9 Épilogue. D’hier à demain, les études culturelles africaines

Salaka Sanou

En 1988-89, la réorganisation née de la mise en œuvre du système LMD (licence, master, doctorat) dans notre Université Ouaga 1 Pr Joseph Ki-Zerbo a conduit le Département de Lettres modernes à créer un Master intitulé Littératures et Cultures africaines (LCA) qui comprend deux parcours : Littératures africaines écrites (LAE) et Études culturelles africaines (ECA). Dans cette dernière formulation apparaît un nouveau concept qui n’était pas souvent employé dans notre vocabulaire de travail et de recherches : études culturelles africaines. Puisque c’est une nouveauté, il nous faut en avoir une bonne compréhension et une bonne approche pour éclairer les jeunes chercheurs et chercheuses, étudiants et étudiantes, et leur permettre de bien l’utiliser pour s’orienter dans leurs recherches.

Le présent livre a pour but de contribuer à l’appropriation du concept d’études culturelles dans les universités africaines en procédant à un historique de ce que je considère comme les prémisses des études culturelles dans notre département de Lettres modernes, en présentant le concept dans ses dimensions théoriques et en dessinant les contours des thématiques qui peuvent être explorées dans ce champ d’étude.

Cet épilogue présente les résultats d’une expérience personnelle au Burkina Faso qui est à partager mais aussi l’expression de vœux à l’attention des jeunes chercheurs et chercheuses des générations montantes. Il fait le point sur la démarche suivie, le fond théorique qui doit sous-tendre la réflexion et surtout les pistes à explorer pour la connaissance et la promotion des cultures africaines.

 

Le point de départ

Le Département de Lettres modernes a entrepris la réorganisation de ses formations au cours de l’année 1988-1989 en vue d’offrir de nouvelles perspectives à ses étudiants et étudiantes. Dans ce cadre, j’ai proposé la création d’un projet qui aurait l’ambition de susciter la réflexion sur nos réalités artistiques et culturelles, ce d’autant que le Burkina Faso est présenté comme un pays de culture. C’est ainsi que le projet Esthétique Littéraire et Négro-africaine (ELAN) a vu le jour.

Dans la justification du projet, nous avons pris en compte « l’importance accordée à la culture par les autorités politiques du pays avec la création d’un ministère chargé de la culture, du projet Institut des Peuples Noirs (IPN), de l’organisation régulière de la Semaine nationale de la culture (SNC) et du grand prix national des arts et des lettres (GPNAL) ».

Pour permettre à l’Université de jouer son rôle dans le développement de notre pays, nous avons aussi reconnu la nécessité de former une « cellule de recherche pour collecter, étudier et conserver les manifestations artistiques et culturelles en vue d’analyser et de dégager leur esthétique spécifique ». La description de ce projet prend en compte les domaines suivants :

  • la littérature orale et écrite,
  • les danses traditionnelles et modernes,
  • les musiques traditionnelles et modernes,
  • les masques,
  • les langages corporels (scarifications, tatouages, etc.).

Le projet ELAN a été conçu en deux volets : la recherche et l’enseignement.

Ces deux volets expriment une volonté de travail de terrain en vue de la collecte et aussi d’une participation directe et immédiate aux activités artistiques. Ils nécessitent des travaux de terrain qui participent de la volonté du Département de s’ouvrir davantage sur le monde extérieur. Cette ouverture se fera dans un cadre scientifique bien défini et non plus comme une consommation profane et empirique de notre patrimoine.

Le volet Enseignement devait donner naissance à deux certificats optionnels, C1 en licence et C2 en maîtrise, qui seraient proposés aux étudiants et étudiantes. Les objectifs de recherche du projet étaient déclinés ainsi :

  • la collecte d’une documentation sur l’esthétique des arts au Burkina,
  • une définition plus scientifique et plus rigoureuse des différentes expressions artistiques de notre pays,
  • une meilleure définition des identités et des régions culturelles du Burkina,
  • la mise en évidence des apports extérieurs qui influencent diversement nos productions artistiques,
  • une meilleure exploitation de certains procédés esthétiques inspirés des valeurs culturelles traditionnelles et des apports extérieurs,
  • la mise à disposition des hommes de culture et de l’administration culturelle d’une documentation en vue d’une meilleure gestion de notre patrimoine culturel,
  • à long terme la rédaction d’un ouvrage sur l’identité culturelle et artistique du Burkina dans le cadre de l’esthétique négro-africaine.

