2 Les instruments juridiques de forme dans la lutte contre le terrorisme au Niger

Les instruments juridiques de forme permettent la mise en œuvre des instruments juridiques de fond étudiés dans le chapitre précédent. Pour faciliter l’application des dispositifs juridiques de fond, divers instruments juridiques de forme ont également été adoptés par le Niger. En effet, depuis les années 2000, on assiste à une expansion spectaculaire de la portée et de l’utilisation des outils d’enquête pour faciliter la poursuite des affaires terroristes mais aussi des affaires complexes de criminalité organisée. Les méthodes employées pour poursuivre ces infractions attirent de plus en plus l’attention, car les gouvernements cherchent à obtenir les meilleurs résultats possibles de leurs efforts en matière de poursuites. Les outils utilisés pour la poursuite des infractions terroristes comprennent des mesures visant à renforcer la coopération avec les services de détection et de répression, des mesures de protection des victimes, des témoins et des personnes qui communiquent des informations en matière de criminalité organisée, de terrorisme et de financement du terrorisme.

De nombreux pays ont élaboré des priorités et des stratégies d’application et de poursuite fondées sur une évaluation empirique de la situation de la criminalité organisée transnationale dans leur juridiction (en utilisant des évaluations de la menace et d’autres recherches). Une fois les priorités de l’enquête établies, le choix des outils de poursuite dépendra des circonstances de l’affaire.

À l’instar des autres pays du sahel, le Niger a intégré dans le dispositif pénal national les recommandations des instances internationales en matière de poursuite des infractions de terrorisme. L’Ordonnance n°2011-13 du 27 janvier 2011, les Lois n°2016-21 du 16 juin 2016 et n°2017-07 du 31 mars 2017 ont complété et modifié le dispositif jusque-là applicable en République du Niger. Le cadre institutionnel de répression du terrorisme au Niger est fréquemment l’objet de réformes, dans le but de le rendre efficace. Le dispositif actuel de lutte contre le terrorisme au Niger est basé, d’une part, sur des nouvelles règles dérogatoires au droit commun de la procédure pénale et, d’autre part, la mise en place d’une répression spécialisée. Il détermine en effet la compétence des tribunaux en matière d’infractions de terrorisme (Section I) et met en place des nouveaux mécanismes de poursuite et de traitement des dossiers terroristes (Section II).

2.1 La compétence des tribunaux en matière d’infractions de terrorisme

2.1.1 Une compétence universelle des juridictions nigériennes pour la poursuite des infractions terroristes

Au terme de l’article 605.1 de la Loi n°2016-21 du 16 juin 2016 modifiant la Loi n°61-33 du 14 août 1961 portant institution du code de procédure pénale : « Les juridictions de la République du Niger sont compétentes pour poursuivre les auteurs d’infractions en matière de terrorisme et de criminalité transnationale organisée et prévue par le code pénal et d’autres textes, dans les cas où l’auteur présumé de l’une des infractions se trouve sur le territoire national de la République du Niger et indépendamment de la nationalité de l’auteur présumé ou de son état d’apatride ». La Loi n°2017-07 du 31 mars 2017 a complété cette disposition en ajoutant « à bord d’un navire battant pavillon nigérien ou d’un aéronef immatriculé conformément au droit interne ».

Un nouveau alinéa précise qu’« elles sont également compétentes, lorsque l’infraction :

  • a été commise hors du territoire national en vue de la commission sur le territoire nigérien d’une infraction prévue à la présente loi ;
  • a eu des effets ou des conséquences importantes sur le territoire national ;
  • a eu des effets ou des conséquences importantes sur des biens du Niger situés à l’étranger ».

L’alinéa 2 du même texte ajoute « l’affaire doit être soumise au pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée pour qu’il engage des poursuites pénales sans retard et sans aucune exception, que l’infraction ait été commise ou non sur le territoire national, à moins qu’une décision n’ait été prise par l’autorité compétente pour extrader la ou les personnes impliquées ».

