5 Mona Guérin, écrivaine, metteur en scène, dramaturge (1934-2011)
Amos Louis
J’ai toujours écrit et j’écris tous les jours.
Woy! La Voilà née…!
Blag s on gwo zouti nou ka itilize pou rive enfliyanse konpòtman gason ak fanm, pou rive tou sansibilize yon popilasyon sou pwogrè kolektif, sou viv ansanm, kidonk nan respè youn pou lòt. Mona se youn nan moun ki te genyen yon pakou ki reflete filozofi sa. Li te kreye yon feyton radyofonik anpil moun te konn swiv. Se te yon bon mwayen pou rive fè ateri kanpay edikasyon sivik nan peyi a.
Le 9 octobre 1934, un couple – formé de Gontran Rouzier et de Camille Duplessy – mit au monde une enfant qu’il prénomma Mona. Le 30 décembre 2011, jour qui mit fin à une existence vécue dans l’exceptionnalité d’une condition, le monde culturel haïtien constata dans le chagrin la disparition d’une femme pas comme les autres, qui aura largement investi l’univers culturel de son temps. Retour sur la vie de Mona Guérin, celle qui fut l’auteure du feuilleton radiophonique le plus suivi de son époque.
L’humour comme « patrimoine génétique »
Ceux qui se sont essayés à quelques études biographiques sur l’artiste se rappellent qu’elle disait avoir reçu son sens de l’humour de ses parents. C’est avec cet héritage qu’elle partit étudier la littérature à l’Université d’Ottawa après avoir obtenu une bourse du Conseil des Arts du Canada. À cette époque, âgée de 24 ans, elle avait déjà à son actif un recueil de poésie en alexandrins intitulé Sur les vieux thèmes.
Quand elle rentra du Canada, après la fin de ses études, c’est avec un ingénieur nommé Joseph Guérin qu’elle se maria et eut deux enfants, deux filles plus exactement. Elle mena une carrière d’enseignante à l’école primaire de 1965 à 1980 et s’adonna au théâtre.
Son premier grand succès, elle le remporta en 1966 lorsqu’Alexandre Abellard mit en scène l’une de ses pièces intitulée L’Oiseau de ces dames.
Jusqu’à 1976, elle écrivit cinq autres pièces. Si c’est La Pension Vacher (1976) qui lui valut son plus grand succès auprès du public, il demeure évident qu’elle affectionnait plus particulièrement La Pieuvre, qu’elle rédigea en 1971.
L’originalité de l’œuvre de Guérin tenait dans l’attention accrue qu’elle accordait aux réalités dans leur grande comme dans leur infime partie.
Voici comment le plus ancien quotidien francophone d’Haïti parlait de l’œuvre de l’auteure :
De simples choses vues : des bribes d’émotions ou de situations dans une ambiance chatoyante et stressante que l’amour, l’humour, le snobisme, la dénonciation des conventions et des préjugés, l’image de la femme dans une société asservie, le goût de l’excellence et de la beauté (Le Nouvelliste, juillet 2001).
Si elle a su retenir l’attention du grand public, c’est précisément parce qu’elle traduisait en écriture et en drame la vie courante qu’elle donnait dorénavant à voir et à entendre via la radio et la télévision. Quand le feuilleton « Woy! Les Voilà! » débute sur les ondes de la radio Métropole pour continuer sur les ondes de Magik Stéréo, elle ne s’attendait pas à ce que ce fut une invitation du destin qui dura finalement douze années dans une aventure théâtrale de grande envergure. Quand enfin elle put se reposer de cette aventure, ce fut pour être encore plus célèbre.
Dans sa carrière, elle créa d’autres émissions à caractère religieux, éducatif ou satirique dont Récréation avec tante Mariette (une émission au service des enfants en 1971) pour Radio Nouveau-Monde et, pour Radio-Métropole, trois émissions dominicales (de 1972 à 1982) : Ces dames gardent la ligne, Variations sur un mot, Jackotte et Monica.
Elle a aussi, en collaboration avec sa fille, Élisabeth Guérin Parisot, créé sur les ondes de Magik-Stéréo les émissions Comment vivons-nous et An nou gade ki jan nap viv (juillet-août 1997).
De janvier 1992 à septembre 1994, elle anima Dieu à tout moment sur Magik-Stéréo. Elle créa une soixantaine de sketches diffusés sous le titre de l’émission : Petit théâtre de Magik-Stéréo (octobre 1994-juin 1995).
Sur Télé-Haïti, de 1977 à 1981, Guérin écrivit plus de 150 sketches pour l’émission Gala de Galerie de Gérald Alexis, diffusés chaque semaine. Mais il est malheureux de voir qu’aucune de ses émissions n’a été sauvegardée.
