4 La méthode photovoix

Une intervention auprès de populations marginalisées sur l'accès à l’eau potable, l’hygiène et l’assainissement au Mexique

Lynda Rey, Wilfried Affodégon, Isabelle Viens, Hind Fathallah et Maria José Arauz

La méthode photovoix
Définition de la méthode

« La photovoix est un processus par lequel les individus peuvent identifier, représenter et améliorer leur communauté à travers l’utilisation d’une technique photographique spécifique, en confiant des caméras à des personnes pour leur permettre d’agir comme enregistreurs et catalyseurs potentiels du changement dans leurs propres communautés » (Wang et Burris, 1997, p. 369, traduction libre)

Forces de la méthode

  • Méthodologie flexible et facilement adaptable à divers contextes, objectifs et audiences
  • Matériel visuel (photos) comme tremplin pour la réflexion personnelle et comme canal pour s’exprimer facilement
  • Permet une atmosphère d’échange et de confiance
  • Fait appel à la responsabilité individuelle et collective des participant-e-s face à des enjeux identifiés dans leur communauté
  • Stimule la créativité des participant-e-s
  • Favorise la liberté d’expression : des commentaires positifs et moins positifs sont librement exprimés sur le projet
Défis de la méthode

  • Nécessite une importante préparation : disponibilité des ressources techniques (impression de grandes photographies de qualité et de format adéquats), espace physique adéquat, équipement.
  • Disponibilité de ressources humaines formées et ayant de l’expérience avec des jeunes et des populations vulnérables
  • Compétences des facilitateurs et des facilitatrices de l’activité : compréhension de la méthode, ingéniosité, flexibilité, grande réceptivité et écoute
  • Risque d’influence parfois non intentionnelle de certains participant-e-s leaders durant l’activité, au détriment des autres participant-e-s
  • Présence d’un traducteur ou d’une traductrice capable de ne pas rompre la fluidité de la communication et la confiance de tous les participant-e-s dans un contexte où la langue maternelle des participant-e-s est autre que celle de l’animateur ou de l’animatrice de l’exercice

La photovoix (photovoice) est une méthode qualitative de collecte de données souvent utilisée en recherche-action, à travers laquelle les participant-e-s prennent des photos pour explorer des sujets complexes ou sensibles[1]. Créée au début des années 1990, elle est basée sur l’idée que les photos peuvent aider les participant-e-s, souvent socialement en marge, à raconter une histoire, identifier les problèmes auxquels ils et elles font face et réfléchir à la formulation de leurs propres solutions. Ainsi, la photographie ne sert pas uniquement à répondre à des questions de recherche descriptives : elle est également un moyen d’amorcer un véritable changement de paradigme (Fradet 2012).

Photovoice is a process by which people can identify, represent, and enhance their community through a specific photographic technique. It entrusts cameras to the hands of people to enable them to act as recorders, and potential catalysts for change, in their own communities (Wang et Burris 1997, p. 369).

La photovoix est un processus par lequel les individus peuvent identifier, représenter et améliorer leur communauté à travers une technique photographique spécifique, en confiant des caméras à des personnes pour leur permettre d’agir comme enregistreurs et catalyseurs potentiels du changement dans leurs propres communautés (Traduction libre).

À quoi sert la photovoix ?

La photovoix, méthode visuelle et participative, vise en général trois objectifs principaux : 1) permettre aux individus de mettre en évidence les forces et les préoccupations de leur communauté; 2) promouvoir la connaissance et le dialogue critique en discutant en groupe de questions importantes; 3) influencer les décisions politiques en mettant en évidence des problématiques sociales (Wang et Burris 1997; Wang 1999; Wang et Redwood-Jones 2001; Fradet 2012).

En effet, à travers la photo se révèle le pouvoir de l’image dans la définition du réel et du normal. L’image permet d’interpréter la réalité qui nous entoure. Elle agit également comme un véhicule des émotions suscitées par des conditions économiques et socioculturelles qui affectent les individus et leurs communautés. Le processus de la photovoix est très mobilisateur : c’est un espace favorisant la prise de conscience des réalités sociales et où a lieu la création de représentations symboliques et de sens. Les autres peuvent ainsi voir le monde à travers les yeux du ou de la photographe si bien que des perspectives et interprétations multiples cohabitent. Grâce au processus et aux sujets sociaux qui y participent activement, la photovoix a le potentiel d’agir comme catalyseur de changement social.

De la photovoix au photolangage : quels lieux communs ?

Il existe plusieurs variantes de la photovoix dont une appelée « photolangage ». La photovoix se différencie du photolangage au niveau de leurs fondements. Alors que la photovoix s’inscrit dans une visée conscientisante, émancipatrice et de changement social, le photolangage repose à l’origine sur une approche plus thérapeutique. Créé en 1965 par un groupe de psychologues français qui travaillaient avec des adolescent-e-s, le photolangage a été conçu de manière intuitive. L’objectif était d’utiliser des photos pour servir de soutien à la parole de jeunes qui rencontraient des difficultés à s’exprimer et à parler en groupe de leurs expériences diverses et parfois douloureuses sur le plan personnel. Il s’agit également d’une approche spécifique de travail de groupe à partir d’une collection de photos choisies pour illustrer un thème particulier. Le photolangage se concentre davantage sur la prise de conscience individuelle, centrée sur des problèmes personnels, voire psychologiques, et sur une prise de parole devant l’ensemble des participant-e-s (Vacheret, 2011).

Une autre différence importante existe entre les deux techniques au niveau de leurs processus respectifs. En effet, dans le cas du photolangage, les photos sont prises par un ou une photographe et la sélection préalable de photos est faite par le facilitateur ou la facilitatrice de l’activité, contrairement à la démarche photovoix où les participant-e-s prennent eux-mêmes les photos (White, Sasser, Bogren et Morgan 2009). Toutefois, les différences s’estompent lorsque la démarche du photolangage s’aligne sur les fondements théoriques et les concepts de la conscientisation comme instrument libérateur dans un processus d’éducation et de transformation sociale (Freire, 1970). La seule différence qui subsiste est alors au niveau de l’auteur ou l’autrice des photos (le ou la photographe vs les participant-e-s).

Le potentiel d’influence de l’image/photo utilisée comme « porte-voix familier, pouvoir, véhicule d’émotions, indicateur et révélateur symbolique des réalités sociales, catalyseur de changement et outil de plaidoyer et d’action sociale » (Fradet, 2012) est reconnu dans les deux approches.

Comme processus, la photovoix et le photolangage jouent un rôle dans l’éveil de la « conscience critique », c’est-à-dire une compréhension profonde de la façon dont le monde fonctionne et comment la société, la politique et les relations de pouvoir affectent la réalité d’un individu ou d’un groupe. La technique de la photographie, en « dévoilant » les réalités sociales et en les exposant, peut influencer l’émergence des changements sociaux (Danchin et Sax 2009; White et al. 2009).

La photovoix, une méthode de recherche et d’évaluative participative

La photovoix est généralement présentée comme une méthode de la recherche-action participative, mais elle peut également être utilisée en tant que méthode de recherche qualitative ou comme un outil de collecte de données pour la planification et l’évaluation (White et al., 2009). Axée sur la communauté, cette méthode est flexible et peut servir différents objectifs (mobilisation communautaire, évaluation des besoins, évaluation de processus et des résultats dans une perspective participative) (Catalani et Minkler 2010; Wang et Burris 1997). Mise en œuvre dans le cadre de la planification d’une intervention et de l’évaluation des besoins, le processus de photovoix implique la communauté afin de mieux comprendre leurs réalités, notamment, à travers le point de vue de personnes qui ne sont pas en position de pouvoir ou d’autorité. Il s’agit d’une forme de légitimation des connaissances communautaires (Mayfield-Johnson, Rachal et Butler 2014; Strack, Lovelace, Jordan et Holmes 2010).

Utilisée comme méthode d’évaluation participative, la photovoix permet d’avoir accès à des informations concrètes et utiles sur les communautés ciblées (Goo-Kuratani et Lai 2011). Elle peut être complétée par plusieurs méthodes telles que les enquêtes sur les ménages, la technique du groupe nominal et les groupes de discussion tout en équilibrant les objectifs de recherche, d’action et d’évaluation. Généralement, à partir de discussions entre les participant-e-s et les membres de l’équipe de recherche, une question est identifiée. Par la suite, les participant-e-s munis de leurs caméras partent en quête de photographies qui permettront d’y répondre (Wang et Burris 1997). Dans une étude de Wang et al. (1996), la photovoix a été utilisée avec des femmes chinoises en zone rurale impliquées dans un projet de santé communautaire pour évaluer de façon participative l’efficacité, les forces et les faiblesses du projet. La façon dont la photovoix peut contribuer à la capacité d’une communauté à réfléchir sur sa propre culture est discutée. La photovoix a également été utilisée par Duffy (2010) dans le cadre d’une évaluation formative où le chercheur a questionné des femmes seules sur les bénéfices de participer à un projet de recherche. La photovoix est d’autant plus porteuse lorsqu’elle est mise en œuvre en collaboration avec des populations vulnérables ou marginalisées telles que les femmes, les jeunes, les personnes souffrant d’une maladie particulière, les sans-abris (Valiquette-Tessier et al. 2015) ou encore les travailleuses du sexe (Desyllas, 2014).

