3 Les questions liées à la lutte contre le terrorisme national et international au Niger
Pour mieux comprendre la menace terroriste au Niger, il est important de pouvoir identifier les individus présumés terroristes, mais aussi les groupes terroristes opérant sur le territoire nigérien. La connaissance des causes de la radicalisation est aussi une composante fondamentale de la lutte contre le terrorisme. Dès lors, la lutte antiterroriste passe nécessairement par la compréhension de la doctrine djihadiste. En effet, il est important de savoir qui sont ces présumés djihadistes. D’où viennent-ils? À quel mouvement ou courant religieux appartiennent-ils? Pour cette raison, les magistrat-e-s en charge de la lutte doivent maîtriser le phénomène djihadiste et les causes de la radicalisation de ces jeunes. On constate en effet que, lors des procès terroristes, les juges posent souvent des questions comme : « Êtes-vous djihadiste? Est-ce que vous avez étudié le Coran? Quelle école avez-vous fréquentée? Est-ce que vous connaissez ou avez entretenu des liens avec Abubakar Shekau? En réponse à ces questions, les mis en cause répondent toujours par la négation en niant avoir tout lien avec le djihadisme ou le terrorisme. Or, une parfaite connaissance de la doctrine et même des enquêtes internes[1] menées auprès des détenus djihadistes dans les prisons, permettrait de mieux connaître leur lien avec le terrorisme djihadiste et donc d’identifier les individus et les groupes terroristes. Une formation des magistrat-e-s chargé-e-s de la lutte contre le terrorisme en matière de djihadisme et de radicalisation serait, à notre avis, indispensable pour rendre le traitement judiciaire encore plus efficace.
3.1 L’identification des acteurs du terrorisme
L’analyse de l’identification des individus et des groupes terroristes nécessite avant tout un examen de la doctrine djihadiste, mais aussi de la radicalisation.
3.1.1 La doctrine djihadiste
Le djihadisme ou jihadisme[2][] vient du mot djihad qui renvoie à « l’effort spirituel personnel » ou encore à « l’effort sur soi pour tenter de maîtriser ses passions et pulsions ». Les auteurs distinguent souvent le djihad majeur du djihad mineur. La lutte contre les défauts est un « djihad majeur » alors que la lutte armée n’est qu’un « djihad mineur ». Le djihad est souvent considéré comme une obligation défensive temporaire. Le terme jihad, devenu si commun dans les médias, semble porter à lui seul toute la charge du danger que représentent les organisations terroristes. Le terme « jihadisme »[3] et son adjectif « jihadiste » signifient avant tout une idéologie extrémiste qui a sa source d’inspiration explicite dans l’islam. C’est une idéologie politique et religieuse islamiste qui prône l’utilisation de la violence, afin d’instaurer un État islamiste ou de rétablir un califat. Si le mot est dérivé du terme « djihad », cela ne signifie pas pour autant que le djihad, un élément important de l’islam. En revanche, le djihadisme, lui, est clairement violent, d’où l’utilisation fréquente de l’expression « terrorisme jihadiste ».
Le djihadisme moderne a fait son apparition au cours des années 1980 pendant la guerre d’Afghanistan. Dans le contexte de ce conflit, émerge notamment la figure d’Abdallah Azzam, considéré comme le père fondateur du djihadisme. À partir des années 1980 et 1990 apparaît le salafisme djihadiste, traduction de l’arabe salafiyya jihadiyya, qui a ses racines chez des penseurs musulmans radicaux comme Abou Qatada, Abou Moussab al-Souri ou Abou Mohammed al-Maqdisi, et qui s’étend à l’ensemble du monde musulman pour devenir le principal courant du djihadisme. Au début du XXIème siècle, des organisations terroristes islamistes comme Al-Qaïda, l’État islamiste ou Boko Haram, se réclament du salafisme djihadiste.
Toutefois, les spécialistes ne partagent pas la même définition du djihadisme. En effet, pour certains spécialistes, ce terme renvoie uniquement au salafisme[4] djihadiste, tandis que d’autres l’appliquent à des mouvements non sunnites, notamment chiites.
Selon Antoine Sfeir, le djihadisme est le fruit de la synthèse entre le courant traditionaliste wahhabite et la stratégie des Frères musulmans. Il suit une « ligne révolutionnaire, base intellectuelle du terrorisme et des opérations suicide, encourageant des actions violentes contre les Occidentaux », fondée sur la pensée du Frère musulman égyptien Sayyid Qutb et celle de l’écrivain jordano-palestinien Abou Mohammed al-Maqdisi, et obligeant d’affronter ceux « qui oppriment les musulmans pieux », qu’ils soient musulmans ou non.
Pour David Bénichou, Khosrokhavar, Fahrad, Migaux Philippe, le jihadisme puise non seulement sa légitimité à l’intérieur de l’islam, mais aussi de l’état des sociétés musulmanes. Ainsi, le Jihadisme n’est pas l’islam, mais une version ultra-minoritaire de cette religion[5].
Pour Mathieu Guidère, le jihadisme se nourrit de l’islam politique. Autrement dit, c’est l’évolution de l’islam politique qui conduit au jihadisme : « l’islam politique est la formule consacrée pour désigner les formes d’expression idéologiques qui se revendiquent de la religion musulmane »[6].
Quels sont les groupes terroristes qui opèrent au Sahel?
3.1.2 Les groupes terroristes (djihadistes) opérant au Sahel
Si on regarde l’histoire récente des pays du Sahel de ces dernières décennies, le premier contact des groupes djihadistes avec les pays subsahariens, remonte au milieu des années 1990 avec le transfert des détenus des attentats commis en France (dans le métro parisien)[7]. Après avoir été jugés et condamnés en France, ces auteurs ont été transférés au Burkina Faso pour purger leur peine. C’est Charles Pasqua, à l’époque ministre de l’Intérieur, qui a négocié le transfert de ces détenus au Burkina Faso. La présence de ces détenus en Afrique a permis, d’une certaine façon, aux réseaux djihadistes de tisser des liens avec leurs frères détenus en vue de leur libération. Il faut aussi le dire, la répression des groupes djihadistes en Algérie, suite à la guerre civile (1991-2002), a poussé bon nombre de groupes djihadistes à se replier dans les pays du Sahel et à créer des cellules dormantes (katibats). Plus tard, des groupes djihadistes locaux tels que Boko Haram, Ansar Dine, MOJAO[8] se sont formés et le phénomène terroriste s’est accentué au Niger avec la situation de ses pays limitrophes, particulièrement instables depuis la chute du régime libyen du colonel Kadhafi en 2011. En effet, la Libye faisait face à une reprise des actions terroristes et le Mali a connu une situation de conflit. Les cibles de ces groupes terroristes sont la population, les forces de défense et de sécurité (FDS), les représentants de l’État, les expatriés occidentaux, les établissements pénitentiaires, les lieux de culte, les marchés, les bars, les hôtels… Parmi les actions terroristes menées par ces groupes sur le territoire nigérien, on peut citer le double attentat survenu à Agadez et à Arlit le 23 mai 2013[9] et l’attaque[10] de la prison centrale de Niamey le 1er juin 2013. Par la suite, un groupe armé a attaqué la prison de Ouallam (le 30 octobre 2014) à 100 km au nord de Niamey, et libéré plusieurs détenus. Et le 17 octobre 2017, des hommes armés ont attaqué la prison de Koutoukalé.
