24 Sécurisation culturelle
Loubna Belaid et Neil Andersson
Résumé
Concept issu des sciences infirmières et ici appliqué de façon innovante à l’évaluation, la sécurisation culturelle désigne une démarche visant à faire en sorte que l’évaluation se déroule d’une façon « sûre » pour les parties prenantes et notamment les communautés minorisées cibles de l’intervention étudiée, c’est-à-dire que le processus d’évaluation évite de reproduire des mécanismes de domination (agression, déni d’identité…) liés à des inégalités structurelles. Pour cela, diverses techniques participatives sont mobilisées à toutes les étapes de l’évaluation. La sécurisation culturelle est compatible avec tous types de méthodes. Elle contribue à rendre l’évaluation plus pertinente et utile pour les parties prenantes, et est susceptible d’accroître leur autodétermination.
Mots-clés : Méthodes mixtes, participation, évaluation autochtone, évaluation attentive aux différences culturelles, inégalités, racisme, décolonialité, cartographie cognitive floue
I. En quoi consiste cette approche?
La démarche de sécurisation culturelle s’est développée en réponse au constat selon lequel le processus d’évaluation pouvait reproduire les mécanismes de domination liés à des inégalités structurelles, notamment vis-à-vis de peuples autochtones ou dans des contextes post-coloniaux. Par exemple, une recherche a évalué la perception de trois échelles psychométriques utilisées pour diagnostiquer la dépression dans les populations Inuit et Mohawk du Québec. Les résultats de l’étude ont montré que les trois échelles n’étaient pas culturellement sûres. Les participants et participantes n’ont pas apprécié l’évaluation numérique, l’auto-évaluation, (par opposition à l’interaction de soutien) et l’accent mis sur les symptômes plutôt que sur les facteurs de soutien (Gomez Cardona et al. 2021).
La sécurisation culturelle vise à produire « un environnement pour les personnes où il n’y a pas d’agression, de contestation ou de dénis de leur identité, de qui ils sont, et de ce dont ils ont besoin » (Williams 1999). Une infirmière maorie a initialement développé le concept en réponse au racisme et à la discrimination à laquelle sont confrontés les Maoris dans les établissements de santé (Papps et Ramsden 1996). Une évaluation culturellement sûre implique que les parties prenantes sentent que leurs cultures sont respectées et renforcées par l’évaluation.
La sécurisation culturelle va au-delà d’une autre démarche plus couramment promue en évaluation à partir des notions de sensibilité et de compétence culturelles (on parle ainsi d’évaluation attentive aux différences culturelles ou culturally responsive evaluation). En effet, au-delà de la simple attention portée aux différences culturelles, la sécurisation culturelle prend en considération les déséquilibres de pouvoir, la discrimination institutionnelle, le racisme et les relations coloniales qui peuvent s’immiscer dans la conception et la mise en œuvre des services et des programmes (Curtis et al. 2019). Le concept se situe donc dans le spectre des théories critiques postcoloniales, et vise la justice sociale. Le concept de sécurisation culturelle a été étendu au-delà des communautés maories à tout groupe qui diffère de son prestataire de soins ou de service par l’âge, le genre, le statut socio-économique, l’origine ethnique, la religion ou le handicap (Smye et Browne 2002).
Le concept a attiré l’attention d’approches en recherche et en évaluation qui remettent en question les perspectives unidirectionnelles et conventionnelles centrées sur le point de vue de la personne qui mène l’étude, avec une contribution ou des avantages minimes pour les participant·e·s (Smith 2012; Cram 2016; Katz et al. 2016). Il invite par ailleurs à revisiter les concepts, les méthodes, les valeurs et les approches d’évaluation issues des épistémologies occidentales, attirant l’attention sur la validité des visions du monde des groupes autochtones et minoritaires (Smith 2012; Belaid et al. 2022).
La sécurisation culturelle garantit que l’évaluation est bénéfique et pertinente pour ces communautés. Elle vise à renforcer leur pouvoir d’agir, et peut contribuer à accroître leur autodétermination (Gollan et Stacey 2021). La sécurisation culturelle modifie la direction de l’évaluation en intégrant la perspective des participant·e·s.
Cinq principes clés caractérisent la sécurisation culturelle en évaluation (Wilson et Neville 2009; Cameron et al. 2010; Andersson 2018) : (i) la participation (ii) le partenariat (iii) l’appropriation (iv) la réflexivité critique et (v) la protection des identités, valeurs, croyances, valeurs culturelles et vision du monde.