Le processus de photovoix

En règle générale, la mise en œuvre de la photovoix se déroule en trois phases. Elle nécessite la présence d’un facilitateur ou d’une facilitatrice qui connait bien les réalités historiques, politiques et socioculturelles du milieu d’intervention. La première phase consiste en la formation et le renforcement des capacités des participant-e-s qui se familiarisent avec les outils (caméras, batteries, pellicules, projecteurs, albums, etc.). La deuxième phase concerne la collecte de données, ce qui correspond aux discussions à l’intérieur de groupes de personnes (préalablement identifiées) sur les enjeux de développement communautaire. Enfin, la dernière phase est l’analyse qualitative de propos/discours des participant-e-s à travers lesquels elles et ils mettent en relation les photographies avec leurs réalités (Catalani et Minkler 2010; Wang et Burris 1997).

Avantages et défis liés à la photovoix

Palibroda et al. (2009) ont identifié plusieurs avantages et défis relatifs à l’utilisation de la photovoix, notamment au niveau des participant-e-s, du processus de recherche et de facilitation ainsi qu’au niveau de la communauté. Rappelons que la mise en œuvre de la photovoix favorise notamment (i) le renforcement de l’engagement de la communauté dans l’action et le plaidoyer, (ii) une meilleure compréhension des besoins de la communauté, et (iii) l’augmentation de l’autonomisation (empowerment) individuelle et collective (Catalani et Minkler 2010).

L’approche comporte également plusieurs défis. D’abord, les leaders d’opinion influents dans les communautés défavorisées peuvent tirer profit de leur statut pour imposer leur point de vue et maintenir un statu quo face à des enjeux de développement ou sociaux, au détriment de la majorité marginalisée. Les participant-e-s pourraient aussi avoir du mal à présenter une réalité complexe ou abstraite à travers leurs photographies.

Ensuite, la photovoix étant centrée sur l’individu, elle peut aussi mettre davantage en valeur les points de vue individuels plutôt que le consensus communautaire. Lorsque les rapports de pouvoir sont en faveur de certains individus au détriment d’autres, la photovoix pourrait perpétuer les inégalités sociales. La discussion autour de questions parfois sensibles peut induire des sentiments négatifs.

Enfin, vivant souvent en situation de vulnérabilité, les communautés/individus peuvent avoir d’autres priorités que celles d’entrer dans une telle démarche, outre le manque de temps. Les résultats de la photovoix pourraient aussi ne pas être à la hauteur des attentes des membres de la communauté, surtout en ce qui a trait au changement social.

Le tableau suivant présente les avantages et les limites de la démarche photovoix.

Tableau 1. Résumé des avantages et défis de la méthode Photovoix selon Wang et Burris (1997)
Avantages Défis
  • Approche descriptive à travers une forme de communication par l’image
  • Favorise l’interaction entre les participant-e-s à travers les idées, les histoires, etc.
  • Valorise les connaissances des communautés
  • Encourage la participation communautaire
  • Méthode adaptée aux communautés vulnérables et marginalisées
  • Peut être utilisée comme outil d’identification des besoins et méthode d’évaluation
  • Approche de renforcement de capacités, d’apprentissage et d’autonomisation permettant de prioriser les besoins et de trouver des solutions.
  • Apprentissage de la prise de photos peut être difficile
  • Complexité de l’analyse des données recueillies durant les discussions
  • Ne permet de couvrir qu’un nombre limité d’enjeux sociaux
  • Décalage entre la méthode et la pratique : nécessité de s’adapter au contexte d’application et à l’audience en temps réel
  • Risque de maintien du statu quo par les leaders d’opinion
  • Met davantage l’accent sur le jugement personnel au détriment du consensus communautaire.
  • Peut perpétuer les inégalités sociales en accordant plus de voix aux lobbies

Dans la seconde partie de ce chapitre, nous présentons une expérience de photovoix utilisée comme méthode d’évaluation formative qui se rapproche davantage du photolangage décrit plus haut. En effet, dans le cas présenté ici, les photos ont été prises par les membres de l’équipe de projet et non par les participant-e-s en raison certains paramètres (méthode non planifiée en début de projet, mais ajustement agile en cours de mise en œuvre permettant une meilleure adaptation au contexte et aux participant-e-s, la contrainte de temps et au besoin d’obtenir des données quasi en temps réel pour prendre des mesures correctives avant le déploiement des activités en phase 2 du projet). Cette expérience est d’autant plus intéressante que la photovoix y est utilisée comme méthode d’évaluation basée sur les arts (Art-Based Evaluation) (Desyllas 2014). Elle apporte une « autre » façon de porter un jugement de valeur sur une intervention en utilisant des outils et approches créatives[2]. L’objectif de la démarche était d’évaluer le volet artistique d’un projet d’accès à l’eau, l’hygiène et l’assainissement mis en œuvre dans une communauté autochtone du Mexique.

La photovoix pour évaluer l’art social : entre complexité et créativité

Contexte

Dans un contexte où 700 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable et 80 % d’entre elles vivent en milieu rural (WHO/UNICEF 2015), la Fondation One Drop basée à Montréal, en partenariat avec une fondation privée et une organisation non gouvernementale mexicaines, a lancé en 2015 un projet pilote visant un accès durable à l’eau potable, l’hygiène et l’assainissement dans deux municipalités (Mixtla de Altamirano et Tehuipango) de l’État de Veracruz au Mexique.

Les deux municipalités sont peuplées par des communautés indigènes partageant la même langue (98 % des habitants parlent le nahuatl). Elles sont caractérisées par un fort taux d’analphabétisme et un manque d’infrastructures en eau potable et assainissement. Pendant une longue période de l’année, les infrastructures en eau sont non fonctionnelles à cause notamment d’un coût d’entretien très élevé. Pour satisfaire leurs besoins en eau, les populations s’approvisionnent dans les eaux de rivière et autres sources non potables. Certaines familles possèdent des réservoirs dans lesquels elles peuvent stocker de l’eau de pluie, mais la quantité collectée demeure insuffisante.

Par ailleurs, bien que la majorité des ménages dispose de latrines (environ 96 % en Mixtla et 86 % en Tehuipango selon les données du projet), ces infrastructures sont inappropriées en raison du manque d’hygiène et de sécurité.

En matière d’hygiène personnelle, l’absence, la faible fréquence, ainsi qu’une pratique inappropriée du lavage des mains et du corps avec du savon ainsi que du brossage des dents ont été observées.

L’ensemble de ces pratiques, combinées au fait qu’une majorité de ménages ne traitent pas l’eau avant de la boire, favorisent la prolifération de germes pathogènes et les maladies hydriques au sein des communautés et des familles.

Tableau 2. Contexte des communautés ciblées (INEGI 2010; One Drop 2015)
Municipalités ciblées

(Communautés)

Tehuipango

(Apitpitzactitla)

Mixtlade Altamirano

(Mixtlantlapak)

Taux d’analphabétisme Supérieur à 50 % Supérieur à 50 %
Langue Nahuatl (à 98 %) Nahuatl (à 98 %)
Population cible 23 746 10 387
Taux de couverture en assainissement 86 % 96 %
Taux de couverture en eau 41 % 55 %
Hygiène Comportements d’hygiène inadéquats ayant pour conséquence une haute incidence des maladies liées à l’eau

La logique de l’intervention

Face à ces problématiques structurelles et comportementales, un projet mis en œuvre par l’ONG mexicaine a financé la construction d’infrastructures hydrauliques et d’assainissement. Toutefois, les infrastructures seules ne suffisent pas pour encourager l’adoption de bonnes pratiques et d’habitudes au niveau individuel et communautaire. La Fondation One Drop et ses partenaires ont donc décidé d’intégrer dans le projet d’infrastructure un volet centré sur l’art social : une approche systématique utilisant toutes formes d’art pour aborder des enjeux sociaux à travers la sensibilisation et la mobilisation sociale. One Drop mise sur le potentiel de l’art social comme moteur de transformation sociale et de changement de comportements dans les projets en eau, hygiène et assainissement (EHA) qu’elle soutient (www.onedrop.org).

