21. Les connaissances de la Covid-19 et l’impact sur l’accès des indigent·e·s aux soins de santé au Burkina Faso
Emmanuel Bonnet, Yvonne Beaugé, Mouhamadou Faly Ba, Souleymane Sidibé, Manuela De Allegri, Valéry Ridde
Résumé
Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, les mesures préventives se heurtaient à certaines difficultés telles que celles de rejoindre les communautés socialement et géographiquement marginalisées, souvent exclues de l’information sur les mesures préventives. Ce chapitre cherche à évaluer la connaissance de la Covid-19 et des mesures préventives des personnes indigentes au Burkina Faso et à décrire l’évolution de leurs parcours de soins pendant la pandémie de Covid-19. L’étude a été menée dans le district sanitaire de Diebougou, dans la région du sud-ouest du Burkina Faso. La moitié des personnes indigentes ont déclaré avoir entendu parler de la Covid-19 mais seulement 29% d’entre elles connaissaient les symptômes de la maladie. La majorité d’entre elles ont affirmé qu’elles se protégeaient du virus en appliquant des mesures préventives. La moitié des personnes étaient d’accord avec les mesures gouvernementales, à l’exception de la fermeture des marchés. On constate une augmentation de plus de 11% du non-recours aux soins des personnes indigentes. Cette recherche indique que la Covid-19 est partiellement connue et que les mesures de prévention ne sont pas universellement comprises.[1]
Mots-clés : connaissances de la Covid-19, indigents, accès aux soins, pays à faible et moyens revenus
Contexte
La maladie associée au coronavirus 2019 (Covid-19) constitue une urgence sanitaire mondiale d’une ampleur sans précédent (Cucinotta et Vanelli 2020). Des mesures exceptionnelles ont été prises dans différents pays pour tenter de lutter contre le virus (Harapan et al. 2020). Toutefois, les mesures préventives se sont heurtées à certaines difficultés dans les pays à revenu faible et intermédiaire (Anwar et al. 2020). Les communautés socialement et géographiquement marginalisées sont souvent exclues de l’information sur les mesures préventives (Köhler et Bhorat 2020), ce qui accentue leur vulnérabilité.
Un grand nombre d’études sur la connaissance des populations et l’acceptation des mesures Covid-19 ont été publiées dans le monde entier (Reuben et al. 2021). Pourtant, peu d’études portent sur les populations vulnérables et défavorisées (Aragona et al. 2020), en Afrique en particulier. Dans une revue récente sur les attitudes, les connaissances et les pratiques relatives à la Covid-19 en Afrique subsaharienne, on ne trouve aucune publication concernant ces populations (Nwagbara et al. 2021). L’état des connaissances est donc fragmentaire et centré sur une vision globale de la population, sans tenir suffisamment compte des sous-groupes des populations ainsi que des inégalités sociales en matière de santé (Marmot et Allen 2020). En outre, la question de ces inégalités et des besoins des plus pauvres est aussi souvent oubliée par les personnes qui formulent des interventions en réponse aux épidémies, comme le démontrent certains chapitres de ce livre.
Ces populations, et en particulier les plus pauvres, à savoir les indigent·e·s, sont souvent exclues des systèmes de santé en raison du coût des soins, d’une connaissance insuffisante de leurs droits ou parce qu’elles sont incapables d’accéder aux soins (Ridde 2015; Louart, Bonnet et Ridde 2021). Ces populations sont susceptibles de vivre loin des services de soins et on sait peu de choses sur leurs pratiques de soins, en particulier en temps de crise. En effet, de nombreuses études ont été menées en Afrique, y compris au Burkina Faso, sur les connaissances et les perceptions concernant la Covid-19 ainsi que le recours aux soins (Nwagbara et al. 2021; Assefa et al. 2021; Gaythorpe et al. 2021), mais peu d’études se sont concentrées sur les perceptions des populations plus pauvres. Les défis méthodologiques et éthiques pour obtenir des données sur cette population marginalisée sont considérables, mais nous avons bénéficié de notre travail avec ces populations depuis plusieurs années (Ouédraogo et al. 2017; Pigeon-Gagné et al. 2017) pour mieux comprendre leur situation et leurs perceptions dans ce contexte pandémique.
