20. Du devoir d’informer au besoin de sensibiliser. La perplexité de la presse malienne en période de Covid-19
Fabrice Escot
Résumé
La presse malienne a accordé une place limitée à la question des structures de prise en charge des patient·e·s en période de pandémie de Covid-19, bien qu’elle n’ait pas subi de censure ou été particulièrement affectée par les mesures de prévention.
Les journalistes ont rencontré des difficultés d’accès aux sources sur la question hospitalière. Les troubles politiques ont perturbé les circuits d’information des institutions, laissant les journalistes dans un flou qu’ils n’avaient pas la capacité d’éclaircir. Pour autant, le contexte politique à lui seul ne peut expliquer la faible couverture du sujet et son caractère parfois anecdotique. L’État malien a voulu adopter une posture pragmatique face à la pandémie, avec une transparence sur la réalité épidémiologique et des mesures adaptées. Mais dans les faits, la communication à destination de la population et de la presse a été lacunaire.
La presse a abordé de nombreux aspects de la question des structures de prise en charge, certaines avec peu de suivi et d’analyse, contrairement à d’autres thématiques, comme la critique de la gouvernance ou le comportement de la population.
Mots-clés : Covid-19, structures sanitaires, Mali, médias, institutions
Introduction
Le Mali a été un pays tardivement et peu affecté par la pandémie (Bonnet et al. 2021). Les premiers cas (patient·e·s atteint·e·s par la Covid-19) ont été déclarés le 25 mars 2020. La première vague, de mars à juillet 2020, a eu un faible taux d’incidence, avec moins de 0.1% de la population officiellement infectée et une faible létalité de 4.4% lors de la première vague. Bien que des cas aient été détectés dans les différentes régions, « presque 80% des cas identifiés ont été concentrés à Bamako et dans ses environs »[1] (Doumbia et al. 2020). La seconde vague, déclarée début novembre 2020, a été plus sévère, avec quelques pics à plus de cent nouveaux cas par jour, mais le taux d’incidence n’a officiellement pas dépassé 0.3% de la population, avec un taux de létalité de 3.8% (https://www.covid19afrique.com/mali).
Le Mali a fait partie des rares pays qui ont pu anticiper la prise en charge des patient·e·s Covid (Doumbia et al. 2020). Un premier « Plan de réponse » formulé dès janvier 2020, a été axé sur un principe de vigilance. Il a envisagé la question des ressources humaines en santé et a préconisé la formation des agent·e·s de santé et leur mobilisation face à la « probable » pandémie. Le « Plan d’Actions pour la Prévention et la Réponse à la Maladie à la Covid-19 », officiellement présenté le 9 mars 2020, financé par l’État et a bénéficié d’une aide financière internationale. Il était presque entièrement axé sur l’infrastructure et la capacité matérielle de dépistage et de traitement des patient·e·s, et très peu sur les ressources humaines. Il prévoyait un dispositif de prise en charge des patient·e·s dans cinq hôpitaux représentant le sommet de la pyramide sanitaire et quatre structures nationales de dépistage. Le rôle du premier niveau de la pyramide sanitaire, soit les centres de sans communautaires (CSCom) et du second niveau, soit les centres de santé de référence (CSRéf), y a été très peu spécifié.
En 2020, la presse malienne, comme d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, comptait un grand nombre de journaux privés et d’un quotidien d’État. La liberté des médias était globalement garantie. Les journaux généralistes côtoyaient des quotidiens et la majorité des périodiques étaient plutôt concentrés sur la vie politique, souvent en faveur ou en défaveur du régime présidentiel. La décennie 2010 a vu l’émergence de sites de presse, le plus souvent généralistes (Escot 2019). La qualité journalistique, au moins pour les journaux les plus structurés, s’est graduellement améliorée (Escot 2021), avec toutefois des difficultés pour les journalistes à se détacher des informations officielles et à mener des investigations de terrain, et des difficultés à intégrer la documentation de nature scientifique, même dans la santé (Escot et Ousseini 2014; Escot 2021).
Méthode
Une sélection empirique de journaux maliens a été effectuée sur la base d’études antérieures sur les médias : trois sites de presse exclusivement en ligne – Maliweb.net, Maliactu.net et ORTM.com (Office de radiotélédiffusion malien – ORTM – site de la télévision d’État) – et trois sites de journaux imprimés – le quotidien d’État L’Essor, le quotidien privé L’Indépendant, et l’hebdomadaire Le Journal du Mali (JDM). Sept blogs ont été sélectionnés par l’équipe de chercheurs sur la base de leur notoriété, dont un site collectif et trois blogs de journalistes. Huit sources institutionnelles ont été identifiées, dont cinq nationales – le compte Twitter et la page Facebook de la Primature (terme qui regroupe les services dépendant du Premier ministre), le site SOS Coronavirus du ministère de la Santé, le site du Centre National d’Information et d’Éducation sur la Santé (CNIECS) et celui de la « Coalition des Jeunes » contre la Covid-19 – et trois sources internationales – le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), l’organisation Equal Access International, et les articles comportant le hashtag #Restons vigilants publiés sur le site des Nations-Unies (UN.org). Les articles/posts publiés entre le premier janvier 2020 et le 31 mars 2021 et comportant au moins une fois les mots clés Covid, Covid-19 ou Coronavirus ont été identifiés manuellement par un assistant de recherche. 81 journaux télévisés (JT) de 20h de l’ORTM ont été visionnés sur le site de la chaîne, sur deux périodes de respectivement 41 jours en juin-juillet 2020 et 40 jours en février-mars 2021, et les sujets d’intérêt ont été recensés et retranscrits par l’assistant de recherche. L’échantillon compte 1 465 articles de presse, 229 posts de blogueurs, 251 communications institutionnelles, 375 points de situation pandémique, et 289 sujets ORTM.
