7 Stratégies d’apprentissage et ressources utiles dans les processus cognitifs

Pierre Edher GEDEON

Résumé/Rezime

Les stratégies d’apprentissage sont des moyens que l’apprenant-e utilise pour acquérir, intégrer et se rappeler les connaissances qu’on lui enseigne. À côté des pratiques pédagogiques appliquées dans presque toutes les écoles visitées, des observations des stratégies mises en œuvre par les élèves en situation de handicap sont faites, en vue d’en évaluer le processus cognitifs. Cette contribution nous donne l’occasion de partager certains résultats que nous avons jusqu’ici obtenus. Les données analysées sont collectées à l’École Notre Dame de Lourdes (ENDL) de la ville de Jérémie, auprès d’une population de 17 élèves de 2e année fondamentale, âgés de 6 à 9 ans.

Mots-clés : handicap, pratique pédagogique, élève, stratégie d’apprentissage, enseignant

Yon estrateji aprantisaj se yon  mwayen yon elèv  itilize pou li kapab aprann, memorize  ak enteryorize  sa yo anseye li. Aprè nou fin konstate pratik pedagojik yo aplike nan tout lekòl nou obsève yo,  nou  te gade estrateji elèv ki nan sitiyasyon andikap yo devlope pou yo aprann, nan objektif pou nou evalye   pwosesis konyitif yo. Kontribisyon sa a pèmèt nou pataje rezilta pwovizwa nou jwenn sou pwoblematik sa a. Nou ranmase enfòmasyon nou analize nan atik sa a nan lekòl Notre Dame de Lourdes (ENDL) ki nan vil Jeremi, nan klas 2zyèm ane. Li konsène17 elèv, soti nan laj 6 zan rive 9 van.

Mo-Kle : andikap, pratik pedagojik, elèv, estrateji aprantisaj, anseyan

Introduction

Le système éducatif haïtien est, dans son fonctionnement global, un facteur de blocage pour certains élèves qui ne paraissent pas y trouver leur place. Généralement ceux et celles qui ne travaillent pas au même rythme que les autres sont souvent exclu-e-s ou jugé-e-s faussement. Exclu-e-s pour ne pas être capables d’appliquer des formules toutes faites comme les autres, mal jugé-e-s à cause souvent de l’application des pratiques pédagogiques trop générales, ils et elles sont pénalisé-e-s. Que peut-on offrir à ces élèves en termes de moyens pour remédier à cette situation? De quelle utilité pourraient être des stratégies mettant ces élèves au cœur de l’acte d’apprentissage?

Quelques repères théoriques

Les stratégies font référence à un ensemble d’actions ou de moyens observables et non observables (comportements, pensées, techniques, tactiques) employés par un individu avec une intention particulière, et ajustés en fonction des variables d’une situation. Elles sont utiles à la réussite scolaire des élèves et se font de différentes façons (Cartier, 1997).

Les stratégies sont souvent spécifiques à la réalité de celui ou celle qui les emploie. Une première idée est qu’elles s’emploient en contexte naturel et authentique, c’est-à-dire à l’intérieur des cours habituels et en accomplissant les activités réelles. Ce principe, relié à l’approche de la contextualisation de l’apprentissage, est relevé dans les travaux de Tardif (1992) et de Weinstein (1994). Ces chercheurs recommandent d’enseigner les stratégies générales (telles que les stratégies d’apprentissage) dans le contexte d’acquisition de connaissances spécifiques (telles que celles qui appartiennent au domaine étudié). Une deuxième idée est que l’enseignant-e doit favoriser chez l’élève un travail de réflexion sur les stratégies qu’il ou elle utilise spontanément (Bazin & Girerd, 1997). La troisième idée à retenir est qu’il faut enseigner explicitement les stratégies d’apprentissage que l’élève ne connaît pas ou qu’il n’utilise pas, mais qui peuvent se révéler efficaces en contexte. Ainsi, Weinstein et Hume (1998) proposent d’utiliser trois méthodes d’enseignement : l’enseignement direct qui consiste à dire quelle est la stratégie à appliquer et comment l’utiliser; le modelage cognitif et métacognitif, qui vise à expliciter le raisonnement qui accompagne la planification et la réalisation d’une tâche, à mettre en évidence l’importance de contrôler la réalisation de la tâche et à communiquer des attitudes (Hensler, 1999); et la pratique guidée avec rétroaction, qui propose la discussion des caractéristiques et des applications possibles et impossibles de la stratégie d’augmenter, au besoin, son répertoire de stratégies (Boulet, Savoie-Zajc & Chevrier, 1996). Les bonnes stratégies d’apprentissage sont nécessairement utiles au développement de la cognition.

