Introduction. Entre résilience des hôpitaux et actions de santé publique face à la pandémie de Covid-19

Valéry Ridde, Lola Traverson, Kate Zinszer

[Cet article est une traduction adaptée de l’article Ridde, V., Traverson, L., & Zinszer, K. (2023). Hospital Resilience to the COVID-19 Pandemic in Five Countries: A Multiple Case Study. Health Systems & Reform, 9(2), 2242112. https://doi.org/10.1080/23288604.2023.2242112.]

En 2020, au moment où les pays et les systèmes de santé ont du mal à réagir à la pandémie de Covid-19, les équipes de recherche se sont rapidement mobilisées pour participer à la lutte. De nombreux appels à projets ont été lancés pour effectuer des recherches sur la pandémie, souvent des recherches interdisciplinaires bien que la majeure partie des financements aient été alloués, comme habituellement, à la recherche clinique et biomédicale.

L’urgence de la situation et l’obtention de financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR Flash) en France et de l’Institut de Recherche en Santé du Canada (IRSC) ont conduit à la formation d’une importante équipe de recherche internationale et interdisciplinaire et à la création du projet HoSPiCOVID. Ce projet de recherche, mené d’avril 2020 à avril 2022, visait à étudier (i) la prise en compte des inégalités sociales de santé (ISS) dans la planification et la mise en œuvre d’interventions de santé publique telles que le suivi des contacts et le dépistage Covid-19, et (ii) la résilience des hôpitaux et de leur personnel face à la pandémie de Covid-19 au Brésil, au Canada, en France, au Japon et au Mali (https://u-paris.fr/hospicovid/). Sur la base de réseaux de collaborations antérieures, des équipes de recherche du Brésil, du Canada, de la France, du Japon et du Mali se sont rassemblées pour comparer des cas comprenant des approches de financement des systèmes de santé et des contextes socio-économiques différents, inscrits dans différents contextes épidémiologiques de Covid-19.

Le présent ouvrage collectif a été construit autour des résultats du programme de recherche HoSPiCOVID et d’autres études auxquelles nous étions associé·e·s (Burkina Faso, Sénégal) ou que nous trouvions importantes à partager (Bénin) afin de disposer d’une vision de santé mondiale. En effet, l’une des originalités de notre livre est de proposer une démarche que nous voulions relativement globale, faisant fi des dichotomies simplificatrices Nord/Sud et montrant les interrelations des systèmes de santé à l’échelle mondiale (Ridde et Fillol 2021). Notre vision de la santé mondiale implique de tenir compte, d’une part, de l’économie politique globale qui s’inscrit dans une approche néolibérale de la santé et de la couverture universelle en santé (CSU), et d’autre part, des enjeux d’équité et d’inégalités structurelles. Ainsi, l’ouvrage aborde deux domaines d’études associés à ces défis qui touchent toutes les populations de la planète : i) la résilience des hôpitaux et de leur personnel face à la pandémie dans un contexte historique de réformes néolibérales, et ii) la (non-)prise en compte des ISS dans des interventions de santé publique visant à lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19.

