18. Le dépistage de la Covid-19 et les inégalités à Manaus

Raylson Nóbrega, Stéphanie Gomes de Medeiros, Sydia Rosana de Araujo Oliveira

Résumé

La pandémie de Covid-19 a révélé et aggravé les faiblesses des systèmes de santé publique du monde entier, y compris du Brésil. La maladie a touché de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables. Ce chapitre a pour objectif d’analyser la prise en compte des inégalités sociales de santé (ISS) dans la formulation des interventions de dépistage de la Covid-19 à Manaus, au Brésil. Une approche d’étude de cas qualitative a été réalisée. Nous avons mené 11 entretiens avec des acteur·rice·s clés à partir d’un guide semi-structuré. Des documents officiels ont également été étudiés. Toutes les données collectées ont été analysées avec l’outil REFLEX-ISS. Les ISS n’ont généralement pas été prises en compte dans la formulation des interventions de dépistage. En raison de ressources insuffisantes, les dépistages ont notamment été limités aux patient·e·s gravement malades et aux catégories de professionnel·le·s des services considérés comme essentiels. Pour répondre à la demande, il a fallu obtenir le soutien de bénévoles et établir des partenariats entre institutions. Il est indispensable que les acteur·rice·s décisionnaires en santé aient des connaissances sur les ISS et les prennent en compte dès la formulation des interventions pour élaborer des politiques équitables.

Mots-clés : Covid-19, dépistage, politique de santé, inégalités sociales de santé

Resumo

A pandemia da COVID-19 revelou e agravou fragilidades nos sistemas públicos de saúde em todo o mundo, não sendo diferente no Brasil. A doença afetou desproporcionalmente as populações mais vulneráveis. Este capítulo tem como objetivo analisar as desigualdades sociais em saúde no planejamento das intervenções de rastreamento da COVID-19 em Manaus, no Brasil. Foi realizada uma abordagem qualitativa de estudo de caso. Realizamos 11 entrevistas com atores-chave com base em um roteiro semiestruturado. Documentos oficiais também foram estudados. Todos os dados coletados foram analisados ​​com a ferramenta REFLEX-ISS. As desigualdades sociais da saúde geralmente não são considerados no planejamento da triagem. Devido à insuficiência de recursos, os rastreios têm sido limitados sobretudo a doentes graves e a categorias de profissionais de serviços considerados essenciais. Para atender a demanda, foi necessário obter o apoio de voluntários e estabelecer parcerias entre instituições. É fundamental que os tomadores de decisão em saúde tenham conhecimento das desigualdades e os levem em consideração no planejamento de intervenções para o desenvolvimento de políticas equitativas.

Palavras-chave: COVID-19, planejamento em saúde, política de saúde, determinantes sociais da saúde, desigualdades

Introduction

En décembre 2019, une nouvelle pneumonie virale a été observée dans la ville de Wuhan, en Chine. Du fait de la propagation rapide de la maladie sur tous les continents, la pandémie de Covid-19 a été déclarée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) le 11 mars 2020. Au Brésil, le premier cas de Covid-19 a été confirmé le 26 février 2020, dans la ville de São Paulo. Un mois plus tard, tous les États brésiliens avaient signalé des cas (Silva 2020). Dans l’État d’Amazonas, le premier cas a été confirmé le 13 mars 2020 à Manaus – capitale de l’État – et le premier décès a été déclaré le 24 mars 2020 dans la ville de Parintins.

L’État d’Amazonas a considérablement souffert de ces trois années de pandémie. Les décès de patient·e·s en raison du manque d’oxygène dans les hôpitaux, la capacité insuffisante d’accueil des unités de soins intensifs (USI), l’arrivée d’un nouveau variant plus contaminant, ont contribué à l’effondrement du système de santé de l’État en janvier 2021 (Sabino et al. 2021; Barreto et al. 2021). Cette situation est le résultat de mesures préventives qui n’ont pas pris en compte les particularités de l’État.