Coin de l’hygiène au sein de la classe. Crédit photo : One Drop, 2016

Opérationnalisé en collaboration avec les artistes locaux, l’art social permet aux individus de participer activement et de manière créative à la résolution des problèmes vécus au sein de leur communauté. L’intervention par les arts conduit au développement et à la concrétisation d’actions individuelles et/ou collectives répondant aux besoins des personnes et des communautés. Les participant-e-s qui s’impliquent dans ces projets artistiques se responsabilisent, acquièrent de nouvelles habiletés en prenant part à des expériences enrichissantes tout en développant leur estime d’eux-mêmes et d’elles-mêmes. Plusieurs acteurs et actrices de développement y ont eu recours depuis des décennies, notamment dans le domaine de la santé et tout particulièrement du VIH/Sida (Onuekwe 2015; Moyer‐Gusé 2008; Singhal et Rogers 1999). L’art social se situe au croisement de plusieurs stratégies de communication pour le développement, d’éducation populaire et tout particulièrement de l’approche d’éducation-divertissement (edu-entertainment).

Au Mexique, les objectifs visés par la composante Art Social pour le Changement de Comportement du projet étaient de 1) intégrer l’art social comme outil de sensibilisation, mobilisation et de changement des comportements individuels et collectifs dans un projet EHA existant et 2) évaluer les effets de l’art social sur les connaissances, attitudes et pratiques autour de deux comportements cibles : le lavage des mains et le traitement de l’eau. De façon spécifique, une telle démarche visait, d’une part, à concevoir et à intégrer les activités d’art social dans deux communautés cibles et, d’autre part, à développer un cadre intégré de suivi, d’évaluation et d’apprentissage avec des méthodes innovantes permettant d’évaluer les effets de l’art social sur les variables d’intérêt mentionnées précédemment.

Ci-dessous se trouve le modèle logique de l’intervention en art social, c’est-à-dire les activités prévues et les résultats attendus à court, moyen et long terme, en tenant compte du contexte du projet et de l’environnement des communautés cibles.

Figure 1. Modèle logique du projet (inspiré de Figueroa; Kincaid 2010)

 

Peintures murales sur les réservoirs d’eau. Crédit photo : One Drop, 2016

Dans le cadre de cette initiative novatrice, des ateliers d’art social incluant le théâtre, la danse (contemporaine et traditionnelle), la musique, le cirque, les arts visuels et la réalisation de courts-métrages ont été organisés auprès des enfants et des adolescent-e-s dans les deux communautés du projet. Les thèmes abordés par les artistes dans ces ateliers ainsi que les messages véhiculés étaient centrés sur le lavage des mains et le traitement de l’eau. Le processus de création et les formes artistiques étaient largement inspirés des récits, contes et autres atouts socioculturels locaux. Les ateliers reposaient sur des processus de co-création collective permettant d’améliorer les attitudes, les connaissances et les pratiques des participant-e-s autour du lavage des mains et du traitement de l’eau tout en leur apprenant des techniques artistiques.

Selon ce processus, il était attendu qu’à l’issue de leur expérience d’éveil artistique, d’apprentissage cognitif et de réflexion critique, les capacités/connaissances des jeunes en tant qu’agents et agentes de changement au sein de leurs communautés seraient renforcées, qu’ils et elles gagneraient en estime de soi et que les attitudes par rapport aux problématiques visées seraient positives et proactives en vue de favoriser un changement de comportement durable au niveau des individus et de la collectivité.

Création du coin de l’hygiène avec les instituteurs/trices. Crédit photo : One Drop, 2016

En complément des ateliers artistiques susmentionnés, l’activité « coin de l’hygiène » a été mise en œuvre. Elle a consisté en la création d’un espace dédié à l’hygiène corporelle dans les salles de classe. L’aménagement de ce coin a été réalisé dans le cadre d’ateliers ludiques et éducatifs de bricolage, peinture et collage auxquels ont participé élèves et enseignant-e-s. Cette activité été mise en œuvre afin d’encourager la créativité des enseignant-e-s dans le développement de matériels éducatifs permettant de sensibiliser les enfants des écoles primaires aux enjeux liés à l’hygiène et d’adopter des pratiques adéquates dans un environnement ludique et attrayant.

D’autres événements ciblant les communautés de manière plus large ont été organisés dans le cadre du projet : des parades de danse, des spectacles multidisciplinaires, la diffusion des courts-métrages produits dans le cadre des ateliers et des peintures murales.

Le tableau suivant présente des activités mises en œuvre, les groupes cibles, les participant-e-s, et les thématiques abordées.

Tableau 3. Activités d’art social implantées dans les zones ciblées

Activités implantées

Description et participant-e-s

Groupes cibles/audiences

Thématiques ciblées

Ateliers artistiques et
pédagogiques

 

Théâtre, danse contemporaine et traditionnelle, musique, cirque, arts visuels, réalisation de courts-métrages

Jeunes de 12 à 18 ans

Apprentissages techniques et cognitifs dans plusieurs domaines artistiques intégrant un contenu en lien avec les pratiques de lavage des mains et de traitement de l’eau au niveau du ménage

Événements artistiques
(spectacles)

Création, production et présentation de spectacles multidisciplinaires par les jeunes accompagnés par les artistes

Communauté entière

Pratiques de lavage des mains et de traitement de l’eau au niveau du ménage

 

Parades artistiques

Création et organisation par les jeunes accompagnés par les artistes/Participation active des jeunes, des artistes et de membres de la communauté au défilé final : une parade culturelle basée sur des expériences de caravane traditionnelle

Communauté entière

Murales

Peintures réalisées par les jeunes soutenus par les artistes/Inauguration par les jeunes pendant le défilé final

Communauté entière

Courts-métrages

Création par les jeunes des ateliers formés par les artistes/Présentation par les jeunes pendant le défilé final

Communauté entière

« Coin de l’hygiène »

Participation de tous les élèves des classes concernées

Élèves du primaire (6-12 ans)

Pratiques de lavage des mains et d’hygiène personnelle des enfants

Le plan d’évaluation des activités d’art social

Diffusion des courts-métrages. Crédit photo : One Drop, 2016

Dans le cadre de ce projet, plusieurs outils de suivi et d’évaluation quantitatifs et qualitatifs ont été développés et utilisés, particulièrement pour mesurer les effets des interventions artistiques. La méthode de la photovoix a été adaptée[3] et appliquée en tant qu’outil d’évaluation auprès des jeunes participant aux ateliers d’art social afin d’obtenir leurs opinions, perceptions et leur satisfaction relativement à ces ateliers.

Un plan d’évaluation a été développé en collaboration avec l’équipe de projet des zones ciblées. Il s’agit d’un plan qui aborde plusieurs questions, mais seules celles qui étaient visées par la photovoix sont exposées ici.

Tableau 4. Plan d’évaluation de la composante art social du projet
Objectif de l’évaluation Questions d’évaluation (élaborées en collaboration avec l’équipe de projet et les artistes)
Processus et outils de collecte de données
Évaluer les perceptions des jeunes relativement aux activités artistiques auxquelles ils et elles avaient participé dans le cadre de la composante Art Social pour le Changement de Comportement en lien avec l’eau potable et l’hygiène (traitement de l’eau et lavage des mains) RÉACTIONS
Quelles ont été les réactions des participant-e-s aux activités d’art social?APPRENTISSAGES
Quelles ont été les leçons apprises par les jeunes à travers leur participation aux activités d’art social?EFFETS SUR LES PRATIQUES ET COMPORTEMENTS
Quelle a été l’influence de l’art social sur les pratiques liées à l’eau et à l’hygiène telles que le lavage des mains et le traitement adéquat de l’eau afin de réduire le risque de maladies?RÉSULTATS
Quels sont les effets proximaux de l’art social sur la communauté?

Photos prises par l’équipe de projet et les artistes suivant des critères bien établis et identifiés par les jeunes

Discussions de groupes

Dessins réalisés par les jeunes pour exprimer leurs réactions et perceptions

Entrevues individuelles avec les jeunes leaders (non considérées dans ce texte)

Enquêtes des ménages sur les connaissances, attitudes et pratiques (CAP) relatifs à l’eau, l’hygiène et l’assainissement (non considérées dans ce texte)

Application de la photovoix comme démarche évaluative en contexte artistique et social

Objectifs

La photovoix a été choisie comme approche d’évaluation formative. La démarche avait l’avantage d’être adaptée au contexte indigène dans lequel le projet a été mis en œuvre, au caractère artistique des activités et aux jeunes participant-e-s. L’activité de photovoix visait deux objectifs :

  • Partager les représentations des participant-e-s sur les questions liées à l’eau et à l’hygiène, exposer les idées reçues, identifier les stéréotypes et aller au-delà en donnant la parole à l’expérience personnelle de chaque individu.
  • Permettre aux participant-e-s de s’exprimer librement et de libérer leurs émotions, individuellement et en groupe, sur le sujet d’intérêt tout en ayant une réflexion critique sur les solutions à envisager.