Legendre définit la cognition comme « une séquence du processus suivant : 1) collecte d’informations, 2) stockage, 3) interprétation et 4) compréhension. De manière générale, la cognition réfère à un ensemble d’activités liées à l’acquisition et l’organisation des connaissances » (1993). Cette idée rejoint celle de Costermans selon laquelle l’acquisition et l’organisation des connaissances modèlent le comportement (Costermans, 2000).

Objectifs et rappels méthodologiques

Cette étude portant sur les stratégies d’apprentissage en contexte de dynamisation de processus cognitifs se justifie par l’importance que l’on doit accorder aux implications de l’élève dans son apprentissage. Des chercheurs et chercheuses, comme Weinstein (1994), ont démontré que les élèves qui réussissent bien leurs cours sont ceux et celles qui utilisent des stratégies d’apprentissage efficaces pour accomplir avec succès les différentes activités qui leur sont proposées (Cartier, Debeurme & Viau, 1997). Le fait que les élèves font preuve d’autonomie dans leurs apprentissages est aussi une autre raison. Ils et elles connaissent et utilisent à bon escient des stratégies d’apprentissage qui leur permettent d’acquérir les connaissances et de développer des compétences; lorsque celles-ci sont construites par les élèves eux-mêmes, elles leur sont utiles pour apprendre toute la vie.

Des élèves présentant des troubles liés à la cognition, groupe d’élèves mal-vus, stigmatisé-e-s, et même diminué-e-s dans leur personne par rapport aux discours des enseignants, forment l’échantillon de notre enquête. Sont alors pris en compte les performances qu’exige la mise en évidence des fonctions exécutives, les dispositifs didactiques et les moyens pédagogiques mis en œuvre.

Outils et collecte de données

Dans le cadre de la recherche menée dans les Départements de la Grand’Anse, des Nippes et du Sud intitulée « Élèves en situation de handicap et pratiques pédagogiques des enseignants dans les départements du Sud, des Nippes et de la Grand’Anse », des tests élaborés dans le but de repérer les élèves en situation de handicap et de contrôler la fréquence des signes remarqués par la direction de la recherche ont permis d’identifier les troubles chez des élèves du premier cycle fondamental, notamment en AF2.

Des tests d’intelligence montrant des troubles liées à la compréhension et au traitement de l’information ont aussi été administrés.

La batterie BREV (batterie rapide d’évaluation des fonctions cognitives) utilisée est un outil clinique destiné aux professionnel-le-s de santé, permettant de réaliser un examen neuropsychologique chez l’enfant de 4 à 9 ans et non pas un test d’intelligence qui a été administré à certains élèves identifié-e-s présentant des troubles liés à la cognition. Cette batterie a deux objectifs : 1) identifier les enfants suspects d’un déficit des fonctions cognitives et 2) préciser le profil de ce déficit afin d’orienter l’enfant vers le ou la professionnel-le compétent-e qui confirmera ou non l’hypothèse avancée. Elle permettra d’affiner le diagnostic sur un enfant en situation de difficulté d’apprentissage, un enfant porteur d’une affection neurologique à haut risque de conséquences cognitives en particulier l’épilepsie, à titre systématique dans le cadre du dépistage chez l’enfant à partir de 4 ans. Cette batterie de tests permet une évaluation de chacune des fonctions cognitives grâce à ses 18 subtests validés séparément : le langage oral (réception et production), les fonctions non verbales (sériation, graphisme, discrimination visuelle, raisonnement visuo-spatial, fonctions exécutives), l’attention, la mémoire verbale et visuo-spatiale, les principaux apprentissages (lecture, orthographe, calcul).

Tout ceci a été réalisé dans le but de vérifier si les sujets de cette population d’enquête présentent des troubles cognitifs, en nous préoccupant des difficultés relatives au traitement de l’information provoquées par des dispositifs pédagogiques non adaptés, et le contexte environnemental.

Données et interprétation

Troubles de la cognition

Parmi les 17 élèves observées, 10 sont de la 2e année A et 7 de la 2e année B. Elles sont toutes de sexe féminin.

  • Cinq, soit 29% présentent un trouble cognitif lié à la compréhension;
  • Six, soit 35% présentent un trouble cognitif relatif à l’attention;
  • Quatre, soit 24% présentent un trouble cognitif relatif à la mémoire;
  • Deux, soit 12% présentent un trouble cognitif relatif au langage.

