Les stratégies de réorganisation motivées par l’urgence ont exercé une pression extrême sur les professionnel·le·s de santé. Les décisions d’ouverture ou de fermeture de services ont été vécues à la fois comme un défi et comme un préjudice pour les activités normales de l’hôpital qui étaient également importantes, ce qui a entraîné des pertes d’opportunités ou une diminution de la qualité des soins pour les patient·e·s non-Covid (Edge et al. 2021). Les protocoles de soins ont été perçus comme changeant trop souvent, que ce soit en raison de la pénurie d’EPI ou de l’évolution des recommandations nationales. Lorsque les règles semblaient trop rigides et inhumaines (par exemple, l’interdiction des visites familiales), elles étaient parfois contournées, comme l’a montré une autre étude parisienne où des contournements des directives centrales ont également été documentées (Harkouk et al. 2022).

La résilience organisationnelle émerge des capacités d’anticipation et d’adaptation (Lot et De La Garza 2022). Pour autant, ces capacités d’adaptation mettent en évidence un trop grand recours accordé à la résilience individuelle. La capacité d’adaptation sans précédent du personnel (des cadres supérieur·e·s aux infirmier·ière·s et au personnel technique) a favorisé l’auto-organisation dans une organisation bureaucratique et a permis d’atténuer (temporairement) les effets de la fatigue au travail et de « mieux se battre ». Mais elle a aussi engendré des souffrances psychologiques, accentuées par le manque chronique de personnel paramédical dans les hôpitaux publics, identifié depuis longtemps comme le principal obstacle à une plus grande adaptabilité. L’hôpital a pu absorber le choc (c’est-à-dire la prise en charge d’un grand nombre de patient·e·s) en s’appuyant sur la disponibilité et l’implication de son personnel. La résilience de l’hôpital a ainsi reposé en grande partie sur les individus, le personnel hospitalier, impactant fortement leur santé physique et mentale (Labrague 2021; Jeffs et al. 2021). La fatigue professionnelle immense appelle des réformes structurelles sur le plus long terme (Chabrol et al. 2023; Lot et De La Garza 2022).

Les professionnel·le·s ont eu le sentiment de travailler dans un environnement humain et matériel très contraint et ont exprimé des sentiments de résignation, de devoir accepter l’inacceptable (dès la première vague), alors que les pénuries de personnel et de matériel préexistantes ne faisaient que s’aggraver. En même temps, cette (non)-stratégie révèle la « logique de censure des émotions à l’hôpital face à la maladie, à la mort et à la souffrance » (Carpot et Vega 2001). Ce « consentement au sur-travail » a bien été décrit dans le contexte français (Gelly et Spire 2021).

Malgré une phase de soutien total du gouvernement et de la société (héroïsation), parfois irréaliste et exprimée par des cadeaux commerciaux opulents (Chabrol et Chotard 2023), les professionnel·le·s se sont souvent senti·e·s peu écouté·e·s par rapport à des revendications de longue date concernant leurs conditions de travail, leur rémunération, etc. (Chemali et al. 2022). Les valeurs éthiques et professionnelles de la prestation de soins ont été sérieusement érodées, ceci contribuant au découragement de certain·e·s professionnel·le·s et à des démissions.

Conclusion

Nous avons rendu compte des réponses organisationnelles d’un hôpital de référence parisien confronté à plusieurs vagues de Covid-19. L’hôpital BCB et son personnel ont fait preuve d’une mobilisation importante leur permettant d’affronter le choc de l’épidémie de Covid-19 en mettant en place des stratégies pour constamment s’adapter à l’évolution de l’épidémie.

À Paris et en France, la pandémie est survenue dans un contexte de contestation collective, qui avait atteint son paroxysme en novembre 2019 et avait engagé le président de la République à annoncer un plan d’urgence pour l’hôpital public. Après la première vague de l’épidémie de Covid-19, un « Ségur de la santé » a débouché en mai 2020 sur des annonces de revalorisation des salaires et d’emploi. Ces mesures n’ont pas permis de ralentir les vagues de démissions des professionnel·le·s, la dénonciation des pénuries humaines et matérielles chroniques et le manque d’attention politique et gouvernementale à l’égard de ces pénuries. Malgré l’importance des efforts fournis par les professionnel·le·s d’un hôpital public, comme l’hôpital BCB, la durabilité de ces stratégies et adaptations est devenue une question politique de premier plan que le gouvernement actuel ne semble pas avoir saisi à sa mesure.

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Hôpitaux et santé publique face à la pandémie de Covid-19 Droit d'auteur © par Valéry Ridde, Lola Traverson, Kate Zinszer est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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