Processus

La phase de planification

Le processus de photovoix nécessite des préparatifs qui impliquent du temps et des ressources humaines. Pour assurer la mise en œuvre efficace du processus d’évaluation sur le terrain, une coordinatrice de projet spécialisée en art social et en évaluation, soutenue par l’équipe de projet (une personne chargée de la traduction, une personne chargée de la prise de notes durant l’exercice et un photographe/caméraman), a été placée au sein de la communauté. Ces personnes ont été formées et orientées par l’évaluatrice interne de One Drop basée à Montréal qui a réalisé plusieurs déplacements sur le terrain pour soutenir la mise en œuvre de l’évaluation.

Les principales étapes de planification nécessaires à la réalisation de l’évaluation sont les suivantes.

Sélection des participant-e-s

Le choix des participant-e-s à la démarche évaluative par la photovoix s’est réalisé selon les critères suivants :

  • Participation active des jeunes aux ateliers artistiques décrites plus haut : ceux et celles qui ont été assidus ont été priorisés afin d’obtenir une vision complète des effets de l’art social
  • Choix paritaire de filles et de garçons
  • Volonté à s’exprimer devant un groupe et consentement éclairé à participer à la photovoix
  • Capacité à comprendre le nahuatl et/ou l’espagnol

Les groupes étaient composés de huit participant-e-s au minimum et de 15 au maximum, ce qui constitue un nombre relativement adéquat pour ce type d’activité de groupe. Une fois la sélection terminée, la coordonnatrice du projet a communiqué la liste des participant-e-s aux leaders de chaque communauté ainsi qu’aux parents afin de pouvoir obtenir leur consentement à réunir les participant-e-s identifiés par la sélection. Le consentement libre des parents et des enfants a été obtenu et les informations clés liées à l’activité artistique (objectif, date, heure, lieu) ont ensuite été communiquées aux participant-e-s. Une salle de classe a été mise à disposition par la municipalité pour l’activité.

Parade au sein de la communauté. Crédit photo : One Drop, 2016

Sélection des photos

Avant l’activité de photovoix, les artistes et l’équipe de projet ont sélectionné les photos qui ont servi de support pour l’évaluation selon les critères suivants :

  • Photos représentant des scènes et des participant-e-s en action
  • Photos représentant chacun des ateliers artistiques facilités par les artistes dans le cadre du projet art social
  • Photos représentant les thèmes du projet : lavage des mains et traitement de l’eau
  • Photos reflétant les émotions des jeunes participant au projet durant les ateliers.

Une vingtaine de photos ont ainsi été sélectionnées en tenant compte du nombre de participant-e-s (environ 10). Pour chacune des photos choisies, deux copies ont été réalisées, notamment dans le cas où deux participant-e-s souhaiteraient sélectionner la même photo. Chacune des photos a été identifiée par un numéro au verso pour faciliter l’analyse. Enfin, les photos ont été imprimées sur un grand format (8 ½ x 11) afin de permettre aux participant-e-s de mieux visualiser les détails de chacune des photos.

Préparation des ressources humaines

La question des ressources humaines est essentielle dans cette activité. Il est utile de disposer de plusieurs personnes-ressources pouvant appuyer l’activité (traduction, prise de notes, etc.). Toutefois, elles doivent être orientées sur l’attitude à adopter pendant la démarche afin que leur présence n’entraîne pas de gêne de la part des participant-e-s.

La photovoix a été menée dans deux communautés ciblées par le projet et quatre personnes-ressources ont à chaque fois assumé les rôles suivants :

  • Animation
  • Observation/Prise de notes durant l’exercice
  • Traduction
  • Photographie/tournage

Ces personnes avaient le mandat d’appuyer le bon déroulement de l’exercice. Elles ont donc reçu préalablement une courte formation couvrant les points suivants : 1) explication du processus de la photovoix; 2) présentation du processus et des étapes de réalisation; 3) explication des enjeux de l’exercice; 4) identification et clarification des rôles de chacun-e durant la photovoix

Spectacle multidisciplinaires avec les jeunes. Crédit photo : One Drop, 2016

.

Dans le cadre de ce projet, la coordonnatrice des activités artistiques sur le terrain a été choisie pour être l’animatrice de la photovoix. L’objectif était de capitaliser sur la confiance et la complicité existant entre elle et les jeunes, et d’encourager leur participation active. En effet, la proximité de la coordonnatrice avec les jeunes a permis de créer un climat de confiance si bien que les jeunes se sont sentis à l’aise pour s’exprimer librement. L’évaluatrice interne de One Drop était présente lors de l’exercice en tant qu’observatrice. Elle a supervisé l’activité et observé le déroulement ainsi que l’attitude non-verbale des jeunes. Elle a aussi orienté l’animatrice sur certains aspects, notamment s’assurer que tous les participant-e-s prennent la parole; préciser certaines questions; donner le temps aux participant-e-s plus timides de s’exprimer. Les artistes ayant facilité les ateliers artistiques n’étaient pas présents afin de permettre aux jeunes de s’exprimer sur leur expérience lors de ces ateliers de manière ouverte et en toute confiance.

La mise en œuvre

L’activité de photovoix menée dans chacune des deux communautés s’est déroulée comme suit :

Organisation de l’espace du local (30 minutes)

L’organisation du local compte beaucoup dans la création d’une atmosphère de partage et d’écoute. Des chaises ont été disposées dans la salle de classe en cercle pour encourager l’échange, l’interaction et l’écoute active. Outre l’espace de discussion circulaire, une grande table a été installée au fond de la salle et les photos sélectionnées y ont été exposées. La salle de classe a été un choix judicieux, car les jeunes étaient dans un espace familier et avaient à disposition du matériel scolaire.

Disposition des jeunes en cercle favorisant le dialogue, crédit photo : One Drop 2016

Présentation du travail au groupe (15 minutes)

Avec l’appui constant du traducteur, l’animatrice s’est chargée d’expliquer et de détailler de façon claire et précise les étapes du processus à suivre, les méthodes utilisées (notamment l’importance de l’écoute et la possibilité de s’exprimer librement) et les contraintes horaires. L’objectif était de s’assurer que chaque participant-e ait compris la démarche et la méthodologie, et se sente en confiance pour participer activement à l’activité. Cette introduction a également intégré la présentation des différentes personnes présentes dans la salle et de leur rôle, afin de ne pas créer de malaise chez les jeunes.

Choix individuel des photographies (10 minutes)

Le choix individuel des photographies devait permettre aux participant-e-s de s’exprimer autour des questions de perceptions suivantes :

  • Question 1 : Choisissez une photo qui décrit ce que vous avez le plus aimé dans les ateliers
  • Question 2 : Choisissez une photo qui décrit ce que vous avez le moins aimé dans les ateliers

Pour cette étape, l’animatrice a invité les jeunes à se déplacer vers la table où étaient exposées les photographies pour procéder de manière individuelle au choix de la photo qui décrivait le mieux ce qu’ils avaient apprécié dans les ateliers (Question 1). Tout en se déplaçant autour de la table de manière silencieuse, ils et elles ont identifié une photo en relation avec la première question. Puis, l’animatrice a invité les participant-e-s à prendre la photo choisie et à revenir dans l’espace d’échange.

Jeunes choisissant les photos représentant la réponse à la question posée, crédit photo : One Drop 2016

Pour celles et ceux qui avaient choisi la même photo, des copies étaient disponibles afin que toutes et tous aient en main leur photo pour la discussion.

Après avoir complété l’échange (décrit à l’étape suivante) autour de la première question, le même procédé a été utilisé pour la question numéro 2 : quelle est la photo qui représente ce que vous avez le moins aimé dans les ateliers?

Travail de groupe sur les questions 1 et 2 (durée : 1 heure)

Après le choix de la photo en lien avec la première question, le cercle de discussion s’est formé afin de pouvoir échanger sur les réactions et réflexions de chacun des participant-e-s.

L’animatrice a répété la question et a invité chaque jeune à partager sa réflexion en lien avec la question en présentant au groupe la photo choisie, les raisons de ce choix et la réponse à la question. Les autres participant-e-s étaient encouragés à adopter une attitude d’écoute active et à attendre leur tour de parole afin de ne pas influencer les réflexions de chaque jeunes présent à l’exercice.