Au début de la pandémie, de nombreux États africains ont mis en place des mesures pour enrayer la propagation du SRAS-CoV-2, souvent avant que le premier cas ne soit détecté (Bonnet et al. 2020). Au Burkina Faso, ces mesures graduelles ont débuté le 3 mars 2020 avec l’interdiction d’organiser des événements à l’échelle nationale, la fermeture des établissements d’enseignement (14 mars), la suspension des prières dans les lieux de culte et l’introduction d’un couvre-feu, la fermeture des frontières (20 mars), celle des marchés (24 mars) et la restriction des déplacements entre régions (26 mars). En plus de ces mesures, des campagnes de communication nationales ont été menées dans chaque région pour donner des informations sur la maladie du coronavirus et sur les moyens de prévenir la propagation du virus.
Cette étude a un double objectif, i) évaluer la connaissance de la Covid-19 et des mesures préventives qui lui sont associées chez les indigents des villages et de la ville de Diébougou dans le district sanitaire de Diébougou au Burkina Faso. L’objectif est également de comprendre s’il existe des déterminants de cette connaissance, si leur profil socio-économique, la proximité des centres de santé, l’état de santé ont un impact sur leur connaissance et ii) de décrire comment leurs parcours de soins ont évolué de 2019 à 2020 lors de la pandémie de Covid-19.
Cette étude n’a porté que sur un district de soins de santé, car elle est intégrée dans un projet de recherche plus large sur la gratuité des soins de santé pour les indigent·e·s dans cette région (Beaugé, De Allegri et al. 2020). Cependant, notre connaissance approfondie des populations de ce district nous permet d’envisager que les résultats suivants nous en apprendront beaucoup sur l’impact d’une telle pandémie sur ces populations marginalisées en général.
Méthodes
Zone d’étude et population
L’étude a été menée dans le district sanitaire de Diébougou, dans la région sud-ouest du Burkina Faso. Le district compte 151 villages, une ville (Diébougou), et une population de 139 824 personnes, dont plus de 40% vivent sous le seuil de pauvreté. Diébougou compte 24 établissements de santé publique (4 dispensaires, 19 établissements de soins primaires (CSPS : centres de santé et de promotion sociale) et un hôpital de district.
En 2009, le gouvernement burkinabè a publié un décret accordant gratuitement des soins de santé aux indigent·e·s. Son application a été limitée car la vérification de l’admissibilité des populations indigentes s’est révélée difficile. En 2014, un processus de ciblage communautaire a sélectionné 6 034 personnes indigentes dans le district (Ouédraogo et al. 2017; Pigeon-Gagné et al. 2017). Ces indigent·e·s ont ensuite reçu une carte leur accordant des exonérations de frais d’utilisation pour leurs soins de santé dans le cadre et la durée du FBR (Financement Basé sur les résultats) qui a été mis en œuvre dans huit districts de santé du Burkina Faso (carte identifiant officiellement la personne comme indigente et accordant l’accès à des services de santé gratuits dans le cadre d’un régime antérieur au PBF). Un échantillonnage aléatoire parmi les pauvres, décrit ailleurs (Beaugé, De Allegri et al. 2020), a permis de constituer la population pour plusieurs projets de recherche (Ouédraogo et al. 2017; Pigeon-Gagné et al. 2017) ainsi que celui de la présente étude entamée en 2020 (n = 423).
Les données et leurs sources
Pour répondre au premier objectif de l’étude, nous nous sommes appuyés sur une enquête transversale et avons utilisé les données d’une enquête par panel menée auprès d’un échantillon de personnes indigent·e·s suivies depuis 2015 (Ouédraogo et al. 2017). Les données ont été collectées en août 2020 et comprenaient un total de 259 personnes ultra-pauvres. Entre 2015 et 2020, le nombre de personnes surveillées a diminué (mortes ou perdues de vue), ce qui explique la variation de la population dans l’échantillon.
Pour le second objectif de l’étude, nous nous sommes appuyés sur une conception avant-après et nous avons utilisé les données des enquêtes susmentionnées auprès des ultra-pauvres. Les données de la dernière enquête ont été recueillies en juin 2019 et ont atteint un total de 292 répondants. La différence de taille de l’échantillon entre les deux cycles d’enquête s’explique par les difficultés à surveiller les populations indigentes au fil du temps.
