Introduction
Bouma Fernand Bationo et Augustin Palé
Le « monde social », au sens défini par Becker (1985), est jalonné par des étapes de la vie quotidienne pour réaliser des activités sur les plans social, économique, politique, etc. Ce monde social connaît sans cesse des formes de négociations que les acteurs et actrices instaurent pour s’accommoder à des environnements qui ne sont pas toujours faciles d’accès. Ces négociations doivent être replacées dans des contextes de risques de vulnérabilités des individus (Castel, 1995) ou des groupes sociaux (migrations, genre, logement, jeunesse, personnes âgées, maladie, chômage, sécurité, etc.). Ces vulnérabilités doivent être repensées et réinterrogées dans leurs dimensions sociales, comme le rappelle Souley (2005).
La notion de vulnérabilité recouvre à la fois des dimensions socioculturelles (représentations sociales), relationnelles, sanitaires, économiques, juridiques, des relations de pouvoir, de genre, etc. Elle s’inscrit dans un processus temporel et spatial qui conduit les individus à déployer des stratégies au quotidien pour s’adapter à de nouvelles situations et construire sans cesse de nouveaux liens sociaux pour réduire ou rompre avec le processus de « vulnérabilisation » et de « victimisation ». Cet ouvrage propose d’interroger les trajectoires ou conditions sociales qui participent à la construction des formes de vulnérabilités des individus ou des groupes sociaux dans les sociétés contemporaines en Afrique et ailleurs. « Penser la vulnérabilité » (Castel et Martin, 2013) en termes d’accès aux soins de santé, au regard des conditions de vie des individus et des groupes sociaux, s’avère une nécessité pour l’ensemble des sciences humaines et sociales.
Les chapitres
Dans cet ouvrage, les auteurs et les autrices, de différents centres de recherche en Afrique et ailleurs, interrogent des problématiques axées sur des formes de vulnérabilité qui sont des états de fragilité et de précarité à partir desquels un individu ou un groupe social tente de négocier l’accès à des services sociaux de base en termes de droits.
Les neuf chapitres inscrits dans une grande variété de disciplines et d’approches démontrent bien l’intérêt pluridisciplinaire à examiner les diverses facettes de la vulnérabilité et de la relation entre les facteurs de vulnérabilité et l’accès aux structures de soins. Le but de ce livre est d’appuyer des interventions ciblées en Afrique, afin de réduire les inégalités sociales produites par ces états de « précarisme ».
Le chapitre de Salifou Zeba montre comment les femmes atteintes du cancer du col de l’utérus négocient au quotidien plusieurs recours thérapeutiques pour lutter contre la maladie.
Celui de Joseph Bazié et Bouma Fernand Bationo analyse les conditions d’accès aux soins obstétricaux dans la prise en charge des grossesses et des accouchements, et les mécanismes de solidarité qui contribuent à réduire la vulnérabilité de certains ménages à accompagner les femmes dans les structures de santé.
Le chapitre de Hamidou Sanou, Moubassira Kagoné, Ilario Rossi, Maurice Yé et Ali Sié renvoie à la problématique de l’accès aux soins palliatifs par certain-e-s patient-e-s, au regard des représentations sociales et des contraintes conjoncturelles et structurelles, pour dégager la vulnérabilité des ménages à accéder aux structures hospitalières.
Le texte de Adjara Millogo, Anselme Sanon, Abdramane Berthé, Blahima Konaté, Isidore Tiandiogo Traoré et Patrice Toé analyse les perceptions des personnes âgées dites vulnérables dans la quête d’informations et l’accès aux dépistages et à la prise en charge du VIH/sida.
Le chapitre proposé par Ludovic Ouhonyioué Kibora et Roger Zerbo renvoie à d’autres formes de vulnérabilités qui concernent l’allaitement des nouveaux-nés. L’auteur analyse les représentations sociales comme des facteurs empêchant les nouveaux-nés d’accéder au colostrum, le premier lait maternel, ce qui pose un problème de santé publique.