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(i) La participation: fait référence à l’implication des parties prenantes tout au long de l’évaluation (Cameron et al. 2010). La participation procédurale ou symbolique doit être distinguée de la participation authentique. La participation procédurale permet une contribution structurée des parties prenantes à des étapes spécifiques du processus, par exemple, des entretiens structurés avec des informateurs et informatrices clés. La participation symbolique peut impliquer un·e « représentant·e » des parties prenantes, rémunéré·e ou non, participant à certaines activités de l’évaluation. Une participation authentique comprend la co-appropriation de l’évaluation, un engagement actif dans l’analyse des données probantes et un rôle dans la conception des solutions issues des résultats de l’évaluation.
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(ii) Le partenariat formalise la participation, évoluant souvent vers une participation authentique au fur et à mesure que l’évaluation se déroule. Il s’agit d’établir des relations équitables entre l’équipe d’évaluation et les parties prenantes, qu’il s’agisse des communautés, des patient·e·s ou des employé·e·s. L’équipe d’évaluation doit clarifier dès le départ la portée potentielle de ces relations, s’efforcer de les maintenir et de permettre leur évolution au fur et à mesure que les parties prenantes augmentent leurs capacités tout au long de l’évaluation (Cameron et al. 2010).
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(iii) L’appropriation du processus d’évaluation, des résultats et de la gouvernance: la sécurisation culturelle permet aux parties prenantes de s’approprier le processus (Andersson 2018). Cela peut commencer par la circonscription de l’objet de l’évaluation, dans les limites des objectifs financés, ou encore le fait d’« avoir une voix » sur ce qui est évalué et comment, et le fait de de s’impliquer dans les activités d’évaluation, y compris dans l’interprétation des résultats.
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(iv) Réflexivité critique: Le point de départ d’une évaluation culturellement sûre est que les évaluateur·rice·s réfléchissent à leurs valeurs et croyances, leur position sociale, leur pouvoir et leurs privilèges (Wilson et Neville 2009; Browne et al. 2016). Cela implique une prise de conscience de la relation historique entre les évaluateur·rice·s et les communautés autochtones et minoritaires, de l’histoire du colonialisme, du racisme systémique et de la discrimination à laquelle ces communautés pourraient encore être confrontées (Cameron et al. 2010).
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(v) La protection renforce l’éthique de la recherche en protégeant les groupes autochtones et minoritaires de l’exploitation et du renforcement des représentations ou explications négatives (Wilson et Neville 2009). Cela implique que leurs connaissances, leurs valeurs et leurs épistémologies soient également valorisées aux côtés des épistémologies et des méthodes scientifiques occidentales (Cameron et al. 2010). Les communautés autochtones veulent ainsi voir l’évaluation enracinée dans leur vision du monde (Belaid et al. 2022).
Plusieurs cadres et lignes directrices traitent de l’évaluation équitable avec les groupes autochtones et minoritaires (Wilson et Neville 2009; Cameron et al. 2010; Gollan et Stacey 2021). Nous présentons ici le cadre développé par Andersson et ses collègues pour préciser comment la sécurisation culturelle se déploie aux différentes étapes de l’évaluation (Cameron et al. 2010; Andersson 2018).
Formulation de l’objet de l’évaluation
Idéalement, une évaluation culturellement sûre émane d’une requête formulée par la communauté. Cela augmente la pertinence de l’évaluation, en s’assurant d’un alignement sur les priorités de la communauté. Dans la pratique, de nombreuses évaluations sont commanditées à partir d’un problème défini par les bailleurs de fonds, ce qui laisse moins de place pour formuler ou renommer l’objet de l’évaluation.
L’évaluation culturellement sûre choisit de miser sur les forces des communautés. Les groupes sociaux dominants qualifient souvent les groupes autochtones et minoritaires de « groupes à risque », « vulnérables » ou « marginalisés ». Ces appellations négatives ne reflètent pas nécessairement la façon dont ces communautés se perçoivent et réduisent considérablement l’espace et les conditions d’amélioration (Wilson et Neville 2009). Lorsque les parties prenantes définissent ou renomment l’objet de l’évaluation, en mettant en avant leurs forces pour l’aborder, cela réduit l’étiquetage négatif et ouvre la voie à l’amélioration.
La cartographie cognitive floue (CCF) permet à des groupes ou à des individus de formuler le problème d’évaluation en fonction de leur propre compréhension de celui-ci (Andersson et Silver 2019). Lors d’une session de cartographie cognitive floue, les participant·e·s construisent un modèle causal flexible de la façon dont ils et elles voient le problème en fournissant les concepts et le lexique qui leur sont familiers. Ils et elles décrivent les facteurs qui influencent le problème et discutent des orientations et des forces de chaque relation ayant un impact sur le problème. Cette cartographie est appelée « floue » car elle évalue l’influence relative de chaque relation dans la carte : les participants et participantes sont ainsi invité·e·s à évaluer cette influence sur une échelle de 1 (faible) à 5 (fort). Cette démarche enrichit l’évaluation, mais modifie également son appropriation.
