4 Perception et riposte au VIH chez les personnes âgées dans la ville de Bobo-Dioulasso
Adjara Millogo; Anselme Sanon; Abdramane Berthé; Blahima Konaté; Isidore Tiandiogo Traoré; et Patrice Toé
Introduction
Fin 2012, le nombre de personnes vivant avec le VIH (PVVIH) dans le monde était estimé à 35,3 [32,2–38,8] millions (ONUSIDA, 2013). Le Burkina Faso est l’un des pays les plus affectés par le VIH (INSD, 2010). Cette épidémie n’épargne aucune couche de la société. Le nombre de personnes âgées de 50 ans et plus vivant avec le VIH est estimé à 3,6 millions dans le monde (ONUSIDA, 2013). En Afrique subsaharienne, elles représentent 14% de la population adulte vivant avec le VIH (Negin et al., 2012), alors qu’elles ne figurent pas parmi les populations vulnérables. À Bobo-Dioulasso, la recherche et l’intervention dans la riposte au VIH ont peu ciblé les personnes âgées. Les données socio-anthropologiques et épidémiologiques sur le VIH concernant cette population sont quasi inexistantes. Cette étude menée à Bobo-Dioulasso vise à décrire la perception de l’infection par le VIH et à identifier les facteurs limitant le recours au dépistage et à la prise en charge chez les personnes âgées.
Méthodologie
Cette étude a été réalisée dans la ville de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, entre 2015 et 2016. Il s’agit d’une étude transversale, exploratoire avec une approche qualitative. Notre population est constituée de 9 hommes et de 31 femmes âgé-e-s entre 60 et 84 ans. Elle est composée, d’une part, de personnes âgées de 60 ans et plus infectées par le VIH suivies soit à l’association Responsabilité, Espoir, Vie et Solidarité (REVS+), soit au centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Dô et Dafra, d’autre part, de personnes âgées de 60 ans et plus, séro-ignorantes, venues dans la formation sanitaire pour une prestation quelconque. Le choix des personnes âgées s’est fait de manière raisonnée dans les centres de santé et d’associations. Pour savoir si parmi les motifs de consultation des personnes âgées figurait la question du VIH et du Sida, nous avons, avec l’accord du prestataire de soins et le consentement des patient-e-s, assisté à des consultations de personnes âgées. Ensuite, nous avons identifié, à partir des listes et registres de la file active des associations et CMA, les personnes âgées susceptibles de participer à l’étude. Enfin des entretiens individuels et collectifs leur ont été proposés.
Notre échantillon a atteint la saturation à 40 personnes âgées. Les critères de sélection des personnes âgées étaient d’avoir au moins 60 ans, de résider à Bobo-Dioulasso et d’accepter librement de donner son consentement pour l’étude.
Nous avons réalisé 40 entretiens individuels et deux focus groups. Notre guide d’entretien portait sur les points suivants :
- les connaissances, attitudes et pratiques des personnes âgées face au VIH;
- la perception du VIH par les personnes âgées;
- les obstacles au dépistage du VIH chez les personnes âgées;
- la prise en charge du VIH chez les personnes âgées;
- les actions menées par les acteurs de riposte au VIH pour les personnes âgées.
Les entretiens ont été enregistrés à l’aide d’un dictaphone avec l’accord des enquêté-e-s et transcrits intégralement. Une analyse de contenu a été faite à partir de la fréquence des réponses et le croisement des données obtenues chez les différent-e-s répondant-e-s.
Considérations éthiques
D’une façon générale, cette étude a été menée selon les principes éthiques de la recherche qualitative. Avant tout entretien, une lettre d’information sur le projet a été remise à chaque enquêté-e ainsi qu’un consentement éclairé prouvant que sa participation à l’étude était libre et volontaire. Les personnes analphabètes étaient assistées de personnes témoins choisies par elle-mêmes. Les informations collectées étaient anonymes et confidentielles grâce à un système de codage où les personnes ayant participé à l’entretien avaient un code alphanumérique (par exemple la lettre A suivi d’un numéro d’ordre).
Résultats
Profil des participant-e-s
Nous avons rencontré, dans le cadre de cette enquête, 40 personnes âgées parmi lesquelles 9 hommes et 31 femmes avec un âge compris entre 60 et 84 ans. L’âge moyen était de 62 ans. Ce groupe était composé pour la plupart de personnes non alphabétisées (30 sur 40) et très peu de pensionnées (10 sur 40). La majorité des enquêté-e-s étaient de religion musulmane (30 sur 40).
