13 Marie-Laurence Jocelyn Lassègue, femme politique, journaliste et enseignante (1955-)

Ricarson Dorce

Marie-Laurence Jocelyn Lassègue se yon fanm trè pwisan politikman ann Ayiti. Men, li pa janm itilize pwisans li pou l domine moun ki pi fèb yo. Li pito sèvi ak enèji li pou l akonpaye sila yo ki majinalize, sitou fanm vilnerab yo ki majorite nan peyi a.

Journaliste, enseignante, militante féministe et culturelle, femme politique, plusieurs fois ministre de la Culture et de la Communication, ministre à la Condition féminine et aux droits de la femme, membre du Conseil Supérieur de l’Administration et de la Fonction Publique (CSAFP), directrice de l’Institut pour la démocratie et l’assistance électorale en Haïti (IDEA International), Marie-Laurence Jocelyn Lassègue est devenue l’une des plus célèbres femmes qu’Haïti n’ait jamais connues. Sa célébrité, elle l’a mise et la met encore au service du bien commun. Lors de son installation, le lundi 12 juin 2006, en tant que ministre à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes, elle souligna ceci :

Si c’est un honneur pour moi de me retrouver aujourd’hui à de telles fonctions, c’est d’abord et surtout une grande responsabilité. C’est un honneur pour moi de pouvoir suivre les traces de ces femmes qui ont défriché le chemin, qui ont bâti avec autant de courage et d’espoir cet espace voué à la cause des femmes, je tâcherai de ne pas les décevoir. Je tâcherai de ne pas décevoir toutes celles et ceux qui, depuis 1994, se sont acharnés-es à faire de ce lieu une institution étatique forte, capable d’agir, aux côtés des organisations de femmes, sur la condition féminine, pour redresser les torts faits à plus de la moitié de la population haïtienne.

Son combat pour l’émancipation de la société haïtienne

En dépit des préjugés archaïques qui veulent faire du sexe féminin un sujet soumis, le contexte haïtien a connu et connait encore des militantes féministes luttant pour l’autonomie physique et intellectuelle des femmes et pour la prise en considération de leur dignité citoyenne. Les femmes doivent être, de façon permanente, conscientes de leurs droits et leurs devoirs : « à compétence égale, l’estime sociale doit être égale ».

Plusieurs générations se succèdent dans le combat pour l’émancipation de la femme et de toute la société haïtienne en général. Marie-Laurence Jocelyn Lassègue, née en Haïti le 1er mars 1955, fait partie de ces femmes de différentes générations passionnées par la bataille pour le respect des droits des femmes et de ceux de tous les marginalisés du milieu social haïtien.

Au niveau de l’enseignement, elle a eu une brillante carrière. Diplômée de littérature (DEA), elle a été professeure de lettres et de littérature au Lycée français de Port-au-Prince (1983-85), au Centre d’études secondaires (1983-1985), à l’École Normale Supérieure et à l’école Nationale des Arts (1983-1990). Journaliste, elle a été présentatrice à Télé-Haïti (1983-1986), reporter à Radio Antilles (1986-1989), rédactrice en chef de Haïti Libérée (1986-1987) et secrétaire générale de l’Association des Journalistes haïtiens (AJH).

Femme engagée dans le social et dans le mouvement féministe, elle a été tour à tour présidente de l’Association Humanitaire Solidarité en 1996, membre très influent du Conseil d’administration de « La Maison Arc-en-ciel » (Orphelinat pour les enfants sidéens) en 1997, secrétaire générale du Collectif Féminin Haïtien pour la Participation Politique des Femmes (FANM YO LA) en 1999, membre de l’Association Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2000 et conseillère du Collectif Féminin Haïtien pour la Participation Politique des Femmes (FANM YO LA) en 2006.

Une carrière politique avec un bilan très positif

Marie-Laurence Jocelyn Lassègue est de ces rares femmes ayant une présence constante dans le champ politique haïtien. De retour en Haïti par un souci patriotique de servir son pays, sa carrière politique a pris un essor considérable surtout à la suite de la mouvance démocratique ayant facilité l’effondrement du régime dictatorial duvaliériste en 1986.

