14 Liliane Pierre-Paul, journaliste

Iléus Papillon

Si dans l’intérieur d’un État vous n’entendez le bruit d’aucun conflit, vous pouvez être sûr que la liberté n’y est pas (Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence).

Yo te vyole l, egzile l, maspinen l pandan rejim diktati Divalye yo. Li se youn nan jounalis ki plis angaje ann Ayiti. Li gen plis pase 35 lane batay pou rive libere lapawòl sou tè Papa Desalin mouri kite pou nou an.

Une vie remarquable

Née à Petit-Goâve, Liliane Pierre-Paul est une femme qui a lutté plus de 35 ans pour la liberté d’expression en Haïti. Elle est une icône nationale, une photographe passionnée de son pays, une touriste locale dévouée, une journaliste engagée et une militante dans l’âme. Victime des oppressions, persécutée sous le régime dictatorial des Duvalier, torturée, violée, battue, emprisonnée et exilée, elle est devenue un nom qui sonne fort dans la société haïtienne. Elle est cette femme qui a bravé les dangers. Elle est cette femme qui a donné toute son énergie pour la cause de ce peuple. Elle a consacré une bonne partie de sa vie pour la construction d’une société libre, juste et égalitaire. Journaliste engagée, elle a été Présidente de l’ANMH (Association Nationale des Médias haïtiens) de novembre 2012 à avril 2015.

Un combat de longue durée

« Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre l’œuvre et l’artiste », a souligné Henri Bergson dans Les données immédiates de la conscience. Liliane est une femme libre, cette femme qui se donne pour sa société prise en otage par les assoiffés de pouvoir, les distributeurs de sang et de cris. Elle a pris part activement à la lutte pour débarrasser le pays du régime des Duvalier, cette équipe de pilleurs ayant dirigé le pays de 1957 à 1986.

C’est une femme qui contribue quotidiennement à la valorisation de la langue créole. D’ailleurs, son « Journal 4 trè » (Journal de 4 heures) se présente toujours en créole. La présentation du journal en langue que les masses utilisent permet une grande diffusion d’informations. C’est un acte politique. Elle est aussi cette femme qui donne des conférences partout en Haïti et à l’étranger. Elle ne cesse jamais d’interpeller les jeunes à faire respecter leurs droits et à lutter pour une société sans exclusion. Elle a exercé le journalisme avec un esprit d’engagement durant le régime dictatorial des Duvalier. Les atrocités qu’elle a endurées en raison de sa dévotion à la cause démocratique n’ont pas pu la faire reculer. Elle a participé à la fondation de la radio Télé Kiskeya le 7 mai 1994 avec Marvel Dandin et Sony Bastien, alors tous trois journalistes dissidents de Radio Haïti Inter (RHI). Elle s’y est impliquée ensuite comme directrice de programmation et secrétaire du conseil d’administration.

Son parcours de plus de 35 ans de métier est un itinéraire marqué au coin de l’éthique, du courage et de la conscience professionnelle[1]. Elle a toujours lutté pour une presse indépendante. Elle est un modèle d’intégrité et d’altruisme.

Le retour de l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier

Ayant appris la nouvelle du retour, Liliane a ainsi réagi :

C’est un gros choc. Je pensais que c’était un canular. J’ai dû demander à la salle des nouvelles de la radio d’être extrêmement prudente avant d’annoncer la nouvelle, question ne pas avoir à rectifier. Je ne sais pas s’il a restitué l’argent du pays qu’il a volé; je ne sais pas si des mesures ont été prises pour l’amnistier ou pour réparer les victimes… je ne sais pas. Mais ce retour est extrêmement choquant. Si nous encourageons cette situation, cela veut dire que nous encourageons l’impunité[2].

Dans le même article, Liliane Pierre-Paul témoigne en partie de ce qu’elle a vécu avec sa famille :

Un pays ne peut pas avoir sous un régime 30 000 tués et autant de disparus, des familles déchirées… J’ai laissé chez moi un vendredi après-midi, pour ne plus jamais y remettre les pieds. J’ai vu ma mère six ans après. Ce jour-là, on a arrêté 13 personnes chez moi. J’ai un frère qui a passé deux ans en prison; un autre a été expulsé avec moi… pour le simple fait qu’ils ont été mes frères… Harcèlements, persécutions politiques, arrestations arbitraires, tortures, emprisonnements, déportations… Ce ne sont pas des traitements qu’on oublie du jour au lendemain… Ils ont déchiré ma vie. Les conséquences de cette situation ont coûté la vie à l’un de mes frères. Je ne cherche pas la revanche, mais il faut que justice soit faite…[3]

