11 Les focus groups

Ana Manzano

Résumé 

Les focus groups sont une méthode qualitative qui consiste en une conversation collective organisée avec un groupe de (généralement 4 à 8) personnes, guidée par des questions à commenter. Les focus groups peuvent être un moyen d’intégrer les points de vue et les expériences des utilisatrices et utilisateurs et de diverses parties prenantes dans l’évaluation d’une intervention donnée. Ils sont adaptés à différentes étapes du processus de politique publique et à différentes approches d’évaluation, souvent en combinaison avec d’autres méthodes qualitatives et/ou quantitatives.

Mots-clés : Méthodes qualitatives, focus groups, entretiens de groupe, évaluation participative

I. En quoi consiste cette méthode?

Les focus groups consistent en une ou plusieurs conversations avec un groupe de personnes rassemblées pour la discussion. Les focus groups sont dirigés par une chercheuse ou un chercheur (et comprennent souvent un observateur ou une observatrice), dans le but d’acquérir des connaissances sur différents résultats possibles d’interventions dans des domaines tels que la vente (marketing), l’influence des décisions (en matière d’orientations politiques ou de comportements de santé par exemple) ou dans le cadre de démarches de suivi et d’évaluation des politiques publiques. Des chercheurs et chercheuses formé·e·s animent les discussions à l’aide d’une série de questions non structurées et/ou structurées que le groupe doit commenter. Ces conversations peuvent être stimulées par la mise en discussion de supports spécifiques tels que des photos, vidéos, vignettes. Des jeux peuvent également être utilisés, ainsi que des techniques de prise de décision telles que des méthodes de vote informelles. Les focus groups peuvent être menés sous différents formats (présentiel, virtuel, synchrone ou asynchrone en ligne) et avec des participant·e·s présentant des caractéristiques d’intérêt similaires (appelés « focus groups homogènes », par exemple un focus group composé d’enseignant·e·s) ou diverses (appelés « focus groups hétérogènes », par exemple un focus group composé d’enseignant·e·s, d’élèves et de parents).

Les focus groups sont une méthode de production de données qualitatives, appartenant à la famille des méthodes de discussion en groupe. Comme pour d’autres données qualitatives, il n’y a pas d’accord dans la littérature scientifique sur les méthodes de recherche quant au nombre optimal de participant·e·s à un focus group ou au nombre approprié de groupes à organiser. Au stade de la conception, il est utile de présenter la taille des focus groups sous forme de fourchettes, car de nombreux facteurs peuvent influer sur le nombre de participant·e·s aux groupes. Certain·e·s autrices et auteurs privilégient les groupes plus petits (n=3-5) parce qu’ils offrent un meilleur potentiel pour explorer en profondeur des sujets complexes. Par exemple, des informations plus riches peuvent être obtenues en menant deux groupes de quatre participant·e·s qu’un groupe de huit participant·e·s. D’autres recommandent des groupes de taille moyenne (n=6-8), tandis que d’autres encore suggèrent des groupes plus importants (n=6-12) afin de capter une plus grande variété d’opinions. La durée de la discussion dépend de la taille du groupe et du sujet mais, en règle générale, 90 minutes sont nécessaires pour que tou·te·s les participant·e·s aient la possibilité d’exprimer leur point de vue. Des durées supérieures à deux heures augmentent la charge de travail des participant·e·s et risquent de les dissuader de participer.

De nombreuses expressions sont utilisées en évaluation pour décrire les méthodes de production de données à partir de groupes, telles que « focus group » et « entretien collectif » (voir fiche séparée sur les entretiens collectifs), avec des variations géographiques. Une distinction essentielle est que les focus groups insistent sur le rôle significatif des processus dialectiques de groupe (par exemple, les normes, la dynamique, la communication non verbale) qui peuvent aider les évaluateurs et évaluatrices à acquérir des connaissances sur les points de vue du groupe et les accords et désaccords entre sous-groupes. Les différences conceptuelles entre de nombreux termes de production de données qualitatives de groupe sont souvent peu claires et il n’y a pas toujours de consensus sur la façon dont ils diffèrent les uns des autres. Les sessions d’échange avec les parties prenantes ne suivent pas toujours le format standard du focus group: réunions de groupes communautaires, groupes consultatifs, événements de consultation, ateliers d’engagement public, cafés, réunions d’experts, conversations collectives facilitées avec des groupes, etc. Bien que ces sessions puissent parfois s’adresser à des groupes particuliers de bénéficiaires des interventions, elles nécessitent moins de travail préparatoire, n’impliquent pas de facilitation structurée de la part de l’équipe d’évaluation, et ne font généralement pas l’objet d’une transcription et d’une analyse formelle de contenu.