Le groupe AQMI
Le 25 janvier 2007, le Groupe salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC), reconnu quelques mois plus tôt par Oussama ben Laden, devient officiellement Al-Qaïda[11] au Maghreb islamique (AQMI), ou plus précisément « l’Organisation d’Al-Qaïda au Pays du Maghreb Islamique », formant ainsi une nouvelle branche d’Al-Qaïda. Il est dirigé par Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussaab Abdelouadoud. Son objectif principal est le combat, par le recours au djihad, contre les « ennemis de l’islam ». Ce combat participe, avec les autres branches régionales, à l’objectif global d’Al-Qaïda : la renaissance d’un califat sur l’ensemble de la Oumma (communauté musulmane), régi par la charia (loi islamique). Cette nouvelle appellation correspond également à un tournant international du groupe algérien qui progressivement oriente son combat de « l’ennemi proche ou intérieur » (l’Algérie) à des actions visant « l’ennemi lointain ou extérieur » (pays occidentaux et leurs alliés). Toutefois, l’extension régionale d’AQMI au Sahel date du temps du GSPC, au début des années 2000. Ce basculement stratégique vers le sud a notamment été motivé par la volonté de fédérer les différents groupes djihadistes du Maghreb et du Sahel. AQMI a commis de nombreux actes terroristes[12] qui ont défrayé la chronique. Le chef suprême d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) est Abdelmalek Droukdel.
Boko Haram
Mouvement insurrectionnel et terroriste d’idéologie salafiste djihadiste, originaire du nord-est du Nigeria, Boko Haram[13] est formé en 2002 à Maiduguri par le prédicateur Mohamed Yusuf. Le groupe est à l’origine d’un mouvement qui prône un islam radical et rigoriste, hostile à toute influence occidentale. Son appellation d’origine est « groupe sunnite pour la prédication et le djihad », avec pour objectif d’instaurer un califat et d’appliquer la charia. En 2009, Boko Haram lance une insurrection armée dans laquelle Mohamed Yusuf trouve la mort. En 2010, Abubakar Shekau prend la tête du mouvement qui devient un groupe armé et se rapproche des thèses djihadistes d’Al-Qaïda, puis de l’État islamique. Le 7 mars 2015, Boko Haram, qui avait entretenu des liens avec AQMI dans une logique d’internationalisation, prête allégeance à l’État Islamique (EI). Le groupe prend alors le nom d’« État islamique en Afrique de l’Ouest » et devient officiellement une « province » (wilaya) de l’EI dans la région. La branche d’Habib Yusuf (alias Abou Mosab al-Barnaoui), officiellement désigné à la tête du groupe par l’EI en août 2016, et celle restée fidèle à l’ancien leader de l’organisation, Abubakar Shekau, ont contribué à affaiblir le mouvement. Enfin, la reconnaissance officielle de l’État islamique dans le Grand Sahara comme nouvelle branche de l’EI au Sahel est venue renforcer l’implantation du groupe dans la région. En décembre 2012, le célèbre djihadiste algérien Mokhtar Belmokhtar (MBM) officialise sa rupture avec la branche maghrébine d’Al-Qaïda. Quelques mois plus tard, il annonce la fusion de sa Brigade des Enturbannés avec une partie des hommes du MUJAO, un groupe également issu d’une scission d’AQMI. Cette alliance donnera naissance à l’une des organisations djihadistes les plus puissantes du Sahel : Al-Mourabitoun (« Les Almoravides »).
Boko Haram est à l’origine de nombreux massacres, attentats et enlèvements à l’encontre de populations civiles de toutes confessions, au Nigeria mais aussi au Cameroun, au Niger et au Tchad. Pour le cas du Niger, plusieurs présumés djihadistes qui ont été arrêtés ou qui sont poursuivis, sont supposés être de Boko Haram.
Même si la première attaque de Boko Haram en territoire nigérien, sur la ville de Diffa et la bourgade de Bosso, dans le sud-est du pays, à proximité du Nigeria, s’est produite le 6 février 2015, cela faisait plusieurs années que le Niger était affecté par la crise humanitaire chez son voisin, notamment en accueillant des dizaines de milliers de réfugiés. En effet, dès 2007, Boko Haram s’est installé dans la région de Diffa, avec la création d’une base « kâtiba » et de réseaux dormants dans les localités environnantes (Maine-Soroa, Bosso, Kila, Kam, Chetimari, Bagara). En 2009, ce groupe a tenté de s’imposer, notamment au sein de la mosquée du marché central de Diffa. La virulence des prêches, dénoncée par des membres des mouvements confrériques, a amené les autorités à interdire l’accès de cette mosquée aux membres du groupe, qui se sont alors retirés dans des villages voisins. Parallèlement à ce phénomène d’endoctrinement, des militants de Boko Haram avaient trouvé refuge au Niger et au Cameroun en 2009, notamment après les actions de répression menées par l’armée nigériane. Ces militants constitueraient par conséquent des « cellules dormantes » de Boko Haram[14]. En outre, dès 2012, plusieurs événements ont montré que Boko Haram était bel et bien actif dans le sud du pays où des suspects ont été arrêtés. Jusqu’en 2014, les forces de sécurité nigériennes étaient davantage mobilisées contre les groupes armés et les trafiquants opérant aux frontières avec la Libye et le Mali qu’à ce qui se déroulait à la frontière nigériane. Fin 2014, le Niger a connu un flux important de réfugiés, ce qui a facilité l’incursion de nombreux combattants de Boko Haram et a conduit les autorités à déployer un important dispositif militaire à la frontière avec le Nigeria, baptisé « Ingar » (« bouclier » en langue kanouri) et qualifié de « plus grande opération militaire jamais montée au Niger ». Entre 2015 et février 2019, de nombreux affrontements[15] se sont produits entre l’armée nigérienne et Boko Haram (le dernier remonte au 16 février 2019 à Chetimarie – base militaire).