La CCF appuie la sécurisation culturelle de plusieurs façons. Ne nécessitant aucun niveau d’alphabétisation ou de langue, elle favorise l’équité et l’inclusion (Andersson et Silver 2019). Elle réduit la stigmatisation ou la honte que peuvent ressentir des individus ou des groupes qui font partie de groupes précédemment exclus. Lors des sessions de CCF, les groupes sont organisés par sexe, âge et type de parties prenantes (par exemple, patient·e·s, prestataires, responsables de programme) pour garantir la représentation de toutes les voix. Les facilitateur·rice·s rencontrent chaque groupe séparément, réduisant les déséquilibres de pouvoir entre les groupes. Idéalement, les facilitateur·rice·s devraient être du même sexe et du même âge, et partager la langue et les réalités socioculturelles des participant·e·s, afin de réduire la hiérarchie avec elles et eux. Les facilitateur·rice·s reçoivent une formation pour réduire les préjugés.
Les résultats de la carte cognitive floue peuvent éclairer l’évaluation au-delà de la formulation du problème. Elle permet une contribution des parties prenantes dans la conception du questionnaire, en combinant la littérature existante avec les opinions des parties prenantes et leur compréhension des mécanismes de changement (Dion et al. 2019; Dion et al. 2022). Giles et ses collaborateurs ont utilisé l’outil pour saisir comment une communauté mohawk comprend les facteurs qui influencent le diabète (Giles et al. 2007). Sarmiento et ses collègues ont utilisé l’outil pour explorer comment les communautés autochtones de l’État de Guerrero perçoivent les facteurs qui influencent la santé maternelle, afin de mieux concevoir des interventions (Ivan Sarmiento, Paredes-Solís, et al. 2020; Iván Sarmiento, Zuluaga, et al. 2020).
Éthique
Les comités d’approbation éthique institutionnels et les comités d’éthique pour l’évaluation s’appuient presque invariablement sur les épistémologies occidentales, s’attendant à ce que tous les aspects de l’évaluation soient clarifiés avant le début de cette dernière (Cameron et al. 2010). Pourtant, la sécurisation culturelle implique la contribution des participant·e·s aux protocoles et aux outils d’évaluation, ce qui n’est généralement pas possible avant le début de l’évaluation. Les évaluations culturellement sûres devraient par ailleurs demander l’approbation des comités autochtones dans la mesure du possible et respecter les lignes directrices éthiques pour la recherche autochtone. De plus, elles devraient appliquer les principes d’appropriation, de contrôle, d’accès et de possession concernant la manière dont « les données et les informations des populations autochtones seront collectées, protégées, utilisées et partagées. Ces principes visent à accroître la gouvernance de l’information des populations autochtones » (Nations 1998).
Devis (design) de recherche
La sécurisation culturelle peut être appliquée aux évaluations qualitatives, quantitatives et mixtes. Andersson et ses collègues ont utilisé un essai randomisé contrôlé pour évaluer des interventions locales visant à réduire la violence domestique en partenariat avec 12 refuges pour femmes autochtones au Canada (Andersson et al. 2010). Ce sont les directeurs/-trices des refuges qui ont requis l’essai contrôlé randomisé. Ils et elles ressentaient en effet la nécessité de montrer l’impact de leur programme afin de demander plus de financement (Andersson et al. 2010).
Développement des instruments et méthodes de collecte de données
Les équipes d’évaluation sont souvent encouragées à utiliser des questionnaires standardisés, pour bénéficier de leur validité et de leur fiabilité. De nombreux questionnaires conventionnels se concentrent sur les facteurs de risque, les déficits, plutôt que sur les forces et la résilience qui caractérisent de nombreuses visions du monde autochtones et de groupes minoritaires. La sécurisation culturelle exige plus de flexibilité, notamment dans les variables incluses dans les questionnaires. Il s’agit d’inclure les facteurs que les parties prenantes perçoivent comme importants, même s’ils ne font pas partie d’un questionnaire standardisé. Très souvent, il est possible de définir les thèmes d’un questionnaire par un processus participatif, par exemple, la cartographie cognitive floue précédemment mentionnée.