Ministre de l’Information et de la Culture (1991-1993), elle a été successivement secrétaire générale du Conseil électoral provisoire en 1995, membre du Cabinet de la Première Ministre Claudette WERLEIGH en 1995, membre du Cabinet du Président de la République (1996-2000). En 2005, elle a dirigé le Cabinet technique de la ministre à la Condition féminine et aux droits des femmes. Elle a été aussi nommée ministre de la Condition féminine et aux Droits des femmes en 2006, puis ministre de la Culture et de la Communication en 2008.

Membre du Conseil Supérieur de l’Administration et de la Fonction Publique (CSAFP), organisme issu d’un arrêté gouvernemental pris en date du 7 août 2013, Marie-Laurence Jocelyn Lassègue continue de se mettre au service de son pays. « C’est une contribution citoyenne au renforcement de la fonction publique de mon pays. C’est un travail bénévole non rémunéré », a-t-elle précisé aux micros des journalistes. Le Conseil Supérieur de l’Administration et de la Fonction Publique a pour mission de moderniser la fonction publique haïtienne : faciliter la déconcentration, l’amélioration de la qualité du service public, la gestion des ressources humaines, l’organisation et la rénovation des administrations, etc.

Marie-Laurence Jocelyn Lassègue, en tant que ministre à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes, a beaucoup supporté les organisations de femmes et assuré la promotion des Droits des femmes à travers tout le territoire national. Elle a renforcé le modèle de la Concertation Nationale contre les violences spécifiques faites aux femmes. Elle a beaucoup lutté pour inscrire la dimension du genre dans toutes les politiques publiques du gouvernement. Pour combattre les comportements sexistes dans la société haïtienne, elle a sans cesse encouragé la féminisation des noms de rues en vue de reconnaître l’implication des femmes dans le processus de (re)construction du pays. Dans les zones les plus frappées par la violence faite aux femmes, elle a développé des programmes d’éducation à la non-violence et d’accompagnement psychosocial en faveur des victimes. Elle a fait de la lutte contre la féminisation de la pauvreté une priorité. Pour elle, la question du financement de l’égalité entre les sexes et de l’émancipation des femmes est une responsabilité à assumer au niveau d’un processus global de refonte du budget de l’État haïtien.

Pendant les périodes de carnaval, elle a toujours condamné les meringues et les vidéo-clips de beaucoup de groupes qui tentaient de salir l’image de la femme. La mise en valeur du potentiel féminin est pour elle une passion. Après le séisme dévastateur du 12 janvier 2010 ayant frappé Haïti, elle a participé à l’anthologie Terre de Femmes : 150 ans de poésie féminine en Haïti, dans laquelle ont été mises en exergue les œuvres de 33 femmes haïtiennes ayant laissé leur marque durable, profonde et distinctive dans le champ littéraire haïtien durant plusieurs espaces de temps : la période allant de la fin du XIXe au début du XXe siècle jusqu’en 1915 ; celle allant de 1915 à 1986 et enfin celle contemporaine, de 1986 à nos jours.

Son rapport avec l’Afrique et le reste du monde

Marie-Laurence rappelle souvent son enfance au Zaïre qui a été marquée par un sens profond de l’éthique de solidarité. Elle n’a jamais caché son amour pour l’Afrique. Elle a été professeure de lettres et de littérature au Lycée français de Kinshasa (1978-1979). Jusqu’à aujourd’hui encore, elle est liée à tout ce qui est africain. Son éternel « look afro » en témoigne.