Ansar Dine ou Ansar Eddine
Ansar Dine ou Ansar Eddine est un groupe armé salafiste djihadiste fondé et dirigé par Iyad Ag Ghali. Il est apparu au début de l’année 2012 et est l’un des principaux groupes armés participant à la guerre du Mali. Le 1er mars 2017, Ansar Dine fusionne avec plusieurs autres groupes djihadistes pour former le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, qui reste sous la direction d’Iyad ag Ghali. Le 18 mars 2012, dans un communiqué adressé à l’AFP, Ansar Dine affirme combattre pour instaurer la charia à l’ensemble du Mali. Dès le début de la guerre du Mali, Ansar Dine s’allie avec Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI).
Al-Mourabitoun
C’est une organisation militaire terroriste qui est née de la collaboration entre les Enturbannés (Al-Moulatham) et le MUJAO. Cette collaboration s’est concrétisée dans le sang le 23 mai 2013, lorsque les Enturbannés et le MUJAO signent conjointement pour la première fois un double attentat suicide à Agadez et Arlit (Niger) contre la société française Areva et l’armée nigérienne. Cette opération est l’acte de naissance de l’alliance entre les deux organisations, officialisée trois mois plus tard par la création d’Al-Mourabitoun. La création d’Al-Mourabitoun loin d’être l’expression d’une unique guerre de leadership au sein d’AQMI répond à un projet politique et idéologique cher à Belmokhtar : faire revivre l’unité et la puissance perdue de la dynastie des Almoravides qui régna il y a plusieurs siècles entre le Sahel et le Maghreb. Le récent ralliement d’Al-Mourabitoun à AQMI, officialisé en décembre 2015, fait de MBM le nouvel homme fort d’Al-Qaïda dans le Sahel. En effet, le 22 août 2013, Belmokhtar et le malien Abderrahmane Ould el-Amar, alias Ahmed al-Tilemsi, figure influente du MUJAO, annoncent dans un communiqué conjoint la fusion des Enturbannés (comprenant la section des Signataires par le sang) et d’une partie du MUJAO « au sein d’une même Jamaa dénommée Al-Mourabitoun dans la perspective de réaliser l’unité des musulmans du Nil à l’Atlantique ». L’objectif affiché d’Al-Mourabitoun est de créer un mouvement d’envergure continentale « qui regroupe tous les moudjahidines[16] et musulmans d’Afrique ». Cette ambition se retrouve dans le nom exact avec lequel l’organisation signe ses communiqués : « Al-Mourabitoun-Al-Qaïda pour le djihad en Afrique ». À travers ce nouveau groupe, MBM poursuit ainsi l’objectif d’élargir la zone d’action traditionnelle d’AQMI dont l’appellation reste attachée à la région du « Maghreb ». Par ailleurs, la création d’Al-Mourabitoun est présentée dans le communiqué de fondation comme « une question de survie » de la mouvance djihadiste dont les troupes sont décrites comme étant éparpillées et les opérations trop mineures. Le communiqué appelle ainsi « toutes les organisations islamiques » à s’entraider pour « contrecarrer les forces laïques qui s’érigent contre tout projet islamique » et menace de s’attaquer spécifiquement aux intérêts français. Sur le plan idéologique, Al-Mourabitoun affirme s’inspirer de la doctrine d’Al-Qaïda et des Talibans dont l’action des leaders respectifs, Ayman al-Zawahiri et Mohammad Omar (plus connu sous le nom de mollah Omar), est saluée. Le 21 juillet 2015, elle adopte dans ses communiqués le nom d’Al-Mourabitoun-Al-Qaïda pour le djihad en Afrique de l’Ouest, puis Al-Mourabitoun-Al-Qaïda pour le djihad en Afrique à partir du 13 août 2015. Le 13 mai 2015, une tendance du groupe menée par Adnane Abou Walid al-Sahraoui prête allégeance à l’État islamique et forme l’État islamique dans le Grand Sahara. L’autre tendance, menée par Mokhtar Belmokhtar, rallie officiellement Al-Qaïda au Maghreb Islamique le 4 décembre 2015. Al-Mourabitoun cesse alors d’exister comme groupe indépendant pour devenir une katiba d’AQMI. Le 1er mars 2017, elle intègre le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Al-Mourabitoun est actif au Maghreb et au Sahel, plus précisément dans la région de Gao, au Mali, et au nord du Niger (frontière Niger-Mali).
Profil type des recrues des groupes djihadistes : AQMI et Boko Haram
Toutes les études montrent une diversification des profils[17]. L’âge des djihadistes varie de 15 à 70 ans. Le phénomène d’engagement touche les familles avec le départ au djihad de familles entières. Les femmes sont souvent les épouses des présumés djihadistes ayant accompagné ou rejoint leur mari, parfois accompagnées de leurs enfants. Les jeunes djihadistes ont souvent un niveau de formation élémentaire et ont fréquenté les écoles coraniques suite à un échec scolaire. Ces personnes sont pour la plupart des ruraux et beaucoup sont issues d’un milieu pauvre pratiquant au gré des saisons plusieurs activités (agriculture, commerce, élevage, pêche). Il s’agit là d’une population vulnérable, susceptible d’être tentée par les propositions financières alléchantes des groupes djihadistes. Mais depuis l’occupation du Mali, on pouvait constater un afflux de jeunes issus de toutes les régions et de différentes classes sociales. Ce voyage initiatique dans des zones (Nigeria, Libye, Syrie, Irak) où sévit le djihad est un phénomène nouveau dans le paysage religieux sahélien. L’émergence de ce « djihad local » a eu pour conséquence de démultiplier la menace dans l’ensemble de la sous-région. Ces nouveaux combattants, souvent très jeunes, se fondent en effet parfaitement dans la population locale et font peser sur les États ouest-africains comme le Niger, une menace désormais endogène et diffuse.