Au sein de cet échantillon, les items relatifs à la prise en charge hospitalière et aux structures de santé ont été sélectionnés grâce aux mots-clés suivants – hôpital, centre hospitalier universitaire (CHU), hospitalier, structures de santé, prise en charge, patient·e·s – et s’ils abordaient au moins un aspect du fonctionnement des structures mentionnées en lien avec la Covid-19, tel que défini dans le rapport d’analyse qualitative mené à l’Hôpital du Mali au sein du même programme de recherche (Coulibaly 2020), cf. infra, graphique 6. Ces aspects relèvent de la gouvernance, de la rémunération ou des conditions de travail des agent·e·s de santé, des soins ou du vécu des patient·e·s. Ce corpus spécifique regroupe 122 articles de presse, 17 posts sur les blogs, 18 communications institutionnelles et 15 sujets ORTM.
Le corpus a fait l’objet d’une analyse quantitative descriptive et qualitative de contenu réalisée manuellement par le chercheur.
Enfin, quatre journalistes ont été interviewés pour recueillir leurs explications sur quelques premiers résultats ressortant de l’analyse, notamment l’importance accordée à la Covid-19, les sources d’information et les moteurs de la critique de l’État. Dans deux journaux, un quotidien d’État et un hebdomadaire généraliste, deux entretiens ont été menés avec une journaliste ayant signé un grand nombre d’articles sur la Covid-19 (de fait, faisant partie des journalistes les plus contributeur·rice·s sur le sujet) et un secrétaire de rédaction/chef de desk. Les entretiens ont été menés et analysés par le chercheur.
Résultats
Une faible place accordée à la Covid-19 dans les tribunes de la presse pendant la première et la seconde vague de l’épidémie
Les sites de presse retenus ont publié 500 à 600 articles par semaine, dont en moyenne 23 sur la Covid-19 pendant la première vague, et 34 lors de la seconde vague. Ainsi, seulement 5% des articles de presse ont abordé la pandémie de Covid-19 sur la période étudiée.
L’analyse de la production des autres types de média montre que la faible part accordée par la presse à la Covid-19 ne lui est pas spécifique. L’ORTM n’a accordé que 15% du temps d’antenne des JT à la question, et la plupart des blogs n’ont pas ou que très peu publié sur le sujet.
Toutefois, le pluralisme de la presse malienne a favorisé une couverture assez large de la pandémie. L’information a surtout été portée par les journaux généralistes, mais de nombreux quotidiens ou périodiques au positionnement plus politique et/ou polémique ont publié, en lien avec leur ligne éditoriale, des articles véhéments. Ils ont plusieurs fois été en première ligne de la critique que d’autres journaux ont pu suivre.
Les journalistes reconnaissent qu’ils et elles ont moins couvert la Covid-19 qu’ils et elles ne l’auraient voulu. Avant même qu’ils et elles aient à traiter l’actualité de la pandémie au Mali, les journalistes se sont senti·e·s mobilisé·e·s au-delà de leur relation habituelle aux sujets d’actualité, et de façon plus personnelle, l’épidémie les concernant eux-mêmes, leurs familles, parfois leurs collègues. Ils et elles ont d’emblée envisagé un scénario épidémique alarmant et rapidement compris les termes de la propagation de la maladie et l’importance de mesures de prévention individuelles et collectives.
Un manque d’information objective sur la pathologie Covid-19
Les journalistes malien·ne·s ont dû traiter une pandémie dont ils et elles peinaient à cerner la nature, les impacts sanitaires potentiels et les enjeux au niveau national. Ce manque d’information a représenté un frein manifeste pour la presse (et les médias en général). La nature-même de la « maladie à Coronavirus » est longtemps restée difficile à appréhender, au niveau international et encore plus dans un pays africain, où les perspectives ont été brouillées par différentes théories sur l’impact de la pandémie en Afrique et les rapprochements effectués avec la maladie à virus Ébola. Les autorités sanitaires ont peu communiqué sur les aspects médicaux de l’épidémie et n’ont pas pris parti sur les différends internationaux. Les personnes pouvant être rencontrées à titre d’expert·e·s n’ont pas toujours pu se prononcer sur certaines questions.
Une insuffisance flagrante d’information institutionnelle sur l’épidémie
Les institutions maliennes ont adopté trois modes de communication : des points quotidiens de situation épidémique, des communications sous forme d’articles sur leurs sites institutionnels et des points de presse donnant lieu à des communiqués envoyés aux journaux.