De plus, l’animatrice a rappelé les objectifs de l’exercice afin que chacun-e des participant-e-s se sente à l’aise de s’exprimer.

Chaque participant-e était libre de s’exprimer en espagnol ou en nahuatl. Selon la langue choisie, les propos ont été traduits en temps réel. Chacun des participant-e-s a pu bénéficier de son temps de parole et tous ont manifesté le désir de communiquer leurs émotions quant au choix de leur photo. Il n’y a pas eu de réticences ni de jeunes qui ne souhaitaient pas s’exprimer.

Lorsqu’approprié, l’animatrice a posé des questions supplémentaires durant les échanges afin de pousser plus loin la réflexion de chacun des jeunes.

Ce même travail de réflexion a été réalisé pour la deuxième question.

Jeunes s’exprimant sur les photos choisies, crédit photo : One Drop 2016

Travail individuel sur la question 3 (durée : 30 minutes)

Cette phase a fait appel à la créativité des jeunes et à leur capacité à « dessiner leurs émotions ». Dans un processus traditionnel de photovoix ou de photolangage, le dessin n’est pas utilisé. L’équipe de projet a décidé d’inclure la composante dessin dans l’évaluation par la photovoix pour deux raisons : 1) il était intéressant d’intégrer une autre méthode de collecte de données basée sur l’art et 2) les arts visuels ayant une place de choix dans la culture indigène, le dessin favoriserait l’expression libre et différente (non verbale) des jeunes pour exprimer leurs émotions.

Durant cette phase, les participant-e-s devaient répondre à la question suivante :

Question 3 : Pouvez-vous faire un dessin qui décrit comment vous vous sentez depuis cette expérience ?

Cette question avait pour objectif d’amener les jeunes à exprimer leurs émotions après la fin des ateliers et des autres activités d’art social qui ont eu lieu dans leur communauté. Au lieu d’un échange en groupe comme pour les questions précédentes, les jeunes se sont isolés dans le lieu de leur choix, cour d’école, autre salle, autour d’une table, pour réaliser leur dessin.

Jeunes réalisant leurs dessins, crédit photo : One Drop 2016

Du matériel de dessin a donc été fourni et un temps d’environ 30 minutes accordé à chaque participant-e pour la réalisation des dessins. Ces derniers pouvaient être accompagnés par des mots ou des phrases. Les jeunes ont exploré la question de manière individuelle en respectant leurs espaces de travail et leur individualité respective.

Certains ont repris des idées qu’ils avaient exprimées durant les questions 1 et 2 tandis que d’autres ont exprimé de nouvelles idées et produit des images fortes et symboliques.

Conclusion de l’activité (10 minutes)

Jeune revenant sur son expérience, crédit photo : One Drop 2016

L’exercice d’évaluation par la photovoix s’est conclu par la présentation de manière volontaire des dessins réalisés durant l’exercice précédent. Les participant-e-s étaient invités à partager leurs réflexions à partir de leur création.

Ensuite, l’animatrice a remercié et félicité les jeunes pour leur participation active et leur respect des consignes. Les jeunes ont également eu la possibilité de partager leurs impressions sur l’activité et ont beaucoup apprécié revenir sur leur expérience dans les ateliers artistiques de manière ludique et artistique.

Au total, le processus de photovoix aura duré environ deux heures. Les participant-e-s ont pu retourner à la maison et les membres de l’équipe ont procédé à un bilan de l’activité et partagé leurs impressions sur son déroulement. Il a également été décidé de produire des copies des photographies choisies par les participant-e-s afin de les leur offrir. Pour renforcer le sentiment de fierté dans leurs communautés respectives, les photos des jeunes participant-e-s ont été exposées et rendues visibles par tous.

L’analyse des données

Les données collectées lors d’une démarche de photovoix sont principalement qualitatives et le processus d’analyse peut présenter des défis. Dans le cadre de ce projet, il s’agissait de collecter les perceptions et les réactions des jeunes sur leur expérience durant les ateliers artistiques et pédagogiques. Les questions posées aux jeunes étaient les suivantes :

Question 1 : Choisissez une photo qui décrit ce que vous avez le plus aimé dans les ateliers

Question 2 : Choisissez une photo qui décrit ce que vous avez le moins aimé dans les ateliers

Question 3 : Pouvez-vous faire un dessin qui décrit comment vous vous sentez depuis cette expérience ?

Les stratégies d’analyse utilisées sont présentées ci-dessous :

Figure 2. Processus d’analyse des données collectées

Résultats de l’évaluation

Réactions des participant-e-s aux activités d’art social du projet

Jeunes en fin d’exercice de photovoice, crédit photo : One Drop 2016

La majorité des jeunes ont déclaré avoir apprécié l’atmosphère des ateliers (le divertissement, le travail de groupe et la complicité avec leurs camarades). Toutefois, certains ont aussi soulevé des situations conflictuelles vécues dans certains ateliers et d’autres ont rapporté avoir beaucoup moins apprécié l’atelier musique, moins divertissant selon eux. Ceci s’expliquerait par le manque d’expérience des animateurs et animatrices avec les jeunes autochtones et qui n’ont pas réussi à motiver les enfants.

La relation avec les artistes (attachement, complicité, confiance) a été particulièrement appréciée, notamment en raison de leur accessibilité, de leur adaptabilité à l’audience et de leur habileté à motiver, divertir, mobiliser et sensibiliser les jeunes. Selon Mackinnon et Ryan (2015), les activités artistiques comme la photovoix sont aussi une opportunité pour les animateurs et animatrices de démontrer leurs habiletés de leadership au-delà de l’objectif initial.

Les photos des jeunes participant-e-s aux ateliers, crédit photo : One Drop 2016

Tout en faisant partie d’un processus créatif collectif, le potentiel d’épanouissement individuel des jeunes est accru à travers la reconnaissance du succès collectif : « Ce qui m’a le plus touché, c’est de voir mes amis réussir des acrobaties qu’ils n’arrivaient pas à faire au début de l’activité » (jeune participant).

Les jeunes ont ensuite exprimé un sentiment d’abandon et de tristesse à la fin des activités (départ des artistes notamment, perte d’accès au matériel artistique, rupture du groupe créé pendant les ateliers). Somme toute, la photo, le dessin et la parole ont permis aux jeunes d’exprimer leurs émotions les plus profondes et parfois mitigées.

Apprentissages des participant-e-s aux ateliers d’art social

« Je me sentais heureuse aux côtés des formateurs de cirque et danse, peinture murale, court-métrage, musique et théâtre. Au revoir à jamais Joaquin, Daniel, Quetzali, Cuactemoc, Pamelia, Silvana, Felipe, Carlos Gerardo, Gabino, Luisa, Isabel et Carlos [prénoms des artistes]. Vous allez beaucoup me manquer. Vous qui nous avez appris. Je vais toujours vous aimer beaucoup. Au revoir à tous » (traduction libre). Crédit photo : One Drop 2016

Cette activité a confirmé que l’un des effets des ateliers artistiques et pédagogiques est le renforcement des capacités personnelles des jeunes et la libération de leur plein potentiel. Les résultats de plusieurs projets financés par One Drop en Afrique (Burkina Faso), en Inde (Odisha) et en Amérique centrale (El Salvador et Honduras) et impliquant les jeunes dans des activités d’art social décrivent des processus visant à faire des jeunes des agents de changement au sein de leurs communautés. Lors de ces ateliers, les jeunes, et notamment les filles, avaient démontré un leadership individuel et ont progressivement gagné en confiance entre le début et la fin des activités, ce qui a été confirmé par l’expérience mexicaine.

Le sentiment de fierté et d’efficacité personnelle (self-efficacy) s’accroit notamment à la suite de l’apprentissage de nouvelles techniques artistiques. Cette attitude positive favorise l’assimilation des apprentissages de pratiques saines telles que le lavage des mains et le traitement de l’eau pour la rendre potable. Lors des activités, les jeunes ont pu pratiquer à plusieurs reprises un lavage des mains adéquat. Toutefois, la durabilité de ces apprentissages peut être remise en cause s’ils ne sont pas répétés dans leur quotidienneté. Pour atténuer ces risques, certaines activités ont été développées en étroite collaboration avec les instituteurs et institutrices afin de les intégrer au curriculum scolaire et de continuer à les implanter au sein de leur classe. Dans la plupart des cas, des parents étaient présents lors des activités.