Les deux sondages ont été menés sous la supervision d’un coordonnateur et par cinq enquêteur·rice·s possédant des compétences linguistiques locales. Les données ont été collectées numériquement à l’aide de tablettes. L’enquête comprenait des questions sur : l’identification des indigent·e·s, y compris la géolocalisation du village; le profil sociodémographique et économique; la carte d’exemption et l’utilisation des services de santé; le signalement des maladies et les besoins perçus en matière de soins; les capacités fonctionnelles et le réseau de soutien; et une section Covid-19 sur la connaissance de la maladie (ex : mesures pour se protéger du virus) et des mesures gouvernementales.
Les variables et leur mesure
Le résultat du premier objectif a été une analyse descriptive de la connaissance de la Covid-19 chez les populations indigentes avec les variables du sexe, de l’âge, du quintile de bien-être économique, du niveau d’éducation, de l’état matrimonial, du bon état de santé et de la maladie chronique. En ce qui concerne la variable relative à la Covid-19, les symptômes de la maladie (toux, nez qui coule, fièvre, fatigue), les mesures de protection (lavage des mains, port du masque, ne pas quitter la maison, éviter les grands rassemblements), les mesures gouvernementales (fermeture des marchés et lieux de culte, couvre-feu, restriction des déplacements entre régions), ainsi que le sentiment d’anxiété lié au virus. Des variables sur l’efficacité de chaque mesure ont également été avancées.
En ce qui concerne l’analyse des déterminants de la connaissance, la variable dépendante était la connaissance de la Covid-19, mesurée par la réponse oui ou non à la question « Avez-vous entendu parler de la nouvelle maladie à coronavirus (épidémie) appelée Covid-19? ». Les variables indépendantes étaient celles mentionnées ci-dessus.
La variable de distance par rapport au centre de santé a été calculée dans un SIG (Système d’Information Géographique) en mesurant la distance euclidienne entre le lieu de vie de la personne interrogée et le centre de santé le plus proche.
Les résultats pour le second objectif étaient la déclaration de maladies, l’évaluation de la recherche de soins de santé et les dépenses directes des ménages pour ceux qui ont utilisé les services de santé.
Les deux objectifs partagent les variables communes suivantes : l’âge qui est une variable continue; le sexe (masculin/féminin) et la maladie chronique (oui/non) sont des variables dichotomiques. L’état matrimonial est une variable catégorique comprenant cinq modalités (simple, dans une union monogame, dans une union polygame, veuf·ve, divorcé·e). La variable source a été convertie en variable dichotomique (une personne mariée et les autres modalités). La santé autodéclarée est une variable catégorique (bonne, moyenne, pauvre). La variable a été convertie en variable dichotomique (bonne/autres modalités). Le quintile de bien-être économique a été obtenu à l’aide de l’Analyse Composante Principale (PCA) sur la propriété des actifs durables et des caractéristiques du logement. Cette approche a permis de classer les personnes indigentes des « plus pauvres (1) aux moins pauvres (5) », afin de saisir les différences socio-économiques existant au sein de l’indigence.
Analyse statistique
Nous avons d’abord décrit les variables continues par l’écart-type moyen ± et les variables catégoriques par leurs fréquences pour les deux échantillons 2019 (n = 292) et 2020 (n = 259).
Pour poursuivre le premier objectif, nous avons utilisé l’échantillon 2020 et avons appliqué un test chi-carré (Chi2) pour comparer deux variables catégoriques et le test t de student, une variable catégorique et une variable continue. Enfin, nous avons utilisé la régression logistique multivariée pour déterminer les facteurs associés à la connaissance de la Covid-19 par les répondant·e·s. La signification a été considérée à une valeur p = 0,05.
Pour poursuivre l’objectif deux, nous avons effectué une analyse comparative pour évaluer comment les parcours de soins de santé des ultra-pauvres ont changé pendant la Covid-19 de 2019 à 2020. Pour ce faire, nous avons utilisé les deux échantillons (2019 et 2020) et apparié les observations (n = 220) au niveau individuel sur la base d’un identifiant unique pour recevoir un panneau équilibré. Les caractéristiques de chaque échantillon d’étude ont été évaluées séparément aux niveaux de référence (2019) et de fin (2020). Le Chi2 et le test t de student ont été utilisés pour déterminer si les échantillons de base et de suivi avaient les mêmes distributions statistiques en appliquant le même niveau de signification que celui décrit ci-dessus.