L’État a, dès les prémisses de la pandémie, adopté une attitude transparente sur la réalité épidémiologique dans le pays, en réalisant des points réguliers sur la situation sanitaire. Avant la déclaration des premiers cas au Mali, au moins 12 points de situation ont été communiqués, le plus souvent par le ministère de la Santé, parfois par la Primature, avec des informations cohérentes sous différents formats. À partir des premiers cas déclarés, un état de situation quotidien a été publié sur le compte Twitter de la Primature, ensuite sur le site « SOS Coronavirus » du ministère de la Santé. L’ORTM a également accordé 20% du temps d’antenne consacré à la Covid-19 à un point quotidien de situation épidémique.
Les sites institutionnels ont communiqué sur la Covid-19 au début de la première vague, lors de la mise en place du plan de riposte, mais ils ont ensuite fourni très peu d’information. Le ministère de la Santé n’a fréquemment communiqué qu’en amont et au début de la première vague. La Primature a pris le relais, surtout pour diffuser les points de situation quotidiens. Les sources étatiques ont cessé de communiquer sur la Covid-19 en mai-juin 2020, au début de la phase de déstabilisation du régime menant au coup d’État le 18 août 2020. Seule la Primature a publié des informations nationales lors de la seconde vague. Le site du ministère de la Santé a été utilisé pour publier exclusivement des articles de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à portée internationale, sans lien spécifique avec l’actualité malienne.
Le graphique 3 présente les articles de chaque source institutionnelle selon le mois de publication. Il donne à voir la discontinuité des communications institutionnelles, bien que toutes les sources aient eu vocation à informer sur la Covid-19.
Les huit sources sont (de haut en bas) : la Coalition des Jeunes contre la COVID19, le Centre National d’Information et d’Éducation sur la Santé (CNIECS), le ministère de la Santé, la Primature, l’organisation Equal Access International, PNUD et le site UN.Org des Nations-Unies.
Les journalistes s’accordent à reconnaître l’insuffisance de l’information institutionnelle. Ils et elles constatent la faible prise de parole et le manque de continuité des instances de communication créées et annoncées, souvent caduques. Ils déplorent également la faiblesse du contenu et son caractère très impersonnel, sans capacité à mobiliser l’opinion.
Une auto-limitation de la presse dans la production d’articles
Les journalistes ont vécu une tension entre le désir d’informer et, de façon relativement inédite, une attitude de réserve et de précaution vis-à-vis de l’information institutionnelle parfois jugée peu fiable. Le sentiment d’être sous-informé·e·s et très peu en maîtrise technique du sujet a limité les publications, les journalistes voulant éviter de contribuer à la désinformation. Ils et elles ont également considéré qu’une actualité déjà parue dans d’autres journaux ne présentait pas d’intérêt éditorial en l’absence d‘information nouvelle ou plus approfondie. Ils et elles justifient la reprise d’articles internationaux par la nécessité de produire une information plus objective, ou en tout cas moins contestable, que ce que les sources nationales auraient pu publier. Ces articles internationaux ont donné à voir au lectorat des réalités comparables dans d’autres pays, surtout africains, mais très peu d’articles ont traité de façon comparative l’actualité nationale et internationale.
Le sujet évident d’intérêt de la presse : l’évolution de la courbe épidémique
La presse a régulièrement reproduit les points de situation épidémiques fournis par le ministère de la Santé, souvent sans les commenter. Ce domaine a alimenté le plus grand nombre d’articles, même si ceux-ci sont très courts. Leur fréquence est fortement corrélée au nombre de cas. Cette posture de vigilance s’est particulièrement manifestée lors de la seconde vague, avec près de trente reprises par mois, lorsque plusieurs journaux ont alerté l’opinion sur l’imminence d’une nouvelle vague de Covid-19 qui s’annonçait plus virulente que la première.
Le domaine particulièrement critique d’intérêt de la presse : le plan de riposte et sa gestion
L’État a communiqué de façon transparente sur le plan de riposte, surtout à destination de la presse (via des communiqués), ce qui a orienté le discours des journaux généralistes, L’Essor en premier lieu. Les journalistes ont favorablement reçu ce type d’information, car il témoignait d’une réponse globale : financement assuré via la mobilisation de fonds nationaux et surtout internationaux, amélioration et adaptation de l’infrastructure de santé, mobilisation du personnel de santé, plan économique d’accompagnement en prévision des impacts sanitaires et non-sanitaires. La presse a rendu compte du premier plan de réponse, qui s’inscrivait dans une menace encore imprécise mais qui convoquait la responsabilité de l’État, et surtout du plan de riposte, accompagné par un discours de l’État très rassurant, repris dans de nombreux titres sur le sujet : « Lutte contre le Coronavirus : Tout est en place dans les hôpitaux » (L’Essor, le 16/03/2020).
Le financement et les nombreux dons ont fait l’objet de plusieurs articles, qui s’inscrivent dans le compte-rendu de l’actualité institutionnelle, sans expression d’opinion par les journalistes.