Au niveau de l’enseignement et de la formation des étudiants et étudiantes du Département, le projet ambitionnait de combler certaines insuffisances constatées en prenant en compte les acquis méthodologiques et les résultats des recherches. En effet, à l’époque, le Département comptait les options suivantes : arts du spectacle, critique littéraire et littérature orale. Il s’agissait, pour la nouvelle option qui devait être créée, de proposer « des enseignements articulés autour de la description, la sociologie et la sémiologie des expressions artistiques du Burkina. Outre cette étude de l’esthétique de l’art burkinabè, une ouverture sera nécessaire sur la définition de l’esthétique négro-africaine et sur son influence sur l’art moderne ».

Réalisations du Projet ELAN

Pour atteindre ces objectifs, nous avons réalisé un certain nombre d’activités au sein du projet ELAN (Esthétique Littéraire et Négro-africaine) :

  1. L’officialisation du Projet par la prise de l’arrêté n° 95-08/ESSRS/UO/R du 16 février 1995 portant création du Projet Esthétique littéraire et artistique négro-africaine (ELAN). Il stipule en son article 2 que «  les domaines de recherches du projet ELAN concernent toutes les productions artistiques traditionnelles ou modernes du Burkina ». L’article 3 stipule que « les recherches du projet ELAN sont pluri et interdisciplinaires ; elles font appel à des chercheurs d’autres départements, facultés et institutions.»

  2. Plusieurs sorties de terrain entre 1992 et 1996, par des équipes de recherche, dans une dizaine de provinces du Burkina Faso afin de découvrir les réalités artistiques et culturelles — notamment les sorties de masques, les festivals artistiques et culturels, les éditions de la Semaine nationale de la Culture — et de collecter les informations comme prévu dans le document du projet. Ces sorties de recherche ont donné lieu à des rapports dont quelques exemplaires sont disponibles.

  3. La réalisation d’un diaporama sur les masques du Burkina Faso : une des plus grandes réalisations du projet ELAN a été le Diaporama sur les masques du Burkina dans le cadre d’une convention entre la Faculté des Lettres, des Arts et des Sciences Humaines et Sociales (FLASHS) et l’UNESCO pour le compte de l’Institut des Peuples noirs (IPN). En effet, dans le cadre de ses activités de valorisation du patrimoine culturel du monde noir, l’IPN a obtenu en 1993 un financement de l’UNESCO pour réaliser un diaporama sur les masques du Burkina. Le travail de l’équipe de ELAN a permis de :

  • faire un recensement des types de masques des différentes zones géographiques du Burkina concernés : Mouhoun, Sissili, Sanguié, Houet;
  • effectuer des sorties de prise de contact avec les responsables des masques des provinces concernées;
  • réaliser des photographies sur diapositive dans les zones et dans les villages bobo autour de Bobo-Dioulasso pendant la Semaine nationale de la culture Bobo 92, à titre de comparaison;
  • faire le montage c’est-à-dire la sélection, la description et le classement;
  • élaborer le commentaire d’accompagnement en comparaison avec d’autres masques du monde noir;
  • faire la réalisation audio-visuelle du diaporama.

La réalisation de ce travail a renforcé l’esprit d’équipe et de collaboration entre les membres du projet parce qu’il y allait de sa notoriété et de sa crédibilité compte tenu du contexte qui prévalait à l’époque. Le succès remporté à cette occasion a donné de la respectabilité à l’équipe du projet ELAN parce que le document a été très bien apprécié par l’IPN et l’UNESCO.