La lecture de l’article 605.1 du code de procédure pénale du Niger fait ainsi ressortir une compétence universelle des juridictions du Niger pour les infractions terroristes et de criminalité transnationale organisée. Cette compétence tient d’une part à la présence de l’auteur présumé sur le territoire national, que l’infraction ait été commise ou non sur le territoire de la République, et indépendamment de la nationalité de celui-ci. D’autre part la compétence des juridictions nigériennes pour poursuivre des infractions terroristes tient au fait que l’infraction, a été commise hors du territoire national en vue de la commission sur le territoire d’infractions terroristes ou lorsque l’infraction a eu des effets ou des conséquences importantes sur le territoire de la République ou sur des biens du Niger situés à l étranger. On peut à ce niveau relever que la compétence des juridictions renvoie à bien d’égards à la nature transnationale de l’infraction, c’est-à-dire à une infraction transnationale en lien avec une entreprise terroriste.

La question qui se pose ici est de savoir ce qu’est une infraction transnationale. Si l’on se réfère à l’article 3 (2) de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, une infraction est de nature transnationale :

  • lorsqu’elle est commise dans plus d’un État;
  • lorsqu’elle est commise dans un État mais qu’une partie de sa préparation, de sa planification, de sa conduite ou de son contrôle a lieu dans un autre État;
  • lorsqu’elle est commise dans un État, mais implique un groupe criminel qui se livre à des activités criminelles dans plus d’un État;
  • lorsqu’elle est commise dans un État, mais a des effets dans un autre État. L’infraction transnationale terroriste justifie à elle seule la compétence élargie des juridictions nationales.

La question qui se pose à ce niveau est pourquoi élargir la compétence des juridictions nigériennes spécialisées pour juger les infractions terroristes à la criminalité transnationale organisée (CTO)?

La compétence élargie des juridictions nigériennes pour juger les infractions de la CTO peut amener à s’intéresser aux liens possibles qui existent entre le terrorisme et celle-ci car, tout comme le terrorisme, la CTO prend un relief particulier au  Niger et dans le Sahel  et a des effets dévastateurs sur la sécurité humaine, l’économie et la gouvernance de ces pays. Par ailleurs, les groupes terroristes ont noué des relations avec les réseaux de contrebande[1] de tout genre qui se livrent dans les pays du Sahel à toutes sortes d’activités criminelles : trafic d’armes, de migrants, de cigarettes, de faux médicaments, de drogue.

2.1.2 Une compétence élargie aux infractions de la criminalité transnationale organisée (CTO)

La Loi n°2016-19 modifiant et complétant la Loi n°2004-50 fixant l’organisation et la compétence des juridictions au Niger et la Loi n°2016-22 modifiant et complétant la Loi n°61-33 du 14 août 1961 portant institution du code de procédure pénale ont élargi la compétence du pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme à la criminalité transnationale organisée. En effet, la diversification et la complexification des activités des groupes criminels organisées font que cette criminalité touche la plupart des activités criminelles illicites, y compris le terrorisme. Par ailleurs, la criminalité transnationale organisée s’est implantée progressivement au Sahel en profitant de la vulnérabilité des États, notamment de la grande superficie, de la porosité des frontières et des problèmes de gouvernance[2] ; elle a pris de l’ampleur depuis ces dernières décennies. Dans la zone saharo-sahélienne, les groupes terroristes ont noué des liens avec les réseaux de contrebande qui sillonnent les espaces désertiques du sahel en se livrant à toutes sortes d’activités criminelles (trafic d’armes, de migrants, de cigarettes, de drogue, de faux médicaments, par exemple). La situation géographique du Niger le place dans une position particulière de plaque tournante de trafic et d’échanges entre les populations de l’Afrique de l’Ouest et celles de l’Afrique du Nord. Le désert du Sahara occupe près des deux tiers du territoire nigérien, soit environ 800 000 km² sur une superficie de 1 267 000 km². Dans cet espace, les djihadistes et les trafiquants de tous genres sont sur leurs terres de prédilection et mettent à mal les États constitués. Le Niger constitue dès lors un espace clé sur l’échiquier géopolitique sahélien et un « terrain de connexion » entre les groupes salafistes djihadistes en Libye, en Algérie, au Mali et au Nigéria. A l’instar des autres pays du Sahel, le Niger est donc devenu, une zone de transit pour les trafiquants de drogues, d’armes, de cigarettes, de migrants au point que certaines personnes traitent le Sahel de « sanctuaire de la criminalité transnationale organisé ». En effet, le trafic de drogue est aussi en pleine expansion; il en est de même du trafic illicite de migrants. De même, avec les prises d’otages par les organisations terroristes dans la zone, la frontière, entre les coupeurs de route, les trafiquants et djihadistes, a quasiment disparu. L’objectif ici est double : non seulement, frapper l’Occident et les pays africains accusés de pactiser avec lui, mais aussi, avec les prises d’otage, obtenir le paiement de rançons en contrepartie de la libération des otages, principale ressource financière de ces groupes.

