4 Enfants en situation de handicap et justice cognitive en Haïti

Analyse contextuelle d'un récit de vie

Samuel Régulus

Résumé/Rezime

Cette contribution offre une réflexion préliminaire sur les données collectées entre 2018 et 2019 dans le cadre de la recherche du GIECLAT relative aux élèves en situation du handicap situés dans les départements de la Grand’Anse, des Nippes et du Sud d’Haïti. À travers un focus spécial sur le récit de Marco, cet article met en relief une réalité poignante et articule le lien entre justice cognitive, handicap à l’école, injustice sociale et exclusion. Les analyses nous amènent à conclure que les enfants en situation de handicap, ainsi que leurs parents, sont victimes de graves violences symboliques et de stigmatisation. Si on ne prend pas les mesures qui s’imposent, cette situation d’injustice cognitive conduira au renforcement des mécanismes de l’injustice sociale et augmentera le fossé existant entre enfants favorisés et enfants défavorisés, entre élèves urbains et élèves ruraux, entre élèves ordinaires et ceux qui sont à besoins spéciaux.

Mots-clés : justice cognitive, éducation inclusive, apprentissage équitable, handicap, stigmatisation.

Kontribisyon sa a ofri yon premye refleksyon sou enfòmasyon ki deja ranmase nan peryòd 2018-2019, nan kad rechèch GIECLAT ap mennen sou elèv ki nan sitiyasyon andikap nan Grandans, Nip ak Sid d Ayiti. Atik sa a itilize istwa Marco, ki se yon jèn k ap viv ak yon andikap depi li tou piti. Li mete aksan sou pwoblèm lenjistis konyitif, lenjistis sosyal ak esklizyon nan zafè lekòl. Analiz yo pèmèt nou di – timoun k ap viv ak andikap yo ansanm ak paran yo, viktim vyolans senbolik ak estigmatizasyon ki grav anpil. Si pa gen bon jan entèvansyon ki fèt, sitiyasyon lenjistis konyitif ki obsève yo ap ranfòse lenjistis sosyal yo epi elaji gwo twou ki deja ekziste nan mitan timoun zafè bon ak timoun zafè pa bon yo ; nan mitan timoun lavil ak timoun andeyò ; nan mitan elèv ki parèt nòmal ak sila yo ki gen bezwen espesyal yo.

Mo-kle : jistis konyitif, lenjistis sosyal, edikasyon enklizif, aprantisaj ekitab, andikap.

Introduction

La justice cognitive est basée sur la reconnaissance de la pluralité des savoirs et exprime le droit de différentes formes de connaissances à coexister et dialoguer en dehors de tout cadre de dépendance hégémonique. Ce concept a été proposé par l’anthropologue indien Shiv Visvanathan en 1997 pour mettre en question la dominance absolue de la science moderne et proposer la recherche des paradigmes alternatifs, en particulier ceux découlant de formes de savoirs autochtones (Makoelle, 2014). La justice cognitive s’articule autour d’un paradigme qui entend reconstituer les systèmes conceptuels régissant les modèles d’humanité et les différents modes d’être, tout en admettant et en respectant le système de connaissances de chaque individu, de chaque communauté.

En éducation, la justice cognitive se préoccupe du manque de connaissance du contexte et de la culture des apprenant-e-s, ce qui constitue un processus aliénant qui prive les enfants de leurs droits et les défavorise épistémologiquement (Odora Hoppers, 2015). Aussi préconise-t-elle la disponibilité des infrastructures et ressources éducatives pouvant faciliter l’éclosion des potentialités individuelles et collectives afin que les apprenant-e-s soient suffisamment outillé-e-s pour faire face à la fois aux besoins spécifiques et généraux, dans un contexte local et global. Sans discrimination et exclusion, l’apprentissage doit être un processus émancipateur où les systèmes de connaissances locales sont reconnus et intégrés dans les processus d’enseignement et d’apprentissage afin de faire interagir les acquis du milieu avec les données externes.