En juillet 2013, elle a été la Présidente d’honneur de la quinzaine d’hommage à Nelson Mandela en vue de saluer le courage de ce dernier. Les acteurs du lancement de cette quinzaine n’ont pas attendu la mort de cet ancien prix Nobel de la paix pour lui rendre hommage. C’était dans la logique de la célébration de la première édition en Haïti de la « Journée internationale Nelson Mandela », instituée en novembre 2009 par l’Assemblée générale des Nations-Unies. Nelson Mandela est une figure emblématique, un modèle pour les jeunes d’aujourd’hui et les générations à venir.

Honorer Nelson Mandela en Haïti est une façon pour les Haïtiens et les Haïtiennes de prendre conscience de leurs racines. Pour être soi-même le plus possible, il faut prendre en compte ses origines. Par ailleurs, la prise en considération des origines n’exclut pas toute forme d’altérité. Cette leçon, Marie-Laurence l’a bien comprise. Son rapport avec ses racines africaines lui permet de mieux s’ouvrir au reste du monde, de mieux reconnaitre l’autre dans sa différence, dans ses moments de joie intense et dans ses difficultés. En effet, jeune bachelière, elle a fait du bénévolat dans un orphelinat en France. À Strasbourg, dans les années 1975-1978, elle a été animatrice bénévole à « SOS femmes battues violées ». Elle a été aussi co-fondatrice du Centre d’Hébergement « Solidarité Femmes » à Besançon (France) au cours des années 1980-1983.

Son éthique de responsabilité et son sens des relations publiques

Marie-Laurence est d’une expérience inouïe. Elle a été à la base de l’élaboration du document du Plan National de Développement Culturel. Elle a eu toujours le grand souci du renforcement institutionnel.

Suite au lynchage de plusieurs vodouisants dans certaines régions du pays en 2010 sous prétexte qu’ils seraient des propagateurs du choléra, elle a été la première à condamner vigoureusement cet acte crapuleux. Elle a initié, au sein du gouvernement d’alors, une grande campagne de sensibilisation et d’information sur la maladie dans les régions concernées. Puis, elle a fait flèche de tout bois pour que les autorités judiciaires punissent les auteurs du lynchage.

Le point fort de Marie-Laurence est sa capacité communicationnelle. Elle en a fait montre lors du séisme du 12 janvier 2010 en Haïti. D’ailleurs, elle a été honorée par le Réseau des médias de Petit-Goâve (RMPG) en 2011 pour avoir facilité l’accès à l’information à la population après la catastrophe. C’est une femme qui aime la vie. Elle est liée à tout ce qui peut la maintenir dynamique. C’est une passionnée du monde universitaire. Elle n’arrête pas d’apprendre : en 2012, elle a obtenu son diplôme en sciences juridiques à l’Université publique du Sud aux Cayes.

Elle a été choisie par le quotidien Le Matin comme la personnalité marquante de l’année 2005 au plan national. Selon le journal, elle est un exemple de ténacité, de réussite et de détermination :

[…] elle a contribué, sur le plan institutionnel, au renforcement du ministère à la Condition féminine. Sur le plan de la défense des droits des femmes, elle a apporté sa marque dans l’adoption de mesures légales importantes. Sur le plan de la participation politique féminine, elle a supporté de nombreuses candidatures féminines. Elle a aidé à la coordination de l’appui aux femmes candidates (Le Matin, 22 décembre 2005).

Marie-Laurence a été à l’origine d’un projet de loi sur la paternité responsable et la filiation des enfants, ratifié en 2012 par le parlement haïtien. Cette loi vise à responsabiliser les pères délinquants pour éviter que les femmes en paient toujours les conséquences et que les enfants soient condamnés à la pauvreté, à la marginalisation et à l’exploitation. Les pères irresponsables entravent l’existence des enfants. D’où l’importance de cette loi pour l’avenir de la société haïtienne. Personne rationnelle et d’une âme très sensible, Marie-Laurence a un sens des relations publiques très profond. Elle met toujours son pouvoir politique, son capital intellectuel et ses expériences au service de la cause des plus marginalisés de la société, particulièrement les femmes constituant la majorité de la population haïtienne.