Les inégalités sociales sont un facteur prédisposant à l’infection et à la propagation du SRAS-CoV-2, du fait notamment de l’isolement social, de la restriction de l’accès aux soins d’hygiène de base, et de la difficulté d’accès aux services de santé (Bambra, Lynch, Smith 2021). En analysant les variations de la mortalité due à la Covid-19 au Brésil, Baqui et al. (2020) ont identifié des preuves de deux effets sociaux distincts, mais liés : un taux de mortalité plus élevé dans la région du nord et dans la population noire. L’effet régional des décès est dicté par les faibles niveaux de développement socio-économique dans les États du nord du pays.

Parmi les principales interventions de santé publique visant à stopper la propagation du SRAS-CoV-2, les dépistages de masse ont permis un suivi par la détection des cas positifs et par l’isolement de ces cas. Cependant, cette stratégie implique l’existence d’infrastructures physiques et de ressources humaines adéquates pour soutenir la demande et, ainsi, répondre aux besoins de services de santé (Savard et al. 2022).

Compte tenu des précédents constats, il nous a semblé nécessaire de comprendre si, et comment, les inégalités sociales de santé (ISS) avaient été prises en compte dans la formulation des interventions de dépistage de la Covid-19 dans l’État d’Amazonas, qui était initialement concentrée dans la capitale Manaus.

Méthode

L’étude a été réalisée dans l’État d’Amazonas de mars 2020 à juin 2021. L’État d’Amazonas est situé dans la région nord du Brésil, et est le plus grand État brésilien avec une faible densité de population (2,23 habitants/km2). Celle-ci est estimée à 4 269 995 habitant·e·s dispersé·e·s dans 62 municipalités réparties en 9 régions sanitaires (Figure 1). Manaus, la capitale, regroupe une grande concentration de services de santé. Cet État se classe au 18ème rang parmi les États brésiliens pour l’indice de développement humain (IDH). Il occupe la 25ème position parmi les 27 États brésiliens par rapport au revenu nominal mensuel des ménages par habitant. L’indice de Gini est de 0,568, ce qui en fait le deuxième État avec la pire répartition des revenus (IBGE 2021; Pacifico et al. 2021).

Figure 1 - Carte de l'État d'Amazonas et des régions sanitaires.Source : SES/AM - Département d'État de la santé d'Amazonas
Figure 1 – Carte de l’État d’Amazonas et des régions sanitaires. Source : Département d’État de la santé d’Amazonas.

Une méthode qualitative a été utilisée, basée sur des recherches documentaires et des entretiens semi-structurés. La recherche documentaire a été effectuée sur les sites officiels des institutions recherchées et seuls les documents officiels ont été pris en compte (décrets, informations, notes techniques, rapports et ordonnances), entre janvier et novembre 2020.

Onze acteur·rice·s clés ayant participé à la phase de formulation de l’intervention de dépistage ont été interrogé·e·s – gestionnaires, professionnel·le·s du Laboratoire Central de Santé Publique d’Amazonas, professionnel·le·s de la Fondation de Surveillance de la Santé de l’État d’Amazonas (FVS-AM), professionnel·le·s travaillant dans les centres de dépistage) (Tableau 1). Les entretiens ont été réalisés à partir d’un guide d’entretien semi-structuré. Ils ont duré de 30 à 45 minutes, ont été enregistrés puis retranscrits.

 

Tableau  1. Profils des répondant·e·s.
 
Profil de la personne interrogée Fonction Lieu d’opération
Licence en pharmacie, maîtrise et doctorat en maladies infectieuses parasitaires Coordination des bénévoles Centre de Dépistage Rapide – Université Fédérale d’Amazonas (CDR-UFAM)
Licence en pharmacie Aide bénévole CDR-UFAM
Licence en sciences infirmières, spécialiste en épidémiologie Coordination de la politique de dépistage Fondation de surveillance de la santé de l’État d’Amazonas (FVS/AM) CDR-Sambódromo
Licence en pharmacie, maîtrise en technologie alimentaire et doctorat en pharmacologie Aide bénévole CDR – UFAM
Licence en pharmacie, maîtrise et doctorat en produits naturels Aide bénévole CDR – UFAM
Licence en pharmacie Aide bénévole CDR – UFAM
Licence en médecine dentaire, maîtrise et doctorat en endodontie Coordination des bénévoles Centre de Dépistage Rapide – Université d’État d’Amazonas (CDR – UEA)
Licence en pharmacie, spécialiste en épidémiologie et santé publique Direction Laboratoire central de santé Publique (LACEN/AM)
Licence en pharmacie Prise en charge des maladies endémiques LACEN/AM
Licence en médecine dentaire, maîtrise et doctorat en dentisterie clinique Aide bénévole CDR-UEA
Licence en Pharmacie, Spécialiste en Analyse Clinique, Hématologie et Assistance Pharmaceutique Coordination Centre de Dépistage Rapide – Police Militaire d’Amazonas (CDR-PMAM)

