8 Rendement en lecture et orthographe de 30 élèves en situation de handicap
Danielo SAINT-CYR
Résumé/Rezime Lorsqu’une influence positive et efficace s’exerce sur des élèves en contexte d’apprentissage, de bons résultats s’obtiennent. Ces élèves se développent, s’épanouissent et réussissent, même si elles et ils ont des problèmes relevant de déficiences physiques ou mentales. Les conditions d’accueil déterminent leur réussite et leur permettent de progresser. Cet article analyse les pratiques des enseignants en rapport avec le rendement en lecture et orthographe d’un groupe de 30 élèves de AF2 et AF3, scolarisés dans quatre écoles de Beaumont et de Roseaux, en vue de montrer les impacts des pratiques enseignantes et du contexte scolaire. Les faits traités sont extraits d’une base de données collectée dans le cadre du projet que le GIECLAT réalise sur le handicap à l’école. Mots-clés : troubles, lecture, orthographe, pratique pédagogique, élève, enseignant Lè yon elèv ap aprann nan yon anviwonnman ak yon bon kontèks, elèv sa a toujou pwogrese, epanwi ak reyisi menmsi li ta gen pwoblèm defisyans fizik oswa mantal. Pwogrè ak reyisit yon elèv gen pou l wè ak kondisyon li ap evolye ak sa yo ba li. Atik sa a analize degre responsabilite pratik anseyan yo genyen sou randman lekti ak òtograf yon group elèv ki nan klas AF2 ak AF3, nan 4 lekòl nan komin Beaumont ak Roseaux. Enfomasyon sa yo soti nan baz done pwojè GIECLAT ap reyalize sou kesyon andikap nan lekòl yo. Mo-kle : twoub, lekti, òtograf, pratik pedagojik, elèv, anseyan. |
Introduction
Beaucoup d’enfants visiblement épargné-e-s par les déficits apparents tels que moteur, sensoriel, trouble de relation ou du développement, ou déficience intellectuelle, ont tout de même des difficultés à appréhender, construire puis exercer certaines grandes fonctions humaines et cognitives (Crunelle, 2008). Ces difficultés se manifestent entre autres par des obstacles majeurs dans la maitrise de la langue orale et de la langue écrite (Le Capitaine, 2016). Vu la relation causale entre ces obstacles, l’échec et l’abandon scolaires, les difficultés résultant de ces déficiences interpellent tout un chacun, quels que soient leurs impacts sur l’enfant : parent, soignant-e, éducateur ou éducatrice, enseignant-e, psychologue et chercheur ou chercheuse.
L’étude des difficultés spécifiques de l’apprentissage demeure très importante sur le plan social, thérapeutique et scientifique. Selon Vereecken (2010), leur investigation dépasse les problèmes pratiques et donne des renseignements précieux sur les grands problèmes de la vie mentale. Étant transversales à tous les domaines d’apprentissage ou même de la vie, la lecture et l’orthographe sont fondamentales pour les apprenant-e-s et exigent l’engagement des enseignant-e-s à travers leurs différentes approches pédagogiques tendant à mobiliser, sensibiliser et stimuler l’implication et le niveau de compréhension des matières programmées. En ce sens, cet article vise à examiner le rendement en lecture et en orthographe des élèves en lien avec les pratiques pédagogiques des enseignant-e-s à travers des données collectées auprès de quatre écoles du Département de la Grand’Anse d’Haïti, situées dans les communes de Beaumont et de Roseaux[1].
Précision méthodologique
Nous avons privilégié l’observation comme outil servant à repérer les élèves ayant des signes de déficience. Ensuite, nous avons recouru à deux tests pouvant contribuer indubitablement à la consolidation de l’observation faite au départ. Il s’agit de la grille d’évaluation de L’Alouette-R, un test de lecture élaboré par Pierre Lefavrais[2]. Ce test est étalonné sur des enfants de 6 à 16 ans et du CP à la terminale. Il a pour objectif de donner une indication sur la vitesse de lecture. Un indice tient compte à la fois du temps de lecture et du nombre d’erreurs. Une analyse qualitative des types d’erreurs donne des informations complémentaires qui aident à déterminer la stratégie de lecture dominante et donc, à mieux orienter la rééducation. Le deuxième outil est celui de BALE (Batterie Analytique du Langage Écrit) qui a été élaboré par M. Jacquier-roux, C. Lequette, G. Pouget, S. Valdois et M. Zorman et publié en 2010. L’épreuve de dictée de mots de BALE comportant cinq listes de dix mots, est un exercice soumis à l’élève dans le but d’identifier d’éventuels handicaps orthographiques.