La gouvernance de ce plan de riposte a en revanche donné lieu à une forte contestation. Les journaux, notamment les plus politiques, ont ouvertement accusé le Président et le Premier ministre de népotisme et de détournements. L’argument technique à la base de cette contestation a été la gestion du fonds-Covid par le Premier ministre et non par le ministre de la Santé jugé par la presse plus légitime et avec de meilleures capacités à gérer la réponse sanitaire à l’épidémie.
Une forte mobilisation sur les mesures visant à limiter la propagation de l’épidémie, avec une critique aussi bien de l’État que des pratiques de la population
La presse s’est d’emblée positionnée en faveur d’une position ferme et radicale de l’État. Elle a ainsi d’emblée adhéré au principe des mesures collectives édictées en mars 2020 – dont le couvre-feu – mais en a critiqué l’application, jugée laxiste, et notamment : le maintien des élections législatives fin avril 2020, le refus par l’État d’interdire les rassemblements dans les lieux de culte, l’absence de contrôle des rassemblements liés aux cérémonies sociales, enfin le laisser-faire sur le port du masque et la distanciation sociale. Dès le 18 mars 2020, les journaux les plus politisés se sont mobilisés et ont clairement inscrit ces critiques dans le mouvement de contestation de la Présidence : manipulation, aveu de faiblesse de l’État face aux autorités religieuses et aux normes sociales. Les journaux généralistes (sauf l’Essor, du fait de son devoir de réserve vis-à-vis de l’État) ont également fait écho à ces critiques, sans autant les politiser. Les journalistes ont considéré le laxisme de l’État comme l’un des facteurs de la propagation du virus.
L’ensemble des médias a communiqué et réagi sur l’incrédulité de la population malienne, manifestement rétive à reconnaître la réalité de la pandémie, sa nature et son incidence. La presse a constamment communiqué, en écho aux alertes de certains agent·e·s de santé qu’elle a pu approcher dans ce contexte, sur la recrudescence de la maladie dans un contexte de relâchement des mesures-barrières et d’insouciance de la population, et notamment des agent·e·s de santé eux et elles-mêmes. La presse s’est particulièrement attachée à attirer l’attention de la population sur la réalité de la Covid-19, et à la faire reconnaître par la « quantité » et par les chiffres. Les journalistes affirment qu’ils et elles ont largement communiqué afin de promouvoir les mesures de protection et de convaincre la population de la réalité de pandémie et de ses risques. Les journalistes ont publié plusieurs articles sur le non-respect du port du masque et de la distanciation sociale. En juin 2020, des journalistes de L’Essor visitent un certain nombre de structures sanitaires publiques et privées pour vérifier le port du masque. À l’Hôpital du Mali comme à l’Hôpital Gabriel Touré, « le constat a été alarmant : aucun agent ne portait une bavette (…) L’administration policière est-elle consciente du péril ? » (« Port obligatoire du masque : vraiment pas respecté », L’Essor, 09/06/2020).
Une presse particulièrement freinée par les lacunes de l’information institutionnelle sur les structures de prise en charge Covid-19
Les articles traitant des structures de prise en charge représentent 8% des articles abordant la Covid-19. Ce sont souvent des articles de fond relativement longs (800 mots en moyenne) structurés et argumentés. En regard, les blogueurs et les blogueuses ont consacré 7% de leurs posts à cette question, mais ces publications sont laconiques et souvent anecdotiques. Les médias de type institutionnels sont ceux qui ont consacré le moins d’attention aux questions spécifiques relatives aux structures hospitalières et à la prise en charge des patient·e·s. Sur 251 communications recensées sur les sites institutionnels, seulement 18, soit 7%, abordent ces questions, la majorité portant sur l’actualité internationale et ne s’intéressant pas à l’actualité malienne.
Seuls six articles ont été publiés sur les structures de prise en charge Covid-19 par des institutions maliennes, majoritairement par le ministère de la Santé, dont cinq lors de la première vague. Une seule communication a été publiée après le coup d’État du 18 août 2020. L’information officielle délivrée communiquait essentiellement des éléments de réassurance sur l’efficacité du plan de riposte, les dotations aux hôpitaux et les visites des autorités dans les structures sanitaires impliquées dans le dépistage et la prise en charge. Bien qu’elle ait porté beaucoup d’attention à la Covid-19, la télévision d’État a particulièrement peu abordé la question des structures de prise en charge Covid-19.
Dans ce contexte, un moindre intérêt de la presse et un appauvrissement du contenu éditorial lors de la seconde vague
Le nombre d’articles publiés sur le sujet a fortement diminué d’une vague épidémique à l’autre, de 14% à 6%. Lors de la première vague, les articles relatifs aux structures de prise en charge sont publiés de façon relativement continue. Ils sont ensuite nettement centrés sur deux temps forts : le premier au tournant de l’année, avec la réémergence de l’épidémie et la période des « bilans » institutionnels, le second au mois de mars, lorsque les mouvements sociaux au sein des hôpitaux s’intensifient.
Le graphique 4 présente la distribution par semaine des articles ayant traité la Covid-19 en général et de ceux ayant abordé les structures de prise en charge. Par exemple, 4% des 1 465 articles traitant la Covid-19 ont été publiés pendant la semaine du 8mars 2021, contre 8% de ceux traitant les structures de prise en charge.