Le point commun entre tous ces fléaux qui fragilisent et déstabilisent les États de la sous-région est la circulation des armes[3], notamment due à la crise libyenne. Non seulement aucune action terroriste n’est possible sans armes, mais l’arme est au cœur du crime organisé, d’où le lien entre le terrorisme et le trafic illicite des armes. À titre illustratif, on peut citer l’arrestation du djihadiste Ahmad Al Faqi Al Mahdi[4] au Niger (en possession de trois tonnes d’armes à feu). L’intéressé a été condamné par défaut par la Chambre spécialisée de lutte contre le terrorisme et la CTO à quatre ans d’emprisonnement ferme, pour association de malfaiteurs terroristes, trafics illicites d’armes à feu et meurtres. La Cour pénale internationale a également reconnu Ahmad Al Faqi Al Mahdi coupable de crimes de guerre pour la destruction de biens culturels[5]. Par ailleurs, le SCLTCTO a arrêté un suspect en possession d’armes à feu et l’enquête diligentée a permis de découvrir que lesdites armes ont le même numéro de série que celles ayant servi dans les attaques de l’hôtel Radisson Blue de Bamako et de Grand-Bassam.

Parallèlement, le trafic de drogue est une source de financement du terrorisme. L’affaire « Air Cocaïne », avec cet avion qui atterrit dans le désert malien en novembre 2009, en provenance du Venezuela, confirme le lien entre AQMI et le trafic de drogue. L’enquête sur l’affaire « Air cocaïne » a révélé les rapports entre les mafias européenne, latino-américaine et leurs sous-traitants sahéliens, en relation avec AQMI. Les trafiquants de drogue, en particulier, s’appuient souvent sur les groupes terroristes politiques pour s’implanter au Sahel.

Aussi, les liens évidents qui existent entre la CTO et le terrorisme expliquent le fait que le législateur ait fait le choix de confier le jugement de ces affaires aux mêmes juridictions.

Le modèle traditionnel suivi par de nombreuses juridictions à travers le monde exige que la police enquête et, une fois les procédures terminées, le dossier soit transmis au procureur ou au juge d’instruction pour qu’il soit jugé. La poursuite des infractions terroristes n’échappe pas à ce schéma traditionnel. Mais le traitement des dossiers terroristes est confié à des organes spécialisés.

2.1.3 Des autorités de poursuite spécialisées

Pour une meilleure prise en charge des dossiers terroristes, le Niger a opté pour une spécialisation des autorités en charge de la lutte contre le terrorisme, compte tenu des exigences particulières des actes appréhendés. Le législateur nigérien a en effet opté pour une chaine pénale spécialisée et centralisée qui commence dès la phase d’enquête policière jusqu’au jugement, à travers le service central de lutte contre le terrorisme, le pôle judiciaire spécialisé et les chambres spécialisées en matière de terrorisme.