Malgré les difficultés, l’option ELAN, dans son volet formation a abattu un travail énorme dans le cadre des recherches des étudiants et étudiantes, que ce soit au niveau des mémoires de Maîtrise et de DEA ou des thèses de Doctorat. Le bilan des recherches effectuées dans cette perspective depuis quelques années en termes de thèses de doctorat se présente comme suit :

  1. Dr Honorine SARE : Littérature orale et peinture murale chez les Bissa : une étude des relations du genre, Université de Leiden, Pays-Bas 2004
  2. Dr Ernest BASSANE : Travail agraire et art : pour une herméneutique de la création artistique et littéraire chez les paysans lyela de Jijir, Université de Ouagadougou, juin 2014
  3. Dr Tétouan FAHO : Les rites funéraires en pays bwaba : analyse de textes littéraires et des expressions artistiques, novembre 201
  4. Dr Souleymane GANOU : Le clip vidéo burkinabè : intermédialité, rencontre des cultures, décembre 2016
  5. Dr Germain OUALLY : Le rituel du koanciagu au Nungu : approche sémiotique d’une pratique culturelle verbale et non verbale, avril 201
  6. Dr Yendifimba Dieudonné LOUARI : Investiture du Nunbado : analyse des éléments symboliques d’une identité culturelle, avril 2018

Voici les domaines couverts par ces recherches jusqu’à présent :

  • les masques : bobo, winien, nuni, léla, bwaba, sénoufo
  • les manifestations traditionnelles : l’initiation, les funérailles, le mariage, les pratiques agraires, la décoration murale et architecturale, la danse, etc.
  • les manifestations modernes : les festivals, la Semaine nationale de la Culture, le cinéma, etc.

 

Le cadre conceptuel

Comment capitaliser un tel résultat sur le plan théorique afin d’inscrire nos recherches dans une dynamique scientifique et académique universelle et ne pas donner l’impression et développer le sentiment de nous enfermer dans un ghetto improductif? Il s’est agi alors d’ouvrir l’horizon de nos recherches et de nos enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses afin de renforcer la conviction que leurs travaux de recherche devaient non seulement s’inscrire dans un mouvement général, mais aussi et surtout contribuer à une connaissance de nos réalités culturelles et artistiques. Se posa alors la fameuse question : comment ?

En examinant et en analysant les différents résultats obtenus, nous nous sommes rendu compte que tous les travaux ambitionnent de faire connaître davantage nos réalités culturelles et artistiques, notre patrimoine culturel, qu’il soit matériel ou immatériel. C’est ainsi que l’horizon théorique qui s’offrait à nous s’est construit autour du concept des Études culturelles africaines. Pour nous convaincre davantage de la nécessité de cette option, écoutons Cheik Anta Diop rappeler une vérité à tous ceux et celles qui s’intéressent à l’Afrique :

Tandis que l’Européen peut remonter le cours de son histoire jusqu’à l’antiquité gréco-latine et les steppes eurasiatiques, l’Africain qui, à travers les ouvrages occidentaux, essaie de remonter dans son passé historique s’arrête à la fondation de Ghana (IIIème s. av. ou IIIème s. ap. J.C.). Au-delà, ces ouvrages lui enseignent que c’est la nuit noire. Que faisaient ses ancêtres sur le continent depuis la Préhistoire? Comment se fait-il qu’ils aient tant attendu pour surgir de l’ombre avec une organisation sociale perfectionnée? Ont-ils toujours habité l’Afrique ou venaient-ils d’ailleurs? (Diop 1979, 27)

À travers ce questionnement, le célèbre égyptologue sénégalais nous enseigne que l’histoire de l’Afrique ne doit pas être le travail des seuls Européens : les Africains et Africaines doivent y prendre part : part de travail mais aussi part de responsabilité. À ce niveau, il est rejoint par le Burkinabè Nazi Boni qui interpelle également les intellectuel-le-s d’Afrique à propos de la connaissance des traditions africaines.