Une attention fortement dirigée sur les infrastructures centrales et leurs équipements
Le dispositif de dépistage a été communiqué lors du lancement du plan de riposte par les autorités, qui se sont félicitées de disposer d’un système de test adéquat et performant. Elles ont à la fois tenté de canaliser les inquiétudes de la population et de la presse, de montrer leur légitimité et de satisfaire aux discours attendus de la part de leurs bailleurs. Au début de la première vague, la presse a décrit l’ensemble des laboratoires impliqués dans le dispositif, le protocole de prise en charge des cas suspects, le comportement en cas de symptômes ou de cas suspects (sachant que le conseil donné n’était pas de de se rendre immédiatement dans une structure de santé, mais de contacter le centre d’appel ad hoc, avec un numéro vert). Elle a également informé sur le protocole d’accueil et de dépistage des personnes référencées dans les hôpitaux et le tri des patient·e·s. Début 2020, la presse a relayé certains discours, dont ceux d’un ancien Premier ministre, selon lesquels le système de santé malien pouvait difficilement faire face à l’épidémie qui s’annonçait. Ces discours se basaient sur une analyse matérielle des structures de soin et de leur plateau technique.
Il est bien évident que l’Afrique n’a pas les moyens de faire face à une telle pandémie, le plateau technique sanitaire étant très pauvre. […] Les pays les mieux lotis comptent impuissants leurs morts au quotidien. Un pays comme le nôtre avec un système médical limité et insuffisant risque gros en cas de débordement. (« COVID-19 au Mali : Le miracle n’a pas eu lieu ! », Maliactu.net, 30/03/2020)
Pendant la première vague et jusqu’au début de la seconde, la presse s’est intéressée à l’ensemble des structures sanitaires du pays, dont les deux premiers niveaux de la pyramide sanitaire, CSRéfs et CSComs, les structures régionales et parfois les structures privées ou les hôpitaux de campagne. Les journaux ont suivi la ligne directrice des autorités sanitaires et politiques, qui ont axé leur discours sur des aspects d’infrastructures et de matériel, soit une réponse « quantitative » au nombre de patient·e·s potentiel·le·s. Le nombre de salles, de lits, les respirateurs et la capacité en oxygène ont constamment été mentionnés. Ils semblaient être les indicateurs de la capacité de réponse du système de santé malien. Les dotations en intrants de protection à usage des patient·e·s et personnels de santé n’ont fait l’objet que de paragraphes mais très rarement d’articles spécifiques. Durant ce premier temps, la formation du personnel sur la gestion des patient·e·s, les mesures d’hygiène et la sensibilisation des usag·er·ère·s au sein des hôpitaux ont parfois été mentionnées, mais sans faire l’objet d’autant d’attention. Les ressources humaines et la qualité des soins ont été abordées en arrière-plan par rapport aux ressources matérielles. Certains aspects ont été cités dans les rappels des grands traits du protocole, mais celui-ci n’a lui-même guère pris en compte le vécu des patient·e·s ou celui des agent·e·s de santé.
À partir de la seconde vague, avec la saturation des hôpitaux, la critique de la réponse étatique et/ou hospitalière et les phénomènes massifs de revendications et de grèves du personnel soignant, la presse se concentrait clairement sur les cinq « grands hôpitaux ». Les autres structures (incluant les laboratoires, les structures privées, les centres hospitaliers mineurs) présentent à Bamako, la capitale du Mali, les structures régionales et les niveaux inférieurs de la pyramide sanitaire disparaissaient largement des tribunes des journaux. En juin 2020, quelques articles alertaient sur la faiblesse des infrastructures et l’insuffisance des ressources humaines dans les régions, et notamment Tombouctou qui concentrait le plus de patient·e·s pris·e·s en charge. Mais l’hôpital régional n’a pas fait l’objet d’analyses particulières. Les CSRéf, qui constituent le second niveau de la pyramide sanitaire, ont été cités dans moins de 10% des articles. Ils sont le plus souvent simplement mentionnés dans le descriptif de protocoles qui les associent aux hôpitaux de second référencement, sans faire l’objet d’attention particulière. Les CSCom, qui constituent la base de la pyramide sanitaire, n’ont presque jamais été cités.
Jusqu’aux premiers cas déclarés, la logique de concentration des tests à la capitale n’a pas été contestée, d’autant que les laboratoires étaient encore en pleine capacité face au nombre d’analyses à réaliser. En avril 2020, soit peu de temps après la déclaration des premiers cas dans le pays, quelques journaux ont questionné le dispositif mis en œuvre dans les régions. Le Journal du Mali (a exposé la procédure d’identification des cas contacts, « un véritable travail de fourmi », avec l’une des rares mentions des CSRéfs. Info-Matin a fait un plaidoyer pour une autonomie de dépistage et de traitement des structures régionales. À partir de mai et juin 2020, lorsque l‘épidémie s’est officiellement étendue aux régions du Mali, la presse a pointé le faible taux de détection, la méconnaissance ou le déni de la contamination, le faible recours aux structures sanitaires formelles (ou les décès avant d’y avoir été pris·e en charge), le refus des règles de confinement et de distanciation sociale. L’exemple de Tombouctou, où des campagnes de dépistage organisées ont permis de détecter et de traiter de nombreux cas, a été repris dans plusieurs articles. La presse a ainsi plaidé en faveur de la décentralisation du dispositif de dépistage, mais la question a disparu des tribunes à la fin de la première vague, sans être reprise durant la seconde vague.
