9 Mimi Barthélémy, conteuse, écrivaine et comédienne (1939-2013)

Rose-Esther Guignard

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Lodyans se pi gwo memwa kolektif pèp ayisyen. Se yon patrimwàn rezistans ki makonnen ak gou pou lavi, libète. Nan lodyans, nou jwenn tout soufrans, rèv ak lespwa mas yo. Mimi se youn nan moun ki rive lite pou sovgade patrimwàn sa. Li te genyen yon pasyon pou l transmèt konesans tradisyonèl sa ak jenès peyi a. Li se youn nan pi gwo kontèz Ayiti pa janm konnen.

Michèle Armand dite Mimi Barthélémy est née en Haïti, à Port-au-Prince, le 3 mai 1939 et décédée à Paris le 27 avril 2013 à l’âge de 73 ans.

Première rencontre avec Mimi Barthélémy

Je me souviens de la première fois où j’ai rencontré Mimi : fixée dans une salle de théâtre comble, la pénombre s’installe. La lumière de la scène s’allume et Mimi apparaît comme une Reine dans sa magnifique robe avec le Vévé d’Erzulie*.

Cric! Crac! Yecric! Yecrac! Yemisticric! Yemisticrac! Est-ce que la cour dort? Non! La Cour ne dort pas!

Déjà la salle résonne, mon corps se met à trembler! Mes yeux s’écarquillent! Mes oreilles se pointent et sa voix s’infiltre en moi. Je ne bouge plus, je ne vois qu’elle! Je n’entends qu’elle! Les larmes coulent le long de mes joues, les souvenirs de mon enfance, dans ma tête, dans mon corps, dans mon ventre bouillonnent. Haïti chérie, notre terre natale, la terre de nos ancêtres, les souvenirs me font tressaillir. J’ai chaud! J’ai froid! J’avale ses mots, j’engloutis ses paroles. Le son de sa voix qui chante provoque une grande secousse dans mon ventre, mes tripes se resserrent. Je n’avais jamais entendu une voix pareille, pleine d’harmonie, une résonance parfaite. « Dingué! Dingué! Woy Woy! Woy! Dingué! » Sa voix m’entraîne dans un flux infini. Elle me transporte dans un univers parallèle, je chante avec elle, sa voix et ma voix se mêlent dans un rêve idyllique.

Son enfance

Quand Mimi était petite en Haïti, on l’appelait « Ti Moun Fou », qui signifie « Petit Enfant Fada » en créole. Elle a toujours gardé cette soif de liberté, d’inventer, de chercher, de créer, de travailler. Elle a toujours gardé cette curiosité pour le monde, pour les autres, cette volonté de partager. Elle disait : « c’est certainement grâce à l’émerveillement de l’enfance et à la folle liberté de mon imaginaire que j’ai pu m’engager à jouer au féminin ».

Son ancêtre, l’esclave Armand, s’était soulevé contre son maître Bérault, propriétaire d’une plantation à Saint-Domingue en 1791. Son fils devint général haïtien, son petit-fils politicien lettré, son arrière-petit-fils médecin. Le père de Mimi était doyen de la faculté de médecine de Port-au-Prince.

En Haïti, les hommes qui ont lutté pour l’indépendance et la reconnaissance de leur humanité sont toujours honorés et célébrés. Par contre, le rôle des femmes n’est pas mentionné. Mimi avait été élevée dans cette tradition où les filles sont soumises, aiment leur père, secondent leur mari et sont des bonnes chrétiennes.

Mais si la liberté et la révolte avaient toujours grondé dans les veines de Mimi, il lui avait fallu quarante années pour devenir la femme libre et engagée que j’ai connue. Elle m’avait raconté qu’elle avait commencé par rompre avec la religion, puis par exprimer à son père qu’il devait la respecter en tant qu’être autonome et que, pour finir, elle avait divorcé pour vivre sa vie d’artiste, pour ne plus être la seconde de son mari, le célèbre anthropologue Gérard Barthélémy.

Son vécu à l’étranger

Mimi, conteuse, comédienne et écrivaine, avait quitté son île paradisiaque pour entreprendre des études supérieures en France Métropolitaine en 1956. Elle avait vécu ensuite à l’étranger en Amérique latine, au Sri Lanka et en Afrique du Nord.