3.1.3 La mise en place d’un fichier national des auteurs présumés d’actes terroristes
Même s’il n’y a pas eu la formation d’un groupe djihadiste sur le sol nigérien, de type Boko Haram, Ansar Dine ou MUJAO, nombre de Nigériens participent aux opérations des groupes djihadistes. Il est en effet unanimement reconnu que beaucoup de Nigériens sont dans le mouvement Boko Haram, de même que dans les groupes djihadistes au nord du Mali tels que Al-Mourabitoun et AQMI, mais aussi dans les groupes djihadistes en Libye, en Syrie ou encore en Irak. Mais ces djihadistes nigériens ne sont pas formellement identifiés. On ne connait pas grand-chose sur ces individus. Cela est sans nul doute dû au fait qu’il n’existe pas au Niger de fichier national des présumés djihadistes. Les individus ne sont pas identifiés. Des combattants nigériens se trouvent certainement dans le Sud libyen et des Nigériens ont été signalés parmi les groupes djihadistes libyens, syriens et en Irak auprès de l’État Islamique. Ces combattants sont libres de leurs mouvements dans la mesure où ils partent et reviennent sans être inquiétés. L’identification des présumés djihadistes, par la mise en place d’un fichier national, pourrait à coup sûr permettre une lutte encore plus efficace contre le terrorisme au Niger. Qu’est-ce que le fichier national des présumés djihadistes? Ce fichier peut être conçu d’après le modèle français[18] et contenir un certain nombre d’informations telles que le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance, la nationalité, les adresses successives, les déplacements transfrontaliers de la personne concernée et les décisions prononcées à son encontre (terrorisme), s’il y en a, et la durée pour laquelle la personne a été inscrite dans ledit fichier. Dans la mesure où l’inscription dans le fichier national n’est pas neutre, une fois qu’une personne a été informée et fichée, elle devrait être astreinte à un certain nombre d’obligations à titre de mesure de sûreté, à justifier son adresse, déclarer ses changements d’adresse, mais aussi ses déplacements à l’étranger. Toutes ces mesures seront destinées à actualiser le fichier en question. Pour garantir la mise à jour du fichier et assurer une meilleure exploitation des informations, les personnes inscrites dans le fichier seront astreintes à des obligations qui devront s’étaler sur une certaine durée. La défaillance dans les obligations sera assortie de sanctions pénales. Enfin, les personnes inscrites dans le fichier national devront disposer d’un droit d’accès et de rectification audit fichier. Elles pourront ainsi obtenir, sur demande adressée au procureur de la République, la communication de l’intégralité des informations les concernant ainsi que la rectification des informations inexactes ou non conformes avec les textes. A noter que le fichier judiciaire national français des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) tenu par le service du casier judiciaire sous l’autorité du ministre de la Justice et le contrôle d’un magistrat, va enregistrer les données des personnes ayant fait l’objet d’une condamnation pour terrorisme ou d’une interdiction de sortie du territoire en lien avec ces activités. En pratique, il se présente comme « une application web adossée à une base de données. Il est hébergé au sein du site du casier judiciaire national »[19]. À part les délits d’apologie et de provocation aux actes de terrorisme qui sont exclus de ce fichier, toutes les autres infractions terroristes peuvent y être inscrites. L’inscription sur le fichier peut en effet être ordonnée par le juge dès la mise en examen d’une personne, voire concerner une personne ayant bénéficié d’une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. La durée d’inscription sur le fichier est de vingt ans avec des obligations de signalement pouvant aller jusqu’à dix ans : en cas de terrorisme, la personne est inscrite au FIJAIT pour une durée de dix ans, s’il s’agit d’un majeur et de cinq ans s’il s’agit d’un mineur. Les délais tombent à cinq et trois ans respectivement, en cas d’interdiction de sortie de territoire. Et la moindre défaillance dans ces formalités sera punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Ces informations sont retirées du fichier au bout de vingt ans, s’il s’agit d’une personne majeure, dix ans, s’il s’agit d’un mineur, cinq ans et trois ans en cas d’interdiction de sortie de territoire. Les délais sont évidemment raccourcis en cas de décès de la personne.
Toutefois, certaines réserves sont émises par rapport à ce fichier, notamment un défaut de mise à jour du fichier qui pourrait être dû à la durée de conservation plus que la durée pendant laquelle les personnes devront justifier de leur adresse, de leur déménagement ou de leur déplacement à l’étranger. Pour résoudre ce problème, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a proposé au ministère de la Justice de prendre toutes mesures utiles pour que les données inexactes ou incomplètes soient rectifiées ou effacées.
Un tel dispositif serait utile au Niger, en ce qu’il aiderait à mieux identifier les présumés djihadistes et prévenir les actes terroristes dans le pays.
3.2 Les questions connexes du terrorisme
3.2.1 La radicalisation
La radicalisation désigne le « processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel »[20]. Ainsi, la radicalisation peut être définie comme un processus, par lequel un individu développe des convictions ou des croyances radicales ou extrêmes, qui sont en contestation avec l’ordre établi, la société dans laquelle il vit et ses valeurs. La notion de radicalisation, dans son ensemble, dépasse largement la question du terrorisme djihadiste, et touche à tout type d’idéologie extrémiste, que son contenu soit politique, social ou religieux. Aujourd’hui, la radicalisation est souvent confondue dans le débat public et dans les médias à un phénomène religieux, en particulier l’islam salafiste. Aussi, le phénomène de la radicalisation divise les spécialistes et deux thèses s’affrontent : d’un côté, il y a ceux qui pensent que c’est l’islam qui se radicalise et constatent dans ce phénomène une forme de « radicalisation » de l’islam. De l’autre côté, il y a ceux qui voient dans le phénomène djihadiste une certaine « islamisation de la radicalité ». Pour eux, le terrorisme djihadiste ne provient pas de la radicalisation de l’islam, mais de l’islamisation de la radicalité. En réalité, on retrouve les deux thèses dans l’analyse du phénomène au niveau des profils et des motivations des djihadistes.Pour le cas du Niger, à partir des années 1990, il a été observé une certaine radicalisation de l’islam liée en partie à la libéralisation, avec la création de plusieurs associations d’obédience islamique. Mais aujourd’hui à travers les alliances et reconversions de certains groupes irrédentistes et des réseaux de trafiquants et criminels aux groupes terroristes djihadistes, c’est plutôt une certaine islamisation de la radicalité qui s’observe. Toutefois, les radicaux ne sont pas identifiés avec précision : le phénomène est connu, mais il n’est pas mesuré précisément, faute d’une évaluation suffisamment fine permettant d’identifier et de cibler les personnes impliquées.
Pour l’essentiel, le développement de la notion de radicalisation est indéniablement lié à des soucis sécuritaires et répond à certaines préoccupations, à savoir comment protéger les individus, les villes et les pays des attentats? Comment lutter contre les réseaux terroristes djihadistes? Comment les identifier? Comment s’associer et coopérer afin de lutter contre les réseaux terroristes transnationaux? Toutes ces questions trouvent leurs réponses dans les dispositifs de lutte contre le phénomène terroriste, mais aussi dans les études menées sur les questions et défis liés au terrorisme.