La population sélectionnée pour ce travail est triée par observation directe dans quatre écoles publiques du Département de la Grand’Anse après avoir obtenu le consentement des directeurs et enseignant-e-s concerné-e-s. Nous avons choisi des élèves de 6 à 15 ans suspecté-e-s d’être en situation de handicap liée aux troubles de lecture et d’orthographe. Il s’agit d’élèves du niveau fondamental, principalement, de la deuxième et de la troisième année. En qualité d’enquêteur, notre travail a été fait, en rapport avec un protocole de consentement et d’éthique, que nous avons cosigné avec le GIECLAT.
Cadre de référence
Cette étude portant sur les pratiques pédagogiques et le rendement en lecture et en orthographe épouse la théorie d’apprentissage socio-constructiviste, élaborée par Vygotski (1934/1962), dont nous rappelons les points forts et quelques impacts théoriques dans ce paragraphe. Cette théorie expose l’impact positif qu’ont les interactions entre élèves et élèves et élèves et enseignant-e sur le processus d’apprentissage. Les interactions entre les élèves produisent chez eux et elles (en situation de handicap notamment) la capacité de comprendre et de construire des connaissances en résolvant des problèmes socio-cognitifs. Par le biais du dialogue, de l’esprit collaboratif, de l’entraide, de la coopération entre les élèves avec un-e enseignant-e disposé-e et bien appliqué-e, les éléments de l’altération de la capacité cognitive peuvent être désagrégés. Lavoie et Levesque (2007) parlent du principe de la tâche de médiation de l’enseignant-e interagissant avec l’élève pour son accompagnement dans l’apprentissage. Il s’agit ici d’un point fort de l’approche socio-constructiviste, traitant les facteurs effectifs comme élément majeur déterminant le rendement scolaire des élèves. La stratégie des effectifs réduits donne de meilleurs résultats par rapport à une classe ayant un grand effectif.
Troubles de lecture
Parmi les trente élèves observé-e-s et auxquels le test a été administré, vingt-trois, soit 77%, présentent un trouble de vague profonde en lecture, tandis que sept, soit 23%, présentent un trouble de débit moyen en lecture. Le test L’Alouette-R (o-u-e-i-a et le-la-les-un-dans-des-do-ti-pu-mi) est administré pendant une durée de trois minutes à chaque élève. Bien avant de donner le texte à lire à l’élève, on lui demande d’identifier les voyelles toutes seules, puis les voyelles et consonnes composant les syllabes, enfin de lire les 15 voyelles et syllabes se trouvant en dessous du texte même. L’hypothèse est que l’élève qui n’est pas capable de lire au moins 14 des 15 voyelles et consonnes proposées convenablement ne sera pas en mesure non plus de lire le texte, et est donc considéré-e comme étant en grande difficulté de lecture. Ainsi, parmi les 17 élèves de 2e AF devant subir le test, trois seulement ont lu 7 des 15 voyelles et consonnes formant des syllabes basiques. Les syllabes (sorte d’unité phonétique fondamentale entre le phonème et le mot) qu’ils et elles ne peuvent pas lire sont : mi, dans, un, des, ti, pu, do, tandis que les 14 élèves de 2e AF ne peuvent lire que quatre des 15 unités, et celles qu’ils et elles ne peuvent pas lire sont : u -le – la – les – un – dans – des – do – ti – pu – mi.