Un manque d’information sur le vécu des patient·e·s
La difficulté à rencontrer des expert·e·s ou des médecins impliqué·e·s dans la prise en charge des patient·e·s dans les unités de soin Covid-19 et à avoir accès aux patient·e·s eux-mêmes a été jugée particulièrement pénalisante par les journalistes pour traiter de ce sujet. Un seul article, basé sur un entretien avec un psychologue hospitalier, a traité sur le fond les incidences psychologiques de la Covid-19 sur les patient·e·s : « choc de l’annonce, incidences sur le vécu du patient, stigmatisation sociale… Un patient atteint de coronavirus aura sa vie affective, sociale et comportementale vraiment bouleversée. » (« Covid-19 : L’exigence d’un accompagnement psycho-social des patients », L’Essor, 01/06/2020). Quelques journaux au positionnement polémique ont dénoncé pendant la première vague les mauvaises conditions de prise en charge dans les hôpitaux (relation du personnel soignant aux patient·e·s, conditions matérielles de pris en charge), mais ces articles étaient relativement anecdotiques.
L’Essor a en réponse publié un article visant à expliquer les réalités de la prise en charge du point de vue des structures de santé et des agent·e·s, tout en reconnaissant des limites structurelles et financières. Cet article a été le seul à expliciter le principe de gratuité totale de la prise en charge dans les centres de soin, et le seul également à noter que les critiques proviennent en premier de « malades aisés » qui « probablement (…) font une comparaison entre leur quotidien ordinaire et la vie de malade à l’hôpital. » (« Prise en charge des malades de la Covid-19 : La réalité dans les centres de soins », L’Essor, 04/06/2020).
Fin 2020, la recrudescence des cas a provoqué une surcharge des centres de dépistage, des retards de transmission des résultats et parfois l’absence de communication de résultats aux personnes testées négatives. L’afflux de patient·e·s a également entraîné une embolie des unités de prise en charge et de multiples points de tensions entre personnel de santé, patient·e·s et accompagnant·e·s, qui oblige les autorités à modifier le protocole de soin, avec le traitement à domicile des patient·e·s asymptomatiques (ou à des stades « moins avancés »).
Pour la responsable de l’Unité Covid-19 d’urgence de l’Hôpital du Mali, la deuxième vague de la Covid-19 est très préoccupante. Elle révèle que depuis deux semaines, 80% des malades qui sont admis ici sont âgés de 60 à 80 ans. Et ce sont des personnes qui sont arrivées avec une détresse respiratoire. Certains malades moins chanceux sillonnent les hôpitaux de la capitale sans trouver une prise en charge. Beaucoup décèdent au cours des transferts. Les patients qui présentent une détresse respiratoire ont toujours besoin de l’oxygène qui n’existe pas dans tous les centres de santé. L’oxygène est disponible uniquement dans les hôpitaux. Actuellement (…) tous les lits sont occupés à l’Hôpital du Mali. (« Coronavirus : une journée à l’unité de soins », L’Essor, 26/12/2021)
L’exacerbation des tensions entre le personnel de santé et les autorités
Dès le premier plan de réponse, qui avait intégré des questions de ressources humaines, la presse avait relayé l’alerte lancée par médecins des hôpitaux nationaux et d’un hôpital régional sur les conditions de travail, en premier lieu le manque de protection des agent·e·s de santé. Fin avril 2020, le quotidien d’opposition Info-Matin a consacré un long article à la conférence de presse organisée le 28 avril par les responsables des comités syndicaux des quatre principaux hôpitaux nationaux. Ceux-ci dénonçaient l’insuffisance des moyens concédés par l’État et la faiblesse des dispositifs de protection des agent·e·s de santé. Leurs revendications portaient sur les retards de primes et les niveaux de salaires, sur le statut de nombr·eux·euses agent·e·s, dont les étudiant·e·s en médecine mobilisé·e·s. Ils déploraient que les discours « médiatiques » des autorités sanitaires restent sans suite. Le JDM a repris l’information dans un très long article (près de 1 500 mots), en développant notamment la contradiction entre une pandémie prévue, observée, et le manque de déploiement de solutions pour la contrer. En septembre 2020, lors de l’accalmie de la pandémie, un premier mouvement de grève effectif a eu lieu à l’Hôpital du Mali, principale structure de prise en charge. Les agent·e·s de santé protestaient contre la compression du personnel et leurs conditions de travail, et exigeaient le règlement des arriérés de salaire. La presse a relayé les interrogations sur l’affectation des fonds spéciaux alloués au personnel de santé.