3.2.2 Les victimes des infractions terroristes
Les victimes sont « des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir »[21]. Une telle définition englobe toutes les situations dans lesquelles des personnes ont subi des préjudices, du fait des infractions pénales commises par des organisations terroristes, à titre collectif ou individuel. Ces personnes ont droit d’accéder aux instances judiciaires et à une réparation rapide du préjudice qu’elles ont subi. Mais il a été constaté que dans la plupart des procès terroristes, les victimes ne sont pas présentes, ou pire, ne sont pas reconnues. Cet abandon des victimes du terrorisme se traduit aussi par la difficile réparation de leurs préjudices. Les droits des victimes devraient être protégés, notamment leur droit à une assistance et à une indemnisation appropriées au cours des procédures pénales. Même si la constitution de partie civile fait partie intégrante de la procédure pénale au Niger, dans la pratique, il est très difficile pour les victimes du terrorisme d’être indemnisées des préjudices qu’elles ont subis, dans la mesure où l’indemnisation de la victime au Niger incombe au prévenu ou à l’accusé reconnu coupable d’un délit ou d’un crime de terrorisme. Or, dans la majeure partie des cas, ce dernier est insolvable. Lorsque l’indemnisation ne peut pas être assumée intégralement par l’auteur de l’infraction ou par d’autres sources, l’État doit s’efforcer de fournir une indemnisation pécuniaire. Mais le Niger, à l’instar des autres États du Sahel, n’a pas prévu un tel mécanisme. La seule possibilité prévue au Niger est l’indemnisation en raison d’une détention préventive injuste.
3.3 La coopération régionale et internationale
Les échanges d’informations, les soutiens logistiques et humains permettront, de manière rapide, systématique et sûre, de détecter, identifier et démanteler les réseaux terroristes et poursuivre leurs membres en justice, en tirant parti des réseaux et des moyens de communication existants. La coopération internationale et régionale est un outil indispensable dans la lutte contre le terrorisme. Les instruments internationaux et régionaux renvoient tous à la coopération entre les États pour une lutte efficace contre le phénomène terroriste, car une lutte menée au seul niveau national est d’avance vouée à l’échec. Pour cette raison, toute réponse aux menaces terroristes appelle avant tout le renforcement de la coopération opérationnelle internationale[22]. Cette coopération peut être militaire ou judiciaire.
3.3.1 La coopération régionale
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, un outil de coopération militaire régionale en l’occurrence la Force multinationale conjointe, souvent désignée sous son appellation anglophone de Multinational Joint Task Force (MNJTF) a été créée en 1998 par trois membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT), le Nigéria, Niger et le Tchad. Initialement, le mandat assigné à cette Force multinationale conjointe était de combattre la criminalité et le trafic d’armes, pour assurer la libre circulation des biens et des personnes dans la région du lac Tchad. Mais en 2012, en réponse à la menace accrue de Boko Haram, son mandat a été étendu à la lutte contre le terrorisme. En octobre 2014, le Cameroun, ainsi que le Bénin ont confirmé leur décision d’adhésion – déjà prise plus tôt dans l’année par leurs ministres de la Défense – de se joindre à la MNJTF, en y apportant chacun 700 hommes. Le quartier général de la MNJTF était alors situé à Baga, sur la rive nigériane du lac Tchad. Ses contingents tchadien et nigérien l’ont déserté en novembre 2014 après une attaque de la localité par Boko Haram, laissant seuls leurs collègues nigérians. Ceux-ci n’ont pas fait le poids lors de l’attaque suivante de la ville, aux premiers jours de janvier 2015, laissant le champ libre à Boko Haram qui y a opéré ce qui est sans doute le pire massacre de son histoire. Après cette attaque, l’Union africaine (UA) a décidé de porter ses effectifs militaires à 7 500 hommes.
Il est important de souligner que tout au long de l’année 2015, plusieurs décisions ont été prises pour rendre opérationnelle cette force et favoriser la collaboration régionale contre Boko Haram.
Par la suite la Force conjointe multinationale semble être retombée dans une certaine léthargie et jusqu’au début de l’année 2016, elle n’était toujours pas opérationnelle. Toutefois, la coopération sur le terrain a connu quelques progrès : avec des moyens limités, la force multinationale a mené des opérations de ratissage le long des frontières des États limitrophes avec le Nigéria et parfois des excursions à l’intérieur du Nigéria qui auraient permis la libération de nombreux otages.
Le G5 Sahel
Créé en février 2014[23], le G5 Sahel[24] est un cadre institutionnel de coordination et de coopération régionale en matière de politique de développement et de sécurité. L’objectif du G5 Sahel est de garantir des conditions de développement et de sécurité dans l’espace des pays, d’offrir un cadre stratégique d’intervention devant permettre d’améliorer les conditions de vie des populations, d’allier le développement et la sécurité et enfin de promouvoir un développement régional inclusif. Pour bien remplir sa mission, le G5 Sahel a créé, au sein du Secrétariat permanent, une plateforme de coopération en matière de sécurité dont la vocation est de mobiliser les services de sécurité des États du G5 Sahel, de coordonner les efforts et de renforcer les capacités afin de lutter collectivement contre les menaces transversales qui pèsent sur l’espace. Cette plateforme est gérée par un coordonnateur sous la tutelle de « l’expert défense et sécurité ». Et chaque pays y accrédite un officier de liaison[25] pour les questions de sécurité.
Dans le domaine de la coopération en matière de répression et de prévention, la plateforme de coopération en matière de sécurité du G5 Sahel est chargée de centraliser et faciliter l’échange des informations opérationnelles entre les services de sécurité des États parties, mais aussi de coordonner les mesures de prévention et de répression diligentées.
3.3.2 La coopération judiciaire
La lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée ne peut se faire à un seul niveau, elle nécessite la mise en place d’un cadre d’échanges entre acteurs chargés de cette lutte tant au niveau national, régional qu’international. L’action en matière de lutte contre le terrorisme doit intégrer une approche anticipative et réactive multidimensionnelle. Pour cette raison, le Niger, à l’instar des autres pays du Sahel, a développé des partenariats durables basés sur le dialogue, la coopération et l’échange d’expertise, pour faire face aux différents phénomènes liés à la sécurité au Sahel et à la lutte contre le terrorisme. L’engagement d’une action concertée et coordonnée s’impose surtout au plan régional, afin de permettre au pays de la bande sahélienne d’organiser de manière rationnelle et efficace la lutte contre les groupes terroristes et criminels qui pullulent dans la région. Aussi, le Niger privilégie-t-il les stratégies communes mises en place au niveau régional telles que des plateformes d’échange, de renseignement, d’information, afin de ne pas disperser les efforts. Les besoins en matière de lutte contre le terrorisme au Niger en particulier et au Sahel en général imposent qu’un développement des synergies soit érigé entre les pays de la zone sahélienne et les acteurs extérieurs, afin d’assurer une veille permanente pour déceler et prévenir les risques terroristes. Cette coopération doit prendre la forme d’échanges d’informations opérationnelles, stratégiques et techniques et d’une recherche de coordination des activités. À cet effet, la coopération porte notamment sur le partage d’éléments de preuve, par exemple numériques, afin de permettre de poursuivre en justice les terroristes et leurs réseaux. Tout cela nécessite un renforcement de la sécurité de l’information, afin que les données échangées soient exactes et complètes. Afin de mieux articuler la dynamique entre sécurité intérieure et extérieure, il est nécessaire de développer des outils de coopération internationale. De la même manière, le « printemps arabe » et ses conséquences géopolitiques offrent une opportunité, pour la communauté internationale, de s’intéresser davantage aux phénomènes « crisogènes » nationaux et régionaux pour lutter contre l’expansion du terrorisme international. Des organes devant faciliter cette coopération ont été mis en place. Il s’agit notamment de la plateforme judiciaire régionale ou encore du réseau des autorités centrales et des procureurs d’Afrique de l’Ouest contre la criminalité organisée (WACAP).