En 2014, en vue de partager son savoir-faire, elle a été l’invitée spéciale du ministère français des Affaires étrangères à la 2édition du Forum mondial des femmes francophones qui s’est déroulée à Kinshasa (République démocratique du Congo).

La difficile transition démocratique en Haïti

Il serait très injuste de dresser le portrait de Marie-Laurence Jocelyn Lassègue sans mentionner son rôle clé, comme directrice, au niveau de l’IDEA International en Haïti. Présent en Haïti depuis septembre 2011, IDEA International vise à encourager la gouvernance démocratique dans un contexte où, environ 30 ans après la fin du régime Duvalier, le processus de la transition démocratique va à pas de tortue. Les différents projets de l’organisation en Haïti se dirigent spécifiquement vers le renforcement des partis politiques et du Parlement, ainsi que vers la participation politique des jeunes et la mise en valeur du leadership féminin.

À travers IDEA, Marie-Laurence a introduit beaucoup d’études réalisées autour de portraits de parlementaires, du fonctionnement des partis politiques en Haïti ou du lien entre les partis politiques et leurs élus. Elle a également instauré des programmes d’appui au Conseil électoral afin que ce dernier soit en mesure d’organiser des élections libres, honnêtes, inclusives et démocratiques dans le pays.

Par le biais de ces différentes études, Marie-Laurence et IDEA contribuent aux réformes des institutions politiques et à la consolidation de certains acquis démocratiques en Haïti. L’organisation appuie des espaces de rencontre entre élus, partis politiques et société civile en vue de faciliter dans la population une bonne compréhension du rôle des partis politiques dans la société. Elle participe également à la formation des journalistes afin que ces derniers soient en mesure de mieux saisir les faits politiques. Les journalistes ont un rôle fondamental à jouer dans la promotion du pluralisme et dans le renforcement des institutions démocratiques.

Enfin, on doit noter l’action mémorable de Marie-Laurence en vue d’arriver à un protocole d’accord entre IDEA et Université d’État d’Haïti sur certains projets afin d’aider les communautés à acquérir des capacités de dialogue et de négociation leur permettant de défendre leurs droits face aux autorités responsables. Le service à la communauté est l’une des missions fondamentales de toute université qui se respecte.

 Pour aller plus loin

Laroche, Alix (2013), « Haïti-Politique : Réactions de Mme Marie-Laurence Jocelyn Lassègue suite à sa nomination au CSAFP », Haïti Press Network. 9 août 2013.
http://www.hpnhaiti.com/site/index.php/politique/10130-haiti-politique-reactions-de-mme-marie-laurence-jocelyn-lassegue-suite-a-sa-nomination-au-csafp

Lassègue, Marie Laurence Jocelyn (2008), Le financement de l’égalité et l’autonomisation des femmes, présentation à la 52e session de la Commission de la Condition de la femme, République d’Haïti. 3 mars 2008.
http://www.un.org/womenwatch/daw/csw/csw52/statements_missions/haiti.pdf

Anonyme (2009), « Installation de Marie Laurence Jocelyn Lassègue », Le Nouvelliste. 12 novembre 2009.
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/76067/Installation-de-Marie-Laurence-Jocelyn-Lassegue

Olivier, Louis-Joseph (2013), « IDEA présente son étude sur les partis politiques en Haïti », Le Nouvelliste. 12 novembre 2013.
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/123865/IDEA-presente-son-etude-sur-les-partis-politiques-en-Haiti.html

Wilner, Jean-Louis (2011), « Marie Laurence Lassègue honorée par les journalistes de Petit-Goâve », Haïti Press Network.  7 juin 2011.
http://hpnhaiti.com/site/index.php?option=com_content&view=article&id=3259:marie-laurence-lassegue-honoree-par-les-journalistes-de-petit-goave&catid=1:politics&Itemid=1

Entrevue avec Marie-Laurence Jocelyn Lassègue

Entrevue avec Barbara Saint Louis, émission Women image. https://www.youtube.com/watch?v=eeH6EGsCsh4

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