C’est pendant un séjour au Honduras qu’elle prit conscience de sa propre histoire. Elle travaillait avec les Indiens caraïbes noirs Garifunas qui créaient un spectacle en se réappropriant leur histoire oubliée après leur déportation au XVIIIsiècle.

Le déclencheur de ces retrouvailles s’est fait lors de la mise en scène aux côtés de Rafael Murillo Selva de Loubavagu, o el otro lado lejano en 1980-1981 au Honduras avec les Garifunas. Lors de cette expérience, j’ai vécu dans ma chair pendant un an et demi les retrouvailles avec Haïti à travers la culture sœur des Garifunas.

C’est alors qu’a commencé pour elle cette longue quête personnelle sur son identité de femme haïtienne expatriée et ce long travail sur la voix qui l’a amenée sur sa voie de conteuse.

Elle s’est mise à puiser dans la tradition orale d’Haïti et à tisser le français et le créole. Elle contait pour transmettre sa culture, la partager et en être le témoin au sein de la francophonie.

Une femme généreuse

Chaque fois que je la voyais en spectacle, j’étais impressionnée. Elle avait une force incomparable. Toujours souriante, elle prenait du temps pour chacun de nous, pour parler, donner des conseils, etc. C’est elle qui m’a aidée à trouver ma place dans ce monde, moi qui ne me sentais ni haïtienne ni française. Je me rappelle ce jour au mois de juin. Elle était venue jouer dans ma petite ville où je suis arrivée en France. Nous avions longuement discuté. Elle m’avait dit :

C’est quoi cette histoire d’accent? C’est quoi ces bêtises? Tu es franco-haïtienne. Mets-toi en plein milieu et prends les bonnes choses de chaque côté et fais-en quelque chose. Continue d’écrire, Rose-Esther. Écrire, écrire, écrire, continue d’écrire. Écris tout.

Je ne ratais pas un seul de ses spectacles. Nous nous étions retrouvées au Festival de contes EPOS, à Vendôme. Elle était déjà sur scène. Je m’étais faufilée discrètement devant le public pour m’asseoir au sol comme un petit enfant, les yeux levés vers elle et mes oreilles grandes ouvertes. Elle m’avait remarquée et avait eu l’air surprise de me voir. Les yeux fixés sur moi, elle avait arrêté son histoire et dit avec un grand sourire aux lèvres : « Ohhh! Rose-Esther tu es là! » Et elle avait repris le fil de son histoire. Je voyageais avec elle, au-delà des mots, des montagnes, des rivières, des mers, des paysages inoubliables. Des saveurs et des couleurs flamboyantes.

Je l’avais rejointe ensuite à sa table de dédicaces. Elle m’avait présenté son éditrice. Je n’ai jamais connu une femme aussi attentionnée, généreuse et avec une mémoire incomparable. Elle m’avait dit : « Rose-Esther, j’ai pensé à toi pendant mes vacances, à comment je peux t’aider. Il y a un atelier d’écriture à Paris, avec Yann Dimay, sur quatre mois. C’est très intense, mais je pense que ça pourrait t’intéresser ».

Nous nous étions retrouvées en octobre, à cet atelier. J’étais terrorisée par l’exercice « je me souviens ».

Elle se montra très émue par le texte que j’avais écrit sur ma grand-mère. Ce jour-là elle découvrait une jeune femme très fragile et sensible qui se bat, brisée par cette double culture, mais avec son Haïti qui lui est très chère.

Mon regard croisa le sien et je fus complètement déstabilisée. À mes yeux, elle était une si grande femme. Partout où je passais, j’entendais son nom, j’étais intimidée. Elle me dit : « Rose-Esther, si tu n’arrêtes pas, je m’en vais. Pas de timidité entre nous ».

Je baissais les yeux et repris mes esprits. Tout au long de cet atelier, nous nous sommes découvertes naturellement. Nos échanges ont été plus forts, plus émouvants.

Nous marchions dans la rue, bras dessus, bras dessous. Nous rigolions, nous parlions de notre Haïti chérie, de nos souvenirs. Nous chantions, la vie était belle, tout était idyllique.