2.1.3.1 Du service central de lutte contre le terrorisme

Le service central de lutte contre le terrorisme[6] a été créé par l’ordonnance n°2011-11 modifiant et complétant la Loi de 1961 instituant le code de procédure pénale. Ce service unique, chargé des enquêtes en matière de terrorisme, a son siège à Niamey et est chargé de la coordination, de la direction et du traitement de l’ensemble des enquêtes terroristes sur l’ensemble du territoire national. À ce titre, il centralise, analyse et exploite tous les renseignements et informations visant à prévenir et  réprimer le terrorisme, en collaboration avec les autres services concernés. Il veille également à la mise en œuvre de la coopération nationale et internationale avec les autres services. Toutefois, le législateur a autorisé les services d’enquêtes et judiciaires de droit commun à poser les premiers actes, en attendant le déploiement de services spécialisés. C’est dans ce sens que l’article 605.3 (nouveau) du code de procédure pénale dispose : « Les officiers de police judiciaire sous la direction et le contrôle des procureurs de la République près les tribunaux de grande instance sont habilités à procéder aux actes urgents d’enquête en vue de constater l’infraction commise dans leur ressort, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs. Ils reçoivent, en outre, les dénonciations volontaires, plaintes, procès-verbaux et rapports y relatifs. Le parquet du pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée est régulièrement tenu informé, par tout moyen, des diligences effectuées. Ils mettent, dans les plus brefs délais, à la disposition du parquet du pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée, la ou les personnes mise(s) en cause, les rapports, procès-verbaux et pièces à conviction. En cas d’urgence ou dans le cas où le parquet du Tribunal de grande instance dans le ressort duquel l’infraction a été commise ne peut mettre à la disposition du parquet du pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée les personnes objets de la poursuite, le juge d’instruction du ressort est provisoirement habilité à accomplir tous les actes d’instruction jusqu’au transfert de l’affaire au pôle judiciaire spécialisé. »

2.1.3.2 Des juridictions spécialisées de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée (CTO)

Des juridictions spécialisées en charge de la lutte contre le terrorisme ont été créées par l’ordonnance de 2011 qui a été modifiée et complétée par la Loi de 2016. Au premier degré, il y a d’abord le Pôle spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et la CTO (PJSMLCT/CTO)[7] créée au niveau du TGI hors de Niamey comme premier degré de juridiction. Le Pôle est compétent pour la conduite de l’enquête et de l’information judiciaire pour toutes les infractions terroristes, y compris pour le jugement des infractions terroristes correctionnelles (voir article 91.1. de la loi n°2004-50 fixant l’organisation et la compétence des juridictions au Niger, modifiée et complétée par l’ordonnance n°2011-11 de 2011 et la Loi n°2016-19 du 16 juin 2016). Il existe, au sein de ce Pôle, un sous-pôle chargé de traiter les cas des mineurs (voir article 62.2 de la même Loi) qui conduit à la fois l’information judiciaire et le jugement correctionnel (à juge unique) et criminel (à trois juges). Ce sont les articles 605.5 et 605.11 du code de procédure pénale qui traitent de cette question.

Au second degré, il y a deux chambres rattachées à la Cour d’appel de Niamey, dont une de contrôle et une de jugement, composées chacune de cinq (5) magistrats du siège et de deux (2) magistrats du parquet (article 22.1 de la loi 2004-50 ci-dessus citée).

Au terme de l’article 22.2 de la loi sus citée, la chambre de contrôle qui siège en formation collégiale de trois magistrats, est compétente pour connaitre des appels formés contre les ordonnances des juges d’instruction du Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme et pour renvoyer les accusés de crime de terrorisme devant la chambre de jugement en matière de terrorisme. La chambre de jugement, quant à elle, est compétente, au terme de l’article 22.3 de la même Loi, pour connaitre en appel des jugements rendus en premier ressort par le Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme et pour juger en dernier ressort des affaires criminelles en matière de terrorisme. Tout comme la chambre de contrôle, la chambre de jugement siège aussi en formation collégiale de trois magistrats, comme une cour d’assises sans jurés (article 22.4).