Des hôpitaux et une santé publique minés par les réformes néolibérales

Les gouvernements du monde entier ont pris des mesures coercitives pour contenir la propagation du virus, protéger l’économie et éviter de surcharger les systèmes de santé, en particulier les hôpitaux. Dans de nombreux pays, l’hospitalo-centrisme est la norme (McPake 2009), les hôpitaux servant encore trop souvent de points d’entrée au sein des systèmes de santé. Les structures désignées comme hôpitaux de référence Covid ont été particulièrement touchés par la crise. Il en est de même pour les services spécialisés dans les maladies infectieuses qui ont souvent été les premiers à prendre en charge les patient·e·s atteint·e·s de Covid-19. Pourtant, les systèmes de santé, au-delà de leurs moyens financiers et humains, de leurs bâtiments et équipements, sont avant tout des systèmes sociaux (Whyle et Olivier 2020). La manière dont ils fonctionnent aujourd’hui, dont ils sont en mesure de répondre aux besoins de la population, s’inscrit dans une histoire politique nationale mais aussi dans des principes et croyances diffusés à l’échelle internationale sur la façon dont ils devraient être organisés. Un débat international organisé par la revue internationale Social Science & Medicine en 2023 a mis en exergue la primauté de la politique dans les réformes néolibérales des systèmes de santé (Mladovsky et al. 2023). En France, Nicolas Da Silva montre parfaitement comment, au cours de l’histoire des réformes successives du système de santé français, l’État a écarté les citoyens de leur gouvernance au profit des pouvoirs médicaux et financiers (Da Silva 2022). Au Mali et au Sénégal, les thèses de Lara Gautier et de Jean-Hugues Caffin ont démontré comment les organisations internationales influencent les prises de décisions nationales et facilitent la mise en œuvre de réformes néolibérales des systèmes de santé par des jeux de pouvoir et d’incitations à l’aide d’experts internationaux et nationaux (Gautier et al. 2018; Caffin 2018). Le plus souvent, l’objectif est d’inciter l’État à utiliser des instruments politiques issus de la « nouvelle » gestion publique (New Public Management – NPM) au nom de laquelle il est censé réduire ses actions au profit d’acteurs privés considérés comme plus efficaces (Keshavjee 2014). Les répercussions sont claires pour la santé publique et les systèmes de santé.

Pour la santé publique, cette idéologie implique une approche centrée sur le ciblage des plus pauvres ou des personnes à risque au sens médical, sans se préoccuper des ISS et du gradient social de santé au sein de l’ensemble de la population. Pourtant, en février 2021, au cœur de la pandémie de Covid-19, la revue The Lancet rappelait l’importance et la pertinence de la proposition de Julian Tudor Hart de 1971 : l’hypothèse d’équité inverse (Hart 1971). Julian Tudor Hart considère que les personnes qui bénéficient des soins de santé sont d’abord celles qui en ont le moins besoins. Si sa proposition a d’abord été appliquée aux soins de santé, elle s’adapte également aux interventions de santé publique et à la répartition injuste des résultats en matière de santé. Les questions de justice sociale et d’équité ont toujours été au cœur des enjeux de santé publique. Viser l’efficacité tout en prenant en compte l’équité est un défi permanent pour les personnes qui planifient et mettent en œuvre des interventions de santé publique. La plupart des phénomènes de santé (par exemple, l’espérance de vie, l’obésité ou la malnutrition) confirment cette loi d’équité inverse, y compris la distribution du virus SRAS-CoV-2 (Benita, Rebollar-Ruelas, et Gaytán-Alfaro 2022). En France, l’étude de la première vague de Covid-19 a montré une hétérogénéité spatiale significative dans la distribution de l’incidence et de la mortalité de Covid-19 dans les hôpitaux (Gaudart et al. 2021). Il a été démontré, dès le début de la pandémie, que les populations les plus vulnérables et les plus précaires ont été les plus touchées, en particulier les personnes nées à l’étranger et vivant dans des quartiers sensibles.

Pour les systèmes de santé et les hôpitaux, la perspective néolibérale se traduit par l’exigence d’une autonomisation des structures de santé, une contractualisation et une séparation croissantes des fonctions (par exemple, entre la personne malade comprise comme acheteur des soins et le prestataire de soins), le paiement direct de la part des patient·e·s ou encore des incitatifs à la performance (par exemple, plus on réalise d’accouchements, plus on touche de primes). Dans les années 1990, des études au Ghana, au Zimbabwe, au Sri Lanka, en Inde et en Thaïlande avaient déjà confirmé les effets catastrophiques de ces approches dans les hôpitaux (Mills et al. 2001). En France, les réformes de l’hôpital public ont été qualifiées de « casse du siècle » (Juven, Pierru, et Vincent 2019). Au Québec, une analyse menée sur 50 années (1961-2010) confirme le développement des réformes s’appuyant sur le NPM et « l’omniprésence de l’idéologie managériale » (Turgeon, Jacob, et Denis 2011). Une synthèse du recours des approches fondées sur le paiement à la performance dans les systèmes de santé à l’échelle mondiale montre qu’il n’existe pas de théorie permettant de soutenir cette approche et que sa poursuite n’est que la conséquence de la permanence de l’idéologique du NPM (Paul, Bodson, et Ridde 2021). En France, Batifollier (2013) montre aussi combien la marchandisation des soins s’est développée au détriment de la solidarité, de l’accès aux soins et des relations de soins, comme en Afrique d’ailleurs (Foley 2010). L’histoire du paiement à l’acte et de la marchandisation des soins est très ancienne et remonte déjà au 19ème siècle (Domin 2016). Gelly et Spire (2022) ont rendu compte des effets délétères de la présence du privé dans les hôpitaux publics français sur l’égalité de traitement pour les patient·e·s mais aussi sur les conditions de travail des soignant·e·s.