Dans le métro, nous nous asseyions face à face, côte à côte, yeux dans les yeux. Un sourire complice : nous nous comprenions…

Dès fois, je faisais un détour, juste pour passer un peu plus de temps avec elle. Malgré cela, le temps filait comme l’éclair, et nous étions obligées de nous séparer jusqu’à la prochaine fois.

L’atelier d’écriture arrivait à sa fin. J’étais la seule à écrire un monologue de théâtre sur mon enfance. Pendant ma demi-heure de lecture à voix haute, je voyais ses yeux qui brillaient, son sourire… Elle était très contente. Elle me dit : « Bravo Rose-Esther. Je m’attendais à quelque chose de triste, de sombre, vu ton passé. Je suis surprise et épatée. Continue comme ça ».

Je sais que j’ai un ange là-haut. Merci de m’avoir permis de m’accrocher à notre patrimoine culturel et de m’avoir encouragée à publier « Tézin, le poisson amoureux ».

Son œuvre

Aujourd’hui, Anne Quesemand a finalisé et édité son roman L’obèse, l’ange et le jumeau. J’ai été très heureuse de voir cet aboutissement, car je savais que c’était très important pour elle. Comme l’Obèse du livre, elle portait cette histoire en elle depuis si longtemps.

Tout comme elle, je me sens aujourd’hui cette fanm vanyan (femme de courage), comme on m’a appelée en Haïti lors de mon retour en 2009. Mimi est inscrite en moi.

Aujourd’hui, Mimi est une étoile filante qui veille sur nous tous. Petits comme grands, nous ne pouvons l’oublier, car son souvenir est gravé en nos cœurs à jamais, avec tous les contes qu’elle a racontés, écrits.

Nous pouvions l’entendre seule ou avec ses musiciens, Amos Coulanges, guitariste, chanteur ou Serges Tamas. Mimi Barthélémy était partout : dans les centres culturels, les théâtres, les bibliothèques, les appartements, les prisons, les hôpitaux, les festivals et les salons du livre en France, en Haïti, la terre de nos ancêtres, notre perle des Antilles ainsi que dans tous les pays francophones. Elle avait voyagé dans le monde entier pour transmettre notre patrimoine haïtien.

Elle avait effectué tout un travail sur le conte chanté de tradition haïtienne et avait créé un nouveau type de conte musical.

Je me souviens de « La Reine de poissons » qu’elle avait jouée avec Amos Coulanges à Saint-Germain-en-Laye. Ce soir-là était vraiment magique, sa voix faisait vibrer le public et trembler la salle. La scène était enflammée avec les vibrations des cordes de la guitare d’Amos. Et la Sirène en bòsmetal* en fond de scène. Un duo de choc, un duo flamboyant, époustouflant comme je n’en avais jamais vu de ma vie.

Mimi et sa folle énergie

Mimi possédait une énergie folle. Je me rappelle ces deux jours de formation qu’elle donnait au théâtre Antoine Vitez, à Vitry-sur-Seine, en septembre 2012. Elle était en résidence pour Kouté chanté. Elle avait encore pensé à moi et m’avait invitée à venir. J’étais très touchée. Elle était très fatiguée, mais toujours dévouée à son travail. Elle avait de la peine à marcher, je la tenais par le bras pour aller jusqu’au métro. Je lui disais : « mais Mimi, tu es folle, regarde ton état, tu as de la fièvre, tu aurais dû rester au lit ce matin ». Mais, nous étions déjà au deuxième jour et à la fin du stage. Quand Mimi s’engageait, elle ne baissait jamais les bras, quelles que soient les circonstances. À quelle source puisait-elle sa puissance, sa fulgurance, sa force, son énergie que j’admirais tant?

Une première visite chez elle

J’étais impatiente de voir où elle vivait, à quoi ressemblait son environnement quotidien. Je pensais tout simplement que j’allais être avec la Grande Mimi, la déesse d’Haïti.

La veille de cette rencontre, je n’avais pratiquement pas fermé l’œil de la nuit comme quand j’étais en Haïti et que je savais que j’avais un long voyage à faire et qu’il fallait se lever de bonne heure.