L’instrument TIDieR-PHP a été utilisé pour analyser les documents et décrire les interventions (Campbell et al. 2018). Les entretiens ont eux été analysés selon la méthode d’analyse de contenu en effectuant une analyse thématique basée sur les concepts préétablis tirés du cadre théorique REFLEX-ISS (Guichard et al. 2015). Cet outil vise à étudier si et comment les ISS sont prises en compte dans des interventions de santé publique. L’outil comporte cinq phases de réflexion : formulation, mise en œuvre, évaluation, pérennité et renforcement. Seule la phase de « formulation » a été retenue pour la présente étude.

Cette étude a été réalisée conformément à l’approbation de la Commission nationale d’éthique de la recherche (CONEP) nº4.018.111. Toutes les institutions qui ont participé à la recherche ont envoyé une lettre de consentement, acceptant que la recherche soit effectuée sur leur territoire et par leurs professionnel·le·s.

Résultats

Formulation de la politique de dépistage de la Covid-19 et prise en compte des inégalités sociales de santé (ISS)

Analyse du problème et des besoins

Avant l’arrivée de la Covid-19 dans l’État d’Amazonas, le gouvernement de l’État avait mis en place des mesures préventives. La première était une alerte destinée aux médecins sur la circulation du virus de la grippe A et les caractéristiques qui le distinguent du Syndrome Grippal et du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS). L’objectif était de s’assurer que les tests de dépistage étaient administrés aux patient·e·s souffrant de graves problèmes respiratoires (car il n’y avait pas assez de tests pour tester toutes les personnes présentant des symptômes légers).

En février 2020, le Comité Interinstitutionnel de Gestion des Urgences de Santé Publique de l’État d’Amazonas a été créé pour permettre de donner une réponse rapide aux exigences du nouveau coronavirus. Le comité a guidé le protocole de traitement, défini ce qu’était un « cas suspect », et mis en place un processus de notification de ces cas et des mesures de contrôle. Les ISS n’ont pas été prises en compte pour les tests.

Le 13 mars 2020, le premier cas de Covid-19 a été confirmé dans l’État d’Amazonas. Pour signaler ce cas, les autorités compétentes ont uni leurs forces. Cet alignement a reflété l’intention de l’État d’Amazonas de travailler avec tous les niveaux de parties prenantes : nationale, étatique et municipale. Cependant, au cours de la période étudiée, l’État a centralisé le dépistage dans la Fondation de surveillance de la santé de l’État d’Amazonas (FVS-AM), couvrant une population restreinte : travailleur·euse·s des services jugés essentiels et patient·e·s hospitalisé·e·s dans les hôpitaux de référence, se concentrant dans la capitale. Le dispositif de tests mis en place a manifesté une faible capacité à anticiper les problèmes. Un mois après la confirmation des premiers cas de Covid-19, le premier Centre de Dépistage Rapide (CDR) d’Amazonas a été créé, destiné exclusivement aux professionnel·le·s de santé symptomatiques atteint·e·s de Covid-19. En cinq mois (avril à août 2020), la FVS-AM a ouvert quatre autres centres de dépistage, tous destinés aux travailleur·euse·s essentiel·le·s. Les tests n’étaient pas encore disponibles pour la population générale.

Vision des répondant·e·s sur les ISS

Aucune vision commune à propos des ISS n’est ressortie des entretiens. Certain·e·s participant·e·s ont cependant rappelé qu’en raison de la pénurie de tests rapides, les ISS ne pouvaient pas être prises en compte, les professionnel·le·s de santé étant une priorité pour assurer la continuité des soins.