Dans ce contexte historique d’enjeux de pouvoir et de réformes néolibérales, il est nécessaire d’étudier comment les systèmes de santé contemporains et les actions de santé publique font face à de multiples événements qui peuvent constituer des poly-crises ou des crises permanentes, être internes (changement de personnels, de modes de financement, de modalités de gestion) ou externes (épidémies, attaques informatiques ou terroristes, évènements climatiques extrêmes, etc.), de forte ou de basse intensité, de courte ou de longue durée, anticipés ou non. Mais l’enjeu n’est pas seulement scientifique ou conceptuel. Il suffit de penser aux épidémies ou aux évènements liés, par exemple, aux changements climatiques (températures extrêmes, inondations, etc.) pour se rendre compte de l’importance de tirer des leçons de ces expériences afin que les systèmes de santé puissent s’adapter et/ou mieux se préparer à réagir à des événements similaires. Comment comprendre l’absence de préparation du système de santé français à la pandémie de Covid-19 alors qu’il disposait de plans et de comités créés, d’expériences vécues avec la canicule de 2003, les attentats de 2015 ou encore l’expérience de lutte contre le VIH/sida? Comment comprendre la mise à l’écart des trois grandes institutions gouvernementales de santé publique lorsqu’un conseil scientifique a été mis en place en France au début de la pandémie (Borraz, Jacobsson 2023)? La crise organisationnelle mise en lumière par la pandémie (Bergeron et al. 2020) mérite une attention particulière, y compris dans les hôpitaux.

Ainsi, il ne faudrait pas tomber dans la vision naïve ou politisée d’une mobilisation de la résilience qui ferait fi des questions d’inégalités et de vulnérabilités, des enjeux historiques et contemporains de pouvoirs et de politiques qui ont contribué à réduire les capacités des systèmes de santé et des établissements de soins à faire face à de multiples chocs. Le concept de résilience est ancien et ses critiques sont nombreuses et connues (van de Pas et al. 2017; Topp 2020). D’abord utilisé dans le monde de la physique et de la biologie, puis développé dans celui de la psychologie, il a été mobilisé plus récemment dans le champ de la recherche sur les systèmes de santé (Saulnier et al. 2021; Turenne et al. 2019). Il fait l’objet de multiples recherches, conférences et publications scientifiques. Il serait dommage de se laisser emporter par le mésusage politicien d’une résilience néolibérale, comme cela a été le cas dans de nombreux pays durant la pandémie de Covid-19. Le terme a été instrumentalisé à des fins politiques pour cacher les enjeux de pouvoir, les inégalités structurelles et surtout les réformes de ces dernières décennies ayant fragilisé les systèmes de santé et donc leurs capacités à faire face aux chocs sanitaires. En 2008, le rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) mettait en avant trois principales tendances réduisant la capacité des systèmes de santé à s’orienter vers les soins de santé primaires : l’hospitalo-centrisme, la marchandisation des soins et la fragmentation des systèmes (WHO 2008). Cela explique certainement pourquoi l’Assemblée mondiale de la santé de mai 2023 a mis l’accent sur le fait que les soins de santé primaires représentent la fondation de la résilience des systèmes de santé, et qu’il était nécessaire de s’en préoccuper d’urgence.

Approches, méthodes et plan de l’ouvrage

Le projet HoSPiCOVID est au cœur de cet ouvrage, reflétant deux approches conceptuelles spécifiques sur l’étude de la résilience des hôpitaux et de la prise en compte des ISS. Plus de détails sur ces approches sont présents dans le protocole du projet (Ridde et al. 2021) et dans des articles d’un numéro spécial HoSPiCOVID auxquels les lecteur·rice·s pourront se référer (voir le numéro spécial Health System & Reform). Mais tous les chapitres de ce livre ne se réfèrent pas uniquement à ces approches ou au projet HoSPiCOVID car nous souhaitions laisser place à une certaine diversité.