L’adoption du concept d‘Études culturelles africaines s’inscrit dans cette dynamique de prise en charge des réalités artistiques et culturelles africaines comme objet de recherche, non plus dans la  perspective d’une recherche exotique mais plutôt dans un souci de mieux connaître. Le concept des Études culturelles africaines est à l’image de ce que les Allemands ont appelé les sciences de la culture, opposées aux sciences de la nature. L’objectif des sciences de la culture, c’est de « développer une perspective compréhensive, de recherche des significations des actions individuelles et de leurs interdépendances » (Béra et Lamy 2003, 11). Cette approche est basée, entre autres, sur l’herméneutique entendue comme interprétation des « traces » ou des manifestations de l’esprit. En effet, l’herméneutique est « l’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens » selon M. Foucault (1966, 44); il s’agit d’un travail d’interprétation qui suppose que les signes ont des sens cachés, latents, plus profonds ou plus élevés. Comme le dit Anne Cauquelin, « l’herméneutique est cette science, ou cet art, qui interprète une œuvre, en déploie les sens possibles, étant entendu que ces sens ne sont pas intelligibles du premier coup, mais sont comme cachés au-dedans et qu’il faut aller les y chercher » (Cauquelin 1988, 66).

C’est une conception à deux étages qui suppose, d’une part, qu’il existe des biens matériels qui témoignent du passé et en représentent les traces que sont les productions culturelles et, d’autre part, que ces biens ont une signification et que la science de la culture est la science de leur déchiffrement.

À partir de cette compréhension, il est nécessaire, pour la recherche africaine, de prendre en compte toute la dimension de la définition de la culture par l’UNESCO qui la considère en effet comme « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeur, les traditions et les croyances » (UNESCO 2001). Cette définition nous permet de couvrir un ensemble de pratiques et de comportements que nous pouvons constater dans les communautés sociales. Elle nous invite à nous intéresser davantage à l’étude des productions traditionnelles africaines afin d’en saisir les sens profonds.

À partir de cette posture, il se pose à nous quelques questions de base dont les réponses pourront constituer des repères permanents. Comment définir les études culturelles africaines? Selon le Dictionnaire du littéraire, les études culturelles (Cultural studies) ont pour problématique d’étudier toute forme de production culturelle dans ses rapports aux pratiques qui déterminent le « quotidien » (idéologie, institutions, langages, structures du pouvoir, etc.). Résultant d’un « bricolage » critique, elles ne prennent pas appui sur une méthode définie ni sur des champs d’investigation clairement marquées. Elles se veulent à la fois interdisciplinaires (voire transdisciplinaires) et contre-disciplinaires dans la mesure où elles contestent les méthodes établies (Aron et al. 2002, 210). À partir de cette définition se pose à nous la question suivante : quelle démarche méthodologique et quels instruments théoriques adopter pour réussir une telle opération? Notre compréhension de cette problématique nous amène à apporter cette modeste contribution : les études culturelles africaines constituent une approche pluridisciplinaire qui ferait appel aussi bien à la littérature, à la sociologie, à l’anthropologie, à l’histoire. Cette approche implique aussi l’utilisation de plusieurs instruments théoriques, combinés ou complémentaires, mais dans tous les cas non exclusifs afin d’éviter de sectionner la culture qui constitue un tout : la sociocritique, la sémiologie, la sociosémiotique, etc. Cela nous conduit à rompre avec les spécialisations classiques : en effet, dans cette perspective, la question qui se pose est la suivante : est-on spécialiste d’une théorie, d’une méthode ou alors de l’objet de son étude?

C’est dans ce sens que nous recommandons une certaine polyvalence des chercheurs et chercheuses qui serait à l’image de la multidimensionnalité de la culture : d’où la nécessité d’un travail en équipe, qui fasse appel à plusieurs compétences, plusieurs approches; en somme, une approche holistique qui conduit le chercheur ou la chercheuse, à partir d’un élément de la culture, à s’intéresser ou à en aborder un nombre plus important en considérant le fait que tout produit culturel (qu’il soit artistique, sacré ou profane)  est toujours en interaction avec d’autres produits culturels et que, pour le comprendre, il faut le mettre en relation avec ceux-ci.

On lira avec grand intérêt le texte de Joseph Ki-Zerbo dans l’ouvrage intitulé La natte des autres. Pour un développement endogène en Afrique. En effet, pour l’historien burkinabè, « aucune discipline ne peut à elle seule rendre compte de la réalité infiniment dense et hirsute du monde africain » (Ki-Zerbo 2009, 39). Il prône une interpénétration des disciplines et une collaboration des chercheurs et chercheuses d’Afrique pour « déboucher sur une pensée significative » (ibid.). C’est pour cela que notre conviction est que les études culturelles africaines ne sauraient se réaliser en solitaire. Elles nécessitent un travail de groupe, des équipes de recherche, une collaboration entre chercheurs et chercheuses de disciplines et d’horizons divers mais complémentaires, chacun-e devant assumer sa responsabilité épistémologique, les « règles et principes particuliers de sa démarche » (p. 40).