2.2 Les nouveaux mécanismes de poursuite et de traitement des dossiers terroristes

Les priorités en matière d’enquête et de poursuite sont généralement convenues avant le début de l’enquête. Pour une meilleure efficacité de la poursuite et du traitement judiciaire des infractions terroristes, le recours à des informateurs et l’utilisation de techniques d’enquête spéciales (avec les autorisations nécessaires à cette fin), ont été adoptés. Les clés du succès de ces mécanismes comprennent une communication régulière au fur et à mesure de l’évolution de l’affaire et, dans un cas idéal, le maintien du même personnel du stade de l’enquête à toutes les procédures judiciaires ultérieures. L’enjeu sous-jacent de toutes les poursuites est de maximiser la capacité d’application de la loi de manière impartiale et efficace. En ce qui concerne la poursuite des infractions terroristes, trois questions cruciales se posent pour l’accusation :

  • Existe-t-il une stratégie pour le service des poursuites contre les infractions terroristes?
  • Quel est le rôle des procureurs dans les enquêtes?
  • Quels sont les outils mis à la disposition des autorités de poursuite pour la répression des infractions terroristes?

2.2.1 Les techniques d’enquêtes spéciales : investigations, filatures, surveillance

Le dispositif nigérien de lutte contre le terrorisme reconnait un rôle actif des autorités d’enquête dans la production des preuves. Dans le cas d’infractions terroristes, la question qui se pose est de savoir dans quelle mesure une participation active de l’enquêteur est compatible avec leur constatation et leur imputation à l’auteur?

Quelques dispositions légales, en matière de terrorisme, prévoient des procédures spécifiques ou encore des situations non prévues par la loi mais dont la pratique a démontré la nécessité ou, tout au moins, l’efficience.

En matière d’infractions terroristes, ce sont les opérations d’interception des communications téléphoniques ou messages électroniques, de livraison surveillée, de surveillance des comptes bancaires ou de surveillance électronique ou encore d’infiltration qui sont délicates du point de vue de leur exécution, mais aussi du point de vue de leur gravité. Le chapitre 4 de du Titre XII a prévu ces techniques modernes de preuve. Aussi, en cas d’existence d’indices en relation avec une entreprise terroriste, les pouvoirs des OPJ sont élargis. Ceux-ci peuvent être autorisés provisoirement en vertu d’une autorisation écrite, soit du parquet du pôle judiciaire spécialisé, soit du procureur de la République du ressort, soit des juges d’instructions du pôle judiciaire ou des juges d’instructions habilités, en vertu d’une commission rogatoire, à :

  • intercepter les communications téléphoniques, les messages électroniques et autres courriers suspects ou de toute personne en rapport avec eux, pendant une durée maximale de trois mois renouvelables en cas de nécessité;
  • infiltrer[8] en vue de rechercher des éléments de preuves (article 649.78 CPP).

Ainsi, les moyens auparavant réservés aux services de surveillance sont étendus à l’enquête et l’instruction.

De même, l’article 649.78 du code pénal prévoit que, pour les besoins de l’exécution des demandes d’entraide judiciaire, les officiers de police judiciaire (OPJ) peuvent utiliser ces techniques, mais seulement sur autorisation écrite d’un procureur de la République ou d’une commission rogatoire du juge d’instruction.

Mais il existe parfois des situations dans lesquelles il est plus difficile de faire le partage entre ce qui relève du travail d’enquête et d’investigation nécessaire à la réunion des preuves et ce qui correspond à un stratagème affectant la régularité des preuves. En d’autres termes, jusqu’à quel point peut-on admettre qu’un enquêteur fait preuve d’activisme dans la recherche de preuves?

Que se passera-t-il si les opérations visées à cet article n’ont pas été autorisées par l’autorité requise? Elles ne seront pas annulées.

Le nouveau dispositif a permis un renforcement des pouvoirs des enquêteurs à travers des techniques d’enquêtes réactives que sont les investigations, les filatures ou encore la surveillance. Face à la gravité du phénomène terroriste et la nécessité de l’éradiquer, il est important de rappeler que le caractère exceptionnel de ces techniques fait que leur mise en œuvre ne pourra se justifier que dans les cas prévus par la loi, lorsque les autres moyens d’investigation ne suffisent pas à la manifestation de la vérité et que les nécessités de l’enquête l’exigent.