En ce qui concerne l’étude de la résilience hospitalière, une définition commune et ouverte de la résilience a été retenue : « capacités d’un hôpital, confronté à des chocs, des stress ou des tensions chroniques déstabilisantes (inattendus ou anticipés, soudains ou subtils, internes ou externes au système), à absorber, adapter et/ou transformer afin de maintenir et/ou améliorer l’accès universel à des soins de santé complets, pertinents et de qualité, sans faire basculer les patient·e·s dans la pauvreté ». Le résultat attendu de la résilience est l’accès aux soins de santé et à leurs cinq déterminants (Levesque, Harris, et Russell 2013). Ensuite, nous avons proposé un cadre conceptuel, des dimensions et des concepts pour étudier la résilience des hôpitaux. Le cadre, représenté en Figure 1, comprend plusieurs phases : 1) la survenue d’événements ou de chocs sanitaires, comme la pandémie de Covid-19; 2.i) les effets de ces évènements ou chocs sur les routines organisationnelles des hôpitaux et ses dimensions ainsi que 2.ii) les stratégies déployées par les hôpitaux et leurs personnels pour y faire face dans chacun de ces domaines et 2.iii) les impacts de ces stratégies, perçus comme positifs ou négatifs par les personnels au sein des hôpitaux; 3) les impacts de ces stratégies sur l’accès aux soins du point de vue de l’hôpital; et 4) les processus de résilience mis en œuvre par les hôpitaux (absorption, adaptation, transformation) (Blanchet et al. 2017) et leurs résultats (effondrement, détérioration, récupération, amélioration). Concernant les processus de résilience, l’absorption correspond à la capacité de l’hôpital à continuer à fournir des services de santé de base avec le même niveau de ressources et de capacités. L’adaptation, elle, représente la capacité de l’hôpital à fournir le même niveau de services de santé en s’appuyant sur des adaptations organisationnelles pour faire face à une situation perturbatrice. Enfin, la transformation correspond à la capacité de l’hôpital à modifier ses fonctions et sa structure en réponse à un choc.

Figure 1 : Cadre conceptuel de la résilience des hôpitaux face à la pandémie de Covid-19.
Figure 1 : Cadre conceptuel de la résilience des hôpitaux face à la pandémie de Covid-19.

En ce qui concerne l’étude des inégalités, l’équipe HoSPiCOVID a mobilisé un « bricolage théorique » empruntant des concepts à l’étude des politiques publiques, la planification en santé et la prise en compte des ISS (Gagnon-Dufresne et al. 2022). Quatre catégories d’analyse ont permis de mieux comprendre, comment, dans plusieurs contextes, la question des ISS avait nourri la planification et la mise en œuvre d’interventions de santé publique liées à la Covid-19. Il s’est notamment agit d’étudier i) la manière dont certain·e·s acteur·rice·s clés en santé appréhendent les ISS, ii) les stratégies globales privilégiées par ces acteur·rice·s pour lutter contre les ISS, iii) les collaborations intersectorielles de plusieurs secteurs, iv) les capacités d’adaptation des interventions à différentes échelles.

Les méthodes employées par la majorité des membres de l’équipe HoSPiCOVID et autres auteur·rice·s invité·e·s, ont été essentiellement qualitatives.