II. En quoi cette méthode est-elle utile pour l’évaluation des politiques publiques?

Bien que l’évaluation des politiques publiques ait été dominée par des approches expérimentales et quantitatives, les responsables politiques valorisent aussi l’implication des bénéficiaires, et les focus groups ont le potentiel de soutenir cet objectif participatif. Avec les entretiens approfondis, les focus groups sont l’une des méthodes qualitatives les plus utilisées en évaluation des politiques publiques. Plusieurs caractéristiques distinctives des focus groups suscitent l’intérêt des responsables politiques, notamment le fait qu’ils permettent d’explorer les significations, les valeurs, les expériences, les points de vue et les comportements contrastés de différents sous-groupes de parties prenantes, et de saisir la complexité des contextes et des processus de mise en œuvre des politiques publiques. Les focus groups sont aussi souvent perçus comme ayant un intérêt politique en soi, au-delà des informations spécifiques sur les valeurs et les points de vue multiples qu’ils peuvent fournir.

Seuls ou combinés à d’autres méthodes de recherche, les focus groups sont utilisés dans de nombreuses approches d’évaluation (par exemple, les évaluations basées sur la théorie, les évaluations de processus et d’impact, les évaluations évolutives, participatives et celles visant le développement du pouvoir d’agir), à des fins diverses et à différentes étapes du processus politique (planification, mise en œuvre, suivi, évaluation, cycles de programmation successifs). Ils conviennent aux approches d’évaluation ex ante et ex post, et sont souvent utilisés dans les études d’évaluabilité, l’évaluations des besoins, le développement de la théorie du programme, le développement d’instruments et d’enquêtes, l’étude de la mise en œuvre, les évaluations axées sur l’utilisation et les évaluations formatives.

Les focus groups sont surtout utiles pour répondre aux questions d’évaluation exploratoires (pourquoi et comment) car ils offrent un moyen dynamique de décrire les politiques publiques en action. Ils permettent notamment :

  • d’améliorer la compréhension d’un problème et la façon dont une intervention peut y répondre: comment le problème est perçu et vécu par les différentes parties prenantes (utilisateurs et utilisatrices, personnel de première ligne, direction), leurs attentes et les solutions qu’ils et elles proposent.

  • d’obtenir un retour d’information sur la qualité, l’utilisation et la satisfaction liées aux activités et aux ressources fournies par l’intervention : ce qui a bien fonctionné, pour qui, et ce qui n’a pas fonctionné comme prévu, pourquoi et dans quelles circonstances cela s’est produit.

  • de mieux comprendre le processus de mise en œuvre de la politique (par exemple, la gestion, les partenariats avec d’autres institutions/départements, la réalisation des activités et des ressources de la politique).

  • de discerner les types de changements supposés/attendus (théorie du changement) et produits (le cas échéant) du point de vue des différent-e-s utilisateurs et utilisatrices et dans différents contextes politiques dans le temps et l’espace.

  • d’explorer les indicateurs/critères d’évaluation lorsqu’ils ne sont pas clairs ou lorsque des critères alternatifs sont recherchés.

  • de comprendre les façons dont les personnes font l’expérience des réalisations d’une politique publique et des types différents de résultats (intentionnels et non intentionnels) qu’elle est susceptible de produire à court, moyen et long terme, dans différents contextes macro, méso et micro.

  • de développer et de pré-tester d’autres instruments de collecte de données qualitatives et quantitatives tels que des entretiens, des dispositifs expérimentaux ou des questionnaires.

III. Deux exemples d’utilisation de cette méthode : création d’indicateurs et évaluation de la mise en œuvre d’un programme de développement de l’enfant

Les focus groups devraient être utilisés dans l’évaluation des politiques publiques en fonction du type de preuves empiriques que l’on souhaite générer. Combinés à d’autres méthodes de production et d’analyse des données, ils sont souvent utilisés pour développer des indicateurs (par exemple, les taux de participation, l’incidence) qui peuvent aider à répondre aux questions évaluatives en caractérisant les réalisations et les résultats d’une politique d’une manière spécifique et mesurable. L’implication des bénéficiaires et d’autres parties prenantes dans le développement d’indicateurs peut rendre la politique pertinente pour eux et renforcer l’adhésion aux résultats de l’évaluation. EVALSED (Commission européenne, 2008), une ressource fournissant des conseils pour l’évaluation des politiques de développement socio-économique dans l’Union européenne, fournit un exemple d’utilisation de focus groups avec les bénéficiaires de la politique (par exemple, les responsables d’entreprises de la région) pour développer des indicateurs d’évaluation dans une politique de développement économique à Benton Harbour (Michigan, États-Unis).