La réalité de l’école en Haïti semble pourtant ignorer complètement, même sur le plan conceptuel, des notions comme justice cognitive, éducation inclusive, inclusion scolaire, apprentissage équitable, pédagogie critique… Dans ses modes d’opération, on dirait que ce système éducatif ne se soucie guère du problème de reproduction des injustices culturelles et sociales qui sévissent dans la société haïtienne. Ainsi, éducation à double, triple ou à mille vitesses, marchandisation de l’éducation, prédominance des intérêts privés, frais de scolarité exorbitants, enfants non scolarisé-e-s, élèves sur-âgé-e-s, langue maternelle opprimée et minorée, infrastructures et matériels scolaires inadaptés, deviennent des termes courants pour caractériser la situation de l’éducation en Haïti. Un taux d’analphabétisme élevé pour reproduire les structures d’exclusion sociale et une société inégalitaire en résulte in fine.

Si le système éducatif haïtien est déjà discriminant pour les catégories d’enfants dits « normaux » en fonction de leur origine sociale, qu’en est-il des enfants ayant des déficiences et des anomalies? Puisque la justice sociale n’est pas possible sans la justice cognitive et que l’accès à une éducation de qualité en tant que droit humain doit être équitable, non discriminatoire, le GIECLAT (Groupe d’Initiative pour l’Étude de la Cognition, du Langage, de l’Apprentissage et des Troubles) réalise ce projet de recherche-action intitulé « Élèves en situation de handicap et pratiques pédagogiques des enseignants dans des écoles de la Grand’Anse, des Nippes et du Sud d’Haïti », trois départements qui ont été victimes des catastrophes de l’ouragan Matthew de 2016.

Si le GIECLAT prône une éducation inclusive en Haïti, les informations déjà collectées renforcent sa conviction sur l’impératif de cette forme d’éducation. L’analyse devrait ainsi motiver des politiques publiques avisées dans un contexte où les enfants en situation de handicap sont victimes de graves violences symboliques et de stigmatisation. Le récit de Marco que nous proposons dans les lignes qui suivent est tout à fait éclairant sur l’état de cette situation.

Marco et sa mère Marie Lourde, la combattante

Marco[1] est né dans un milieu urbain de la presqu’île du Sud d’Haïti. Il a 24 ans et vit avec sa mère, Marie Lourde, âgée de 52 ans. Il est atteint de paralysie cérébrale depuis l’âge d’un an et demi environ. Actuellement, il est en 8e année fondamentale et attend les moyens nécessaires pour apprendre l’informatique comme métier, une profession qu’il semble pouvoir exercer malgré son handicap.

La trame du récit

Marco est né comme un enfant normal. Premier-né de la famille, il est aimé de tout le monde. Joyeux, il est le petit chouchou de Carole, sa tante, la petite sœur de Marie Lourde. Mais 22 jours plus tard, après une fièvre due au paludisme, ses membres se replient et des troubles moteurs et sensoriels graves apparaissent. L’itinéraire médical (centre de santé, hôpital général des Cayes) l’amène à Port-au-Prince dans un centre spécialisé en paralysie cérébrale. Selon les diagnostics et recommandations des médecins, Marco doit se rendre à ce centre spécialisé trois fois par semaine. Marie Lourde a accepté de suivre les recommandations médicales en faisant des va-et-vient trois fois par semaine entre son lieu de résidence dans le Sud et le centre spécialisé de la Capitale, Port-au-Prince, situé à l’Ouest. Mais après un mois d’allers retours, Marie Lourde a dû se loger chez une sœur de baptême à Port-au-Prince pour éviter les longs et fréquents trajets en transport public entre les départements du Sud et de l’Ouest.

Marco n’a pas trouvé de centre spécialisé dans le Sud. Cela est compréhensible, car en 2001 par exemple, Haïti comptait environ 2 500 médecins, dont 88% exerçaient dans le département de l’Ouest du pays, spécifiquement à Port-au-Prince (Pierre et al., 2010). Suite à deux années de fréquentation du centre de Port-au-Prince, Marie Lourde a décidé de retourner chez elle et de continuer à prendre soin de Marco à domicile jusqu’à ce qu’il arrive à marcher tout seul. En fait, il avait déjà 6 ans et il ne pouvait pas encore marcher.