Les données de géolocalisation des personnes indigentes ont été incorporées dans un système d’information géographique. L’analyse spatiale a permis de calculer la distance séparant chaque personne du centre de soins de santé le plus proche. Nous avons cherché à déterminer si la proximité d’un centre de soins de santé, conçu pour diffuser des informations sur la prévention de la santé, pouvait expliquer une meilleure connaissance de la Covid-19.
Résultats
Caractéristiques de la population étudiée
Le tableau 1 fournit des statistiques descriptives, des fréquences et des pourcentages pour les échantillons d’étude de 2019 (n = 292) et 2020 (n = 259) utilisés pour atteindre les deux objectifs susmentionnés. L’âge moyen était de 58,4 ans en 2019 (56,9 ans en 2020). La proportion de femmes indigentes était de 66,1% en 2019 (68,0% en 2020). La proportion de personnes indigentes instruites était de 9,9% en 2019 (6,9% en 2020). Environ 48% étaient marié·e·s. Dans l’échantillon de 2019, 27,7% ont déclaré avoir une maladie chronique (29,3% en 2020).
Caractéristiques liées à la Covid-19
En ce qui concerne la connaissance de la Covid-19 et des mesures préventives associées des indigent·e·s dans le district sanitaire de Diébougou (objectif 1), l’analyse a montré qu’au total, 56% (n = 145) des personnes répondantes ont déclaré avoir entendu parler de la Covid-19 (Tableau 2). Mais 61% (n = 89) ont déclaré qu’elles ne connaissaient pas les symptômes de la maladie, à l’exception de la toux (32%). La distance par rapport au centre de santé le plus proche n’a pas eu d’incidence significative sur la connaissance de la Covid-19 (Figure 1).
Parmi les personnes indigentes, 55% ont affirmé qu’elles se protégeaient contre le virus. Parmi celles-ci, 65% ont déclaré qu’elles avaient évité de quitter la maison, mais moins de 30% ont déclaré qu’elles se lavaient les mains plus souvent (29%), portaient un masque (24%) ou évitaient les rassemblements (17%).
Seules 35% étaient au courant des mesures anti-pandémiques mises en œuvre par le gouvernement. Parmi ces mesures, la fermeture des marchés était la plus connue (98%), puis le couvre-feu (71%), les restrictions de déplacement (67%) et la fermeture des lieux de culte (64%).
Seulement 56% (n = 145) des personnes indigentes ont parlé de l’efficacité des mesures gouvernementales pour lutter contre la pandémie. Parmi elles, 77% (n = 76) étaient d’accord et fortement d’accord avec la mise en œuvre d’un couvre-feu, 84% ont reconnu l’efficacité de l’interdiction de voyager entre les régions et 72% ont estimé que la fermeture des lieux de culte était une mesure efficace. À l’inverse, seulement 60% ont estimé que la fermeture des marchés était efficace (Tableau 2).
La connaissance de la Covid-19 chez les hommes était de 66,3% alors qu’elle était de 51,1% chez les femmes (valeur p = 0,031) (Tableau 3). Il n’y avait pas de différence de connaissance selon le niveau de pauvreté. Presque toutes les personnes instruites avaient connaissance de la Covid-19 (94%) alors qu’une personne indigente sur deux non-instruite (53% — valeur p = 0,002) était au courant de la maladie. Avoir reçu une carte d’exemption de frais d’utilisation pour les soins de santé n’a pas eu d’impact sur la connaissance de la Covid-19. Au contraire, 77% des personnes qui n’avaient pas reçu de carte connaissaient la Covid-19 contre 53% (valeur p = 0,027). Les personnes qui ont déclaré qu’elles étaient en bonne santé (46%) connaissaient moins la Covid-19 que celles ayant déclaré ne pas jouir d’une bonne santé (60%) (valeur p = 0,044).
Les personnes indigentes instruites avaient beaucoup plus de chances de connaître la Covid-19 que les non-scolarisées (AOR = 13,60 [IC95 %: 2,43-258,00]) en particulier les hommes (AOR = 2,15 [IC95 %: 1.12-4.21]). Les personnes indigentes en bonne santé avaient moins de chances de connaître la Covid-19 (AOR = 0,44 [IC95 %: 0,23-0,83]) (Tableau 4).