Perceptions des participant-e-s à la photovoix à propos de la démarche évaluative

« En ce moment je suis content : je savais comment jouer avec les balles de jonglage. Je savais à quels moments me laver les mains. J’ai aimé le court-métrage, parce que ce fut la première fois que nous y participions moi et mes amis ; maintenant je sais comment prendre des photos et la façon de faire une vidéo. Et enfin, hier comment mes amis et moi avons fait du théâtre. Et aujourd’hui comme les ateliers sont terminés, j’aurais voulu continuer, et maintenant je me sens un peu triste. » (traduction libre). Crédit photo : One Drop 2016

La photovoix a été un succès dans les deux communautés. Les participant-e-s ont fait preuve d’une grande confiance et d’une ouverture face à l’exercice malgré la présence d’intervenants externes (caméraman, traducteur). Ils et elles ont également été très respectueux des consignes (silence pendant le choix, écoute, etc.), ce qui a permis de créer une atmosphère d’échange et de dialogue. Ce constat est accord avec les résultats de plusieurs études (Delgado 2015; Rania et al. 2014).

Comme la photovoix est orientée vers les participant-e-s, les questions préliminaires qui guident une étude sont malléables, ce qui permet une plus grande réactivité aux besoins identifiés des participant-e-s, ainsi que l’exploration de nouveaux domaines de découverte au fur et à mesure qu’ils émergent (traduction libre; Patton 2002, cité par Sutton-Brown 2014, p. 171[4]).

Considérant la grande timidité de certains participant-e-s et tenant compte du défi de la langue maternelle (nahuatl) de ces communautés, la photovoix a facilité la communication des idées à travers le médium visuel comme support à la parole. Les jeunes ont été particulièrement réceptifs aux photographies. Ces dernières étaient un centre de curiosité et d’interaction, ainsi que le point de départ d’une réflexion cognitive : les photos ont permis aux jeunes de se replonger dans le souvenir des moments passés pendant les ateliers et d’amorcer une analyse critique de leur expérience (Strack et al. 2004). La photo sélectionnée joue le rôle du « masque » comme au théâtre, permet d’être soi derrière une image qui nous représente et à travers laquelle les sentiments sont exprimés. La photo est aussi « un miroir de l’âme » offrant aux jeunes de se percevoir en action pour le changement. Le choix de la photovoix pour porter un regard rétrospectif sur les activités d’art social a été jugé pertinent, car elle a permis d’encourager la réflexion personnelle du participant ou de la participante sur les effets que ces activités ont eus sur son individualité et sa place au sein du groupe. La prise de conscience et la responsabilité personnelle sur des enjeux sociaux (dans ce cas-ci des enjeux de santé), dans un contexte où la notion d’appartenance communautaire prime sur l’individualité, ont été favorisées. La photovoix a révélé l’autonomisation des participant-e-s en leur offrant l’espace nécessaire pour être eux-mêmes et elles-mêmes, de développer et exprimer des opinions personnelles dans leur interaction avec le groupe dans une atmosphère respectueuse de partage et d’écoute.

La photovoix s’est avérée ludique et originale. Les jeunes ont tous été très enthousiastes à y participer (Madrigal et al. 2014; Strack et al. 2004). Contrairement à des formes d’évaluation plus traditionnelles (enquêtes, focus groupes) auxquelles elles et ils ont été confrontés tout au long de la mise en œuvre du projet, les participant-e-s ont déclaré s’être amusés, divertis et avoir été touchés émotionnellement. Ils ont pu s’exprimer de façon créative sans avoir l’impression d’évaluer les activités auxquelles ils et elles avaient participé ou d’être évalués. Dans leur étude, Madrigal et al. constatent que l’intégration d’activités artistiques dans un processus de photovoix aide à créer une expérience intéressante et divertissante pour les jeunes tout en cultivant leur esprit d’équipe et leur sens de la communauté.

Les participant-e-s ont de la confiance et de l’assurance pour exprimer leurs idées, que ce soit concernant les aspects positifs comme ceux à améliorer dans les ateliers. Les jeunes ont également affirmé leur individualité et démontré un leadership collectif durant l’exercice tel qu’identifié par Fradet (2012) à travers l’acronyme VOICE : Voicing Our Individual and Collective Experience. Ils ont en effet été en mesure de choisir personnellement, sans l’influence de leurs compagnons participant-e-s à l’activité, leurs photos, et d’émettre des opinions consensuelles et parfois différentes, y compris sur une photo identique. Malgré les barrières de la langue parfois, les jeunes se sont exprimés librement, sans hésitation et sans inhibition.

Analyse réflexive sur la photovoix comme outil d’évaluation

La photovoix a été utilisée pour la première fois par One Drop au Mexique. Le projet d’art social centré sur le changement de comportements a constitué une opportunité de mettre en œuvre des approches d’évaluation innovantes et qualitatives permettant de recueillir les perceptions de participant-e-s issus de communautés indigènes et de mieux comprendre les effets de l’art social, difficilement quantifiables et mesurables à l’aide d’outils traditionnels.

L’art social est une intervention complexe, fortement dépendante de son contexte d’implantation. En ce sens, l’utilisation de la photovoix est appropriée, car elle s’adapte à la culture et au contexte dans lequel vivent les participant-e-s. Par exemple, elle ne nécessite pas de traduction de questionnaire en langue locale et fait appel à la créativité des jeunes tout en favorisant leur libre expression. Cette première expérience a permis d’identifier les forces et les aspects à améliorer dans la conduite de la démarche; nous avons pu capitaliser sur ces apprentissages.

Il faut souligner aussi que la décision d’appliquer la photovoix de façon agile et adaptée a permis d’obtenir des informations utiles et utilisables qui ont contribué à mobiliser et sensibiliser la communauté (qui a rarement l’occasion d’accueillir des activités ludiques pour les jeunes), à améliorer les activités subséquentes dans d’autres projets, à partager les pistes d’amélioration avec les partenaires notamment les artistes et à intégrer la photovoix comme activité à part entière dans le modèle d’intervention en Art Social pour le Changement de Comportement de l’organisation.

Leçons apprises

La sélection et l’impression des photos : une étape importante à planifier

Lors du premier exercice de photovoix dans la première communauté, les dimensions requises (photos suffisamment larges pour faciliter la sélection par les participant-e-s) n’avaient pas été respectées. Il a donc fallu faire preuve d’ingéniosité et réimprimer des photos prises tout au long du projet avec une taille suffisamment grande pour plus de visibilité. Ce contretemps a permis de révéler l’importance de bien planifier une étape aussi anodine que l’impression des photos, notamment en double et bien à l’avance. Les dimensions des photos sont essentielles puisque la photo constitue l’élément principal de l’activité. Plus les photos sont grandes, plus elles permettent aux participant-e-s de comprendre la scène et de se remémorer les moments décrits ou de s’identifier aux photos. Par ailleurs, la diversité des photos et leur nombre (au minimum 6 photos, maximum 10) sont également importants, afin d’offrir un large choix aux participant-e-s et de refléter le plus d’opinions possible.

La langue : un facteur essentiel de participation et d’implication

Le projet a été implanté au sein de communautés parlant le nahuatl, une langue autochtone du Mexique. Dans ce contexte, les interventions de terrain, incluant les collectes de données, devaient prendre en compte la complexité de la communication. Toutes les activités nécessitant de recueillir les perceptions, les commentaires ou les suggestions des populations se réalisaient par conséquent en nahuatl. Cela permettait une plus grande fluidité et mettait les participant-e-s en confiance. Il a été observé à plusieurs reprises que les personnes participant au projet avaient beaucoup de plus facilité à s’exprimer dans leur langue maternelle qu’en espagnol.

Ainsi, durant l’exercice de la photovoix, le choix a donc été laissé aux participant-e-s de s’exprimer en nahuatl ou en espagnol. Les participant-e-s ont décidé en grande majorité de s’exprimer en nahuatl. Étant donné qu’une partie des facilitateurs et facilitatrices de l’exercice ne maîtrisaient pas le nahuatl, une participante a volontairement procédé à la traduction durant l’intervention. De ce fait, cette participante n’a pas été en mesure de participer pleinement à l’activité. Pour éviter cette situation, un traducteur indépendant a été engagé pour procéder à la traduction simultanée durant l’exercice de photovoix dans la deuxième communauté. Wang et Burris (1997) suggèrent que la photovoix soit adaptée aux besoins des participant-e-s de façon flexible. La question de la langue de communication choisie pour mener l’activité a donc été essentielle dans le cadre de la photovoix et des autres activités menées dans cette région du Mexique. Afin que les participant-e-s comprennent l’exercice et participent pleinement, en étant en mesure de s’exprimer facilement, il est indispensable de créer un environnement favorable à leur implication. Ceci suppose de prendre en compte la langue dans laquelle les participant-e-s sont le plus à l’aise pour s’exprimer et de planifier un système de traduction simultanée si nécessaire pour favoriser les interactions. Le fait de pouvoir parler sa propre langue augmente la qualité de données collectées. Les émotions s’expriment plus facilement en langue maternelle, et donc l’information collectée est plus fiable. Incontestablement, la traduction comporte le risque d’introduire un biais d’interprétation des propos des participant-e-s. Une alternative serait de former des acteurs et actrices de la communauté à la démarche et d’inclure ce volet de renforcement des capacités dès la planification de projet. Ainsi, la validité de la démarche, son ancrage communautaire et la durabilité seront renforcés.