 

Que faire au Burkina Faso et en Afrique?

Ce qui caractérise une communauté humaine, c’est la culture de ses membres, c’est-à-dire ce qui contribue à la distinguer des autres communautés à travers leur culture et toutes ses expressions dont les plus visibles sont les expressions artistiques. Le Burkina Faso se caractérise, sur le plan culturel, par une richesse et une diversité dont la mise en commun constitue son patrimoine culturel qui se décompose en patrimoine matériel et patrimoine immatériel.

Mon constat

Le Burkina Faso et l’Afrique sont riches de leurs cultures et de leurs expressions culturelles. Ce que l’on constate au Burkina et qui pourrait être étendu aux autres pays du continent, c’est cette fierté dont chacun-e se prévaut quand il s’agit, du moins de manière officielle, d’affirmer et de présenter des éléments de sa culture : dans presque tous les pays africains, il existe des cadres de promotion et de développement de la culture, qu’ils soient l’œuvre des pouvoirs politiques ou celle de personnes physiques ou morales qui s’investissent dans des actions de tous genres. À preuve, les multiples festivals (musiques, cinéma, danses, chants, contes, etc.) qui sont régulièrement organisés pour magnifier la créativité des artistes africains.

Cette richesse ne demande qu’à se faire connaître et surtout à être valorisée. Les différentes expressions artistiques, les différentes manifestations de nos cultures, matérielles et immatérielles, sont des domaines de recherche dans lesquels les chercheurs et chercheuses d’Afrique devraient s’investir.

Mon engagement

Mon expérience personnelle m’a conduit à cette conviction que la recherche universitaire, pour être utile, notamment dans le domaine des lettres et des sciences humaines et sociales, devrait être prioritairement orientée vers la connaissance des peuples noirs : non pas une connaissance livresque, mais une connaissance de terrain, de proximité. C’est pour cela que je me suis personnellement engagé dans une aventure que je ne regrette pas : aller à la rencontre de ma culture et des cultures des autres, me faire altruiste, croire en l’altérité comme seule voie possible de coexistence entre les peuples. Car, qu’est-ce que l’altérité si ce n’est la foi en l’Autre comme un alter ego, un moi « je » en qui il faut croire, qu’il faut reconnaitre dans sa différence, dans sa spécificité et dans son identité?

Grâce à mon engagement, je me suis rendu compte que, malgré nos différences (qui pourraient être érigées en « Mur de Berlin » entre les peuples), il existe un socle commun, une matrice dont nous pouvons tirer les fondements de notre développement bien pensé. Un seul exemple pour le démontrer : certains prénoms que d’aucuns appelleraient des « ethnonymes ». Le prénom Dieudonné en français, qui est un prénom chrétien, a des équivalents dans les différentes langues burkinabè : Wurodini (en bobo), Wendkuuni (en mooré), Yipéné (en lyele), Dofiniba (en bwamu), etc. D’aucuns pourraient être tentés d’affirmer que Wurodini est un ethnonyme bobo alors que l’on retrouve son équivalent dans beaucoup d’autres ethnies du Burkina. Cela devrait nous amener à réfléchir et à nous demander pourquoi ce prénom se rencontre partout. C’est juste l’expression de notre fond commun, de notre croyance, de notre foi en un Être suprême qui est au-dessus de toute création.

Je me suis engagé dans cette aventure de réflexion et d’investigation de nos cultures afin d’y trouver les voies et moyens d’épanouissement de nos peuples. Si j’ai pu le faire, d’autres le feront encore plus et mieux que moi. Mon engagement, c’est de susciter ce goût, cet amour pour nos cultures, pour la culture, pour que demain, nos descendant-e-s soient fiers de montrer ce que nous leur aurons légué comme « patrimoine », comme mission, comme possibilité d’épanouissement.

Mes attentes

Elles sont nombreuses!