Vers l’accès aux soins
En ce qui concerne la façon dont les parcours de soins ont changé de 2019 à 2020 (objectif 2), nous constatons que la seule variable qui a changé statistiquement de façon significative était la déclaration de maladies (Tableau 5). Les cas de maladie signalés par les ultra-pauvres ont diminué de 16,82% (p < 0,001). Pour les autres variables d’intérêt (conditionnel à la déclaration de maladie) telles que l’état de santé déclaré, le statut socio-économique et l’utilisation de services de santé informels ou formels, les résultats ne sont pas concluants, car ils montrent un tableau mitigé et seulement des résultats statistiquement non-significatifs, ce qui pourrait également être dû à la petite taille de l’échantillon. Nous ne pouvons présenter que des pourcentages de tendance pour ces variables. De 2019 à 2020, le pourcentage de personnes ayant déclaré être en bonne santé a diminué de 3,60% (p = 0,42), le recours aux services de santé informels conditionnés par la déclaration de la maladie (par exemple les guérisseurs traditionnels) a diminué de 3,17% (p = 0,56) et le montant total des dépenses de fonctionnement pour les personnes ayant eu recours à un service quelconque a également diminué de 1149,53 FCFA (p = 0,89). Par ailleurs, une tendance positive n’a été observée que dans l’utilisation des services de santé formels. Conditionnellement au fait d’être malade, l’utilisation des services de santé formels a augmenté de 2,36% (p = 0,40).
Discussion
Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, cette analyse générale confirme que les personnes indigentes sont isolées, éloignées des sources d’information et ont réduit leur recours aux services de santé. L’étude montre, en effet, qu’un grand nombre d’indigent·e·s ont eu accès à des informations partielles sur la Covid-19 alors que des études nationales au Burkina Faso montrent que 88% et 93% des populations ont déclaré être au courant de la maladie (Ouedraogo et al. 2020; Pare et al. 2020; Jacky Mathonnat et al. 2021). Une étude menée en Éthiopie, au Nigéria, au Cameroun, en Ouganda, au Rwanda, au Ghana, en République démocratique du Congo, au Soudan et en Sierra Leone confirme que les populations, pour la plupart, avaient un comportement déclaratif adéquat de protection contre la Covid-19 (Nwagbara et al. 2021). Dans le centre nord du Nigéria, une étude rapporte une très bonne connaissance de la Covid-19 (99,5%) qui aurait été acquise principalement par Internet, les médias sociaux et la télévision (Reuben et al. 2021) dont nous savons qu’ils ne sont pas des outils utilisés par les personnes indigentes. De plus, en ce qui concerne la zone d’étude de Diébougou, peu d’actions préventives ciblées ont été maintenues après la première vague de l’épidémie. Par conséquent, la connaissance des populations vulnérables et isolées pourrait difficilement être améliorée si ce n’est par un accès régulier aux campagnes radio et au porte-à-porte, par opposition aux moyens utilisés pour d’autres populations.
Cette analyse générale cache toutefois des situations spécifiques, même au sein de ce sous-groupe vulnérable de la population (Kadio, Ridde et Mallé Samb 2014). En effet, il existe des différences marquées entre les personnes indigentes, car celles qui sont plus instruites ou bénéficient d’une meilleure santé ont plus de possibilités d’être informées de la maladie et de ses risques. Il y a donc des inégalités, même parmi les plus vulnérables. La distance par rapport aux centres de santé ne semble pas avoir d’impact sur ces inégalités, sans doute parce que les personnes indigentes dans leur ensemble n’utilisent que rarement les centres de santé, même lorsqu’elles bénéficient de soins gratuits (Kadio, Louart, Dabiré, Kafando, Somé et Ridde 2020; Beaugé, Ridde et al. 2020). En outre, l’absence de données sur la pandémie dans les zones rurales ne permet pas de comprendre si la pandémie a eu plus d’effet sur les populations les plus pauvres et les plus isolées des zones rurales. Si le virus circulait sur l’ensemble des territoires, les installations de dépistage et d’identification ne permettaient pas de connaître le nombre de personnes qui ont été infectées (Bonnet et al. 2020). Les centres de test ne sont situés que dans les capitales du district et sont inaccessibles à la plupart des populations et surtout aux plus marginales.