… c’est une situation très préoccupante qui prévaut au niveau de cet établissement sanitaire considéré comme le centre de référence de prise en charge des patients de la Covid-19. Une situation qui inquiète et affecte également l’état psychique des malades, qui ne savent plus à quel saint se vouer. Jusqu’ici l’administration tente de faire des colmatages pour la prise en charge des patients de cette maladie, qui ont des besoins très spécifiques. (« Pour réclamer 4 mois d’indemnités impayés et protester contre un projet de réduction des effectifs : Le personnel chargé de la riposte contre la Covid-19 observe ‘un arrêt illimité de travail' », L’Indépendant, 17/09/2020)
Les contestations élevées par le personnel de santé se sont fortement accentuées au cours de la seconde vague, à la fois du fait de l’absence de règlement des revendications déjà portées, de la saturation des services qui aggravait les conditions de travail, enfin des multiples problèmes d’organisation engendrés par cette situation. Les hôpitaux ont également enregistré une contamination massive des agent·e·s de santé, dont certain·e·s sont décédées. Trois mouvements de grèves de trois, quatre et onze jours ont été menés entre novembre 2020 et janvier 2021. La presse s’est montrée favorable aux grévistes, tout en reconnaissant la nécessité de maintenir un « service minimum » pour la prise en charge des patient·e·s.
Mi-février 2021, un préavis de grève a été posé pour le mois de mars dans tous les grands hôpitaux bamakois. Cette grève, qui a duré deux fois cinq jours, a été couverte par les journaux généralistes. L’Essor a notamment publié un long article détaillant les revendications des agent·e·s de santé et précise la façon dont ils·elles avaient été mobilisé·e·s par les autorités sanitaires pour la prise en charge de la Covid-19, dont des contractuel·le·s, des étudiant·e·s et des fonctionnaires d’autres ministères. L’article listait les promesses faites en termes de salaires, de différentes formes de primes, de gratuité totale des soins et en termes de conditions de travail, notamment concernant les mesures prises pour leur protection.
Se pose également la question du personnel bi-appartenant, soit des enseignants qui émargent au ministère de l’Enseignement supérieur et qui bénéficient des émoluments dans les hôpitaux pour leur participation aux activités hospitalières. (« Grève dans les hôpitaux : le mot d’ordre bien suivi », L’Essor, 03/03/2021).
Le graphique 6 montre l’évolution des thématiques, à l’intérieur de la question des structure de pris en charge, entre les deux vagues.
Les mouvements de grève ont fourni de rares illustrations de l’impact concret de la Covid-19 sur les structures sanitaires. Mi-février 2021, les conseils d’administrations des hôpitaux, dont l’Hôpital du Mali (à l’occasion de son 3ème CA) et celui de Kati (à l’occasion de son 45ème CA), ont donné lieu à quelques bilans mitigés. L’impact de la pandémie y a été évoqué de façon presque détachée, et n’a pas empêché les autorités sanitaires de se féliciter sur les bons résultats des hôpitaux. L’absence d’analyse sur les faiblesses structurelles de ces structures est d’autant plus saillante que l’ORTM, en mars, les a posées pour l’un des principaux hôpitaux de Bamako : « l’insuffisance en ressources humaines (…) la vétusté du plateau technique et des locaux, le manque de maintenance des équipements. En marge de ces difficultés il y a l’insuffisance du budget tant en fonctionnement qu’en investissement. (JT 20h ORTM, 03/03/2021)
Conclusion
La Covid-19 a influencé la relation de la presse malienne à l’actualité et à l’information institutionnelle
Face au danger ressenti et à la difficulté de cerner tous les enjeux de l’épidémie, les journalistes, au-delà des positionnements de leurs journaux, ont été relativement unanimes sur la nécessité de vigilance, le devoir de sensibilisation et celui de critique, et ont tenté de se mobiliser sur ces questions. La presse a été limitée par la faiblesse de l’information délivrée par les sources officielles et les experts nationaux (scientifiques, médecins), et la difficulté à appréhender une « vérité » de la pandémie surdéterminée par la « confusion » des discours officiels et/ou scientifiques (Jaffré, Hane et Kane 2020), les thèses opposant « afro-pessimistes » « afro-optimistes » (Bonnet et al. 2021; Sauvayre 2020). Ces débats ont été très peu commenté par les autorités maliennes, qui n’ont pas réellement pris position, et ont eu très peu d’écho dans la presse, incluant celui sur l’efficacité de l’hydroxy-chloroquine (Escot et al. 2022). Les journalistes les plus qualifié·e·s ont tenté de dépasser leur relation habituelle au traitement de l’actualité et mettre en œuvre de réelles démarches journalistiques pour aller au-delà de l’information officielle perçue comme insuffisante, et décrivant une action de l’État jugée insatisfaisante. Ceux-celles travaillant pour les journaux les plus politiques/polémiques y ont trouvé des opportunités pour alimenter leur critique du pouvoir en place. Cela a donné lieu à des discours très convergents et des prises de position parfois frontales vis-à-vis de l’État sur la gestion de la Covid-19 et particulièrement sur la gouvernance des fonds et l’incohérence des mesures, incluant celles induites par la « crainte » des autorités religieuses (Bonnet et al. 2021; Jaffré, Hane et Kane 2020).