Il y avait des inégalités, oui, mais c’était dû à un manque de matériel de pointe à l’époque. Les tests étaient très rares au début, c’était très cher, presque personne ne pouvait payer. […] Le gouvernement a préféré commencer par les professionnel·le·s de santé qui étaient en première ligne. (Bénévole, CDR)

D’autres ne savaient pas si les ISS avaient joué un rôle dans la pandémie de Covid-19 :

Je n’ai pas vu ce problème [Covid-19] qui affecte les pauvres plus que d’autres personnes, d’autres groupes sociaux. Je pense que cela affecte pareil. (Direction, FVS)

Enfin, certain·e·s considèrent que les ISS étaient en effet des facteurs de risque de contamination et qu’elles auraient dû être priorisées dès la formulation des interventions de dépistage :

Recevoir moins de trois salaires minimums dans une ville comme Manaus est un facteur de risque de contracter l’infection. Donc je pense que ce regard est essentiel pour une politique qui est toujours d’actualité car la pandémie n’est pas finie. (Coordination, CDR)

Malgré des opinions individuelles contrastées sur les ISS, les personnes socialement vulnérables n’ont pas été prioritairement ciblées au cours de la formulation de l’intervention de dépistage. Le choix des groupes prioritaires pour le dépistage était basé sur l’exposition professionnelle au virus des travailleur·euse·s de santé. L’accès de la population générale au dépistage n’intervenait que lors de l’admission des cas graves dans les hôpitaux de référence.

Données utilisées pour la formulation de l’intervention de dépistage de la Covid-19

En ce qui concerne les données qui ont guidé la formulation de l’intervention de dépistage, les déclarations sont contradictoires. Certain·e·s ont avancé qu’aucunes données épidémiologiques n’avaient été utilisées pour accorder la priorité aux professionnel·le·s de santé. D’autres ont déclaré qu’en raison de la nature inédite de la Covid-19 et donc de l’absence de recherche scientifique pour orienter la formulation des interventions de dépistage, les protocoles de dépistage d’autres infections, comme les infections sexuellement transmissibles, ont été ajustés pour s’adapter à la situation de la Covid-19.

Objectifs, justification et conception des approches pour faire face aux ISS

En raison du manque de tests, ces derniers ont été limités aux patient·e·s hospitalisé·e·s gravement malades et à certaines catégories de professionnel·le·s. Des CDR ont été créés spécifiquement pour dépister ces populations.

Le premier centre (CDR-1) a été inauguré à l’École d’infirmières de l’Université fédérale d’Amazonas, grâce au travail bénévole de professeur·e·s et d’étudiant·e·s dans le domaine de la santé, principalement en pharmacologie. L’objectif était de tester les professionnel·le·s de santé symptomatiques qui travaillaient en première ligne dans la lutte contre la Covid-19. Le dépistage des professionnel·le·s de santé visait à « minimiser les dégâts […] car ce sont des professionnel·le·s de santé qui prennent en charge tous les patient·e·s, il fallait donc regarder ces professionnel·le·s sous un autre angle » (Direction, FVS).

Le CDR-2 a été installé au siège du service d’incendie pour dépister les professionnel·le·s de la sécurité publique. Ensuite, le CDR-3 a été créé au commandement de la police militaire, destiné aux militaires. La création de ces deux centres était justifiée par la nécessité de tester les travailleur·euse·s essentiel·le·s. De plus, ces lieux ont été identifiés comme pratiques car ils disposaient de professionnel·le·s et d’équipements, n’ayant besoin que des intrants pour effectuer les dépistages. Ces derniers ont été mis à disposition par le Département de la santé et le gouvernement.

En raison de la forte affluence dans le CDR-1, le FVS-AM a recherché des professeur·e·s de l’Université d’État d’Amazonas pour créer un CDR-4 afin de tester les professionnel·le·s de santé. L’accès à ce centre se faisait au volant pour réduire les risques de contamination.