Perception du VIH par les personnes âgées
Le VIH comme une sanction divine
La plupart des personnes âgées pensent que c’est « une maladie envoyée par Dieu pour punir les infidèles », une malédiction divine. Et ce patient d’expliquer que « Dieu nous a dit dans le Coran que l’infidélité c’est quelque chose qui n’est pas bien. Que les gens arrêtent de faire ça. Parce que si vous ne cessez pas, lui il va faire propager une maladie, dans notre société, une maladie qui n’a pas de médicament » (T.A3. 76 ans, patient du CAES, 13-06-2014). Les personnes âgées qui connaissent leur statut sérologique négatif sont convaincues que si elles ont été épargnées, c’est grâce à leur comportement « sain » et à la volonté de Dieu. C’est le cas de ce répondant qui déclare ceci : « on ne s’approche de personne, peut-être si ce n’est pas l’œuvre de Dieu, ça ne peut pas nous atteindre » (R. C39., 67 ans, patient du CAES, 16-06-2014). Elles pensent qu’elles ont été épargnées par la grâce divine.
Sida : la maladie des « jeunes »
La perception du VIH et du sida comme appartenant à la jeunesse est dominante chez les participant-e-s à cette étude. Ils et elles considèrent le VIH comme « une nouvelle maladie », « une maladie des temps modernes », « une maladie des jeunes ». Une personne âgée sexuellement active est considérée comme perverse et, par conséquent, « démérite » son rang. Cette perception de la personne âgée « chaste » fait en sorte que les personnes âgées ne s’autorisent pas à s’approvisionner en préservatifs dans les lieux traditionnels de vente. Selon les enquêté-e-s, une personne âgée « qui aurait le VIH » l’aurait cherché puisque, à leur époque, il n’y avait pas cette maladie. Donc, une personne âgée ne peut pas avoir le VIH et peut-être que, « si la personne âgée gagne ça, si ce n’est pas par accident, c’est que c’est par vagabondage sexuel » (S. A2., 66 ans, patiente du CAES, 19-06-2014). Cependant, d’aucun-e reconnait que c’est une maladie qui ne trie pas sa cible et qui trouve que les personnes âgées sont autant exposées au VIH que les jeunes. Beaucoup ne croient pas à l’existence du VIH. Donc le réflexe de faire le test de dépistage n’est pas évident.
Sida : la maladie de la honte
Dans cette étude, le VIH et le sida représentent, pour notre population cible, une maladie de la honte. Selon elle, le sida est apparu pour « couvrir l’homme de honte ». Elle souligne que « c’est une maladie qui gâte le nom » (S. A2. 66 ans, patiente du CAES, 19-06-2014). Chez les personnes âgées séropositives, la honte est plus ressentie du fait du rapport du VIH à la sexualité : « c’est la honte-là seulement. On va dire que c’est une mauvaise personne, c’est quelqu’un qui est infidèle » (B. L25., 77 ans, patient du CAES, 14-06-2014).
À cause de la honte associée à la sexualité, il est difficile pour une personne âgée d’aller payer des préservatifs dans une boutique. Elle aurait eu honte qu’on dise qu’elle est toujours sexuellement active. Comme le dit une personne âgée : « Tu sais que moi par exemple si je dois aller m’arrêter pour payer la capote, tu sais que j’ai honte de ça. Ou bien moi, ma femme aller s’arrêter qu’elle paye la capote, tu sais qu’elle aura honte » (D.A12, 64 ans, patient du CAES, 14-06-2014). Cette honte se caractérise par le refus du port de la capote. Pour les personnes âgées, le « sida » est synonyme de « mort », parce que c’est une maladie qui ne guérit pas définitivement. Sida togo ka bõ ou, en langue dioula, le nom du sida est « énorme » pour dire que « le nom du sida est grand ».
Obstacles au dépistage du VIH
Très peu de répondant-e-s ont fait leur test de dépistage du VIH. Les raisons sont variées et multiples. Pour cet enquêté : « nous les vieilles générations-là, nous avons confiance en nous-mêmes. Si tu n’as pas confiance en toi-même tu vas aller faire ton test » (F. B27, 60 ans, patient CAES, 14-06-2014).