Liliane Pierre-Paul a accepté d’accorder une entrevue au Nouvelliste afin, a-t-elle dit, de permettre aux jeunes qui ne connaissent pas le régime de prendre connaissance des exactions des Duvalier. Elle a toutefois reconnu l’échec des pouvoirs qui ont succédé aux Duvalier. Par ailleurs, elle a souligné que la transmission et l’entretien du passé n’ont pas été faits dans le pays, et c’est ce qui a poussé des jeunes à supporter le retour de l’ex-dictateur. « Fort-Dimanche, symbole de cette dictature, aurait dû être transformé en musée, à la mémoire de tous ceux qui ont péri sur ce régime. En outre, le gouvernement pouvait financer la réalisation des films historiques sur l’époque, des documentaires. On devait également l’enseigner à l’école… C’est l’amnésie générale », s’est désolée la journaliste. Elle a pris le contrepied de la position de ceux qui disent que, sous le régime des Duvalier, tout allait bien :

Non. Des gens mourraient de faim, je m’en souviens. Il y avait des périodes de famine. En 1976, les élèves étaient obligés d’aller étudier au Champ de Mars à cause du black-out… Duvalier avait fermé tous les ports du pays et c’est lui qui a commencé avec le déboisement pour lutter contre ce qu’il appelait les  »Camoquins ». Les jeunes doivent savoir cela[4].

 Prix et honneurs

Liliane Pierre-Paul est lauréate du prix Roc Cadet 2014 de SOS Liberté pour son engagement dans la lutte pour le respect de la liberté d’expression en Haïti. Toute sa vie, elle a mis l’accent sur la nécessité d’assurer la défense des intérêts généraux du pays, surtout quand ils sont menacés. Elle se positionne également contre le racisme dominicain, contre les conditions matérielles d’existence des garçons et filles des bateys. Elle a également été honorée le 13 décembre 2012 par les organisateurs du spectacle hebdomadaire Havana guitare night.

Liliane Pierre-Paul, c’est aussi cette femme qui fait la promotion de la solidarité inter-haïtienne. Elle ne cesse d’encourager les forces vives locales à prendre des initiatives au service du bien commun et d’encourager la liberté de parole. Que les générations futures bénéficient de son engagement.

Références

Bastien, Sony (2004), « 10ème anniversaire de Kiskeya, édito de notre PDG Sony Bastien », Radio Kiskeya. 7 mai 2004.
http://radiokiskeya.com/spip.php?article22

Côté-Paluck, Étienne (2011), « Haïti, la vie continue », Châtelaine, 1er avril 2011.
http://fr.chatelaine.com/societe/reportages/haiti-la-vie-continue/

Geffrard, Robenson (2011), « Liliane Pierre-Paul, une cicatrice béante; Robert Duval, non à l’impunité », Le Nouvelliste, 18 janvier 2011.
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/87961/Liliane-Pierre-Paul-une-cicatrice-beante-Robert-Duval-non-a-limpunite

Haïti Press Network, « Liliane Pierre Paul lauréate du prix Roc Cadet de SOS Liberté », HPN, Haïti Press Network, 4 juin 2014.
http://www.hpnhaiti.com/site/index.php/societe/12963-haiti-justice-presse-la-journalisteliliane-pierre-paul-laureate-du-prix-roc-cadet-de-sos-liberte

International Women’s Mesia Foundation, « Lilianne Pierre-Paul | 1990 Courage In Journalism Award », IWMF.
https://www.iwmf.org/lilianne-pierre-paul-1990-courage-in-journalism-award/

Jovin, James (2012), « Liliane Pierre Paul honorée par ‘Havana guitare night’ », Le Matin, 14 décembre 2012.
http://www.lematinhaiti.com/contenu.php?idtexte=33971

Pierre, Paul Liliane (2013), « Discours de Liliane Pierre-Paul, présidente de l’ANMH, à l’occasion du 3 mai », Le Nouvelliste, 10 mai 2013.
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/116638/Discours-de-Liliane-Pierre-Paul-presidente-de-lANMH-a-loccasion-du-3-mai

Radio Kiskeya, « La journaliste Liliane Pierre-Paul de Radio Kiskeya élue à l’unanimité présidente de l’Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH) », 11 novembre 2012.
http://www.radiokiskeya.com/spip.php?article9275

Victor, Claudel (2012), « Liliane Pierre-Paul nouvelle présidente de l’Association des Médias Haitiens », Atelier des médias rfi, 12 novembre 2012.
http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/liliane-pierre-paul-nouvelle-pr-sidente-de-l-association-des-m

Pour aller plus loin

Entrevues avec Liliane Pierre :

« Haïti-Médias-Genre : Liliane Pierre-Paul, modèle de femme journaliste », AlterPresse, 17 décembre 2012.
http://www.alterpresse.org/spip.php?article13845#.VjQ8lOln-Wc

« Radio Kiskeya 18 lane (Liliane Pierre Paul) Reportaj TSS », TSS. https://www.youtube.com/watch?v=wc00sWpmtFA


  1. Voir : « Haïti-Médias-Genre : Liliane Pierre-Paul, modèle de femme journaliste », AlterPresse, lundi 17 décembre 2012
  2. Geffrard Robenson, « Liliane Pierre-Paul, une cicatrice béante; Robert Duval, non à l'impunité », Le Nouvelliste. 18 janvier 2011. http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/87961/Liliane-Pierre-Paul-une-cicatrice-beante-Robert-Duval-non-a-limpunite.
  3. Ibid.
  4. Ibid.

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