3 Madeleine Sylvain-Bouchereau, sociologue (1903-1970)

Ricarson Dorce

S on fanm ki te trè angaje nan edikasyon sivik, nan konba pou jistis sosyal ak pou dwa tout fanm respekte. Li te kontribye nan anpil rechèch syantifik sou kondisyon lavi fanm pa bò isit. Li te patisipe nan kreyasyon premye pi gwo mouvman fanm ann Ayiti.

Madeleine Sylvain-Bouchereau, première Haïtienne docteure en sociologie, fut très engagée dans l’éducation à la citoyenneté politique, dans le combat en faveur des droits des femmes, dans les activités de mobilisation communautaire et d’assistance sociale. Née dans une famille très cultivée et militante, passionnée par la réflexion théorique et le bien commun, elle a contribué à un ensemble d’études très poussées sur les femmes haïtiennes, mettant sa formation académique au profit d’un long combat contre la discrimination des femmes liée au mode de formation sociale haïtienne. Son féminisme n’était pas seulement un outil théorique d’analyse des conditions matérielles d’existence des femmes, mais également une pratique de luttes pour l’émancipation des femmes. Elle répondit ainsi aux constituants de 1946 :

Nous avons foi dans le succès. Qu’importe qu’il brille seulement pour ceux et celles qui nous suivront, pourvu que nous ayons contribué à instaurer la justice et la démocratie dans notre pays.

Les droits des femmes en Haïti

En 1804, la République d’Haïti était devenue indépendante de la France, mais la révolution n’avait pas abouti à une libération radicale. Les premiers établissements d’enseignement primaire et secondaire visaient d’abord les élites urbaines, au détriment de la masse des paysans et paysannes; mais les femmes de toutes les catégories sociales n’y avaient pas accès.

Les oligarchies économiques locales et internationales, les marqueurs socioculturels du pays, l’échec relatif des institutions en matière de protection des droits des femmes, les difficultés d’accès aux services de base, le chômage chronique et l’extrême pauvreté ont par la suite renforcé cette situation d’exclusion tout en dégradant les conditions matérielles d’existence des paysannes en Haïti.

Du début de la première occupation états-unienne au règne dictatorial des Duvalier, les haïtiennes se sont sans cesse battues pour le respect de leurs droits. Comment créer des îlots de résistance citoyenne contre les mécanismes sociaux à la domination masculine? Comment réaliser le désir ardent de vivre ensemble dans l’égalité? Pour Madeleine Sylvain-Bouchereau, ces questions étaient essentielles.

Un parcours académique exceptionnel

Très brillante, Madeleine Sylvain-Bouchereau a étudié en Haïti, à Porto-Rico et aux États-Unis. Elle a reçu un certificat de spécialiste en organisation des communautés rurales. Licenciée à la Faculté de droit de Port-au-Prince, elle a obtenu sur concours une bourse offerte par l’Association internationale des femmes universitaires qui l’a menée à des études de maîtrise en éducation et à un doctorat en sociologie à Bryn Mawr College aux États-Unis.

Madeleine Sylvain-Bouchereau a été tour à tour professeure à l’Institut d’Ethnologie, à l’École nationale d’Agriculture et à l’Université de Fisk. Elle a été aussi consultante au département de l’enseignement rural.

C’est elle qui a publié les premières réflexions théoriques sur le parcours des femmes dans l’histoire haïtienne. Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle est le titre de sa thèse de doctorat soutenue en 1941 et publiée en 1957 par les Presses Libres en Haïti.

En 1944, elle a reçu le prix Suzan B. Anthony du Bryn Mawr College en Pennsylvanie pour son ouvrage Éducation des femmes en Haïti. La même année, elle publia en deux tomes Lecture Haïtienne : La famille Renaud (ouvrage approuvé par le département public d’Haïti).

En 1946, en réponse aux attaques sexistes formulées contre le mouvement féministe à l’Assemblée constituante, elle écrivit Les Droits des femmes et la nouvelle Constitution.

En 1950, elle publia un travail bien documenté sur la classe moyenne en Haïti dans « Matériaux pour l’étude de la classe moyenne en Amérique Latine ».

En 1954, son texte Haïti, portrait d’un pays libre a été traduit en allemand. Enfin, on ne saurait oublier son bulletin pour les instituteurs ruraux qui était aussi très apprécié.

La Ligue féminine d’action sociale

Il n’y a pas longtemps que les haïtiennes ont la jouissance de certains droits réservés jadis seulement aux hommes. C’est le fruit d’un long combat dont une étape majeure fut la création de la  « Ligue Féminine d’Action Sociale » le 3 mars 1934 au lendemain de la désoccupation états-unienne d’Haïti, par plusieurs personnes, dont Madeleine Sylvain-Bouchereau.

Les buts de la Ligue étaient clairement formulés dans ses statuts : participer à l’amélioration physique, intellectuelle et morale de l’Haïtienne; la rendre consciente de ses devoirs sociaux; faire valoir son égalité civile et politique; remédier aux problèmes concernant la protection de l’enfant. Ce fut la plus grande organisation féminine que le pays n’ait jamais connue.

Moins d’un an après sa création, la Ligue publia la revue La Voix des Femmes, considérée par certains spécialistes de la problématique du genre en Haïti comme un outil de prise de conscience de la condition féminine et un symbole de l’effort des femmes de servir leur communauté. Madeleine Sylvain-Bouchereau a beaucoup participé au rayonnement de cette revue.

Grâce à l’ardeur impétueuse des leaders de ce mouvement, les actions de la Ligue touchèrent toutes les régions du pays : éducation à la citoyenneté politique des femmes, tournées de conférences et cours du soir pour les ouvrières, assistance sociale, caisse coopérative populaire, exigence d’un salaire égal pour un travail égal, plaidoyer auprès des instances relatives à la création des écoles pour les filles, etc.