Les personnes indigentes de Diébougou semblent davantage accepter l’adoption de mesures gouvernementales de lutte contre la pandémie que la population générale du Burkina Faso. Près de 88% de la population générale ne faisait pas confiance au gouvernement pour gérer la pandémie (Jacky Mathonnat et al. 2021). Ailleurs en Afrique de l’Ouest, 35,6% des répondant·e·s accordaient une confiance totale aux responsables de la santé pour gérer la pandémie, et 34,6% avaient une confiance modérée en eux (Yapi et al. 2021). Au Sénégal, l’acceptabilité des mesures gouvernementales était plus élevée mais hétérogène selon la personne concernée (Ridde et al. 2020). En effet, les populations considèrent que le couvre-feu est plus important (85,7%) que la fermeture de lieux de culte (55,4%).
Les plus de 60 ans font davantage confiance au gouvernement pour lutter contre la pandémie que les moins de 25 ans (7,72 contre 7,07). Par ailleurs, 86% des sénégalais·e·s sont très ou assez confiant·e·s dans la capacité du gouvernement à prendre soin de ses citoyen·ne·s, sans différence entre les sexes ni entre les régions (Le Nestour, Mbaye et Moscoviz 2020).
En ce qui concerne l’accès aux soins, les questions financières restent centrales pour les personnes indigentes, comme cela a toujours été le cas en Afrique de l’Ouest et au Burkina Faso. En plus du fait que le programme de la Banque mondiale, qui a fourni un accès gratuit aux soins des personnes indigentes a été interrompu sans prévoir ce qui allait venir pour les populations vulnérables, l’arrivée de la pandémie a exacerbé les défis liés au recours aux soins de santé pour des raisons financières (Beaugé, Ridde et al. 2020; Mwase et al. 2020). Les questions d’inégalité d’accès ont donc été accentuées par la pandémie puisqu’en plus du coût des soins de santé s’ajoutent les dépenses que les personnes indigentes ont du mal à couvrir, pour pouvoir suivre des mesures préventives (achat de masque par exemple). Ce phénomène a également été observé ailleurs, en Côte d’Ivoire notamment où près de 70% des personnes ont déclaré que leurs dépenses quotidiennes avaient augmenté en raison de mesures préventives (Yapi et al. 2021). Ce même phénomène a également été observé dans 17 établissements de santé de Niamey au Niger, où la pandémie de Covid-19 a eu des effets négatifs sur la fourniture de services aux groupes les plus vulnérables, tels que les femmes et les enfants (Baissa et al. 2021). De même, au Nigéria et en Éthiopie, où 21,8% et 19,3% des membres de la communauté ont déclaré qu’ils avaient des difficultés à accéder aux services de santé infantile, aux services de santé maternelle et à d’autres services de santé, respectivement (Assefa et al. 2021). Une autre observation concerne une instabilité économique liée à la Covid-19 dans le contexte de l’accès à une protection contraceptive accrue au Burkina Faso. En revanche, cette instabilité n’a pas été observée au Kenya. En effet, 14,4% des personnes n’utilisant pas de contraceptifs au Kenya et 3,8% au Burkina Faso ont identifié les raisons de ne pas les utiliser comme étant liées à la Covid-19 (Karp et al. 2021). L’impact de la Covid-19 sur les personnes les plus vulnérables a donc été plus important puisque, en plus des obstacles connus à l’accès aux soins, l’obstacle financier a certainement été considérablement accentué au cours de la période pandémique (Ridde et al, Mali et enjeux financiers).
Conclusion
Si les statistiques nationales ne permettent pas d’évaluer l’impact de la pandémie dans les environnements ruraux du Burkina Faso, et en particulier sur les personnes les plus vulnérables et marginalisées, cette recherche nous permet d’affirmer que la Covid-19 est peu connue et que les mesures de prévention n’ont pas été acquises par tou·te·s. Cela souligne une forme d’inégalité sociale généralement reconnue en matière de soins de santé concernant cette population que la pandémie a remis en lumière. L’étude contribue à réduire la fragmentation des connaissances, en particulier sur les populations vulnérables et marginalisées. Ces résultats devraient être utiles pour concevoir de futures interventions de lutte contre les épidémies ne laissant personne de côté.
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- Ce chapitre est une version française d’un article publié : Bonnet, E., Beaugé, Y., Ba, M.F. et al. Correction: Knowledge of Covid-19 and the impact on indigents’ access to healthcare in Burkina Faso. Int J Equity Health 22, 10 (2023). ↵