Les évaluations formatives, qui visent à développer des politiques en examinant leur mise en œuvre, utilisent souvent des focus groups. L’évaluation formative du projet de développement de la petite enfance (DPE) de l’UNICEF dans le cadre du programme intégré de santé et de développement de la mère et de l’enfant (2017-2020) en Chine (Zhou Hong et al. 2022), a utilisé une méthode mixte fondée sur la théorie et axée sur l’utilisation, qui comprenait des focus groups. Les résultats de l’évaluation ont fourni des données probantes pour plaider en faveur de l’extension du modèle de développement de la petite enfance au niveau national et ont permis de concevoir le programme de développement de la petite enfance 2021-2025 de la Commission nationale de la santé et de l’UNICEF. Les focus groups avec les jeunes parents et avec les soignant·e·s ont identifié les besoins en matière de compétences de care et ce résultat a été un élément moteur pour recommander la mise à l’échelle du DPE. La stigmatisation liée aux visites à domicile a également été pointée par certains focus groups et une attention supplémentaire à la protection de la vie privée a été recommandée dans le cadre de la mise à l’échelle. Les focus groups avec les administratrices et administrateurs ont renforcé les recommandations visant à augmenter le financement pour la mise en œuvre de trois types de services, à garantir la fréquence des services et à accroître leur couverture.

IV. Quels sont les critères permettant de juger de la qualité de la mobilisation de cette méthode?

Étant donné qu’il existe de multiples approches d’évaluation qui diffèrent grandement dans leurs prémisses philosophiques et méthodologiques, il n’existe pas d’ensemble unique d’indicateurs de qualité pour la conduite des focus groups en évaluation. En effet, chacune de ces approches repose sur des hypothèses diverses et contradictoires et ce qui importe en termes de « qualité » varie en fonction de ces hypothèses.

De même, la recherche qualitative n’est pas une approche uniforme, elle englobe des traditions différentes basées sur des paradigmes différents, avec des hypothèses philosophiques diverses, qu’un cadre de qualité unique ne pourrait pas résumer. Le domaine des « critères de qualité des données qualitatives » est controversé, avec diverses positions et de nombreuses suggestions de classification disponibles, qui vont d’un rejet total de la notion de critères, à la promotion de critères similaires pour la recherche quantitative et qualitative.

Par conséquent, bien qu’il existe de nombreux critères de qualité sur le moment d’utiliser, la manière de concevoir, de recruter, de conduire et d’analyser les focus groups, il n’existe pas de normes convenues pour juger de la qualité des évaluations fondées sur des recherches qualitatives. Les focus groups se présentent sous de nombreux formats, et c’est pourquoi les questions pratiques, de conception et de qualité peuvent revêtir des caractères plutôt contrastés. Par exemple, le choix du lieu est important pour les focus groups en présentiel (par opposition aux focus groups en réalité virtuelle), car le succès du recrutement peut dépendre de l’accessibilité du lieu et des aspects pratiques (frais de déplacement, rafraîchissements, enregistrement audio); les questions de durée et d’animation sont toujours importantes, mais elles seront portées à un autre niveau dans les formes de discussion médiatisées par ordinateur (synchrones ou asynchrones).

Spencer et al. (2003, 16) ont proposé un cadre général pour les indicateurs de qualité sur quatre méthodes qualitatives, y compris les focus groups. Ce cadre est basé sur quatre principes directeurs essentiels : 1) Contribuer à faire progresser des connaissances ou une compréhension plus larges; 2) Avoir une conception et une stratégie défendables qui visent à répondre aux questions d’évaluation données; 3) Être rigoureux par une collecte de données systématique et transparente, ainsi que par l’analyse et l’interprétation des données; 4) Être crédible en offrant des arguments justifiables, défendables et plausibles sur la signification des données générées.

Ryan et al. (2014) ont proposé que les équipes d’évaluation considèrent des questions fondamentales pour maximiser leur apprentissage lors de la conduite de focus groups et pour améliorer la crédibilité des preuves empiriques générées par les focus groups, telles que : « Les participant·e·s au focus group ont-ils établi un terrain d’entente dans la conversation ou ont-ils et elles principalement agi en tant qu’individus? »; « Quelle était la dynamique de pouvoir entre l’équipe de modération et les participant·e·s, à la fois en tant que groupe et en tant qu’individus? »; « Quelles étaient les relations entre les participant·e·s — collectives ou dominantes? ».