Le caractère innovant de la méthode et son contexte d’application : des éléments indispensables à prendre en compte

Dans le contexte du projet, les communautés avaient l’habitude de participer à des activités de suivi et d’évaluation traditionnelles (enquêtes démographiques) effectuées par les intervenant-e-s, et n’avaient jamais été confrontées à une méthode innovante comme la photovoix. Celle-ci met en avant la créativité, la réflexion basée sur le souvenir, et implique que les participant-e-s expriment, à partir d’un exemple concret, leurs émotions et leurs opinions sur les activités décrites sur les photos.

Néanmoins, cette méthode était relativement déstabilisante au départ pour certains participant-e-s. Les facilitateurs et les facilitatrices ont donc accordé une attention particulière à l’explication des objectifs et du déroulement de l’activité. Il était également essentiel de procéder à une écoute active et d’être en mesure de stimuler la réflexion des participant-e-s pour qu’ils et elles aillent au bout de leur pensée et ne se limitent pas à une simple description de la photo choisie.

Par ailleurs, les participant-e-s étant jeunes et n’ayant pas eu l’occasion d’être confrontés au matériel visuel qu’est la photographie, il leur a fallu du temps au début de l’activité pour se familiariser avec les photos, réagir, échanger, et parfois rire, avant de pouvoir se concentrer à nouveau et répondre à la consigne de l’exercice. C’est notamment pour cela que dans la deuxième communauté, un jeu brise-glace a été organisé avec les jeunes à partir des photos pour les mettre à l’aise et les préparer à l’activité avant de solliciter la leur pleine concentration. La prise en compte du contexte dans lequel est menée l’activité et de l’audience, en l’occurrence peu habituée à des méthodes d’évaluation innovantes et au matériel photographique, est donc essentielle dans la planification de l’activité. Elle nécessite une bonne capacité d’adaptation et d’ajustement en temps réel de la part de l’animateur ou de l’animatrice. Une bonne connaissance de la réalité culturelle et sociale où se réalise l’activité permet de meilleures organisation, planification et participation à l’activité.

L’analyse de l’activité : un processus long et complexe

L’analyse des données issues de la photovoix (prise de notes, enregistrements de l’activité, propos des participant-e-s, photos sélectionnées) a constitué un défi important compte tenu de la longueur du processus et de l’importance d’obtenir des données valides et utilisables rapidement.

Pour être en mesure d’analyser les propos des participant-e-s, la prise de notes a été privilégiée dans la première communauté. Toutefois, cette tâche s’est avérée complexe, en particulier en raison de la barrière de la langue (le preneur de notes ne comprenait pas le nahuatl) et de la rapidité des échanges. Dans le cas de la deuxième communauté, il a donc été décidé d’enregistrer et de filmer l’activité avec l’accord préalable des participant-e-s et de leurs parents afin de pouvoir observer a posteriori les images et mieux rendre compte du déroulement et des résultats de l’activité.

Par la suite, et comme décrit précédemment, plusieurs étapes d’analyse ont été menées afin de répondre aux objectifs fixés (recueillir les perceptions des participant-e-s par rapport aux ateliers d’art social et mieux comprendre les effets de l’art social sur l’acquisition de connaissances et d’aptitudes artistiques). Le processus a nécessité du temps, des ressources humaines spécialisées (en recherche et évaluation participative) et disponibles pour réaliser une analyse intégrée et participative prenant en compte la complexité du contexte d’intervention et une bonne connaissance du projet.

Conclusion

La photovoix a permis de répondre à l’objectif d’évaluation qui consistait à mieux comprendre les perceptions des participant-e-s relativement aux ateliers artistiques et pédagogiques centrales aux projets d’art social de One Drop. Participative, ludique et favorisant le dialogue, cette démarche évaluative a été respectueuse des participant-e-s et s’est adaptée au contexte d’implantation tout en inscrivant dans la continuité des activités artistiques.

Il peut être difficile pour les chercheuses et chercheurs d’observer certains des comportements les plus importants d’une communauté, en particulier lorsque cette communauté se méfie des étrangers, est isolée, mal desservie, opprimée ou opérant sans langage écrit. Dans ces situations, une recherche observationnelle menée par des étrangers peut conduire à une vision biaisée et inexacte de la communauté qui peut alors aboutir à une mauvaise compréhension de ses besoins, de ses atouts et de ses valeurs culturelles (…) [La photovoix] est très utile lorsqu’elle est employée au début d’un projet, ainsi que pendant l’étape d’évaluation et d’analyse pour mesurer le succès et la validité. (Haldenby, T. date non renseignée, traduction libre[5]).

Même si les participant-e-s n’étaient pas les auteurs et autrices des photographies, ils et elles en étaient les acteurs et actrices et à ce titre, ont pu se découvrir dans leur environnement, en action et en collaboration avec leurs pair-e-s. L’image a suscité des réactions spontanées avant de favoriser la réflexion et la discussion. La voix a été donnée aux jeunes participant-e-s à travers la photo et le dessin, des canaux privilégiés pour le partage d’expérience et l’expression de ses perceptions, émotions, et opinions souvent non prises en compte par les adultes. La mise en œuvre de cette démarche présente des défis qui ne remettent pas en cause son potentiel d’apprentissage et transformation individuelle et collective.

À la suite de cette expérience, One Drop a opté pour l’utilisation de la photovoix comme intervention en plus de l’appliquer comme démarche évaluative, car elle comporte les avantages des interventions basées sur les arts (Jagiello, 2015; Coholic et al. 2012; Djurichkovic 2011). Ainsi, elle rejoint l’ensemble des activités d’art social (théâtre d’intervention, ateliers artistico-pédagogiques, documentation et média) utilisées dans ses projets d’accès à l’eau, l’hygiène et l’assainissement.

Enfin, cette activité a aussi généré des produits visuels (photos, vidéos, dessins) et permis de fournir des informations plus générales sur la dynamique sociale au sein des communautés ciblées. Les résultats ont été diffusés auprès des partenaires du projet, de la communauté, mais aussi auprès d’acteurs et actrices du secteur eau, hygiène et assainissement.

Références clés

Wang, C. et Burris, M. A. (1997). Photovoice : Concept, methodology, and use for participatory needs assessment. Health education & behavior, 24(3), 369-387.

Dans cet article, Wang et Burris, considérées comme des pionnières de la photovoix, dressent un portrait global de la méthodologie. Elles en présentent les origines, les avantages et les limites. Ensuite, les implications pratiques, les éléments facilitants et les contraintes sont analysées à la lumière d’un projet d’évaluation participative des besoins mis en œuvre au sein d’une communauté chinoise.

Fradet, L. (2012). Guide de la méthode photovoix. https://sites.google.com/site/rappratique/outils-et-documentation/guide-methode-photovoix

Dans ce guide pratique, Lucie Fradet présente étape par étape la méthode photovoix dans le cadre d’une recherche-action participative. De la préparation à l’évaluation, en passant par la collecte et l’analyse des données, la photovoix est traduite en actions. Le guide vulgarise les concepts théoriques et méthodologiques associés à la photovoix tout en offrant à toute personne souhaitant l’utiliser des « trucs et astuces» pour en faire un succès.

Mackinnon, S. et Ryan, L. (2015). Photovoice: Through the lens – A case study. Youth Engagement in Health Promotion. Vol 1. No.1

Mackinnon et Ryan démontrent, dans cette étude de cas conduite en Ontario, la pertinence d’utiliser la photovoix comme outil favorisant la discussion avec des jeunes. A travers l’alliance de la photographie et des récits, leurs perceptions sont prises en compte dans la définition de ce qu’est une communauté en santé. La photovoix est égelament présentée comme une stratégie de promotion de dialogue avec les décideuses et décideurs au sein de la communauté. L’auteur conclut que la photovoix est une méthode de recherche-action participative particulièrement efficace en promotion de la santé, notamment à travers le concept d’empowerment (autonomisation) des communautés.