  • la mise en place d’équipes de recherche au niveau national et régional autour de thèmes qui concernent des aspects précis et concrets de nos cultures : danses, musiques, cinéma, chants, politiques culturelles, festivals, etc.
  • la constitution de groupes de recherche pluridisciplinaires et internationaux (Afrique occidentale, centrale, orientale, méridionale, maghrébine, Europe, Amérique) autour des dimensions transversales des cultures africaines
  • l’organisation régulière de rencontres scientifiques en vue de mettre en commun et de confronter les résultats de recherche, de les peaufiner, de dégager de nouvelles pistes afin d’aller de l’avant
  • la constitution d’un centre de recherche universitaire pluridisciplinaire et intercontinental axé sur les cultures africaines comme principal objet de recherche
  • l’encouragement des jeunes chercheurs et chercheuses à s’investir et à investiguer les domaines artistiques et culturels en vue de faire connaître les multiples facettes des identités africaines
  • la publication des meilleurs travaux de recherche en études culturelles africaines (thèses de doctorat, articles de fond, mémoires de master, etc.) en vue de vulgariser les résultats de recherche et de susciter de nouvelles vocations
  • l’appel à toutes les compétences qui voudraient bien accompagner les chercheurs et chercheuses dans cette œuvre de valorisation
  • la création de revue(s) spécialisée(s) sur les cultures africaines qui, non seulement, donneraient l’occasion de réfléchir, mais aussi susciteraient des vocations en vue d’approfondir les connaissances sur les cultures africaines.

Conclusion

La reconnaissance et le respect de la diversité culturelle dans un contexte national constituent le ciment de l’unité nationale sans laquelle aucune politique de développement n’est possible. Les universitaires devraient y trouver de la matière pour non seulement leur propre carrière mais aussi pour participer à des actions de développement. Ma petite expérience m’a convaincu de cette possibilité, de cette nécessité, de ce devoir moral vis-à-vis de nos peuples respectifs. En la matière, notre continent reste un vaste champ à défricher, à explorer, à investir pour apporter notre pierre à la construction de nos nations respectives.

Références

Aron, Paul et al. 2002. Dictionnaire du littéraire. Paris : Quadrige/PUG.

Béra, Mathieu et Yvon Lamy. 2003. Sociologie de la culture. Paris : Armand Colin, Cursus.

Cauquelin, Anne. 1998. Les théories de l’art. Paris : PUF.

Diop, Cheikh Anta. 1979. Nations nègres et culture, tome 1. Paris : Présence africaine.

Foucault, Michel. 1966. Les Mots et les choses. Paris : Gallimard.

Ki-Zerbo, Joseph. 2009. La natte des autres. Pour un développement endogène en Afrique. Alger : Ministère de la Culture; PANAF.

Lévi-Strauss, Claude. 1971. Rave et histoire. Paris : Gonthier, Médiations.

Ouédraogo, Mahamoudou et Sanou Salaka. 2003. Culture, identité, unité et mondialisation. Ouagadougou : Presses universitaires de Ouagadougou.

UNESCO. 2001. Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle.
http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=13179&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

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Salaka SANOU est Professeur des Universités en Littératures africaines, Directeur du Laboratoire Littératures, Espaces et Sociétés (LLES) et Responsable du Master Littératures et Cultures africaines à l’Université Ouaga 1 Pr Joseph Ki-Zerbo, au Burkina Faso. Il est l’auteur d’une quarantaine d’articles scientifiques sur la littérature africaine, la littérature burkinabè, les masques bobo du Burkina Faso. Il a publié entre autres ouvrages La littérature burkinabè. L’histoire, les hommes, les œuvres (Limoges : Presses universitaires de Limoges, Coll. Francophonie, 2000) et Culture, identité, unité, mondialisation en Afrique (avec Mahamodou Ouédraogo) aux Presses universitaires de Ouagadougou en 2003. Courriel : tontafabas@gmail.com

Citation

Sanou, Salaka. 2019. « Épilogue. D’hier à demain, les études culturelles africaines ». In Dɔnko. Études culturelles africaines. Sous la direction d’Isaac Bazié et Salaka Sanou, pp. 199-211. Québec : Éditions science et bien commun.

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