La vieillesse apparaît comme un facteur protecteur, qui « disqualifie » en même temps les personnes âgées dans la riposte au VIH, notamment le test de dépistage. Dans nos résultats, le nombre de personnes ayant effectué le test de dépistage était minime. Les femmes âgées sont les plus nombreuses à ne pas se faire dépister.
Ces enquêté-e-s n’accordent pas d’importance au dépistage : « Nous, on dit qu’on est vieux pour le dépistage donc ça c’est le travail des enfants » (C. A4., 66 ans, patient CAES, 13-06-2014). Le fait de se rendre à l’hôpital pour se faire dépister est aussi mal jugé. Il apparaît honteux de se rendre à l’hôpital de peur d’être méprisé-e par les enfants et les adultes. Cette démarche pourrait les assimiler à des personnes qui manquent de responsabilité/conscience : « on dira oh ! vieux cons-là, vous n’êtes pas sérieux. Sinon à ton âge-là tu vas faire le test du sida pourquoi? » (S. A7., 76 ans, patient CAES, 13-06-2014). La plupart des personnes âgées enquêtées ont une perception très « négative du VIH ». Le VIH apparaît comme une maladie qui « a un gros » nom, une maladie liée au péché chez une personne âgée, ce qui fait qu’elle ne mérite aucune pitié. Ces différentes perceptions sont des obstacles au dépistage pour cette couche sociale.
Mise à l’écart des personnes âgées dans la lutte contre le VIH
La riposte au VIH est beaucoup plus accentuée sur les jeunes, les TS (travailleurs de sexe), le personnel de prison, les usagers et usagères de drogue et les routiers, routières. Les personnes âgées sont la seule strate de population qui n’est pas considérée dans la riposte au VIH. Au centre d’accueil et d’écoute pour les personnes âgées (CAES), « la seule chose qu’on n’a pas pu instaurer est le dépistage du VIH des personnes âgées » (B. Y43, 43 ans, agent de santé au CAES, 29-06-2014). Au niveau de ces centres d’accueil, une campagne de sensibilisation se fait au moins une fois par trimestre. Pour certain-e-s répondant-e-s, cette sensibilisation est parfois source de conflit entre les acteurs et actrices de la lutte contre le VIH et les personnes âgées : « Tu pars t’assoir auprès d’elle (en parlant de la personne âgée) pour lui causer de ça, elle te dit que c’est à quoi tu as pensé pour venir lui dire ça. Elle peut te faire la bagarre » (M. A8, 67 ans, patiente du CAES, 03-06-2014). Dans les associations comme REVS+, les personnes âgées ne sont pas traitées de manière spécifique. Elles ne fréquentent les associations qu’en cas de référence d’un-e agent-e de santé. Même dans les centres de soins, il est difficile de rencontrer une personne âgée venue spécialement pour le test du VIH ou s’informer sur le VIH.
Cependant, certain-e-s enquêté-e-s trouvent que plus on fait la sensibilisation, plus on démotive les gens au dépistage, parce qu’on les effraie sur les effets du sida. Si on donne des conseils à tout moment, les gens auront peur du VIH et ne voudront pas découvrir leur statut, « parce que si on parle de quelque chose tout le temps, si tu entends, ça te fait peur. Sinon, si on donne des conseils peut-être trop de fois, les gens sont démotivés » (O. B24, 64 ans, patient du CAES, 11-06-2014). Pour certain-e-s, la sensibilisation peut les pousser à fuir le dépistage.
Discussion
De la présentation des résultats de notre étude, se dégagent des perceptions spécifiques du VIH qui influencent la prise en charge du VIH chez les personnes âgées. Ces perceptions méritent d’être élucidées. En effet, les résultats montrent qu’il y a une faible connaissance des IST/VIH; une faible perception du risque chez les PVVIH chez les PA, ce qui entraîne une plus grande exposition au VIH. Les PA ne font pas le test de dépistage du VIH spontanément, mais seulement quand elles ont des signes évocateurs du sida.
Limites et biais de l’étude
La différence d’âge entre l’enquêtrice et les enquêté-e-s (l’enquêtrice avait l’âge de leur petite ou arrière-petite-fille) pourrait avoir entraîné un biais de désirabilité sociale. En effet, étant donné le rapport dramatique à la sexualité, surtout chez les PA, ces dernières pourraient avoir dissimulé les écarts de comportement qu’elles ont eu dans la sexualité.