Pratiques pédagogiques

Le progrès intellectuel et l’épanouissement psychologique des élèves sont contrariés en raison des troubles de cognition dépistés. Les troubles cognitifs touchent la mémoire, le raisonnement, le langage, la motricité, l’attention et les fonctions exécutives. Ils sont surtout liés à la faiblesse d’un système éducatif caractérisé par un ensemble de dispositifs d’enseignement/apprentissage inadaptés et une pédagogique non différenciée. Les enseignant-e-s observé-e-s considèrent leur classe comme une entité homogène. La pédagogie suggérant l’accompagnement individualisé n’est pas exploitée.

Certains enfants ignorent les notions de base en mathématiques : confusion entre nombre et chiffre. Ils et elles sont incapables d’établir un lien entre le symbole et la quantité. Il leur est difficile par conséquent de comparer deux valeurs (et même de comprendre qu’un nombre peut être plus grand qu’un autre), d’évaluer de petites quantités, de maîtriser le système numérique c’est-à-dire comprendre et utiliser la numération de position, avec la place des unités, celle des dizaines, des centaines…, de calculer même de très simples opérations. Il est clair que la maîtrise du dénombrement exige la connaissance de la comptine numérique, la capacité à pointer chaque élément et un seul, au fur et à mesure du comptage et la compréhension de la notion de quantité et de cardinal du nombre : si je compte jusqu’à cinq en dénombrant les jetons, ça veut dire qu’il y a cinq jetons.

Les fonctions exécutives (le langage, la mémoire, la perception, l’attention, etc.) sont des fonctions supérieures administrant, supervisant et contrôlant les autres fonctions. Elles sont aussi mises en cause dans les difficultés en mathématiques.

Devoir d’une élève de 2e année fondamentale (ENDL, Jérémie).

La majorité des enseignant-e-s de l’enquête ignorent les gestes les plus simples tendant à dépister les troubles et visant à envisager une méthode inclusive dans le but de ne pas discriminer l’élève. Ils et elles ne sont pas conscient-e-s de l’importance des stratégies d’apprentissage mettant l’emphase sur la participation dans le développement cognitif et le bien-être psychologique des enfants. Ils sont dépourvus de moyens d’accompagner un enfant ayant des problèmes de cognition.

Les catégories de connaissances

La psychologie cognitive considère qu’il y a fondamentalement trois grandes catégories de connaissances, lorsqu’il s’agit du domaine cognitif, socio-affectif et psychomoteur :

Les connaissances déclaratives qui correspondent essentiellement à des connaissances théoriques telles que la connaissance des faits, des règles, des lois, des principes. Par exemple la connaissance de chacune des parties du corps humain.

Les connaissances procédurales correspondent au comment de l’action, aux étapes pour réaliser une action. En pédagogie, ces connaissances sont décrites comme des savoir faire, ce sont des connaissances d’action, des connaissances dynamiques : faire un dessin, prendre une dictée.

La poursuite des objectifs liés au développement de connaissances procédurales exige qu’on place l’élève continuellement dans un contexte de réalisation de tâches réelles (Bazin & Girerd, 1997). L’enseignant-e devient alors beaucoup plus un médiateur ou une médiatrice entre la connaissance à acquérir et l’élève, qu’une source directe d’informations comme dans le modèle de transmission.

Les connaissances conditionnelles, ces connaissances concernent le « quand » et le « pourquoi ». À quel moment et dans quel contexte est-il approprié d’utiliser telle ou telle stratégie, telle ou telle démarche, d’engager telle ou telle action? Pourquoi est-ce adéquat d’employer cette stratégie, cette démarche, de réaliser cette action? Ces questions sont relatives aux connaissances conditionnelles.

Dans le milieu scolaire, les connaissances conditionnelles sont la catégorie de connaissances la plus négligée. Exemple de connaissances conditionnelles :

  1. distinguer un carré d’un rectangle;
  2. connaître la position d’un nombre dans un tableau de numération.

Dans ce processus actif de construction de connaissances, la mémoire joue un rôle central.

Impacts individuels et psychologiques

Beaucoup d’enfants en difficulté en mathématiques subissent un blocage psychologique causé par l’anxiété et le sentiment d’être incompétent-e.  Ils et elles n’ont pas de troubles pouvant expliquer une dyscalculie, mais sont quand même en butte à l’échec dans cette matière. Ces enfants ont le sentiment d’être « nuls en maths », ils et elles n’arrivent pas à réfléchir dès lors qu’il leur faut trouver une démarche, comprendre un raisonnement ou une notion. Ils et elles apprennent à appliquer et recopier sans comprendre.