L’ouvrage comporte deux grandes parties. La première est consacrée aux études sur les hôpitaux et la seconde à celles sur la santé publique. Au sein de la première partie, une première section est consacrée aux études de cas uniques, c’est-à-dire ne concernant qu’un établissement hospitalier, et une seconde section permet aux auteur·rice·s de comparer plusieurs cas, c’est-à-dire des hôpitaux d’une même métropole ou de différents pays. Les études de cas se concentrent sur neuf hôpitaux situés au Brésil, au Canada, en France, au Japon et au Mali. Les hôpitaux ont été choisis pour des raisons pragmatiques et heuristiques : pour leur importance dans la réponse à la pandémie, la plupart étant des hôpitaux de référence de prise en charge de la Covid-19, et pour leur accessibilité par les chercheur·euse·s car les structures étaient submergées en cette période d’urgence. Au sein de la seconde partie, la première section est entièrement dédiée aux analyses de la prise en compte, ou de l’absence de prise en compte, des ISS dans la planification et la mise en œuvre de plusieurs interventions de santé publiques, et notamment le suivi des cas contacts et le dépistage du SRAS-CoV-2. La seconde section est plus générale et concerne notamment la manière dont les informations et les communications autour de la Covid-19 ont été diffusées et effectuées, et la façon dont elles ont été appréhendées par les populations de plusieurs villes de différents pays.

Quels sont les enseignements de ces chapitres sur la résilience des hôpitaux et de leurs personnels face à la pandémie de Covid-19?

Les premiers chapitres de ce livre fournissent un aperçu de la façon dont des hôpitaux de six pays – Brésil, Canada, France, Japon, Mali et Sénégal – se sont adaptés à la pandémie de Covid-19, en permettant de comparer, au niveau international, des contextes et des situations épidémiologiques contrastés.

Les études empiriques montrent que les hôpitaux étudiés sont arrivés, souvent grâce à une forte implication – voire dévotion – de leurs personnels, à absorber la crise en déployant des stratégies d’adaptation variées. Les équipes de recherche ont observé une forte résilience individuelle, des personnels hospitaliers, plutôt qu’organisationnelle, des structures/hôpitaux. En effet, la résilience des hôpitaux étudiés a souvent été contrainte et freinée par des réformes destructrices de l’hôpital public et par de forts manques de moyens matériels, humains et financiers, comme cela a été décrit plus haut. Les capacités de réponse des hôpitaux à la pandémie dépendaient alors quasi-systématiquement de l’engagement des professionnel·le·s, cela pouvant entraîner des conséquences néfastes sur leur santé physique et mentale.

La première section de la première partie du livre se concentre sur des études de cas uniques. Les trois premiers chapitres sont structurés autour du concept global de résilience (Gabet, Coulibaly, Chabrol) et les deux suivants autour de thématiques spécifiques liées à la résilience (Ridde, Chabrol et Chotard).

Après une brève analyse du contexte hospitalier et des effets de la pandémie de Covid-19 sur les routines organisationnelles des hôpitaux étudiés, les auteur·rice·s des trois premiers chapitres de la section identifient les stratégies mises en place par les hôpitaux et leurs personnels et décrivent les impacts de ces stratégies tels que perçus par le personnel hospitalier participant à l’étude. Enfin, ils et elles discutent et analysent la résilience des structures et des professionnel·le·s en identifiant les facteurs organisationnels et individuels facilitants et contraignants, puis indiquent les domaines de recherche future. Dans leur chapitre, Gabet et al. Indiquent que les récentes réformes de la santé au Québec (Canada) ont limité la résilience d’un Centre Intégré de Santé et de Services Sociaux (CISSS) du Québec, notamment en raison de la gouvernance très centralisée et des lourdeurs administrative et institutionnelle. Coulibaly et al. Démontrent que les stratégies mises en place à l’hôpital du Mali ont abouti à une résilience absorptive qui a consisté en une gestion transitoire de l’épidémie, sans opérer de changements profonds à moyen et long terme. Enfin, Chabrol et al. Notent la mobilisation sans précédent d’un hôpital de référence en région parisienne (France), soulignant que ce dernier s’est fortement appuyé sur la résilience et l’engagement des professionnel·le·s de l’hôpital.

Les deux derniers chapitres de cette section se concentrent sur l’influence de la réponse financière du gouvernement malien sur la gestion de l’épidémie de la Covid-19 par les professionnel·le·s de l’hôpital du Mali (Ridde), et sur une étude matérielle, affective et spatiale du soin dans un hôpital parisien faisant face à la Covid-19 (Chabrol et Chotard).