Conception du VIH chez les personnes âgées
Si on s’en tient aux modes de transmission, la plupart des PA connaissent seulement la transmission par voie sexuelle. La transmission de la mère à l’enfant est quasiment méconnue dans notre population d’étude alors que, pour l’EDSBF (2010), globalement, 59% des femmes et une proportion plus faible d’hommes (44%) connaissent, à la fois, la possibilité de transmission du VIH par l’allaitement et l’existence de médicaments qui peuvent réduire les risques de transmission maternelle au cours de la grossesse. De nombreuses personnes âgées ont aussi des connaissances erronées sur la transmission du VIH; certaines évoquent des fluides du corps tels que l’urine, d’autres les mouches. L’Agence de Santé Publique du Canada (2010) a trouvé les mêmes résultats. Elle a montré que les personnes âgées sont moins informées que les jeunes sur le VIH et ses modes de transmission. Le Pr. Réjean Thomas dénonce la désinformation totale des personnes âgées sur les modes de transmission et de prévention sur le VIH (Proulx, 2012). Le faible niveau de connaissance des personnes âgées sur le VIH est lié, entre autres, au fait qu’avec les changements sociaux et économiques, les personnes âgées ont perdu leur place dans la société. Les canaux d’information ne passent plus des personnes âgées vers les jeunes. Le Pr. Thomas (ibid.) dénonce la désinformation totale des personnes âgées sur les modes de transmission et de prévention du VIH. L’insuffisance d’information sur le VIH chez les personnes âgées peut être aussi liée à des résistances culturelles. Pour lui, les personnes âgées sont non seulement moins bien informées sur les risques de transmission du virus mais, pire, elles intègrent moins les messages de prévention qui ne les ciblent d’ailleurs pas.
Les personnes âgées elles-mêmes ne se considèrent pas à risque et le préservatif est moins utilisé, car souvent perçu comme un simple moyen de contraception. C’est, du reste, ce qui explique la référence à des fluides du corps autres que le sang, le sperme et le lait dans la transmission du VIH. Enfin, de par leur nombre restreint, les personnes âgées ne sont pas la cible des acteurs et actrices de lutte contre le VIH.
Ces résultats sont cohérents avec ceux trouvés par Makdessi-Raynaud (2003) qui mettent en évidence la grande vulnérabilité des personnes âgées à cause de leur faible perception du risque. En dehors de l’infection accidentelle, une personne âgée qui aurait cette maladie l’aurait elle-même voulue. Et, dès lors, elle ne mérite pas la compassion.
Perception du VIH chez les personnes âgées et prévention
Les personnes âgées enquêtées perçoivent le préservatif comme moyen de protection contre le VIH, mais ne se sentent pas concernées par son utilisation. Si les réticences à l’utilisation du préservatif peuvent être tributaires du faible niveau de connaissances sur le VIH et le sida chez les PA, les facteurs culturels ne sont pas en reste. En effet, pour les personnes âgées, le préservatif est synonyme d’infidélité. Le préservatif est mal toléré dans un contexte où la sexualité chez la personne âgée apparaît inacceptable. C’est ce tabou de la sexualité qui pousse les médecins à ne pas avoir le réflexe de parler du VIH avec leurs patient-e-s âgé-e-s de plus de 60 ans. Des auteurs et autrices tel que Fenton (2012) s’opposent à cette façon de voir. Pour lui, « l’âge n’est pas un préservatif » et la sexualité ne s’arrête pas à la ménopause comme le pensent certaines personnes âgées, ce qui est comparable à cette étude où plus du 2/3 des 50 ans et plus aux États-Unis ont une relation sexuelle et environ 40% d’entre elles ont eu des rapports sexuels non protégés (Psomas et Dixneuf, 2012).
Lindau et al. (2007) vont dans le même sens. Les résultats d’une étude comportementale qu’ils ont réalisée aux États-Unis révèlent que les personnes âgées sont sexuellement actives et cette activité sexuelle est souvent accompagnée de problèmes sanitaires qui se discutent rarement avec le personnel soignant. Cela a pour conséquence aussi l’insuffisance d’intérêt des programmes de santé pour l’infection par le VIH chez les personnes âgées.