Quel a été le soutien familial? Quand un enfant tombe malade, la morale publique veut que ses parents et ses proches s’occupent de lui ou d’elle et agissent afin de lui procurer des soins et supports dont il ou elle a besoin. Le père de Marco, qui vivait sous le même toit que sa mère Marie Lourde, a disparu et abandonné la famille une fois que son enfant a été frappé de paralysie. « Il ne m’a jamais aidé alors qu’il était mon conjoint et père de Marco. Nous n’avons reçu aucune visite de lui étant à l’hôpital. Quand on lui a informé de la situation du handicap de l’enfant, il a dit qu’il n’y a pas de kokobe au sein de sa famille d’origine », se rappelle Marie Lourde.

Le terme de kokobe renvoie, dans l’imaginaire haïtien, aux personnes ayant une déficience ou à celui ou celle que l’on stigmatise pour une raison ou une autre. Ces dernières sont considérées comme maudites de Dieu ou d’un esprit maléfique, et deviennent souvent des sujets de honte pour la famille. Conséquemment, elles sont ostracisées, privées d’accès à l’école et même à l’église. On les cache. Elles sont ignorées et méprisées. On ne cite pas leurs noms. On ne les compte pas. Parfois, elles sont entièrement abandonnées par leurs familles.

Une fois que l’enfant a été frappé de déficience motrice, même Carole, sa tante qui l’adorait, s’éloigna de sa grande sœur. « Ma sœur est l’une des premières personnes qui m’a laissée seule avec l’enfant malade. Elle nous a exclus. Elle m’a dit si elle avait un enfant dans une situation de handicap comme Marco, elle aurait payé un médecin de lui faire une injection mortelle », a poursuivi Marie Lourde. Une proche voisine lui a fait savoir que Marco ne vivra pas. Selon cette voisine, la mère ne doit pas continuer à lui donner à manger. Donc, la mère doit l’abandonner quelque part. Il faut qu’elle le jette. À cause de ces attitudes menaçantes, Marie Lourde a décidé de ne plus laisser l’enfant seul : « tout kote m pase, m pase avè l ». En fait, elle avait peur qu’on tue son enfant impunément, comme c’est souvent le cas pour des personnes en situation de handicap.

Représentations sociales défavorables à l’égard de Marco

Malgré le traitement méprisant et le rejet infligé à Marco, Marie-Lourde, sa mère, ne s’est pas laissée décourager. Quand elle devait envoyer son deuxième garçon à l’école, elle en a profité pour scolariser Marco, à l’âge de 9 ans. Comme la directrice de cette école avait déjà une ouverture d’esprit sur les enfants en situation de handicap, elle a promis de l’accompagner dans la mesure du possible, étant donné que les matériels pédagogiques adaptés faisaient grand défaut. Marie-Lourde a profité de cette ouverture comme une rare et excellente opportunité. Malgré l’incompréhension des uns et des autres, elle a voulu que son enfant aille à l’école, apprenne une profession pour devenir autonome économiquement. Marie Lourde s’organisa pour emmener Marco tous les jours à l’école.

Si Marie-Lourde ne baissa pas les bras devant les regards méprisants de ses proches, elle dut aussi affronter les comportements et les propos blessants des enfants et adultes qu’elle connaissait et les insultes de ceux et celles qu’elle croisait sur son passage. Les enfants chahutaient Marco : « gade w kokobe! Regarde un handicapé! », ont-ils souvent répété quand ils le voyaient. Pour les adultes, « ils se plaisent de me dire les propos suivants : regardez comment une dame n’a rien à faire. Comment est-ce qu’une personne peut avoir cette chose et accepte de payer sa scolarité ! En fait, ce n’est pas ta faute, épave ! L’école qui reçoit ce handicapé est pire que toi », a rapporté Marie Lourde.