Enfin, en août 2020, un CDR-5 a été mis en place pour dépister les professionnel·le·s de l’éducation publique. Les premiers tests s’adressaient aux professionnel·le·s travaillant à Manaus, en raison de la réouverture des écoles.

Les CDR n’étaient pas uniformément répartis sur le territoire. Tous étaient situés dans les zones centrales de la ville, en fonction des espaces disponibles pour les accueillir. À l’exception du CDR-5, les CDR ont été principalement créés par les ressources humaines disponibles dans ces espaces.

Engagement des partenaires et des publics cibles du dépistage

Pour étendre la capacité des tests de dépistage RT-PCR (Test de la réaction de transcriptase inverse suivie d’une réaction en chaîne par polymérase) et renforcer la surveillance des laboratoires, il a été nécessaire de décentraliser le traitement et le diagnostic des échantillons biologiques pour les tests Covid-19 et d’établir un partenariat entre les institutions publiques et privées. La décentralisation s’est faite grâce à la participation du réseau de laboratoires privés et du réseau de laboratoires publics à travers la Fondation de Médecine Tropicale Docteur Heitor Vieira Dourado (FMT-HVD) et l’Institut Leônidas et Maria Deane (ILMD). De plus, un partenariat a été signé avec l’Institut national de recherche en Amazonie (INPA) qui a fourni des équipements au Laboratoire Central de Santé Publique (Laboratório Central de Saúde Pública, LACEN) pour le traitement des tests et l’acquisition d’équipements qui ont permis d’élargir et d’améliorer l’accessibilité du dépistage.

Pour la mise en œuvre des CDR en Amazonas, les partenariats avec les universités étaient essentiels car ils ont permis de fournir l’espace physique, l’équipement et le personnel. Les volontaires ont joué un rôle de premier plan au sein des CDR et du LACEN. Comme ils venaient de différents domaines techniques et académiques des sciences de la santé, ils ont occupé différents postes, tels que la coordination du CDR, la mise en œuvre du dépistage, le traitement des tests et la diffusion des résultats. Dans les universités, les professeur·e·s et étudiant·e·s travaillaient sur une base volontaire. Des professionnel·le·s ayant une expérience antérieure avec d’autres maladies infectieuses et la vaccination ont soutenu le processus.

Enfin, la mobilisation des populations a été un facteur positif; cela se reflétant notamment dans les dons alimentaires destinés aux professionnel·le·s impliqué·e·s dans le dépistage.

Discussion

Dans cette étude, nous avons observé que la formulation de l’intervention du dépistage de la Covid-19 dans l’État d’Amazonas était inadaptée à deux égards. Le premier, élément central de notre recherche, est que les ISS n’ont pas été prises en compte dans la formulation de l’intervention de dépistage. La Fondation pour la Surveillance de la Santé, chargée de coordonner la formulation de l’intervention de dépistage de la Covid-19 dans l’État, a commencé à concevoir le modèle des premiers CDR en réaction à la pénurie de professionnel·le·s de santé de première ligne infecté·e·s par la maladie. La formulation de l’intervention de dépistage  a donc été conçue pour répondre à cette urgence et s’est principalement appuyée sur des documents axés sur la logistique des CDR afin de prévenir et de contrôler la propagation de la Covid-19 dans l’espace de dépistage. Cependant, la nécessité d’une réponse urgente à cette infection ne justifie pas de ne pas prendre en compte l’importance des ISS pour lutter de manière plus efficace contre des maladies aiguës hautement contagieuses (Da Silveira, Costa 2020).

Les connaissances tirées d’autres épidémies internationales antérieures telles que la grippe H1N1, le SRAS et Ebola, ainsi que l’expérience brésilienne de la dengue, de la tuberculose et du VIH/sida, démontrent la relation entre les taux d’incidence et de mortalité et les inégalités socio-économiques (Demenech et al. 2020). Ces données auraient pu être utilisées pour la formulation de l’intervention de dépistage en accordant une attention particulière aux populations les plus vulnérables, qui, en raison de leur plus grande probabilité de contamination, présentent également un risque accru de propagation de la maladie.