Perception de son statut de personne âgée et dépistage
Si les personnes âgées reconnaissent qu’il faut le dépistage pour déterminer le statut sérologique, elles ne recourent pas au test; il apparaît sans intérêt. Compte tenu de leur âge, elles sont considérées comme inactives sur le plan sexuel.
Chez les femmes âgées, le VIH est fortement connoté par l’infidélité et l’exclusion sociale; cette perception du test et le sentiment d’être une femme fidèle les met au-dessus d’un test qui concerne les femmes infidèles. De nombreuses études ont mis en évidence la relation entre perception sociale de son propre risque et le dépistage. D’abord, Praz (2011) a distingué chez les personnes âgées leurs comportements de soins en fonction de la perception. Pour lui, les personnes âgées, au début, ne croient pas au VIH. Nous retrouvons des résultats similaires chez Sobze et al. (2011) qui montrent qu’il y a une relation significative entre la perception du VIH et le dépistage. Pour eux, les jeunes qui ont une connaissance sur le VIH et le sida se font plus dépister.
Perception du VIH par les personnes âgées et prise en charge
Ces résultats sont cohérents avec ceux trouvés par Makdessi-Raynaud (2003) qui a mis en relation la perception de la maladie avec l’âge. Pour lui, la perception de la maladie chez les personnes âgées est parfois plus négative que chez les jeunes.
Les enquêté-e-s avouent avoir peur du sida, au point qu’ils et elles l’assimilent à la mort. Mais, en réalité, c’est pour signifier à quel point c’est une maladie pernicieuse et à quel degré ils et elles la craignent. Les personnes âgées avouent avoir tellement peur de cette maladie qu’elles évitent de prononcer son nom. Dans son investigation, Makdessi-Raynaud (2003) a mis en relation la perception de la maladie avec l’âge. Il cherche à montrer que la perception de la maladie chez les personnes âgées est parfois plus négative que chez les jeunes. La perception que les personnes âgées ont peur du VIH justifie pour certaines d’entre elles le refus de faire le dépistage car pour elles, mieux vaut rester « séro-ignorant » que de découvrir son statut sérologique positif pour le VIH. Par contre, dans le groupe des personnes âgées infectées, certaines n’en font pas un problème. Elles considèrent leur sida comme un simple paludisme.
Donc l’infection à VIH peut être leur destin, et nul ne peut aller à l’encontre de son destin.
Facteurs limitant le dépistage du VIH chez les personnes âgées
Dans notre étude, la plupart des personnes âgées n’ont jamais fait leur test de dépistage du VIH. Et celles qui ont pu le faire ne l’ont pas fait dans une démarche volontaire, mais suite à une maladie évocatrice qui pousse le médecin à demander le test. Selon la catégorie des 67 à 80 ans, apercevoir une personne âgée dans un centre de dépistage est une preuve de son infection par le VIH. Cette perception des centres de dépistage limite l’accès au dépistage chez les personnes âgées. Ridde (2012) a identifié aussi d’autres facteurs associés à l’utilisation des services de santé, tels que les caractéristiques individuelles, la maladie et ses perceptions, les caractéristiques des services et les perceptions des personnes âgées.
Limites de la prise en charge du VIH et du sida chez les personnes âgées
L’âge se révèle être un frein pour le personnel soignant dans la prise en charge des personnes âgées en cas de séropositivité. Aussi ces dernières sont-elles confondues avec la population générale dans les centres de prise en charge. La prise en charge des personnes âgées est négativement influencée par les insuffisances du système de santé au Burkina Faso. Ridde (2012) dénonce des insuffisances liées à l’éloignement des centres de santé, à l’insuffisance des ressources humaines et matérielles, au coût élevé des soins de santé et des médicaments, au manque d’information et de sensibilisation de la population, à l’absence d’un régime de protection sociale, à la difficulté d’accès à l’eau potable, à l’insalubrité du cadre de vie et à la malnutrition.
Conclusion
Au terme de cette étude portant sur « [la] perception et [la] riposte au VIH chez les personnes âgées », il ressort que dans la riposte au VIH au Burkina Faso, les personnes âgées ne font pas l’objet d’une attention particulière.
En explorant la perception des personnes âgées sur le VIH et le sida, nous avons trouvé que les personnes âgées ont une faible connaissance en matière de VIH. Quant à la perception des personnes âgées sur le VIH et le sida, cette maladie est considérée comme une maladie de la modernité, alors ça n’engage que les jeunes générations. La mauvaise perception du VIH chez les personnes âgées les empêche de participer aux activités de prévention et de bénéficier de la prise en charge.