Les réflexions menées par Marie-Thérèse Arcens Somé montrent les liens existant entre entreprenariat féminin et santé, dans la lutte contre les vulnérabilités dans l’accès aux soins, afin de promouvoir la condition des femmes.
Kamba André Soubeiga fait porter son analyse sur les ONG et associations (institutions vulnérables) qui se sont donné comme vocation de mener des actions en faveur des personnes infectées et affectées par le VIH/sida, en tant que catégorie davantage exposée aux ravages de l’infection et particulièrement vulnérable à celle-ci. De ce fait, elles ont très tôt été confrontées à la nécessité de développer en leur sein des capacités particulières pour faire face à leurs multiples besoins.
Le chapitre de Laura Mellini, Francesca Poglia Mileti et Michela Villani propose une analyse sociologique de la vulnérabilisation des femmes d’origine africaine et séropositives en contexte migratoire. À travers des trajectoires singulières, elle montre que le processus de vulnérabilisation est construit à partir de la stigmatisation, de la maladie, des démarches administratives (obtention de titres de séjour) et de l’isolement social. Cela engendre des contraintes dans l’accès aux soins médicaux. Les expériences analysées sont intéressantes, bien que produites en dehors de l’Afrique.
Enfin, Fatié Ouattara, à travers une théorie kantienne, mène la réflexion autour des questions d’éducation qui fragilisent les individus au point de les rendre vulnérables. Le chapitre montre ainsi que l’ignorance est une maladie qui persiste, attaquant à la fois le corps, l’âme et l’esprit du patient ou de la patiente qu’est l’ignorant-e, – maladie dont on guérit difficilement en étant dans une situation de vulnérabilité.
Remerciements
La parution de cet ouvrage n’aurait pas été possible sans les conseils scientifiques et l’appui financier de la Pr Florence Piron (Université Laval, Québec). Qu’elle trouve à travers cet ouvrage toute notre marque de sympathie et de reconnaissance.
Nous voudrions remercier les auteurs et les autrices des chapitres publiés dans cet ouvrage, notamment pour la patience et la confiance qu’ils et elles ont placées en nous pendant les moments d’attente.
Ces remerciements s’adressent également à tous les évaluateurs et évaluatrices pour le temps consacré à la lecture des chapitres publiés afin de leur donner un contenu scientifique approprié.
Toute notre reconnaissance aux traducteurs et traductrices des résumés en langues burkinabè (dioula et moore) et à la rédactrice de la préface du présent ouvrage, Maryvonne Charmillot, de l’Université de Genève.
Enfin, nos sincères remerciements à toutes les personnes qui, en dépit de leur état de vulnérabilité, ont accepté de participer à la réalisation de l’ouvrage afin de trouver des éléments de réponse à l’amélioration de leur droit à l’accès aux services sociaux et de santé.
Références
Becker, H. S., 1982, Art Worlds, Berkeley, The University of California Press (trad. Française : Les mondes de l’art, présentation de Pierre-Michel Menger, traduit de l’anglais par Jeanne Bouniort, Paris, Flammarion, 1988).
Castel, R., 1990, « Le roman de la désaffiliation. A propos de Tristan et Iseult », le Débat, n°61, pp. 152-164.
Martin, C., 2013, « Penser la vulnérabilité. Les apports de Robert Castel », Alter: European Journal ofDisability Research / Revue européenne de recherche sur le handicap, Elsevier Masson, 7 (4), pp. 293-298.
Souley, H.-L., 2005, « Reconsidérer la vulnérabilité », Érès | Empan, 4 (60), pp. 24-29.
Pour citer :
Bationo, Bouma Fernand et Palé, Augustin. 2020. « Introduction ». In Vulnérabilités, santé et sociétés en Afrique contemporaine. Expériences plurielles. Sous la direction de Bouma Fernand Bationo et Augustin Palé, p. 1-4. Québec et Ouagadougou : Éditions science et bien commun.