En dépit des représentations sociales défavorables à l’émancipation des personnes en situation de handicap, Marie-Lourde est fière d’avoir fait de son mieux pour donner à son enfant les soins et accompagnements nécessaires. Marco a pu retrouver certaines de ses facultés comme marcher et parler. Grâce au soutien de son deuxième conjoint, en 2002, il est même allé à Cuba en vue d’une amélioration de son état. Un autre point de satisfaction de Marie-Lourde est le fait que son enfant arrive, malgré sa déficience, à être scolarisé. Aujourd’hui, il se prépare à passer les examens de 9e AF.

Marie-Lourde n’a pas obtenu ces éléments de soulagement sans heurts. Les difficultés et frustrations étaient énormes et persistantes. On ne cessait de répéter que la situation de Marco était due aux actions du « diable ». Lorsqu’il ne pouvait pas marcher, certaines personnes ont dit à la mère que l’enfant était victime d’une poud krapo ak koulèv (poudre magique composée avec les substances de crapaud/amphibien et de couleuvre) et qu’elle devrait voir un ougan (prêtre vodou) pour résoudre le problème. Il s’agissait d’une pression psychologique intense, car Marie-Lourde avait une autre explication qui l’opposait à son environnement immédiat. Pour elle, c’était le manque d’accès à un soin médical de qualité qu’il fallait questionner.

Alors qu’ailleurs, les structures médicales de prévention des anomalies fœtales existent, en Haïti, ces dispositifs sont rares. Le peu de structures qui existent ne sont pas accessibles aux gens de petites bourses. « an Ayiti, ou konn ak tranche w al lopital, w ap soufri, mis lan ap griyen dan l sou ou. Li pa jan m mete pitosen nan sewòm nan pou provoke akouchman an. Men, lè yo kite timoun nan soufri nan pasaj konsa, il gen tout chans pou li fèt ak yon andikap ».

Pour Marie-Lourde, beaucoup de cas de handicap pourraient être évités en Haïti si un système de santé de qualité et accessible à tous existait; divers cas de handicap résultant d’infection ou de maladie prénatale, d’accouchement difficile ou de maladies congénitales se manifestant quelques mois après la naissance de l’enfant pourraient être gérés. Pour la Fondation de paralysie cérébrale (Dauvergne, 2007) cette maladie est une atteinte cérébrale en période périnatale.

Les causes de cette pathologie sont multiples et résultent souvent d’un enchaînement d’événements survenant avant, pendant ou après la naissance. Parmi ces événements, on peut citer les complications d’un accident vasculaire cérébral néonatal, une infection ou une maladie pendant la grossesse (comme la rubéole, la toxoplasmose ou les effets secondaires de certains médicaments) ou les premiers mois de l’enfant (une méningite par exemple, mais aussi les conséquences de traumatismes dus à de mauvais traitements)[2]. Selon le Dr Lionel Carmant, 1 enfant sur 10 en Haïti souffrirait de paralysie cérébrale contre 1 sur 100 au niveau mondial[3].

La position de Marie-Lourde sur les déterminants du handicap se révèle conforme au « modèle social du handicap ». Ainsi si la déficience est un état physiologique, le handicap est en grande partie construit socialement par le biais de politiques et de pratiques d’exclusion. Pour les partisans de ce modèle, une fois que les barrières attitudinales, architecturales et socio-économiques handicapantes sont supprimées, la plupart des personnes dites handicapées seront incluses dans le tissu de la vie sociale, économique et politique (Oliver, 1996). Par sa manière d’expliquer la situation de handicap de son enfant, Marie-Lourde remet en question le modèle magico-religieux du handicap et celui de « médical de l’invalidité ». Selon ce modèle qui associe l’invalidité à une déficience, à la guérison et à l’anomalie, le handicap serait essentiellement physiologique.