D’ailleurs, les politiques de prise en charge du VIH et du sida et des acteurs de la riposte au VIH ne prêtent pas une attention particulière aux personnes âgées. L’orientation de la riposte au VIH est de cibler les populations considérées comme clés (travailleuses du sexe, HSH, détenu-e-s, toxicomanes). Aussi, il n’existe pratiquement pas de données sur le VIH chez les personnes âgées. Ces dernières ne bénéficient d’aucune approche spécifique : elles sont confondues dans la population générale.
Au regard de ces résultats qui montrent une faible prise en compte des personnes âgées dans la riposte au VIH, nous recommandons aux acteurs de la riposte au VIH d’élaborer une politique d’orientation et de prise charge à l’endroit des personnes âgées.
Références
Agence de la santé publique du Canada, 2010, « L’infection à VIH et le sida chez les personnes âgées au Canada », Actualités en épidémiologie du VIH/sida, chap. 6. https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/vih-sida/publications/actualites-epidemiologie/chapitre-6-infection-vih-sida-personnes-agees-canada.html
Fenton, K., 2012, « Vivre avec le VIH à 50 ans et plus », Numéro spécial ANRS Transcriptases, 149, 64.
Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD), 2010, Enquête Démographique et de Santé (EDS-IV) et à Indicateurs Multiples (MICS) EDSBF-MICS IV. Rapport préliminaire, Ouagadougou, Ministère de l’Économie et des Finances. https://dhsprogram.com/pubs/pdf/pr9/pr9.pdf
Lindau, S. T., Schumm, L. P. et al., 2007, « A study of sexuality and health among older adults in the United States », New England Journal of Medicine, 357, pp. 762-774. https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa067423
Makdessi-Raynaud, Y., 2003, « Étude et résultats. La prévention : perceptions et comportements premiers résultats de l’enquête sur la santé et les soins médicaux », Drees, 385.
Negin, J., Mills E. J. & T. Bärnighausen, 2012, « Aging with HIV in Africa: the challenges of living longer », AIDS, 26(0 1): S1–S5. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4017661/
ONUSIDA, 2003, Rapport ONUSIDA sur l’épidémie mondiale du sida.
Praz, S., 2011, « VIH et âge », Swiss Aids News, 4, 16.
, le 3 décembre 2012. https://www.lapresse.ca/vivre/sante/201212/03/01-4600034-le-sida-a-lage-de-la-sagesse.php
Psomas, K. C. & M. Dixneuf, 2012, « VIH et vieillissement. Vivre avec le VIH à 50 ans et plus », Transcriptases, 149, 64. https://vih.org/20130205/vivre-avec-le-vih-a-50-ans-et-plus/
Ridde, V., 2012, L’accès aux soins de santé en Afrique de l’Ouest : au-delà des idéologies et des idées reçues, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.
Sobze, M. S., R. Gianluca et al., 2011, « Perception du VIH/SIDA et prévention de l’infection au Cameroun. Évaluation des connaissances, aptitudes et pratiques (CAP) chez les étudiants en première année de l’Université de Dschang », in Proceedings of the 16th International Conference on AIDS and STIs in AFRICA (ICASA), Casablanca.
Remerciements
Nous remercions le CODESRIA pour son soutien financier qui a permis la réalisation de cette étude, le Projet interuniversitaire ciblé-Personnes Âgées au Burkina Faso/Commission Universitaire au Développement (PIC-PABF/CUD), pour son soutien méthodologique. Nous remercions les associations qui ont servi d’interface avec les personnes âgées, ainsi que toutes les personnes âgées qui ont bien voulu participer à l’étude.
Pour citer :
Millogo, Adjara, Sanon, Anselme, Berthé Abdramane, Konaté, Blahima, Tiandiogo Traoré, Isidore et Toé, Patrice. 2020. « Perception et riposte au VIH chez les personnes âgées dans la ville de Bobo-Dioulasso ». In Vulnérabilités, santé et sociétés en Afrique contemporaine. Expériences plurielles. Sous la direction de Bouma Fernand Bationo et Augustin Palé, p. 81-93. Québec et Ouagadougou : Éditions science et bien commun.