Enfin, les modes traditionnels de recherche de preuve sont d’usage en matière de poursuite des infractions terroristes. Ainsi, les perquisitions et saisies peuvent s’effectuer à tout moment et en tout lieu, sans le consentement ni l’avertissement préalable, encore moins la présence de la personne concernée.

2.2.2 Les régimes dérogatoires en matière d’enquête, de poursuite et d’instruction

2.2.2.1 En matière de garde à vue

Le régime spécial et dérogatoire mis en place pour lutter contre le terrorisme s’observe également en matière de garde à vue.

À l’instar des autres pays du Sahel, le Niger a mis en place un dispositif exceptionnel, dépassant largement les standards internationaux en la matière. En matière de terrorisme, la durée de garde à vue est de quinze jours. Ce délai peut être prolongé d’un délai de même durée par autorisation écrite du parquet du PJS/LCT/CTO ou du juge d’instruction de ladite juridiction. De même, la loi nigérienne ne permet de notifier au mis en cause de son droit de se faire assister d’un avocat qu’à partir de la 48ème heure de garde à vue (article 605.5 du code de procédure pénale), alors qu’en droit commun, cette notification au suspect se fait à partir de la 24ème heure de la garde à vue sous peine de nullité de la procédure. Ce qui n’est pas le cas en matière de terrorisme où pourtant les droits de la défense sont vulnérables. On peut relever à ce niveau que ce délai est exceptionnel, comparativement aux délais qu’on observe dans bon nombre de pays en la matière. Il est important de souligner que les autres pays du Sahel (notamment le Mali et la Mauritanie) ont aussi les mêmes délais de garde à vue en matière de terrorisme. Ce régime spécial se traduit par un accroissement des pouvoirs du parquet.

Dans le souci d’assurer une lutte efficace contre le phénomène terroriste, le dispositif nigérien en la matière a prévu des pouvoirs exorbitants des autorités de poursuite et d’instruction.

2.2.2.2 En matière de poursuite : les pouvoirs exorbitants du Parquet et du juge d’instruction

Le Parquet

Le procureur de la République (PR) du TGI est l’autorité de poursuite en matière de terrorisme. Il dispose à cet égard de larges attributions. En tant que chef du parquet spécialisé, le procureur de la République est officier de police judiciaire (OPJ). Il reçoit, à ce titre, les plaintes et dénonciations qui lui sont adressées, soit directement par les fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions, soit par des particuliers. Il peut aussi constater lui-même un crime ou un délit sur l’ensemble du territoire national. Ensuite, il reçoit les PV que les OPJ ont dressés pour constater les crimes ou les délits. Si le fait signalé ne semble pas constituer une infraction terroriste, il classe l’affaire sans suite, en vertu de son pouvoir d’appréciation. Si le fait parait constituer un crime ou un délit délicat à établir, le PR ouvre une information. Enfin, il peut requérir la force publique pour l’accomplissement de ses fonctions. Le Parquet du Pôle judiciaire de lutte contre terrorisme et la CO disposent d’un mode de poursuite des infractions terroristes : c’est le réquisitoire à fin d’informer, même si une telle limitation dans les modes de poursuite peut avoir comme inconvénient d’engorger la chaine répressive par des affaires simples qui peuvent être traitées plus rapidement par d’autres options de poursuite comme le flagrant délit ou la citation directe.

En matière correctionnelle, le ministère public doit être entendu en ses réquisitions, formalités substantielles dont la preuve doit résulter du jugement. En matière criminelle terroriste, c’est aussi le ministère public qui doit accomplir tous les actes préliminaires destinés à mettre la procédure en état.