La deuxième section comporte des analyses comparatives menées au sein d’un même pays (David, Andrade, Honda, Gautier, Ridde, Paz de Sousa) et des analyses comparatives menées entre pays (Honda, Coulibaly), se concentrant sur des thèmes spécifiques et comparant les expériences des personnels hospitaliers. David et al. étudient et comparent la réorganisation du travail et des pratiques du personnel hospitalier induite par la pandémie de Covid-19 dans deux hôpitaux du Québec, soulignant que l’adaptation du travail par des stratégies de réaffectation pouvait assurer l’absorption de l’afflux de cas de Covid-19 dans les hôpitaux, mais que ces stratégies pouvaient également avoir des effets délétères sur le personnel hospitalier. Andrade et al. identifient plusieurs facteurs susceptibles de favoriser la résilience des systèmes de santé et des hôpitaux à Recife (Brésil), tels que les ressources financières, les nouveaux protocoles hospitaliers, le réseau de soutien, la formation professionnelle et le leadership proactif. Honda et al. soulignent que les stratégies mises en œuvre à un niveau par deux hôpitaux à Tokyo (Japon) pouvaient être problématiques à d’autres niveaux, et qu’il est ainsi impératif d’étudier les facteurs organisationnels du système de santé qui renforcent les capacités d’absorption, d’adaptation et de transformation des hôpitaux. Gautier et al. étudient les liens entre le style de leadership exercé dans les hôpitaux et leur résilience, en soulignant que l’expression de ces styles de leadership était largement façonnée par des politiques récentes. Ridde et al. décrivent le processus de résilience de huit hôpitaux régionaux du Sénégal comme adaptatif avec, pour résultat, un retour fréquent « à la normale ». Paz de Sousa et al. étudient et comparent la résilience de trois hôpitaux de la région de Recife au Brésil, montrant que des processus d’adaptation et d’absorption ont été observés dans ces trois derniers. Coulibaly et al. comparent les mesures relatives aux visites familiales mises en œuvre pendant la crise Covid-19 dans des hôpitaux français et malien, montrant que les mesures prises pour éloigner les familles des lieux d’hospitalisation des patient·e·s atteint·e·s de la Covid-19 ont été mal accueillies par les familles. Enfin, Honda et al. identifient et comparent les facteurs organisationnels qui ont facilité la création et la mise en œuvre d’approches hospitalières innovantes au Brésil, au Canada et au Japon, tels que des structures organisationnelles souples et adaptables, la mise en place et le maintien de systèmes de communication efficaces, un leadership engagé, une compréhension commune des missions et des valeurs de l’hôpital par l’ensemble du personnel, et l’utilisation des réseaux sociaux qui facilitent l’innovation et la mise en œuvre de nouvelles idées.

De manière générale, si les hôpitaux et leurs personnels ont su s’adapter à la crise Covid-19, il semble aujourd’hui hâtif de parler de véritables transformations, qu’il s’agisse de transformations des structures ou des pratiques des professionnel·le·s. Plus de temps et de recul seront nécessaires pour évaluer ce processus de transformation et la pérennité des stratégies mises en place par les hôpitaux et leurs personnels.

Quels sont les enseignements de ces chapitres sur la santé publique en période de pandémie de Covid-19[1]?

La première section de la seconde partie du livre se concentre sur la prise en compte – et le plus souvent sur l’absence de prise en compte – des ISS dans la planification et la mise en œuvre de certaines interventions de santé publique, telles que le suivi des contacts et le dépistage Covid-19, en France, au Canada, au Mali et au Brésil (Mathevet, Gagnon-Dufresne, Beaujoin, Boivin, Richard, Nóbrega).

L’universalisme proportionné permet le déploiement d’interventions pour l’entièreté de la population, accompagnées d’efforts supplémentaires proportionnels au niveau de désavantage des divers groupes sociaux (Marmot 2015). Cette approche, considérant que les groupes les plus difficiles à atteindre sont souvent ceux ayant des besoins plus importants, est plus équitable. Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, une approche d’universalisme proportionné aurait pu consister en la planification et la mise en œuvre d’interventions populationnelles de dépistage et de suivi des contacts, combinées à d’autres activités spécifiques, pour les rendre plus accessibles aux populations défavorisées, éloignées ou vulnérables. Bien que cette approche ait souvent été identifiée comme préférable pour améliorer l’équité en santé, notre étude montre qu’elle ne semble pas avoir été priorisée par les responsables de la santé publique dans les pays étudiés et concernant la plupart des interventions que nous avons étudiées comme le dépistage et le suivi des cas contacts ou même la vaccination (qui fera l’objet d’une autre publication).