Malheureusement, le long règne dictatorial des Duvalier mit un terme aux opérations de la Ligue féminine d’action sociale. En 1957, ses archives furent détruites, ses membres et alliées persécutés ou exilés. Après la chute du président Jean Claude Duvalier, les haïtiennes organisèrent une manifestation historique pour protester contre la féminisation de la pauvreté et la grande violence à l’égard des femmes. Même si la Ligue ne fut jamais officiellement dissoute, elle ne réussit pas à redémarrer même après l’effondrement du pouvoir dictatorial.

Toutefois, le foyer Alice-Garoute, créé par Madeleine Sylvain-Bouchereau dans le cadre de la Ligue avec l’objectif de former des jeunes filles rurales, existe toujours. Ce foyer possède encore aujourd’hui une école professionnelle, un centre d’alphabétisation des adultes, un club de mères et un centre nutritionnel.

Engagement social et vie politique

À l’âge de 22 ans, Madeleine Sylvain-Bouchereau participa à la fondation des Pupilles de Saint-Antoine, considérée comme l’une des premières œuvres haïtiennes d’entraide sociale. À 33 ans, elle introduisit ce qu’on appelait le « mouvement des Guides » dans le pays.

Au moment où la Ligue féminine d’action sociale était active, on retrouvait Madeleine partout aux côtés de ses collègues, en train de coordonner des campagnes d’éducation à la citoyenneté politique. Elle fit aussi des propositions en faveur d’avancées très significatives dans le Code pénal et le Code civil haïtiens qui faisaient de la femme une incapable ou une mineure soumise à son mari.

La Constitution a fini par confirmer la jouissance des droits civils et politiques des femmes haïtiennes. Ainsi, en 1957, Madeleine Sylvain-Bouchereau se retrouva en lice aux élections sénatoriales du département de l’Ouest. Ce fut un événement sans précédent dans l’histoire politique du pays, reflétant les efforts de Madeleine pour changer la mentalité patriarcale, pour l’obtention de l’égalité au niveau légal afin de promouvoir une société dans laquelle les individus ne sont plus prisonniers d’une condition définie sur la base de leur genre.

Grâce à sa lutte, de grands progrès ont été enregistrés dans le domaine des droits des femmes en Haïti. Toutefois, il faut noter que les engagements pris par l’État en faveur de ces droits ne furent pas toujours suivis d’actions concrètes. Beaucoup de femmes restent appauvries ou violentées et sont encore très loin de parvenir à la parité avec les hommes dans les domaines de l’emploi, de la famille, de la propriété, ainsi qu’en matière d’accès aux ressources et aux services publics.

Leadership international

Madeleine Sylvain Bouchereau a été vice-présidente de la Ligue internationale des femmes avocates.

En 1937, elle a été déléguée à la 3e conférence Inter-Américaine sur l’Éducation. En 1944, elle a été chargée par les Nations-Unies de l’organisation des services sociaux dans plusieurs camps de prisonniers polonais déportés en Allemagne.

Au moment où l’Assemblée générale des Nations-Unies adoptait le premier document juridique international affirmant l’égalité des droits politiques de la femme, Madeleine siégeait à sa Commission du statut de la femme.

De 1952 à 1956, elle a été successivement membre du comité pour la planification des cours d’été de la Ligue internationale des Femmes pour la paix et la liberté, co-titulaire des cours de Copenhague et de Hambourg de cette Ligue.

La Ligue féminine d’action sociale s’étant affiliée à l’Alliance internationale des Femmes, cette dernière envoya Madeleine en 1958 faire une enquête sur la situation des femmes pendant les conflits au Moyen-Orient.

De 1966 à 1968, elle a joué le rôle de conseillère pour le développement communautaire auprès du gouvernement du Togo.

Œuvres principales

  • Sylvain-Bouchereau, Madeleine (1944), Éducation des femmes en Haïti, Port-au-Prince, Imp. de l’État.
  • Sylvain-Bouchereau, Madeleine (1944), Lecture Haïtienne : La Famille Renaud, Port-au-Prince, Éditions Henri Deschamps.
  • Sylvain-Bouchereau, Madeleine (1946), « Les Droits des femmes et la nouvelle Constitution », La Femme haïtienne répond aux attaques formulées contre elle à l’Assemblée constituante, Port-au-Prince, Société d’Éditions et de Librairie.
  • Sylvain-Bouchereau, Madeleine (1950), « La Classe moyenne en Haïti », Matériaux pour l’étude de la classe moyenne en Amérique Latine, Washington, Département des Sciences sociales de l’union panaméricaine.
  • Sylvain-Bouchereau, Madeleine (1957), Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle, Port-au-Prince, Les Presses Libres.

Références

Claude-Narcisse, Jasmine en collaboration avec Pierre-Richard Narcisse (1997), Mémoire de Femmes, Port-au-Prince, UNICEF-HAITI. 192 p.
http://www.jasminenarcisse.com/memoire/index.html

Haas, Elsie (2010), « Madeleine Sylvain-Bouchereau », Haïti culture.
http://www.haiticulture.ch/Madeliene_Sylvain-Bouchereau.html

Pour aller plus loin

Mahotière, Chantal (2008), Luttes féministes en Haïti. Étude exploratoire des enjeux culturels, motivations et projets qui sous-tendent l’engagement féministe, mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en ethnologie des francophones en Amérique du Nord, Université Laval, Québec, 117 p.
www.theses.ulaval.ca/2008/25789/25789.pdf

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