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Wang, C. et Burris, M. A. (1997). Photovoice : Concept, methodology, and use for participatory needs assessment. Health education & behavior, 24(3), 369-387.

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World Health Organization et UNICEF. (2015). Progress on sanitation and drinking water: 2015 update and MDG assessment.
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Résumé / Resumen / Abstract

Utiliser des méthodes évaluatives adaptées à la fois au contexte d’intervention, à l’objet de l’évaluation et aux populations ciblées est essentielle en évaluation de programmes. Toutefois, cela comporte des défis non négligeables dans le cas d’interventions complexes et de communautés marginalisées. Dans ce chapitre, nous présentons une méthode d’évaluation participative utilisant la photo comme support d’expression -la photovoix-, particulièrement adaptée aux jeunes et aux communautés autochtones ciblées par un projet d’accès à l’eau, l’hygiène et l’assainissement au Mexique. Cette méthode qualitative a aussi été choisie pour son caractère créatif et artistique permettant de répondre à l’objectif de l’évaluation : évaluer les perceptions des jeunes par rapport aux activités artistiques auxquelles ils ont participé dans le cadre de la composante Art Social pour le Changement de Comportement ; les encourageant à adopter de meilleures pratiques en lien avec l’eau potable et l’hygiène. Les forces et les faiblesses de cette méthode sont exposées et le processus méthodologique décrit en détail. Les résultats de l’intervention mis en évidence par ce processus sont brièvement présentés et enfin, les leçons tirées de l’application de la photovoix sont décrites afin d’encourager l’utilisation de cette méthode qui s’est avérée particulièrement utile et concluante dans le cas présenté.

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Para la evaluación de programas, es esencial usar métodos evaluativos que sean adaptados al contexto de la intervención, al objetivo de la evaluación y a las poblaciones meta. Sin embargo, esto representa un desafío para intervenciones complejas y para comunidades marginadas. En este capítulo, presentamos un método de evaluación participativa que utiliza la foto como apoyo para la expresión, llamado fotovoz, el cual está particularmente adaptado a los jóvenes y a las comunidades indígenas de un proyecto de acceso a agua, saneamiento e higiene en México. Se escogió este método también por sus características creativas y artísticas, alineado con el objetivo de la evaluación : evaluar las percepciones de los jóvenes en cuanto a las actividades artísticas en las cuales participaron en el contexto del componente de Arte Social para el Cambio de Comportamiento del proyecto, el cual promovía buenas prácticas relativas al agua potable y a la higiene. Se identifican las fortalezas y debilidades de este método y se describe el proceso metodológico en detalle.  Se presentan brevemente los resultados de la intervención puestos en evidencia por este proceso y finalmente se describen las lecciones aprendidas de la aplicación de la fotovoz, con el fin de promover la utilización de este método que resultó muy útil y exitoso en el caso presentado.

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In program evaluation, it is essential to use evaluation methods which are adapted to the intervention context, the evaluation objective and the target populations. However, this is quite challenging in the case of complex interventions and of marginalized communities. In this chapter, we are presenting a participatory evaluation method, called photovoice, using photos as a support for expression. This choice was particularly adapted to the youth and the indigenous communities targeted by a project of access to water, sanitation and hygiene in rural Mexico. This qualitative method was also selected for its creative and artistic characteristics, well suited to the evaluation objective : to assess the youth’s 
perceptions regarding the artistic activities they had participated in, as part of the Social Art for Behavior Change component of the project, to promote the adoption of adequate practices related to safe water and hygiene. The method’s strengths and weaknesses are outlined and the methodological process is described in detail. Findings from the evaluation are briefly presented, as well as lessons learned from the use of photovoice, in an effort to promote the application of this method which proved to be very useful and successful in the case studied.

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Lynda Rey est spécialisée dans l’utilisation d’approches innovantes en évaluation de programmes et planification stratégique. Elle réalise des mandats diversifiés en santé publique, développement international et gestion des ONG notamment auprès d’organisations publiques, privées et communautaires, de fondations et institutions académiques à travers le monde. Récemment, elle a dirigé l’unité de suivi, évaluation et gestion des connaissances à One Drop, une fondation basée à Montréal qui investit dans des projets d’accès à l’eau, l’hygiène et l’assainissement intégrant l’art social pour le changement de comportements. Lynda Rey est titulaire d’un doctorat en Santé publique et d’un diplôme en Analyse et Évaluation des interventions en santé de l’Université de Montréal. Elle a également obtenu deux maîtrises en France; l’une en Sciences politiques et relations internationales de Sciences-Po Aix et l’autre en Coopération internationale et Politiques de développement de la Sorbonne.

Wilfried Affodégon est ingénieur agroéconomiste. Il est également titulaire d’un master en Management. Actuellement, il est candidat au doctorat en Science politique à l’Université Laval, Québec-Canada. Il a travaillé pendant environ une décennie pour les programmes d’aide au développement international en tant que spécialiste en suivi et évaluation. À ce titre, il a utilisé la vidéo participative qui est une variante de l’approche photovoix pour l’évaluation des appuis de la coopération danoise aux communautés agricoles au Bénin. Il est également spécialiste des institutions parlementaires, du management public, de la mesure de la performance et de l’évaluation de l’action publique ainsi que des méthodes de recherche en science politique.

Isabelle Viens est diplômée en arts dramatiques de l’Université du Québec à Montréal. Elle collabore, depuis plus de 25 ans, à des projets de développement international qui l’ont amenée à vivre des expériences riches et humaines en travaillant à partir de l’art comme source de transformation sociale. Depuis les 10 dernières années, elle a fait de l’Amérique Centrale sa maison. Actuellement, elle est gestionnaire d’interventions en art social pour le changement de comportement en Amérique latine pour la Fondation One Drop.

Hind Fathallah est spécialiste en évaluation de projets de développement international. Elle est présentement conseillère en suivi, évaluation et apprentissage auprès de la fondation One Drop à Montréal, où elle combine son expertise en développement international et son expérience en évaluation de projets en art social et en changement de comportements liés à l’eau, l’hygiène et l’assainissement, en Afrique de l’Ouest, en Amérique latine et en Inde. Elle est passionnée par le développement international et les méthodes évaluatives participatives et innovantes. Elle détient une maîtrise en coopération internationale de Sciences Po Lyon (France) et a travaillé auprès de diverses organisations à but non lucratif en France et au Canada.

Maria José Arauz est spécialiste en évaluation de programmes. Elle détient une maîtrise en santé publique de l’Université de Montréal et possède plus de 7 ans d’expérience en évaluation de programmes et recherche évaluative. Maria a travaillé dans des projets de développement international, de changement de comportement, de santé publique, de santé mentale, de déterminants sociaux de la santé et de développement social et auprès des groupes divers comme des populations rurales, autochtones et immigrantes. Maria favorise les approches participatives, créatives et axées sur l’utilisation des résultats de l’évaluation.

Citation

Lynda Rey, Wilfried Affodégon, Isabelle Viens, Hind Fathallah et Maria-Jose Arauz. (2019). La méthode photovoix. Une intervention auprès de populations marginalisées sur l’accès à l’eau potable, l’hygiène et l’assainissement au Mexique. In Évaluation des interventions de santé mondiale. Méthodes avancées. Sous la direction de Valéry Ridde et Christian Dagenais, pp. 83-123. Québec : Éditions science et bien commun et Marseille : IRD Éditions.


  1. Le projet dont l'exemple nourrit ce texte a été financé par la Fondation One Drop que nous remercions.
  2. Art-based evaluation 101 prepared for ArtReach Toronto by Margo Charlton of Resonance Creative Consulting Partners. G.O.A.L. YOUTH Workshop Series. http://www.artreachtoronto.ca/toolkits
  3. Comme dans le cas du photolangage, les photos ont été prises par l’équipe de projet, mais les objectifs visaient la conscientisation des jeunes et ont encouragé leur analyse critique quant à leur participation aux différents ateliers, comme ce qui est préconisé dans le cas d’une démarche de photovoix.
  4. As photovoice is participant-directed, the preliminary questions that guide a study are malleable. This openness allows for increased responsiveness to the participants’ identified needs, as well as for the exploration of new areas of discovery as they emerge.
  5. It can be difficult for researchers to observe some of a community’s most important behaviors, particularly when that community is wary of outsiders, isolated, underserved, oppressed or operating without written language. In these situations, observational research conducted by outsiders can result in a skewed and inaccurate view of the community, which can then result in a poor understanding of its needs, assets and cultural values (…) [Photovoice] is most useful when employed at the front-end of a project, as well as during the evaluation and analysis stage to gauge success and validity. http://designresearchtechniques.com/casestudies/photovoice/ consulté en octobre 2016

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