Marie-Lourde se définit comme une militante pour le respect des droits des personnes en situation de handicap, suite aux galères qu’elle a connues. Pour elle, même si les écoles dans le Sud acceptent aujourd’hui de recevoir un enfant en situation du handicap, les infrastructures scolaires adéquates, les matériels pédagogiques spécifiques, les ressources humaines qualifiées restent quasi inexistantes. Les institutions d’appui sont aussi rares et démunies en personnel qualifié et fonctionnent sans garantie en termes de sources de financement. Les écoles se résument surtout en des centres de soutien, surtout moral, aux personnes en situation de handicap. Leur appui matériel et financier est extrêmement faible.

Il y a plus de 5 ans que Marco veut apprendre l’informatique. J’ai été dans une école professionnelle avec lui pour une évaluation de son habilité pour l’informatique. On m’avait dit qu’il peut l’apprendre. Malheureusement les moyens de faire face à cette scolarité et aussi pour lui acheter un ordinateur me font défaut, et le pire – il n’y a pas de structures d’encadrement auxquelles je pourrais adresser le problème, se plaint Marie-Lourde.

Par rapport au problème de matériels adaptés évoqué par Marie-Lourde, le dépouillement des questionnaires déjà administrés dans le cadre de cette recherche indique que sur 92 enseignant-e-s interrogé-e-s sur leur condition de travail, 59% estiment que le « manque de dispositifs et de matériels adaptés » est l’un des défis qu’ils et elles doivent affronter dans l’exercice de leur profession. 50% pensent qu’il est plus judicieux de parler d’« absence de dispositifs et de matériels adaptés », ce qui influe négativement sur leur niveau de performance, alors que 63% identifient l’adaptation des élèves comme une difficulté à surmonter.

Tableau. Répartition des enseignant-e-s selon les défis confrontés relatifs à l’hétérogénéité en classe ou à l’école, enquête du GIECLAT.
    OUI, c’est un défi NON
Défis Nombre Proportion (%) Nombre Proportion (%)
Manque de dispositifs et de matériels adaptés 54 59 38 41
Absence de dispositifs et de matériels adaptés 46 50 45 49
Problèmes d’adaptation des apprenants 58 63 34 37

Ce tableau est révélateur d’une conception de l’école qui voit les élèves comme ceux et celles qui doivent s’adapter à l’école et non l’inverse. Cette conception de l’école est contraire aux fondements de l’éducation inclusive, selon lesquels l’école doit s’adapter aux difficultés et aux besoins spéciaux de chaque enfant. La pédagogie utile en la matière est une pédagogie flexible destinée à rendre l’enfant confortable dans le cadre d’un apprentissage équitable et naturel. Quand 63% des enseignant-e-s mettent en cause l’adaptation des élèves sans questionner leurs propres pratiques pédagogiques et si 50 à 59% estiment que des carences en termes de dispositifs et de matériels adaptés représentent un frein à la réussite de la classe, on comprend bien qu’on est à fond dans un système éducatif défavorable et discriminant à l’égard des enfants en situation de handicap. Les différentes observations montrent que les enfants et les jeunes en situation de handicap ne bénéficient pas du soutien individuel dont ils auraient besoin et restent largement en marge dans les établissements scolaires ordinaires (Felder, 2019). Si on ne prend pas les mesures qui s’imposent, cette situation d’injustice cognitive va reproduire et entretenir les mécanismes de l’injustice sociale pour continuer à exclure les personnes en situation de handicap.

En somme, la « participation » des personnes en situation de handicap sera effective lorsque des conditions objectives préalables existent. Il faudrait une répartition équitable des ressources, privilégiant les besoins spéciaux des enfants et jeunes ayant des déficiences. Leurs voix doivent être entendues. En outre, des conditions préalables d’intersubjectivité des modèles culturels d’interprétation et d’évaluation méritent d’être institutionnalisées pour exprimer à la fois le respect et l’estime sociale. « Il ne suffit pas d’allouer des ressources aux enfants et aux jeunes en situation de handicap. Il faut examiner et agir sur les représentations de la société » (Felder, 2019, p. 5), car une mauvaise reconnaissance signifie une subordination sociale, c’est-à-dire une impossibilité de participer en tant que pair à la vie sociale (Fraser, 2001).