Sa renommée lui a valu de participer à des jurys nationaux et internationaux : elle fut membre du jury du Prix Littéraire Henri Deschamps (de 1975 à 1985); membre du jury au 4e et 5e Festival de la Francophonie (1989 et 1990). Elle reçut de nombreuses distinctions, dont un hommage du barreau de Port-au-Prince en 1981 et le « Bravo » du quotidien Le Nouvelliste qui honore une personnalité haïtienne (voir le supplément spécial consacré à l’écrivaine en juillet 2001).
La Dame aux 150 visages
Durant toute sa carrière, Mona Guérin a créé 150 personnages qu’elle fit jouer par de nombreuses personnalités – environ 25 acteurs – dont ses deux filles.
[…] Mona vivait pratiquement pour les autres, sa vie était dédiée à son entourage, à la jeunesse à laquelle elle voulait à tout prix laisser quelque chose. Elle n’avait pas le temps, on dirait, de penser pour elle, mais pour son art au service de la bonne écriture et du bon théâtre appelé à conscientiser, à modeler et à harmoniser les gestes de ses interlocuteurs (Smoye Noisy)[1]
L’œuvre de Guérin n’était pas seulement empreinte d’esthétique. Elle incarnait aussi des valeurs. Elle défendait, à sa manière, la cause des femmes. Pour avoir été fille, femme, mère et institutrice, elle était bien placée pour savoir extérioriser ce qu’une femme ressent et veut dire.
Woy! La voilà…disparue!
«Mona Guérin : une perte énorme pour la culture haïtienne »[2], «Mona Guérin, l’incarnation du feuilleton radiodiffusé en Haïti »[3], tels furent les titres qui annoncèrent la nouvelle de la disparition de l’auteure le 30 décembre 2011, succombant à une pneumonie courageusement supportée.
Mona Guérin, partie pour l’au-delà, laissa un parcours étonnant derrière elle dont nous prenons ici plaisir à retracer en guise de conclusion.
Ses œuvres
- Sur les vieux thèmes (1958);
- L’Oiseau de ces dames (1966);
- Les cinq Chéris (1969);
- La Pieuvre (1971);
- Chambre 26 (1973);
- La Pieuvre, avec L’Oiseau de ces dames (1973);
- Sylvia (1974);
- La Pension Vacher (1976);
- La Pension Vacher, comédie en deux actes, avec Sylvia, comédie en un acte (1977);
- Mi-figue, mi-raisin (1980 et 1998).
Prix et distinctions
- 1983 : Chevalier de l’Ordre des Palmes académiques du Gouvernement français, France.
- 1991 : Hommage du Barreau de Port-au-Prince, Haïti.
- 1999 : Prix littéraire des Caraïbes de l’Association des écrivains de langue française (ADELF), pour Mi-figue, mi-raisin.
- 2001 : « Bravo » du quotidien Le Nouvelliste qui honore une personnalité haïtienne, Haïti.
- 2002 : Docteur honoris causa, Université Royale d’Haïti, Haïti.
Références
Augustin, Chenald (2012), « Mona Guérin, l’incarnation du feuilleton radiodiffusé en Haïti », Le Nouvelliste. 9 janvier 2012,
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/101238/Mona-Guerin-lincarnation-du-feuilleton-radiodiffuse-en-Haiti
Cameau, Walter P. (2012), « Mona Guérin : une vie bien remplie », Le Matin. 6 janvier 2012,
http://www.lematinhaiti.com/contenu.php?idtexte=28241
Claude-Narcisse, Jasmine en collaboration avec Pierre-Richard Narcisse (1997), Mémoire de femmes, Mona Guérin, Unicef-Haïti. En ligne. 192 p.
http://www.jasminenarcisse.com/memoire/11_litterature/05_mona.html
Duval, Frantz (2011), « Woy! Mona Guérin mouri!!! », Radio Télévision Caraïbes. 30 décembre 2011.
http://www.radiotelevisioncaraibes.com/nouvelles/culture/woy_mona_guerin_mouri.html
Haïticulture, Femmes d’Haïti, Mona Guérin.
http://www.haiticulture.ch/Mona_Guerin.html
Île en île, Mona Guérin – île en île.
http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/guerin.html
Ministère de la Culture et de la Communication, « Le Ministère de la Culture salue avec émotion la mémoire Mona Guérin », Le Nouvelliste. 10 janvier 2012.
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/101291/Le-Ministere-de-la-Culture-salue-avec-emotion-la-memoire-Mona-Guerin
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