Les troubles cognitifs observés et repérés ont des impacts désagréables sur chaque apprenant-e de manière individuelle et sur l’ensemble de la classe. Les émotions dégagées par rapport aux situations vécues affectent l’état psychique et psychologique des élèves. Le palmarès scolaire de ces élèves en paye le prix, on comprend alors pourquoi les troubles sont vécus comme un échec personnel.

Stigmatisé-e-s et parfois traumatisé-e-s, ces élèves décrochent et ne se montrent plus aptes à effectuer des activités pour lesquelles ils et elles se sentent plus confortables. Les élèves s’abandonnent à la perturbation, aux activités physiques, à la moquerie et à des distractions, deviennent agressifs et agressives et montrent un réel désintérêt pour les activités impliquant le système cognitif.

Conclusion

Une stratégie d’apprentissage en contexte scolaire est une action métacognitive ou cognitive utilisée dans une situation d’apprentissage, orientée dans un but de réalisation d’une tâche servant à effectuer des opérations sur les connaissances en fonction d’objectifs précis.

Nous espérons que cette contribution a permis de répondre à la question portant, notamment, sur l’utilisation de stratégies d’apprentissage. Nous avons souligné, d’une part, que l’acquisition de stratégies d’apprentissage est importante, car elle permettra non seulement d’apprendre en contexte scolaire, mais aussi tout au long de la vie, lorsque les études seront complétées. D’autre part, les enseignant-e-s qui veulent aider les élèves doivent leur enseigner non seulement des connaissances et des compétences dans leur domaine d’études, mais aussi des stratégies qui leur permettent de faire leurs apprentissages. En agissant ainsi, le personnel enseignant contribua à augmenter le pouvoir d’apprendre de leurs élèves et les aideront à devenir des apprenant-e-s pour la vie.

Références

Bazin, Anne & Robert Girerd, (1997), « La métacognition, une aide à la réussite des élèves du primaire », pp. 63-93, M. Grangeat et P. Meirieu (dir.), La métacognition, une aide au travail des élèves, Paris: ESF.

Boutet, Albert, et al., (1996), Les stratégies d’apprentissage à l’université, Québec: Presses de l’Université du Québec.

Cartier, Sylvie, et al., (1997), « La motivation et les stratégies autorégulatrices : cadre de référence », p. 33-45, L. Sauvé et al. (dir.), Deuxième rapport trimestriel de progrès des activités de recherche du projet, Québec: Société pour l’apprentissage à vie.

Cartier, Sylvie, (1997), Lire pour apprendre : description des stratégies utilisées par des étudiants en médecine dans un curriculum d’apprentissage par problèmes, Thèse de doctorat inédite, Montréal: Université de Montréal.

Costermans, Jean, (2000), Les activités cognitives : Raisonnement, décision et résolution de problèmes, 2e édition, Bruxelles: De Boeck Supérieur.

Hensler, Hélène, (1999), « Métacognition : enseigner dans une perspective métacognitive », Revue de formation et d’échange pédagogiques, avril, pp. 2-5.

Légendre, Renald, (1993), Dictionnaire actuel de l’éducation, 2e édition, Montréal: ESKA.

Tardif, Jacques, (1992), Pour un enseignement stratégique : l’apport de la psychologie cognitive, Montréal: Éditions Logiques.

Weinstein, Claire Ellen & Laura Hume, (1998), Stratégies d’études pour un apprentissage durable, Washington: American Psychological Association.

Weinstein, Claire Ellen, (1994), « Stratégies d’apprentissage et stratégies d’enseignement », pp. 257-274, P. R. Pintrich, D. R. Brown et C. E. Weinstein (dir.), Élève, Motivation, Cognition, et Apprentissage, Hillsdale: Lawrence Erlbaum.

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Pierre Edher Gédéon est assistant de recherche au GIECLAT. Il a une licence en psychologie (obtenue à l’UEH). Il a également reçu une formation en Motivation, Leadership et Développement personnel à l’Universidad Adventista Dominicana (UNAD, Bonao). Il souhaite poursuivre ses études autour de l’interface droit et psychologie.

Pour citer ce chapitre

Gédéon, Pierre Edher, (2020), « Stratégies d’apprentissage et ressources utiles dans les processus cognitifs ». In Le handicap à l’école haïtienne. Résultats préliminaires d’une recherche-action dans le grand Sud d’Haïti à la suite de l’ouragan Matthew, sous la direction de Rochambeau Lainy, chapitre 7, pp. 95-104, Québec : Éditions science et bien commun.

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