La collecte de données dans les évaluations culturellement sûres peut être quantitative ou qualitative. Chaque méthode peut introduire un biais substantiel lorsqu’elle est contrôlée de trop près par l’équipe d’évaluation. Le recrutement et la formation minutieuse d’une équipe locale de collecte de données, qui partage un contexte social et culturel similaire avec la communauté, peut être une meilleure stratégie. Non seulement cela augmente l’acceptabilité et les taux de réponse, mais l’évaluation favorise le développement de compétences dans la communauté.
Analyse des données et interprétations
Que ce soit à partir de méthodes qualitatives ou quantitatives, l’analyse et l’interprétation des données devraient refléter les visions du monde des Autochtones et des groupes minoritaires. Par exemple, dans le cadre de l’analyse thématique inductive, il existe des options de catégorisation et de codage participatives (Liebenberg, Jamal, et Ikeda 2020). Même lorsque l’analyse est informatisée, ce qui rend difficile une participation plus large, la vérification fréquente par les membres de la communauté et la séparation entre l’analyse (analyse des données) et l’interprétation (ce que signifient les résultats) aident à soutenir la voix des participant·e·s et à accroître la précision et la pertinence de l’analyse.
Les voix des participant·e·s jouent également un rôle potentiel dans l’analyse statistique formelle. Andersson et ses collègues utilisent les poids générés par la cartographie cognitive floue comme a priori bayésiens, intégrant les croyances et connaissances préexistantes comme une distribution antérieure des probabilités. Cela permet l’intégration de la perspective autochtone dans l’analyse statistique.
Communication et activités de transfert des connaissances
La diffusion et le transfert des connaissances sont des phases essentielles en évaluation. À ces étapes, il existe un risque élevé d’exploiter les participant·e·s et d’utiliser les résultats pour projeter une situation que les communautés ne pourraient supporter. Au lieu de séparer l’activité de transferts des connaissances et de la considérer comme le produit final de l’évaluation, une évaluation culturellement sûre l’intègre dans le processus d’évaluation (Kothari, McCutcheon, et Graham 2017). Cette approche fait appel à toutes les parties prenantes — le personnel chargé de l’exécution du programme, les bailleurs de fonds, les participant·e·s et, si possible, les responsables politiques— dans l’évaluation dès le départ. Toutes participent donc à la conception, à la mise en œuvre et à l’interprétation. Andersson et ses collègues ont conçu un protocole appelé SEPA (socialising evidenced for participatory action, ou socialisation des données probantes pour l’action participative) qui permet d’intégrer ces étapes dans la recherche. Le protocole SEPA consiste à faire participer les parties prenantes dans la production des données probantes mais aussi à présenter les données de recherche pour qu’elles puissent participer non seulement à leur interprétation mais aussi au développement de solutions dans des dialogues. Les solutions sont ainsi contextualisées, mises en œuvre et évaluées (Ledogar et al. 2017).
II. En quoi cette approche est-elle utile pour l’évaluation des politiques publiques?
La sécurisation culturelle est la première question que l’on devrait se poser en amorçant l’évaluation d’une politique publique. En plus de répondre à des questions d’évaluation ex ante et ex post, l’approche par sécurisation culturelle contribue à amplifier les voix des participant·e·s et des bénéficiaires. Elle devrait être une exigence pour toutes les évaluations portant sur les services publics. Par exemple, dans les programmes visant à répondre aux besoins des Autochtones ou des minorités, les faire participer à l’évaluation, entendre comment elles et ils définissent le problème (besoins et pertinence de l’évaluation) et comprendre comment elles et ils perçoivent l’adéquation culturelle des solutions potentielles ne peut que renforcer et rendre plus appropriée la politique (Cram 2016; Cameron et al. 2010).
La sécurisation culturelle aide à éviter les obstacles de la mise en œuvre, en augmentant l’efficacité du programme en incluant les visions du monde, les besoins et les priorités des Autochtones (évaluation de l’efficacité). Elle peut contribuer à réduire les inégalités (évaluation d’impact à court terme). Cela peut autonomiser ces communautés et finalement conduire à leur autodétermination (par exemple, une évaluation d’impact à long terme).
III. Un exemple d’utilisation de cette approche en santé reproductive
Un projet de santé reproductive dans une région d’après-conflit du nord de l’Ouganda a utilisé le cadre de sécurisation culturelle pour améliorer les résultats en matière de santé reproductive. Le projet a reçu un financement d’une organisation canadienne (Belaid et al. 2020; Belaid et al. 2021).
La guerre civile (1986-2006) entre l’Armée de Résistance du Seigneur (nord) et le gouvernement de Museveni (sud) a déplacé plus de 90 % de la population de cette région. Cela a accru les tensions de longue date entre le nord et le sud de l’Ouganda (Laruni 2015).