La perception des ISS de la part des act·eur·rice·s et de leurs organisations varie dans chacun des lieux des études présentées dans cette section. À Montréal, les personnes interrogées de divers secteurs (hospitalier, santé publique, communautaire, etc.) soutiennent que la réflexion sur les ISS est bien intégrée au mandat de leur organisme. En Île-de-France, en Amazonas et à Bamako, cette réflexion apparaît moins formalisée. Néanmoins, à Montréal et en Île-de-France, les répondant·e·s identifient rapidement des groupes plus vulnérables à la Covid-19 pendant la première vague pandémique. Ils mentionnent notamment les impacts inégalitaires de la pandémie sur les populations racisées et migrantes. À Bamako et en Amazonas, la plupart des répondant·e·s considèrent que la pandémie n’a pas exacerbé les ISS, considérant que le virus n’affecte pas un groupe social plus qu’un autre. De manière générale, les act·eur·rice·s n’ont pas une conception consensuelle des ISS, nuisant potentiellement à leur prise en compte dans les interventions de dépistage et de suivi des contacts. Par ailleurs, le constat selon lequel certains groupes sont plus affectés que d’autres par la pandémie ne se traduit pas directement dans la planification ou la mise en œuvre de ces interventions.

À Montréal, à Bamako et en Île-de-France, différentes personnes affirment que le climat d’urgence lié à la pandémie éclipsait la question des ISS. Cette dernière est mise de côté pour prioriser le déploiement d’interventions à l’échelle de toute la population, dans l’objectif de freiner la propagation du virus. Cette approche populationnelle est perçue comme nécessaire en contexte pandémique pour que l’ensemble de la population ait un accès égal aux interventions. Égalité et équité sont donc parfois confondues. Certaines personnes soulignent néanmoins l’importance d’adapter les interventions pour atteindre les sous-groupes les plus vulnérables. En Amazonas, le dépistage — non ouvert à l’ensemble de la population — cible plutôt les sous-groupes considérés à risque, incluant initialement les professionnel·le·s de santé, les travaill·eur·euse·s essentiel·le·s et les personnes hospitalisées. Ce processus de dépistage axé sur les groupes à risque, mis en œuvre lors de la première vague Covid par les autorités d’Amazonas, a perduré au cours des vagues suivantes.

Les interventions de dépistage et de suivi des contacts ont été adaptées au fil du temps. Bien que la question des ISS soit peu considérée à l’étape de la planification des interventions, on s’y intéresse davantage lors de leur mise en œuvre. Confrontés à la réalité du terrain, les personnes impliquées dans la planification des interventions adaptent les interventions pour les vagues subséquentes. À des degrés variables, favoriser l’accessibilité des interventions devient une priorité dans le but d’atteindre les populations marginalisées. Ces adaptations visent notamment les populations rurales à Bamako, les populations migrantes, racisées et allophones à Montréal, les populations à faible statut socio-économique en Île-de-France, et les populations autochtones en Amazonas. Parmi les adaptations mises en œuvre, on note le déploiement de cliniques mobiles, la création de nouvelles cliniques de dépistage et l’aide à l’isolement pour les personnes vulnérables testées positives.

L’absence de prise en compte des ISS dans la planification et la mise en œuvre d’interventions de santé publique est historique (Aïach 2010). Deux revues de littérature menées par notre équipe démontrent effectivement que, lors d’épidémies passées (maladies sexuellement transmissibles, VIH, Ébola, tuberculose) et présentes (Covid-19), la grande majorité des interventions de dépistage et de suivi des contacts ne repose pas sur des stratégies favorisant leur déploiement équitable (Mathevet et al. 2021; Ost et al. 2022). Depuis plusieurs décennies, les appels à la prise en compte de l’équité et de la justice sociale dans les interventions de santé publique s’accumulent. Différents documents phares de la santé publique, de la déclaration d’Alma-Ata de 1978 à la Commission sur les déterminants sociaux de la santé de 2008 en passant par la Charte d’Ottawa de 1986, insistent sur l’importance de faire de la réduction des ISS une priorité et la base de toute intervention de santé publique.