V. Quels sont les atouts et les limites de cette méthode par rapport à d’autres?

Les points forts de l’utilisation des focus groups sont les suivants :

  • Au sein d’un groupe, les personnes peuvent s’appuyer sur les réponses des autres et les contester, et trouver des idées auxquelles elles n’auraient peut-être pas pensé seules. Ce riche mélange de perspectives et de désaccords peut éclairer les chercheuses et chercheurs sur les complexités des politiques, ce qui n’est souvent pas possible avec des méthodes moins dynamiques.

  • Le format flexible est propice à l’exploration des résultats inattendus et des différences contextuelles.

  • Les focus groups sont souvent recommandés comme une méthode permettant de gagner du temps et d’être rentable, mais les preuves de ces affirmations ne sont pas claires.

Les focus groups présentent les limites suivantes :

  • Il est préférable de les utiliser dans le cadre d’une combinaison de méthodes plutôt que de façon isolée.

  • Ils ne conviennent pas à la discussion de sujets trop sensibles et/ou controversés, car les gens sont moins susceptibles de s’ouvrir à ce sujet dans un groupe et peuvent avoir des craintes quant à la confidentialité et à l’anonymat.

  • Souvent, ils ne permettent pas d’obtenir un niveau élevé de nuances ou de détails.

  • Les focus groups peuvent être un défi pour les personnes ayant des difficultés de communication. Des stratégies d’inclusion pour toutes les capacités sont nécessaires, comme le choix de lieux et de salles accessibles, la conduite de discussions en ligne, des focus groups de plus petite taille, etc.

  • Des focus groups attentifs aux différences culturelles doivent tenir compte non seulement de la langue et des identités culturelles, mais dans certaines cultures, il est préférable de les remplacer par d’autres méthodes décolonisées de conversation de groupe, comme les cercles de partage basés sur des récits à structure ouverte.

  • Les focus groups ont une composition et une dynamique imprévisibles. Certains groupes de parties prenantes sont notamment difficiles à recruter pour les discussions de groupe.

  • Les personnes qui sont à l’aise pour parler devant un groupe ont plus de chances d’être recrutées.

  • Les discussions peuvent être détournées et/ou dominées par des individus ou des leaders d’opinion qui se font entendre. Les différences de statut entre les chercheurs et chercheuses et les participant·e·s, ou entre les participant·e·s, influencent les discussions.

Quelques références bibliographiques pour aller plus loin

Cohen-Miller, Anna. et Durrani, Naureen. et Kataeva, Zumrad. et Makhmetova, Zhadyra. 2022. « Conducting Focus Groups in Multicultural Educational Contexts: Lessons Learned and Methodological Insights. » International Journal of Qualitative Methods, 21: 1–10. https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/752dd092-3ea5-429c-96dc-4507d0cda886.

European Commission. 2008. « EVALSED: The Resource for the Evaluation of Socio-Economic Development. » https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/752dd092-3ea5-429c-96dc-4507d0cda886.

Krueger, Richard. et Casey, Mary Anne. 2000. Focus Group: A Practical Guide for Applied Research. Thousand Oaks, California: Sage.

Manzano, Ana. 2022. Conducting focus groups in realist evaluation. Evaluation, 28(4): 406-425.

Ryan, Katherine. et Gandha, Tyszha. et Culbertson, Michael. et Carlson, Crystal. 2014. « Focus Group Evidence: Implications for Design and Analysis. » American Journal of Evaluation 35 (3): 328–45.

Spencer, Liz. et Ritchie, Jane. et Lewis, Jane. et Dillon, Lucy. 2003. « Quality in Qualitative Evaluation: A Framework for Assessing Research Evidence. » London. https://www.cebma.org/wp-content/uploads/Spencer-Quality-in-qualitative-evaluation.pdf.

Zhou, Hong. et Yang, Li. et Wang, Yan. et Liu, Shuang. et He, Hong. 2022. « Formative Evaluation of the National Health Commission-UNICEF Early Childhood Development Project of the Integrated Maternal and Child Health and Development Programme (2017-2020). » https://www.unicef.org/evaluation/reports#/detail/13964/formative-evaluation-of-the-national-health-commission-unicef-early-childhood-development-project-of-the-integrated-maternal-and-child-health-and-development-programme-2017-2020.