Le juge d’instruction

Les prérogatives du juge d’instruction sont étendues en matière de terrorisme. Non seulement sa saisine est obligatoire en matière de poursuite des infractions terroristes, mais elle est aussi irrévocable, car le ministère public ne peut en aucune façon annuler sa saisine en prétendant renoncer aux poursuites. Même si l’instruction des affaires terroristes est conduite conformément aux règles de droit commun, comme le précise l’article 605.7 al.2 du CPPN, le juge d’instruction peut, en plus des auditions, des interrogatoires, des constatations et vérifications, procéder à des investigations intrusives qu’on appelle aussi proactives  c’est-à-dire à des opérations qui sont des mesures de surveillance de communication ou autres, des méthodes de fouille et d’inspection. Il peut ainsi décider de limiter ou supprimer, de façon plus ou moins prolongée, la liberté d’aller et de venir des personnes poursuivies pour des actes de terrorisme. Ainsi, la loi de 2016 a prévu des délais de détentions dérogatoires du droit commun. Au terme de l’article 605.8 c. pr. pén., la durée de détention ne peut excéder quatre ans en matière criminelle et deux ans en matière délictuelle. Le juge d’instruction peut également faire usage des techniques d’enquêtes réactives, dans le cadre de l’instruction des affaires de terrorisme, pour une durée de trois mois renouvelables (perquisitions suivies de saisie d’enregistrements dissimulés, notamment des écoutes téléphoniques ou encore des sonorisations ou fixations d’images).

Conclusion de la première partie

Le droit pénal de forme du Niger en matière de lutte contre le terrorisme est un droit spécialisé et centralisé. Il s’agit d’une spécialisation intégrale qui commence de l’enquête à l’instruction jusqu’au jugement. Par ailleurs, le Niger a fourni des efforts considérables pour assurer l’efficacité des mesures antiterroristes, tout en respectant les droits des auteurs d’infractions terroristes. Toutefois, certain-e-s pensent que cette centralisation risque de conduire à un engorgement de la chaine pénale qui n’arrive pas à traiter les procédures dans des délais raisonnables.


  1. Mokaddem, Mohamed, Al-Qaida au Maghreb Islamique : Contrebande au nom de l’islam, Paris, L’Harmattan, 2010, p.22.
  2. Serge, Daniel, Les mafias du Mali : Trafics et terrorisme au Sahel, Paris, Éditions Descartes, 2014, p.22.
  3. Voir Brugière, Jean-Louis, Les voies de la terreur, Paris, Fayard, 2016, p.15.
  4. Faqi Al Mahdi est membre du groupe Ansar Dine et chef de la brigade des mœurs.
  5. Voir CPI, Ch. Pré. I, Le Procureur c. Ahmad Al Faqi Al Mahdi, Decision on the confirmation of charges against Ahmad Al Faqi Al Mahdi, 24 mars 2016, (ICC-01/12-01/15); Nicolas, M., « Le verdict de Tombouctou : Le prix des remords », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 21 novembre 2016, consulté le 21 novembre 2016. URL : http://revdh.revues.org/2661. L’intéressé a été poursuivi pour les attaques intentionnellement dirigées, du 30 juin au 10 juillet 2012, contre des bâtiments consacrés à la religion et des monuments historiques, y compris neuf mausolées et une mosquée situés à Tombouctou.
  6. Cette structure a été mise en place par arrêté n°2011-45/MI/S/D/AR/DGPN du 28 janvier 2011.
  7. Le PJSMLCT/CTO est composé d’un Parquet spécialisé dirigé par le procureur de la République de Niamey, auquel s’ajoutent le procureur adjoint et le premier substitut, cinq (5) cabinets de juges d’instruction dont deux exclusivement chargés des mineurs et sept (7) magistrats – voir articles 62.1 et 62.2 de la Loi n°2004-50 fixant l’organisation et la compétence des juridictions au Niger modifiée et complétée par les Lois n°2011-11 du 27 janvier 2011 et 2016-19 du 16 juin 2016.
  8. L’infiltration est une technique d’enquête qui consiste, pour un officier ou un agent de police judiciaire spécialement habilité dans des conditions fixées par décret et agissant sous la responsabilité d’un officier de police judiciaire spécialisé chargé de coordonner l’opération, à surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit, en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou recéleurs. L’officier ou l’agent de police judiciaire est à cette fin autorisé à faire usage d’une identité d’emprunt. À peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre des infractions.

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