La difficulté d’accès à l’information a particulièrement pénalisé le traitement par la presse des structures de prise en charge
La formulation et la communication du plan de riposte se sont ancrées dans une approche résolument organisationnelle et de fait très mécaniste, et visait à que soit « bien géré » le « flux de patient·e·s », à travers la mise à disposition d’infrastructures et de matériel. Les autorités ont peu communiqué sur le volet humain de la riposte, ce dont la presse aurait certainement rendu compte si elle en avait eu connaissance. Les autorités ont pour autant opéré un remaniement important afin de pourvoir les services dédiés à la prise en charge de la Covid-19 (Ridde et al. 2022), avec des concessions importantes sur les salaires et différents niveaux de primes à même de motiver un personnel suffisant pour faire fonctionner les unités Covid, mais au détriment des autres services (Ridde et al. 2022; Coulibaly et al. 2022). Face à la faiblesse de la communication des institutions, voire au silence de ces dernières, la presse n’a que très peu eu accès aux unités de soins, aux soignants et aux patients. Bien des aspects de la question des structures de prise en charge ont été fortement minorés. Peu d’articles abordent la question centrale de la prise en charge réelle des patients et leur vécu, ainsi que celui des accompagnants. L’impact de la gratuité de la prise en charge de la Covid-19 et le manque-à-gagner afférent sur le fonctionnement des hôpitaux n’a pas eu d’écho dans la presse, bien qu’il ait été évalué dès la première vague (Coulibaly et al. 2022). Les critiques ont finalement surtout porté sur des aspects de gouvernance, et peu sur des aspects techniques. Les faiblesses structurelles des hôpitaux n’ont guère été développées, et ont même été minimisées.
Selon Jaffré et al., la Covid-19 a dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest eu un effet de révélateur des faiblesses des systèmes de santé et de la mauvaise qualité des soins : « Le paysage est resté celui que l’on connaissait. Peut-être simplement l’épidémie a-t-elle permis – voire obligé – à dire en plein jour ce que chacun savait intimement. » (Jaffré, Hane et Kane 2020)
La Covid-19 a peu pénalisé la capacité de fonctionnement et d’expression de la presse malienne
Contrairement à ce qui a été observé dans la presse régionale française (Grasland 2020) ou dans la presse nationale du Sénégal, le fait que la Covid-19 n’ait pas « phagocyté » l’espace médiatique malien ne découle pas d’une censure par l’État ou d’un affaiblissement des organes de presse. La presse malienne a même plutôt bénéficié d’un environnement moins défavorable que dans de nombreux pays africains. Peu de pays ont en effet été totalement pragmatiques et cohérents face à la Covid-19, par excès de pouvoir ou au contraire du fait de leur faiblesse. L’État malien a pu anticiper la riposte avant la déclaration de l’épidémie (Bonnet et al. 2021; Ridde et al. 2022; Coulibaly et al. 2022; Jaffré, Hane et Kane 2020; Cunliffe-Jones et al. 2021). Les autorités ont adopté des mesures autoritaires mais non-extrêmes et parfois incomplètes, de façon similaire à de nombreux pays qui « ont oscillé entre violence, tentatives velléitaires et laxisme » (Olivier de Sardan, Faye et Diarra 2020; Bonnet et al. 2021; Jaffré, Hane et Kane 2020; Cunliffe-Jones et al. 2021). Le Mali se distingue des États ayant adopté des stratégies de déni, souvent pour justifier le maintien de certains agendas politiques comme des élections, par exemple au Burundi (Brima 2021) ou en Tanzanie (Mwangale Kiptinness et Okoye 2021). Il se distingue également d’États ayant surdramatisé l’information sur la Covid-19 et/ou ayant pris des mesures pour limiter la contestation des plans de riposte, comme en Afrique centrale et australe (Ahinkorah et al. 2020; RSF 2021), jusqu’à criminaliser les journalistes tenant des discours jugés hétérodoxes. Contrairement à d’autres pays d’Afrique, le Mali n’a pas édicté de confinement (Bisson, Schmauder et Claes 2020), préjudiciable au « mode de fonctionnement de la société africaine et la nature de son économie » (Igué 2020), et provoquant parfois des levées de masse. « Cela entraîna, notamment au Sénégal, des violences de la part de ceux pour qui le couvre-feu était synonyme d’appauvrissement. » (Jaffré, Hane et Kane 2020). La capacité de travailler des journalistes maliens a été moins affectée que dans les pays où les mesures, et surtout le confinement, ont fortement impacté « les revenus publicitaires, le traitement de l’information, les méthodes de travail et le tirage. S’ils ne sont pas à l’arrêt, plusieurs médias ont dû réadapter leurs programmes et leurs contenus. » (Boudombo 2020).
Références
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Ridde, Valéry, Abdou Coulibaly, Laurence Touré, Faly Ba, Kate Zinszer, Emmanuel Bonnet et Ayako Honda. 2022. « Financial issues in times of a COVID-19 pandemic in a tertiary hospital in Mali ». Preprint. In Review. https://doi.org/10.21203/rs.3.rs-2091709/v1.
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- Traduction de l'auteur : « Nearly 80% of identified cases have been concentrated in and around the capital city of Bamako. » ↵