Parmi les 13 élèves de 3e AF ayant subi le test, sept sont parvenus à lire huit des 15 voyelles et syllabes. Ce sont : les – un – dans – des – do – ti – pu – mi. Les 6 autres ne font pas mieux que ces 9 élèves. La lecture est particulièrement de mauvaise qualité. Donc, nous constatons qu’aucun élève n’est parvenu à lire correctement les voyelles et syllabes considérant comme des prérequis pour lire le texte du test. En sus de cela, en administrant le test L’Alouette-R, nous avons constaté que les élèves éprouvent des difficultés dans le rythme et la vitesse de lecture. Nous relevons des problèmes d’inattention (distraire), de timidité (main dans la bouche, les yeux en haut, en bas, partout), de troubles de mémoire (après avoir lu un mot, si on retourne, le mot est lu autrement), de troubles de compréhension des consignes (problèmes de comportement), etc.
La plupart des enseignant-e-s participant à cette enquête ne se préoccupent pas des signes avant-coureurs de dyslexie les invitant à proposer un diagnostic approfondi et un dispositif de pris en charge. Deux raisons expliquent cet écueil :
- Les pratiques pédagogiques appliquées ne prennent pas en compte véritablement les besoins des élèves pour parvenir à identifier ceux et celles qui sont en situation de handicap. Des recherches montrent que les pratiques pédagogiques ont une influence majeure sur le développement des compétences et des savoirs chez les élèves afin de les amener à la réussite dans leurs apprentissages. Mais si ces pratiques sont boiteuses et ne prennent pas en compte tous les élèves, elles contribuent à aggraver beaucoup plus les lacunes et les troubles des élèves. Nous avons présenté plus haut le risque encouru par les élèves à cause de pratiques pédagogiques qui ne sont pas adaptées aux réalités de la classe et à celles des élèves pris individuellement. L’état de la situation oblige qu’on rénove dans le domaine. Ainsi, opter pour l’approche socio-constructiviste (Vygotski, 1934/1962) comme pratique pédagogique avec des enseignant-e-s aptes contribuerait fortement au développement de l’élève et à son apprentissage langagier, puisque cette approche privilégie la collaboration, la coopération, la co-construction des connaissances pour la résolution des conflits sociocognitifs. Dans cette approche, l’élève isolé-e sera remarqué-e et intégré-e d’une façon ou d’une autre.
- L’effectif d’élèves très élevé, surtout dans une atmosphère défavorable aux enseignant-e-s non-qualifié-e-s. Les élèves des classes peu nombreuses (jusqu’à huit élèves) font plus de progrès que ceux des classes plus chargées. Le constat étant fait, par rapport à l’effectif trop nombreux des classes, le rendement des élèves ne peut être que ce qu’il est aujourd’hui.
Trouble d’orthographe (dysorthographie)
Les trente élèves concernés (2e AF et 3e AF) éprouvent des troubles en orthographe, selon leurs résultats au test L’Alouette-R. Vingt-quatre, soit 80%, ont de très graves difficultés dans le domaine du langage écrit, tandis que six, soit 20%, éprouvent des difficultés graves.
Indépendamment du test L’Alouette-R qui a permis de relever les données précitées, il a aussi été question d’administrer la BALE (Batterie Analytique du Langage Écrit) de manière à nous diriger vers la situation orthographique des élèves. Des mises en place ont été faites pour un bon déroulement de la passation de ce test. Après le déroulement de l’opération, on constate que les dix-sept élèves en 2e AF et les treize en 3e AF éprouvent tous et toutes des difficultés en orthographe. Parmi les dix en 2e AF, 15 éprouvent des difficultés de vagues profondes, deux, de débit moyen, et parmi les treize de 3e AF, neuf éprouvent des difficultés de vagues profondes par rapport à un contexte de niveau scolaire, et quatre, de débit moyen.
Les données présentées et analysées montrent que les élèves concernées ont tous et toutes un certain déficit lié à la cognition engendrant de troubles d’orthographe et de lecture. L’écriture (l’orthographe) de ces élèves paraît illisible et incompréhensible. L’observation nous a permis d’avoir une idée des pratiques pédagogiques des enseignant-e-s. Les élèves n’ont pas eu d’aide et d’assistance en classe dont ils et elles avaient besoin. S’ajoutent à cela les problèmes de matériels scolaires liés à la lecture et les lacunes linguistiques.