a) La plateforme judiciaire régionale
Créée en 2010, la plateforme de coopération judiciaire du Sahel a pour objectif de renforcer la coopération judiciaire en matière pénale entre les États qui en sont membres, conformément à leurs engagements bilatéraux, régionaux et internationaux. La plateforme judiciaire régionale vise ainsi à :
- Faciliter la transmission et l’exécution des demandes d’entraide judiciaire et d’extradition formulées par les États qui en sont membres;
- Suivre l’avancement des procédures engagées en réponse aux demandes de coopération;
- Permettre l’échange de données d’expérience et de meilleures pratiques;
- Recenser les besoins d’assistance technique.
Membres : Burkina Faso, Mali, Mauritanie et Niger (d’autres pays peuvent devenir membres).
Fonctionnement : La plateforme de coopération judiciaire du Sahel fonctionne grâce à :
- Des points focaux : un point focal principal et un suppléant par pays membre sont chargés de coordonner les demandes de coopération judiciaire. Ils disposent d’un secrétariat (organe administratif dont les fonctions sont assumées à tour de rôle par les différents États membres, avec l’appui de l’ONUDC).
- Un Comité technique (organe exécutif composé des points focaux et de leurs suppléants).
- Un Conseil des ministres (organe délibérant composé des ministres de la justice).
Depuis sa création, les ministres de la justice ou les points focaux des pays membres se réunissent tous les ans dans les différents pays membres pour :
- Débattre de questions concernant son fonctionnement;
- Mettre en commun les meilleures pratiques;
- Recenser les besoins d’assistance technique.
En termes de réalisation, on peut relever que depuis sa mise en place, plusieurs demandes d’entraide judiciaire ont été efficacement traitées par l’intermédiaire de la plateforme qui a joué un rôle clé en facilitant la communication entre les autorités centrales nationales chargées de rédiger, de transmettre et d’exécuter les demandes de coopération internationale en matière pénale.
Des outils sur mesure ont été conçus à l’usage des praticiens pour les aider à tirer parti des mécanismes de coopération internationale en matière pénale.
b) Le Réseau des autorités centrales de l’Afrique de l’Ouest et des procureurs contre le crime organisé (WACAP)
Le Réseau des autorités centrales de l’Afrique de l’Ouest et des procureurs contre le crime organisé (WACAP) est un réseau de points focaux constitués d’un représentant de l’autorité centrale, désigné des quinze pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le WACAP est une initiative de l’ONUDC mise en place avec le soutien de la Commission et de la Cour de justice de la CEDEAO. Il a été lancé en mai 2013 et s’inscrit dans le cadre de la Déclaration de Bamako sur l’impunité, la justice et les droits de l’Homme en Afrique de l’Ouest, qui encourage les pays à entreprendre des actions spécifiques pour promouvoir les réseaux d’entraide judiciaire entre procureurs de divers pays et développer une stratégie régionale de poursuite des personnes impliquées dans la criminalité transnationale organisée. La création du WACAP répond au besoin de mise en œuvre d’une stratégie commune de lutte contre la drogue et le crime organisé en Afrique. Son objectif est de renforcer, conformément à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (CNUCTO), la coopération opérationnelle et les capacités des autorités responsables de la coopération internationale en matière pénale. À cet effet, le réseau traite des demandes d’entraide judiciaire et d’extradition en application de la CNUCTO. Pour accroitre l’efficacité de ces institutions, il importe de les élargir progressivement au plan régional, à l’instar de la Zone de libre-échange continental. Le réseau soutient également les procureurs et magistrats dans leur combat contre toutes formes de criminalité sérieuse et organisée, notamment le terrorisme et le recouvrement des produits des crimes.
À travers des réunions régulières et des programmes de formation et d’échanges, le WACAP fournit aux autorités centrales et aux professionnels, des informations sur leur système juridique respectif et leurs procédures. Le WACAP permet aussi aux autorités concernées de développer un langage en commun et de partager leurs bonnes pratiques, afin d’être mieux outillées pour rédiger, préparer et répondre aux demandes d’entraide judiciaire et d’extradition de manière efficace. Le réseau renforce également les capacités des procureurs et magistrats dans la gestion des affaires de criminalité grave et organisée, permettant ainsi des poursuites efficaces et une coopération renforcée au niveau régional et international.
Depuis sa mise en place, le WACAP a permis d’améliorer la coopération judiciaire entre les États concernés. En effet, les impacts ci-après ont été répertoriés :
- Les demandes d’entraide judiciaire et d’extradition sont gérées de manière plus efficace d’après les points focaux du WACAP;
- Les demandes d’entraide judiciaire sont réalisées avec succès pour la première fois dans la région entre des pays francophones et anglophones;
- Des autorités centrales ont été créées ou renforcées;
- Des obstacles aux demandes d’extradition sont surmontés grâce au réseau qui permet le contact direct entre les membres;
- Les points focaux répondent à présent aux demandes informelles d’entraide afin de s’assurer que l’information requise est collectée ou que l’action nécessaire à l’obtention de l’information a été initiée, avant que la demande officielle ne soit reçue.
3.3.3 La coopération militaire
Le Niger, comme la plupart des pays d’Afrique, est bénéficiaire traditionnel de l’assistance militaire des pays de l’Union européenne.