Dans la mesure où les ISS sont des facteurs qui conditionnent le processus santé-maladie, les politiques de santé considérées comme universelles devraient adopter des initiatives visant à favoriser l’accès aux soins des populations vulnérables (Ost et al. 2022). Dans cette optique, par exemple, le gouvernement cubain a mis en place dès le début de la pandémie une couverture universelle et gratuite, où les ressources les plus importantes ont été allouées aux populations présentant les situations socioéconomiques les plus défavorables, ce qui a permis d’établir une politique de santé plus équitable (Mas et al. 2021). Comme nous l’avons vu, la préoccupation concernant les ISS ne s’est pas manifestée en Amazonas, où existe également un facteur aggravant, puisqu’il s’agit de l’État présentant la plus grande inégalité économique au Brésil (Lima et al. 2023).

La concentration des centres de dépistage dans la capitale de l’État au cours de la période étudiée est une autre manifestation du manque d’attention accordée aux ISS. Cette mesure entraîne des difficultés d’accès aux tests pour la population résidant à l’intérieur de l’État, ce qui souligne une inégalité d’accès entre les populations vivant dans la capitale et celles vivant dans d’autres municipalités de l’État. L’Amazonas est connu pour sa vaste étendue territoriale, caractérisée par de vastes bassins fluviaux, ce qui entraîne une distance considérable entre les municipalités de l’intérieur et la capitale. Souvent, les déplacements ne peuvent se faire que par voie fluviale ou aérienne, ce qui aggrave le problème de l’accès aux services de santé et crée d’autres disparités sociales par rapport à d’autres régions du Brésil (Guimarães et al. 2020).

Le modèle de décentralisation du dépistage est une stratégie clé pour prévenir l’augmentation du nombre de nouveaux cas, en permettant un lien avec des soins adéquats et une surveillance épidémiologique, mais il se heurte à des obstacles dans la distribution du matériel et des infrastructures nécessaires au diagnostic (Magno et al. 2020).

Dans la capitale, les CDR n’ont pas été distribués équitablement, ignorant ainsi les populations vulnérables. Les tests auraient pu être décentralisés à travers les Unités de Santé Familiale, conçues pour fournir des soins de santé de base à des emplacements géographiquement décentralisés, permettant ainsi un accès facilité au dépistage aux populations les plus vulnérables, et réduisant ainsi la transmission, comme cela a été observé dans d’autres pays (Raffle, Pollock, Harding-Edgar 2020; Burki 2020).

Le deuxième aspect inadéquat de la formulation de l’intervention du dépistage de la Covid-19 dans l’Amazonas a été le manque de coordination nationale. En raison de recommandations formulées sans fondements scientifiques, telles que l’utilisation extensive de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine dans le traitement de la Covid-19, le ministère brésilien de la Santé est entré en conflit avec les gouverneurs de plusieurs États, ce qui a conduit à une décision de la Cour Suprême Fédérale garantissant l’autonomie des États pour prendre des mesures normatives et administratives relatives à la Covid-19 (Vieira, Servo 2020). Il n’existait pas de protocoles nationaux solides pour guider la surveillance, la prévention et le contrôle de la nouvelle infection.

Au début de la pandémie de la Covid-19, l’Amazonas, comme d’autres États brésiliens et d’autres pays, avait un accès très limité aux tests (Binnicker 2020). Ce fait peut avoir contribué à l’absence de formulation de l’intervention de dépistage axée sur les ISS. Cependant, bien que la population socialement vulnérable n’ait pas été incluse dans le dépistage, il y a eu une sélection des groupes prioritaires basée sur le critère de vulnérabilité liée au degré d’exposition au virus. Les travaill·eur·euse·s des secteurs publics exerçant des services essentiels ont continué à travailler même pendant la période la plus grave de contamination pandémique, privé·e·s de quarantaine et de distanciation sociale, qui sont les principales mesures de protection contre le virus (Helioterio et al. 2020). Cette exposition professionnelle au SRAS-CoV-2 crée une forme d’inégalité contextuelle qui a justifié la priorité accordée à ces groupes dans le dépistage afin de maintenir le fonctionnement de ces services essentiels (Gallasch et al. 2020).