Par cette contribution, nous souhaitons que les décideur-e-s politiques et administratifs du pays reconnaissent le mérite de cette recherche-action et soient attentifs et attentives aux conclusions et recommandations qui en découleront pour la rénovation du système éducatif et l’application de la justice cognitive via un apprentissage équitable. L’apprentissage équitable implique un processus permettant de réduire, voire d’éliminer l’écart d’apprentissage entre apprenant-e-s en milieu urbain et en milieu rural, entre ceux et celles qui sont favorisé-e-s et défavorisé-e-s, entre apprenant-e-s ordinaires et ceux et celles qui sont à besoins spéciaux en termes de ressources éducatives. Que l’école en Haïti ne soit plus un vecteur de l’exclusion sociale et économique!

Références

Dauvergne, F.[4] et al., (2007), « Handicaps, recours aux soins et conditions de vie des Adultes atteints de paralysie cérébrale infantile en Bretagne (APIB) : premiers résultats », Annales de réadaptation et de médecine physique, volume 50, pp. 20-27.

Felder, Franziska, (2019), « Recognition in Special Needs Education, Inclusive Education and Disability Studies », pp. 1-8, L. Siep et al, Handbuch Anerkennung, Springer Reference Geisteswissenschaften, Springer VS, Wiesbaden.

Fraser, Nancy, (2001), « Recognition without ethics? », Theory, Culture & Society, volume 18, no. 2-3, pp. 21-42.

Makoelle, Tsediso Michael, (2014), « Cognitive justice: a road map for equitable inclusive learning environments », International Journal of Education and Research, volume 2, no. 7, pp. 505-518.

Odora Hoppers, Catherine A., (2015), « Think piece: cognitive justice and integration without duress the future of development education – perspectives from the South », International Journal of Development Education and Global Learning, volume 7, no. 2, pp. 89-106.

Oliver, Michael, (1996), Understanding disability: From theory to practice, Macmillan: Basingstoke.

Pierre, Andrena et al., (2010), « Culture et santé mentale en Haïti : une revue de littérature », Santé mentale au Québec, volume 35, no. 1, pp. 13–47.

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Samuel Regulus est membre du GIECLAT et du Comité scientifique international du Projet Route de l’esclave de l’UNESCO et co-chercheur du Projet SOHA : Science ouverte en Haïti et Afrique francophone. Il obtient son Ph.D. en « Ethnologie et Patrimoine » à l’Université Laval après avoir eu ses diplômes de Licence en sociologie et de Maîtrise en « Histoire, mémoire et patrimoine » à l’Université d’État d’Haïti. Ses recherche portent sur les thèmes entrecroisés de la politique, de la religion, de la transmission culturelle et de l’éducation.

Pour citer ce chapitre

Regulus, Samuel (2020), « Enfants en situation de handicap et justice cognitive. Analyse contextuelle d’un récit de vie », In Le handicap à l’école haïtienne. Résultats préliminaires d’une recherche-action dans le grand Sud d’Haïti à la suite de l’ouragan Matthew, sous la direction de Rochambeau Lainy, chapitre 4, pp. 59-69, Québec : Éditions science et bien commun.


  1. Les exigences d'éthique de la recherche commandent de remplacer les noms par d’autres et aussi d’être un peu imprécis sur les lieux.
  2. Fondation paralysie cérébrale, (sd), « Qu'est-ce que la paralysie cérébrale ? », (en ligne), URL : https://www.fondationparalysiecerebrale.org/en/what-cerebral-palsy, consulté le 10 octobre 2019.
  3. Radio Télévision Caraïbes, (sd), « Dr Lionel Carmant et sa lutte contre la « malkadi » en Haïti », RTVC (en ligne), URL : https://rtvc.radiotelevisioncaraibes.com/en/diaspora/dr_lionel_carmant_et_sa_lutte_contre_la_malkadi_en_ha_ti, consulté le 25 juillet 2019.
  4. Seule l'initiale du prénom de cet auteur est disponible dans l'article.

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Le handicap à l'école haïtienne Droit d'auteur © 2020 par Samuel Régulus est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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