Le réveil avait sonné, c’était l’heure. Allez, hop au galop. J’étais arrivée dans son joli jardin de paradis tropical. Face à l’entrée, mes yeux étaient tombés sur la Sirène en bòs metal de la Reine des poissons.

Je me sentais à l’aise dans cette magnifique maison qui lui ressemblait. Partout, des photos, des livres, des masques haïtiens, des tableaux, des sculptures… Chaque objet racontait une petite histoire de sa vie. Tant de choses à savoir, à découvrir et à raconter…

J’étais aux anges. C’était vraiment magnifique chez elle. Un jardin tropical, souvenir d’une enfance heureuse… Un jardin aux mille merveilles. Je venais souvent la voir dans son petit paradis caribéen près de Montmartre et de la Goutte-d’Or où elle avait recréé une maison comme celle de Jacmel, peinte en blanc et bleu.

Je rends toujours visite à Mimi, non pas à la rue d’Oran dans le 18e, mais au cimetière de Montmartre, Paris 18e. Entrée principale du cimetière 20 avenue Rachel. Si vous aussi, vous souhaitez la saluer avec un CRIC, elle vous répondra CRAC! Et si vous écoutez attentivement, vous entendrez sa voix vous disant : « Honneur et Respect, Messieurs Dames la Société! ».

Prix et distinctions littéraires

  • 1989 : Becker d’Or, 3e Festival de la Francophonie, France.
  • 1992 : Prix Arletty de l’Universalité de la Langue Française, France.
  • 1997 : Présidente du jury du conte aux 3e Jeux de la Francophonie, Madagascar.
  • 1999 : Présidente du Grand Prix de Conteurs 1999, Maison du Conte de Chevilly-Larue, France.
  • 2000 : Chevalier de l’Ordre National du Mérite, France.
  • 2001 : Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres, France.
  • 2010 : Chevalier de la Légion d’Honneur, France.

* « Le Vévé est un graphique rituel et symbolique que les prêtres ou les prêtresses Vaudou dessinent autour du Poteau-mitan avec toutes sortes de poudre, farines, etc. ». Les Vévés peuvent aussi être brodés avec des paillettes sur des drapeaux ou des vêtements. Erzulie est la déesse Vaudou de l’Amour, de la Beauté, des bijoux, et de la coquetterie (Source : H. Gilbert, Haïti connexion culture, 2013).

« Véritables génies de la récupération en Haïti », à partir de bidons de fioul corrodés, les bòs metal font naître des sculptures et installations de fer découpé où s’entremêlent vodou, scènes de la vie quotidienne, politique et érotisme. (Source : Dilly et Bernard, Métamorphoses).

** Texte déjà paru sous le titre « Haïti/Diasporama: Portrait de Mimi Barthélemy », Canal plus Haïti. En ligne. 2 avril 2015. http://www.canalplushaiti.net/haitidiasporama-portrait-de-mimi-barthelemy-par-rose-esther-guignard/

Références

Bloch, Muriel (2013), « Hommage à mimi Barthélémy », La grande oreille.
http://www.lagrandeoreille.com/actus/wp-content/uploads/Bonus/54/lire542.pdf

Catinchi, Philippe-Jean (2013), « Mimi Barthélémy (1939-2013), conteuse haïtienne », Le Monde. fr. 30 avril 2013.
http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2013/04/30/mimi-barthelemy-1939-2013-conteuse-haitienne_3168976_3382.html

Fara, C. (2013), « Mimi Barthélémy, l’espoir toujours vivant du peuple haïtien », L’Humanité.fr.
http://www.humanite.fr/mimi-barthelemy-lespoir-toujours-vivant-du-peuple-haitien

Gyssels, Kathleen et Makward Christiane (2013), « Mimi Barthélémy », île en île.
http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/barthelemy.html

Mercadé, Lise (2013), « In mémoriam Mimi Barthélémy », CRILJ. 30 avril 2013.
http://www.crilj.org/archives/8399

Vents d’ailleurs, Mimi Barthélémy.
http://www.ventsdailleurs.fr/index.php/les-auteurs/item/mimi-barthelemy.

Site de Mimi Barthélémy : http://www.mimibarthelemy.com/

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