10 Une retombée féconde du projet
Des étudiant-e-s de l'Université publique de la Grande-anse initié-e-s à l'éducation inclusive
Nelson Sylvestre
Destiné initialement à huit étudiant-e-s venant de l’Université d’État d’Haïti et de l’INUFOCAD, le projet de GIECLAT a finalement servi la cause de l’Université publique de la Grand’Anse. Un groupe d’étudiant-e-s en Sciences de l’éducation de cette université a en effet intégré l’équipe de cette recherche comme stagiaires et enquêteurs.
Depuis l’intégration des étudiant-e-s-stagiaires de l’Université publique de la Grand’Anse (UPGA) dans cette recherche, plusieurs activités ont été réalisées et des résultats probants ont été obtenus. En effet, comme c’est toujours le cas dans tout processus de recherche, beaucoup de facteurs jugés pertinents ont été introduits pour mieux canaliser les retombées positives prévues. Parmi ces éléments, il importe de mentionner :
- accueil d’environ 75 étudiant-e-s stagiaires pour l’UPGA;
- systématisation de l’échantillon en rapport avec le nombre de communes choisies dans la Grand’Anse (13 communes et deux localités : Léon et Fond Cochon);
- un grand nombre d’écoles échantillonné en milieux urbain et non urbain;
- vulgarisation scientifique de la thématique de la recherche au niveau de l’Université, notamment à la faculté des Sciences de l’Éducation;
- découverte du champ de l’éducation inclusive, autrefois ignorée dans le curriculum de formation de la Faculté.
Ces facteurs introduits ont certes changé le cap des activités, ce qui rendait la tâche difficile aux chercheurs et chercheuses du GIECLAT, mais ces incursions positives valaient bien la peine d’être faites. Car un impact vraiment significatif est atteint, servant de rayonnement positif et de sensibilisation de la communauté à l’exclusion scolaire.
Dans ce bilan sont exposés deux impacts majeurs et complémentaires qui devraient porter l’équipe coordinatrice à répliquer la démarche adoptée dans cette phase du projet : la prise en considération des écoles souvent écartées dans la « politique d’éducation » et l’implication de la structure universitaire de l’UPGA dans la thématique des « élèves en situation de handicap ».
Ce sont deux impacts mettant en relief l’importance de réaliser des recherches sur des thématiques liées aux problèmes concrets auxquels la population en Haïti fait face quotidiennement. Les problèmes des milieux scolaires sont traités dans un cadre d’échange et de collaboration qui interpelle les autorités ministérielles de l’éducation nationale et les collectivités territoriales.
Écoles de la Grand’Anse et impacts de la recherche
Soixante écoles des 15 zones échantillonnées (13 communes et deux localités) ont été observées et enquêtées dans cette phase du projet. Cette exploration systématique a permis de répertorier l’ensemble des difficultés d’apprentissage chez les élèves ainsi que celles liées à la capacité de la plupart des enseignant-e-s ou chargé-e-s de classe à transmettre convenablement le savoir. La gouvernance de ces écoles (les directions et le reste des administrations scolaires en place) ne facilite pas du tout la possibilité de faire quelque chose en termes d’efficacité et d’effectivité du fait éducatif. Ainsi, en tout état de cause, la recherche en cours devient le leitmotiv pour traiter ces cas d’enfants scolaires en situation de handicap et lancer le débat sur la problématique de l’exclusion scolaire en Haïti.
Les impacts à ce niveau sont les suivants :
- Le personnel des écoles impliquées a manifestement montré l’intérêt pour la thématique en répondant à chaque fois aux sollicitations des chercheurs et chercheuses associé-e-s et institutions d’accompagnement. Il accepte de collaborer avec les étudiant-e-s stagiaires dans leurs visites d’observation et d’échange.
- La formation transmise aux enseignant-e-s et directions dans les écoles enquêtées sur la nécessité de faire valoir le champ d’éducation inclusive est accueillie comme un accompagnement utile. Car ces personnes ne se rendaient même pas compte que bon nombre de leurs élèves souffraient de handicap jusqu’au moment où ils et elles ont reçu l’invitation de participer à la recherche.
- La connaissance acquise par les enseignant-e-s et directions d’école a soulevé le débat que la transmission du savoir aux élèves devra se faire autrement, de façon à prendre en charge immédiatement des cas identifiés comme « élèves en situation de handicap ». Ceci, par moments, a désactivé des traces de conflits récurrents entre directions, enseignant-e-s et parents à chaque fois qu’il est venu le moment d’évaluer la véritable performance des enseignant-e-s, l’apprentissage significatif en classe et le rendement scolaire (par rapport au succès) des élèves et la qualification des écoles.
- La question de l’éducation inclusive est maintenant présente dans le panorama scolaire de ces écoles. S’occuper de ceux et celles qui seraient en situation de handicap après l’observation et l’analyse des indices habituellement retenus commence par devenir une obligation dans ces institutions scolaires. Même s’il y a lieu de constater que les événements éconosociopolitiques retardent et, négativement, pèsent sur les premiers résultats attendus.