La réponse à la pandémie de Covid-19 apparaît alors comme une opportunité manquée, qui met en lumière l’attention politique insuffisante portée aux mandats de la santé publique. Ces chapitres de la section 1 invitent donc à s’attarder à l’évaluation de la capacité des responsables des interventions sanitaires à tenir compte des ISS, permettant aux personnes expertes et aux responsables politiques concerné·e·s par la santé publique d’en tirer des leçons. Cela est indispensable pour que les futures interventions de santé publique n’aggravent pas les ISS, et que le climat d’urgence engendré par les pandémies, dont la multiplication semble inévitable, ne serve plus de nouveau prétexte au manque de volonté politique à l’échelle mondiale.

La deuxième section de cette partie aborde les questions essentielles, en temps de crise et d’urgence, de diffusion de l’information, de communication et de perceptions des populations (Escot, Bonnet, Houngnihin, Ba). Tout d’abord, Escot constate que les médias maliens ont accordé une place limitée à la question des structures de prise en charge Covid-19 en période de pandémie de Covid-19. Les journalistes ont rencontré des difficultés d’accès aux sources sur la question hospitalière et les troubles politiques perturbant les circuits d’information des institutions, laissant les journalistes dans un flou qu’ils n’avaient pas la capacité d’éclaircir. Le fait que la Covid-19 occupe peu les tribunes de la presse a très probablement impacté le niveau de connaissances des populations, leurs perceptions de la maladie et des mesures de prévention ainsi que leur recours aux soins. Dans leur chapitre, Bonnet et al. étudient la connaissance de la Covid-19 et des mesures préventives des personnes indigentes au Burkina Faso. Puis ils décrivent l’évolution de leurs parcours de soins pendant la pandémie de Covid-19. Ils montrent que la Covid-19 est partiellement connue par ces populations et que les mesures de prévention ne sont pas universellement comprises et constatant une augmentation de plus de 11 % de leur non-recours aux soins. Houngnihin analyse les réactions des populations béninoises face au dispositif de port du masque qui a été rendu obligatoire, décrivant que le masque est devenu un support de communication et une opportunité financière, cela induisant de multiples mésusages. Enfin, Ba et al. ont examiné les raisons de l’hésitation et du refus du vaccin contre la Covid-19 des populations au Sénégal, telles que le fait de douter de son efficacité, le manque d’informations données par les professionnel·le·s de santé ou encore la crainte que le vaccin puisse nuire à leur santé.

Conclusion

Les équipes impliquées dans ce programme de recherche, et plus largement dans cet ouvrage, sont toutes convaincues de l’importance de produire des connaissances utiles, non seulement aux scientifiques, mais aussi, sinon surtout, aux responsables des systèmes de santé, des hôpitaux et de la santé publique. Les deux derniers chapitres de l’ouvrage rendent compte des leçons apprises dans chaque hôpital à travers un processus spécifique de production de ces leçons, guidé par une revue des écrits scientifiques (Dagenais 2022) et comprenant une série d’activités délibératives (groupes de discussion, ateliers). Nous espérons ainsi que le contenu de cet ouvrage et que les démarches scientifiques empruntées puissent nourrir les réflexions collectives afin que nous soyons mieux préparés aux prochaines crises… qui sont déjà là !

Références

Aïach, P. 2010. Les inégalités sociales de santé. Écrits. Paris: Economica. Anthropos.

Batifoulier, Philippe. 2013. « Faire payer le patient: une politique absurde ». Revue du MAUSS 41(1): 77. https://doi.org/10.3917/rdm.041.0077.

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  1. Les premiers paragraphes de cette partie correspondent à une version réduite et adaptée d’un article écrit collectivement pour The Conversation, coordonné par Marie-Catherine Gagnon-Dufresne.

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Hôpitaux et santé publique face à la pandémie de Covid-19 Droit d'auteur © par Valéry Ridde, Lola Traverson, Kate Zinszer est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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