Extrait de dictée de mots de la BALE proposée aux élèves de AF2 et de AF3
Un ballon
Gros (« un gros ballon. »)
Le jeudi
Trois (« J’ai trois stylos. »)
Six (« Il y en a six. »)
Un feu
Hier
Douze (« Elle a douze ans. »)
Le lundi
Une nuit
Quelques exemples de copie d’élèves subissant le test la « BALE »
Les deux images ci-dessus nous renseignent sur le niveau en orthographe des élèves. Leur écriture est illisible et incompréhensible, les mots sont très mal orthographiés, et les lignes sont brisées.
Les élèves éprouvent des difficultés en lecture et en orthographe. La résolution de ces problèmes en milieu scolaire ne peut être effective que lorsque les interactions sociales et des mesures d’accompagnement seront mises en œuvre (Laroui, 2014).
Pratiques pédagogiques
Concernant les déficiences en général, et la question de trouble d’apprentissage de lecture et d’orthographe en particulier, les responsables d’école incluant les enseignant-e-s devraient s’y prendre à travers leur acte pédagogique (pédagogies adaptées à toutes les situations) afin d’aider les élèves confronté-e-s à ce genre de problèmes. Certes, l’acte pédagogique est l’arme principale contribuant à répondre aux attentes des élèves dans leur apprentissage, mais il peut aussi aggraver les maux et les troubles des élèves si le processus d’enseignement/apprentissage contient des faiblesses : des enseignants non spécialisé-e-s/non qualifié-e-s qui sont en face de deux catégories d’élèves (normaux et handicapés) dans un bilinguisme qui n’est pas maîtrisé. Les enseignant-e-s doivent utiliser des actes pédagogiques favorisant l’épanouissement de tous les élèves dans les dimensions affectives, intellectuelles et morales.
Conclusion
Le handicap comme désavantage physique, sensorimoteur, psychologique ou mental se montre véritablement par l’absence de moyens nécessaires et le regard de l’autre. En fait, comme nous avons pu l’observer, les représentations entachées d’erreur, les discriminations et les préjugés constitueraient des obstacles empêchant l’insertion des élèves en situation de handicap dans le contexte d’éducation actuel. Des difficultés proviennent de mauvaises interventions pédagogiques et de structures d’accueil non favorables, ce qui fragilise davantage les troubles d’apprentissage. Ainsi, les enseignant-e-s non qualifié-e-s et non spécialisé-e-s ne parviennent pas à bien enseigner parce qu’aucun système de dispositif efficace n’a été observé.
Références
Crunelle, Dominique, (2008), « Les DYS… dyslexies et autres troubles », Troubles du langage et apprentissages, no, 49, pp. 49-58.
Laroui, Rakia et al., (2014), « Des pratiques pédagogiques de l’enseignement du lire/écrire, déclarées par des enseignantes du primaire », Éducation et socialisation, no. 35.
http://journals.openedition.org/edso/663
Lavoie, Nathalie et al., (2007), « Interactions entre élèves de première année du primaire dans des situations d’écriture », pp. 185-193, J.-P. Gaté et C. Gaux (dir.), Lire-écrire, de l’enfance à l’âge adulte, Rennes: Presses universitaires de Rennes.
Le Capitaine, Jean-Yves, (2016), « Les « dys » relèvent-ils d’une éducation spécialisée? », Revue Empan, no. 101, pp. 29-34.
Vereecken, Pierre, (2010), « L’étude psychanalytique de la dyslexie et de la dysorthographie », Psychiatrie de l’enfant, volume 53, pp. 211-254.
Vygotski, S. Lev, (1934/1962), Thought and Language, Cambridge: MIT Press, 1962 (en russe, 1934).
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Danielo SAINT-CYR a fait des études en psychologie et en droit. Il enseigne le droit à l’Alliance informatique et le Français usuel au PNUE. Il est également directeur pédagogique à la IJD (Institution Jude). Il effectue aujourd’hui un travail de recherche sur le thème : « Dyslexie et dyscalculie des enfants en apprentissage scolaire ».
Pour citer ce chapitre
Saint-Cyr, Danielo, (2020). « Rendement en lecture et orthographe de 30 élèves en situation de handicap ». In Le handicap à l’école haïtienne. Résultats préliminaires d’une recherche-action dans le grand Sud d’Haïti à la suite de l’ouragan Matthew, sous la direction de Rochambeau Lainy, chapitre 8, pp. 105-113, Québec : Éditions science et bien commun.