Dans cet ordre d’idées, les documents illustratifs portant sur le handicap des élèves ont facilement poussé les enseignant-e-s et les directions à remodeler, tout au moins en première instance, leurs pensées et leurs façons de traiter les élèves atteints de trouble psychotraumatique. Des euphémismes tels que « elèv la sòt », « elèv la nil », « kote sa w pa ka konprann nan enbesil, idyo », etc., commencent par être considérés comme vulgaires, non compatibles et non admissibles dans le milieu d’apprentissage scolaire. Ce sont plutôt le reflet de stéréotypes chez des acteurs et actrices de l’éducation qui méritent d’être réprimés pour que de meilleurs résultats scolaires soient pointés à l’horizon. Le Projet a produit ces impacts qui permettraient dans un futur proche d’avoir un système éducatif moins inégalitaire.
Ces impacts positifs ne sont pas constatés uniquement du côté des écoles ayant profité de cet appui. L’Université publique de la Grand’Anse et ses universitaires (professeur-e-s, encadreur-e-s, étudiant-e-s et administrateurs, administratrices) ont également soutenu la démarche et en sont hautement sortis bénéficiaires pour les raisons ci-après évoquées.
L’Université publique de la Grand’Anse, le projet et les impacts
La participation des étudiant-e-s de l’UPGA à la réalisation des activités mises en place dans cette phase du projet s’est révélée pour eux un atout majeur. En effet, l’obligation de réaliser leur stage dans des institutions scolaires est devenue possible et l’Université elle-même a pu tirer sa meilleure partie devant l’échéance des délais prévus à cette fin. Pour un centre universitaire institué comme une forme d’aventure dans une région fortement encastrée, la porte de sortie heureuse des étudiant-e-s (c’est-à-dire avec leurs diplômes) n’était nullement assurée ou garantie. Ceci explique pourquoi le projet de GIECLAT leur a été bénéfique. Voici quelques conséquences positives obtenues :
- L’accueil en stage des 82 étudiant-e-s a inauguré la découverte d’un nouveau champ de connaissance dans les sciences de l’éducation. L’éducation inclusive, mettant en évidence les mécanismes d’enseignement et de prise en charge des élèves en situation de handicap, a bien été prise en considération.
- Les séances de formation et d’entraînement sur les guides d’observation, de collecte et d’analyse tenues à leur intention ont été très innovantes. Elles constituent une année complémentaire de spécialisation pour ces étudiant-e-s. La somme de savoir accumulée par ces étudiant-e-s laisse comprendre qu’il était temps que le projet arrive au niveau de l’Université.
- Les multiples visites de terrain des étudiant-e-s stagiaires ont motivé leur intérêt pour la thématique énoncée. Ceci à un degré tel que ces stagiaires ont décidé de produire leurs travaux de sortie en vue de l’obtention du diplôme de Licence sur les différents aspects de la situation du handicap chez les élèves. Sur 120 textes de mémoire produits, 70% portent sur la thématique des élèves en situation de handicap. En ce sens, il n’est pas hautain de signaler que, suite aux séances de soutenance orale tenues en août 2019 dernier, parmi les étudiant-e-s ayant obtenu les plus fortes notes de distinction, les stagiaires du projet, désormais licenciés en Sciences de l’Éducation, ont eu de bonnes mentions. Une grande première dans toute l’histoire de l’Université en Haïti.
- Les chercheurs associés au projet ont été des encadreurs d’étudiant-e-s. Comme les enseignant-e-s de l’UPGA, ils ont été invités comme membres de jury de soutenance des mémoires des étudiant-e-s. C’est un impact majeur du projet, puisque ces licencié-e-s seront appelé-e-s à transmettre aux élèves des écoles de la Grand’Anse les connaissances et les expériences qu’ils ont développées.
- L’un des objectifs pour lesquels l’Université publique de la Grand’Anse s’est implantée dans la région a été celui de la doter d’une structure de formation et de recherche. Le résultat commence donc à venir, car les données collectées dans cette phase de la recherche montrent que les étudiant-e-s diplômé-e-s sur le handicap constituent un noyau important pour les écoles. Sur cette base, l’apport du projet à l’UPGA (formatrice de nouveaux cadres pour les écoles) est un service public inestimable qu’il y a lieu d’apprécier et de répliquer.
Tout compte fait, si l’effet d’une action doit encore produire un effet, cet effet (lorsque le bénéfice est social) est tout à fait un impact positif. Que la phase en cours de réalisation de cette recherche en apporte davantage à la population éducative, en termes d’intérêt et d’éclairage!
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Nelson Sylvestre est professeur à l’Université d’État d’Haïti. Il détient un doctorat en Sociologie du développement et a fait un cursus en Ingénierie Structurelle de construction (Ingénierie de Projets). Diplômé de l’Université d’État d’Haiti, de la FLACSO et de l’UNAM, ses domaines d’expertise sont le développement intégral, la Conception et Gestion de Projets, le montage des programmes de formation, le renforcement institutionnel et le coaching des autorités publiques et de l’éducation. Il est membre fondateur du CEREGE (Centre de Recherche Éducation-Gestion-Économie) de l’Université publique de la Grand’Anse.
Pour citer ce chapitre
Sylvestre, Nelson, (2020), « Une retombée féconde du projet. Des étudiant-e-s de l’Université publique de la Grande-anse initié-e-s à l’éducation inclusive ». In Le handicap à l’école haïtienne. Résultats préliminaires d’une recherche-action dans le grand Sud d’Haïti à la suite de l’ouragan Matthew, sous la direction de Rochambeau Lainy, chapitre 10, pp. 125-130, Québec : Éditions science et bien commun.