Au-delà des patient·e·s hospitalisé·e·s atteint·e·s de la Covid-19, les professionnel·le·s de santé, les agent·e·s de sécurité publique, le personnel militaire et, lors de la préparation de la reprise des activités scolaires, les professionnel·le·s de l’éducation ont été considéré·e·s comme prioritaires pour accéder au dépistage. Parmi les groupes les plus vulnérables à l’infection par la Covid-19, on compte les professionnel·le·s de santé de première ligne qui sont en contact direct avec les personnes infectées (Helioterio et al. 2020). Le dépistage permet une plus grande flexibilité dans la réaffectation de la main-d’œuvre, car les personnes testées négatives pour la Covid-19 peuvent retourner plus rapidement au travail. Il est également question d’effectuer des tests et des dépistages chez les personnes âgées vivant dans des maisons de soins de longue durée, car elles présentent des conditions physiologiques propices au développement d’un tableau clinique sévère de la maladie (Moraes et al. 2020; Menezes et al. 2020).

La mesure de prise en charge prioritaire des professionnel·le·s de santé est en accord avec les recommandations de l’OMS qui préconisent de détecter précocement et de contrôler l’infection au sein des équipes de soins (Albuquerque 2020). Cette mesure a également été adoptée dans des pays tels que le Royaume-Uni, sous la pression des syndicats. Cependant, même si le dépistage dans les CDR s’est concentré sur les travailleur·euse·s des services essentiels, il était initialement limité aux personnes présentant des symptômes. Dans ce cas précis, nous constatons que le dépistage est envisagé uniquement comme une fonction de diagnostic de la maladie et ne remplit pas pleinement son rôle essentiel d’interruption de la chaîne de transmission du virus. Pour atteindre cet objectif, il ne serait pas nécessaire d’importer un grand nombre de tests, mais plutôt de les utiliser de manière appropriée (Da Silveira, Costa 2020). Nous soulignons les expériences réussies observées dans les pays qui ont adopté le dépistage de masse de la population et qui, grâce à cette mesure, ont réussi à mieux contrôler la transmission du SRAS-CoV-2.

Pour la mise en place des CDR et l’expansion de la capacité technique pour effectuer des tests RT-PCR, il a été nécessaire d’établir des partenariats avec des institutions et des universités, ainsi que de mobiliser le travail bénévole et la participation des populations. Bien que ces données soulignent la fragilité du système de santé et le manque de ressources humaines pour faire face à la Covid-19, l’expansion des infrastructures technologiques, grâce au soutien de laboratoires privés et d’universités, est préconisée comme une bonne alternative pour répondre à la pandémie (Albuquerque, 2020). De plus, le travail bénévole a été considéré comme une solution rapide à mettre en œuvre face à la demande existante à l’époque (Kabad et al. 2020; Lopes et al. 2021).

Conclusion

Bien que la vulnérabilité sociale soit un facteur aggravant de la pandémie de Covid-19, les ISS n’ont pas été prises en compte dans la formulation de l’intervention de dépistage dans l’État d’Amazonas, au Brésil. Une sélection de groupes prioritaires a été réalisée en fonction des critères de vulnérabilité à l’exposition au SRAS-CoV-2 et des personnes atteintes d’une maladie grave. Ces critères ont reposé sur une inégalité contextuelle imposée par l’impossibilité de prendre certaines des mesures de protection les plus importantes à l’époque, notamment la quarantaine et l’isolement social.

Les personnes élaborant les politiques de santé doivent reconnaître l’importance de prendre en compte les ISS lors de la formulation des interventions de santé publique, telles que celles de dépistage de masse, afin d’élaborer des politiques équitables. Il est nécessaire de disposer d’un système de santé capable de réagir rapidement et efficacement, grâce à l’utilisation de données épidémiologiques basées sur des expériences antérieures d’urgences sanitaires, en plus de la nécessité d’investir davantage dans les ressources technologiques et humaines en santé.

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Hôpitaux et santé publique face à la pandémie de Covid-19 Droit d'auteur © par Valéry Ridde, Lola Traverson, Kate Zinszer est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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