Le Niger bénéficie de l’assistance militaire de la France; celle-ci a été renforcée après l’occupation du nord du Mali par des groupes touareg et djihadistes en 2012 et le lancement de l’opération militaire Serval de soutien à l’armée malienne l’année suivante. Le 1er août 2014, Serval a laissé la place à l’opération Barkhane, visant à combattre les groupes armés djihadistes dans tout le Sahel, y compris au Niger. La présence française y a donc été considérablement renforcée, notamment par :
– Le « pôle de renseignement » de Barkhane, établi à la Base aérienne 101 (BA 101) de Niamey : il comprenait principalement, à l’origine, en janvier 2013, trois drones de surveillance Harfang, de fabrication euro-israélienne. S’y sont ajoutés, en 2015, trois drones Reaper (Predator-2) de plus longue portée et de fabrication américaine;
– Un détachement d’avions de patrouille Atlantique, dont le nombre d’appareils semble osciller entre un et six, également basés à Niamey;
– Trois avions de combat Mirage 2000D détachés de N’Djaména à Niamey vers mars 2014. Un d’entre eux s’est écrasé, à la suite d’une panne, en territoire nigérien en juin 2014;
– Une « base opérationnelle avancée » au fort de Madama, dans la région d’Agadez, accueillant 200 hommes et des hélicoptères, où, malgré son caractère officiellement « temporaire », une piste de 1 800 m de long a été construite en 2015, afin de permettre l’atterrissage de C-130 Hercules et Transall C-160110;
– Une base accueillant, depuis février 2013, une soixantaine d’hommes du Commandement des opérations spéciales (COS), à Aguelal, près d’Arlit, et dont la mission semble être autant de sécuriser les installations d’Areva situées à proximité que de seconder l’armée nigérienne dans sa surveillance des trafics vers et en provenance de la Libye.
Au départ, le but de ces déploiements n’était pas de lutter contre Boko Haram, mais plutôt d’éviter que le Niger, qui partage une longue frontière avec la Libye, ne connaisse un sort semblable à celui du Mali, et de contrôler les trafics d’armes vers l’Afrique subsaharienne. Mais, en février 2015, la France n’est pas restée passive, alors que les troupes nigéro-tchadiennes se préparaient à affronter Boko Haram en territoire nigérian. À Diffa, base arrière de l’opération conjointe, la France a détaché 15 à 20 hommes, officiellement chargés de « faire remonter » des renseignements vers la « cellule de coordination et de liaison » (CCL) de N’Djaména, dépendant de l’opération Barkhane, ainsi que vers la cellule d’Abuja. Elle a également soutenu cette offensive par des vols de reconnaissance le long de la frontière nigéro-nigériane.
Il faut aussi noter qu’au cours de ces dernières décennies, dans le cadre de la lutte antiterroriste, la France a fourni au Niger, un nombre indéterminé d’avions ultralégers motorisés (ULM), ainsi que trois hélicoptères de combat Gazelle, pour lesquels elle a assuré la formation de pilotes et de mécaniciens.
Les États-Unis ont également accru leur coopération militaro-sécuritaire avec le Niger, se basant sur des accords bilatéraux (conclus en 1962 et 1980) et multilatéraux dans le cadre de la « guerre globale contre le terrorisme »[26]. Pour rappel, les États-Unis avaient déjà été impliqués dans des combats au Niger, notamment en 2004 lorsqu’ils ont offert un soutien aérien aux armées nigérienne et tchadienne aux prises avec le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC).
La présence des États-Unis au Niger a été renforcée au début de l’opération Serval au Mali par l’installation d’une base de drones à Niamey devant permettre d’alimenter Serval en renseignements et pour les besoins stratégiques propres des États-Unis. Cette « mini-base » – où étaient déployés au minimum trois Predator – employait au moins 120 militaires d’outre-Atlantique, bien que certaines sources évoquent des chiffres beaucoup plus élevés. Elle a été déplacée en 2014 à Agadez, où l’US Air Force dispose, depuis 2012, d’une base de ravitaillement de Pilatus PC-12 effectuant des vols de reconnaissance au-dessus du Sahel. Toujours à Agadez, quelques membres de l’US Air Force ont formé en octobre 2015, 150 soldats nigériens, dans le cadre de la lutte contre Boko Haram.
En somme, l’assistance militaire étrangère au Niger a été au départ motivée par l’endiguement du chaos libyen et malien et la montée de Boko Haram, dans le cadre d’une stratégie visant à empêcher une déstabilisation accrue de l’ensemble du Sahel. Tous ces programmes visent essentiellement à accroitre les compétences des militaires locaux dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
- IRSH - Laboratoire Religions Et Sociétés (LARSO), 2017, « Étude sur la prévention à la radicalisation au Niger », Rapport final, IRSH - Université Abdou Moumouni, p. 18 ↵
- La question des fondements théologiques du Jihad est l’une des plus controversées. N’entendons-nous pas souvent après des actions terroristes perpétrées par les groupes djihadistes des propos comme : « Cela n’a absolument rien à voir avec l’islam… Les auteurs d’un tel crime ne peuvent pas être des musulmans… L’islam est une religion de paix… ». Mais il reste un fait évident : les djihadistes se considèrent comme d’authentiques musulmans, inscrivent leurs actions dans l’islam et se référent au Coran, particulièrement aux appels explicites au Jihad contre ceux qui mécroient, apostasient ou demeurent réfractaires à l’action prédicatrice des prosélytes djihadistes. ↵
- Lire François Burgat, 2017, « Aux racines du jihadisme : le salafisme ou le nihilisme des autres ou… l’égoïsme des uns ? », Confluences Méditerranée, n°102, pp. 47-64. Selon cet auteur, les deux thèses explicatives du terrorisme de Gilles Kepel et Olivier Roy dominent le champ médiatique. Ces deux thèses s’opposent sur la variable religieuse, mais s’accordent pour isoler le phénomène djihadiste des processus sociopolitiques qui lui donnent naissance. ↵
- Le salafisme vient du mot « salaf » qui signifie « devancier » en référence aux anciens. Le salafisme renvoie alors un phénomène de conservatisme et de pratiques anciennes. Le salafisme et l’islam sont deux réalités distinctes, mais dissemblables l’une de l’autre. L’islam est une religion, une spiritualité et un culte; le salafisme est une idéologie, une manipulation politique. Aussi, l’islamiste est un salafiste, mais tout salafiste n’est pas un islamiste. On distingue dès lors le salafisme islamiste du salafisme djihadiste. En effet, le salafisme djihadiste est une idéologie combattante qui vise à instaurer un État islamique (Califat), tandis que le salafisme islamiste se traduit dans des discours et des pratiques (culturelles et politiques). ↵
- Bénichou, David, Khosrokhavar, Fahrad, Migaux Philippe, 2015, p. 7 ↵