Les communautés du Nord se remettent encore du conflit. La région présente de très mauvais indicateurs de pauvreté, d’opportunités sociales et de développement humain (Esuruku 2019). Le conflit a eu des répercussions négatives sur les services de santé, détériorant la santé maternelle (Chi et al. 2015b, 2015a). Les femmes et les filles de cette région sont moins instruites et plus pauvres. Elles sont beaucoup moins susceptibles de donner naissance dans un établissement de santé (Uganda Bureau of Statistics (UBOS) 2012).
Avant de lancer le projet, nous avons investi du temps dans l’établissement de relations avec les parties prenantes locales et dans le développement de réseaux pour impliquer les membres de la communauté. Les parties prenantes comprenaient des femmes et des hommes de différents groupes d’âge, des sages-femmes traditionnelles, des prestataires de services et des responsables gouvernementaux. Nous avons impliqué ces groupes dans toutes les activités de la conception du programme. Chaque groupe a défini les résultats de soins périnataux en fonction de sa vision du monde. Nous avons utilisé la cartographie cognitive floue pour collecter et comparer les perspectives. Les discussions de groupe ont permis de clarifier le lexique et les concepts culturels associés aux soins périnataux. Nous avons utilisé ces concepts pour concevoir le questionnaire, dans la mesure du possible, en utilisant aussi des questions standardisées correspondant aux concepts identifiés par les parties prenantes.
Les groupes se sont rencontrés dans une série de dialogues délibératifs pour discuter des données probantes locales, générer des listes de stratégies potentielles pour améliorer l’accès aux soins périnataux et concevoir un programme. Nous avons invité les groupes à discuter de qui devrait proposer le programme, selon quelles modalités et quel contenu. Les participant·e·s ont identifié plusieurs obstacles à l’accès aux soins périnataux et ont proposé des stratégies pour résoudre les problèmes d’une manière culturellement sûre.
La sécurisation culturelle a permis d’identifier les problèmes de prestation de services périnataux. La réflexion sur les données probantes locales a généré des solutions faisables menées par la communauté. Par effet de ricochet, cela a accru la confiance entre les membres de la communauté et les prestataires de services.
IV. Quels sont les critères permettant de juger de la qualité de la mobilisation de cette approche?
La sécurisation culturelle ne peut être jugée que par les bénéficiaires du programme (Wilson et Neville 2009; Cameron et al. 2010; CIET/PRAM 2022). Cependant, les équipes d’évaluation peuvent réfléchir aux questions suivantes :
- Les participant·e·s/bénéficiaires déclarent-ils/elles se sentir culturellement en sécurité lors de l’évaluation?
- Comment les bénéficiaires visé·e·s participeront-ils/elles à chaque phase de l’évaluation?
- Les termes de l’évaluation se prêtent-ils à un partenariat?
- L’évaluation s’appuie-t-elle sur les points forts/positifs des communautés?
- L’évaluation augmente-t-elle l’appropriation du projet ou du service, et des produits d’évaluation?
- Comment les méthodes sont-elles adaptées à la culture spécifique?
- Quel est l’impact anticipé de l’évaluation sur l’autodétermination des communautés?
V. Quels sont les atouts et les limites de cette approche par rapport à d’autres?
Un cadre de sécurisation culturelle présente plusieurs avantages pour les équipes d’évaluation et les participant·e·s aux programmes. Elle augmente l’acceptabilité locale et la pertinence de l’évaluation. Elle peut guider la conception des programmes et des services, en augmentant leur adéquation au contexte. Dans l’évaluation des programmes en cours, la sécurisation culturelle est un prisme interprétatif pour comprendre comment les communautés autochtones et minoritaires vivent ces programmes et services. En tant que prisme analytique, elle peut mettre en évidence la façon dont les inégalités et les injustices sociales sont façonnées, les changements nécessaires et les obstacles ou les facilitateurs possibles de ces changements (Gerlach 2012).
Le principal défi est de développer et de convenir de protocoles pour évaluer l’impact de la sécurisation culturelle dans le contexte de résultats complexes (Gerlach 2012; Tremblay et al. 2020). La sécurisation culturelle dépend dans une large mesure de chaque contexte local, car chaque groupe culturel est différent, a sa propre façon de voir les choses et son propre degré d’adaptation aux représentations dominantes (Cameron et al. 2010). Cependant, à mesure que de plus en plus d’évaluations appliquent un cadre de sécurisation culturelle, nos expériences des meilleures pratiques s’accumuleront et contribueront au développement de lignes directrices avec un large éventail de transférabilité.
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