- Guidère, Mathieu, 2017. op. cit. p. 10 ↵
- Voir https://www.liberation.fr du 21 mars 2005 : « Les relégués de Pasqua. ↵
- Au Niger, le Mujao opère principalement dans les régions de Tillabéri et Tahoua. ↵
- Cet attentat montre la capacité de connexion entre les différents groupes et la nature des ramifications avec les différents pays de la région. ↵
- Cette attaque a été menée par un groupe d’hommes armés à l’extérieur de la prison. C’est au cours de cette attaque que le malien Alassane Ould Mohamed, alias « Chebani », a réussi à s’évader. Cet l’homme avait participé à l’assassinat de cinq étrangers sur le territoire nigérien, dont quatre Saoudiens et un Américain. ↵
- Al-Qaïda (qui signifie littéralement « la base ») est une organisation terroriste islamiste fondée en 1987 par Oussama ben Laden. D’inspiration salafiste djihadiste, elle considère que les gouvernements « croisés » (occidentaux), avec à leur tête les États-Unis, interfèrent dans les affaires intérieures des nations islamiques et ce, dans l’intérêt unique des sociétés occidentales. Elle a recours au terrorisme pour faire entendre ses revendications. Al-Qaïda a émergé de l’organisation Maktab al-Khadamāt, constituée pendant la première guerre d’Afghanistan par Azzam, pour alimenter la résistance afghane contre les forces armées d’URSS. Maktab al-Khadamāt servait à relayer de multiples dons en provenance de pays islamiques. Les actions revendiquées au nom d’Al-Qaïda sont considérées comme des actes terroristes par l’essentiel des États et des observateurs de l’ONU. Les États-Unis, le Canada, l’Union Européenne, le Royaume-Uni, l’Australie, la Russie, l’Inde et la Turquie ont placé cette organisation sur leurs listes officielles des organisations terroristes. Sans dresser de liste officielle, la France considère, elle aussi, Al-Qaïda comme un groupe terroriste. La plus retentissante opération menée par Al-Qaïda est celle conduite sur le sol américain le 11 septembre 2001. Toujours en 2001, il y a eu aussi des attentats en Afrique dans les ambassades américaines au Kenya. Viennent ensuite les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, les attentats du 11 mars 2004 à Madrid et ceux du 7 juillet 2005 à Londres. ↵
- Fin 2006 et début 2007 : plusieurs attaques à l’engin explosif contre les convois de ressortissants étrangers travaillant dans le secteur de l’énergie en Algérie; décembre 2007 : attentat à la voiture piégée contre les bureaux des Nations Unies à Alger; février 2008 : il a revendiqué l’attaque de l’ambassade d’Israël à Nouakchott, en Mauritanie; 3 juin 2009 : revendication de la mort du britannique Edwin Dyer, enlevé le 22 janvier à la frontière du Mali et du Niger; 25 juillet 2010 : revendication de l’exécution du français Michel Germaneau, enlevé dans le nord du Mali le 19 avril 2010; 10 mars 2013 : revendication de l’exécution du français Philippe Verdon, enlevé au Mali en novembre 2011; 2 novembre 2013 : assassinat au Mali de deux journalistes français de RFI. ↵
- L’expression signifie en langue haoussa « L’éducation occidentale est un péché ». ↵
- IRSH - Laboratoire Religions Et Sociétés (LARSO), 2017, « Étude sur la prévention à la radicalisation au Niger », Rapport final, IRSH - Université Abdou Moumouni, p. 5. ↵
- En mars 2015, les forces nigériennes, conjointement avec l’armée tchadienne, ont entamé leur offensive au Nigéria contre Boko Haram, en réaction à l’attaque du 6 févier. Dès les premiers jours, selon la police nigérienne, plus de 500 combattants de Boko Haram auraient été tués, tandis que l’armée nigérienne aurait perdu 24 hommes. Le 17 mars, après d’âpres combats, les forces nigéro-tchadiennes connaissaient un premier succès, la prise de la ville de Damasak, suivi, deux semaines plus tard, par celle de Malam Fatori, une autre ville frontalière. Cependant, le sud du Niger, en particulier les îles du lac Tchad dont la population, côté nigérien, a été évacuée à la fin avril, est loin d’être sécurisé. Entre avril et octobre 2015, plusieurs attaques meurtrières ont ciblé civils ou militaires, tandis que Damasak était reprise par Boko Haram. En novembre, en riposte à une embuscade menée contre ses soldats près du village de Dagaya, l’armée nigérienne a, pour la première fois, fait entrer en action son aviation pour bombarder un groupe de combattants islamistes. Enfin, notons que l’état d’urgence proclamé dans la région de Diffa semble avoir donné lieu à des arrestations arbitraires de membres de la société civile. ↵
- C’est le nom donné aux combattants djihadistes en Afghanistan. ↵
- Laboratoire Religions Et Sociétés (LARSO), 2017, Étude sur la prévention à la radicalisation au Niger, Rapport final, IRSH - Université Abdou Moumouni, p. 9. ↵
- Il s’agit du fichier national des auteurs d’infractions terroristes dénommé FIJAIT, consultable au lien suivant : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031741884&categorieLien=id. ↵
- Marc Rees, « Au Journal officiel, le fichier judiciaire des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT) », Nextinpact.com, le lundi 4 janvier 2016. En ligne : https://www.nextinpact.com/news/97902-au-journal-officiel-fichier-judiciaire-auteurs-dinfractions-terroristes-fijait.htm ↵
- Farhad Khosrokhavar, 2015, Radicalisation, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, p. 8. ↵
- Cette définition est celle de la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir. ↵
- Mario Bettati, 2013, Le terrorisme : les voies de la coopération internationale, Paris, Odile Jacob p. 120 et suivantes. ↵
- Lors d’un sommet du 15 au 17 février 2014 par cinq États du Sahel : Burkina Faso, Mauritanie, Mali, Niger et Tchad. ↵
- Le G5 Sahel regroupe cinq pays du Sahel, à savoir le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Son siège est initialement fixé à Nouakchott en Mauritanie. Il peut être transféré dans tout autre lieu, par décision de la Conférence des chefs d’État. Le G5 Sahel dispose de cinq organes pour remplir sa mission : la Conférence des chefs d’État (organe de décision), le Conseil des ministres (organe de mise en œuvre de la politique du G5 Sahel), le Secrétariat permanent, le Comité de défense et de sécurité et les Comités nationaux. ↵
- L’officier de liaison est choisi par chaque État, parmi les fonctionnaires ayant une compétence reconnue en matière de collecte, de traitement, d’analyse et d’évaluation de l’information à caractère sécuritaire. ↵
- L’appellation anglophone est African Crisis Response Initiative, devenue en 2002 African Contingency Operations Training and Assistance Program, puis Trans-Saharan Counter Terrorism Initiative en 2005, devenue TransSahara Counterterrorism Partnership en 2006. ↵