5 Littératures africaines et lecture comme médiation

Réflexions sur l’appréhension des cultures africaines à partir des violences collectives dans le roman francophone

Isaac Bazié

L’observation des cultures africaines a émaillé au fil des décennies les lectures qui ont été faites des littératures produites sur le continent. Pour en prendre la juste mesure, il convient de se départir des nombreux procès faits aux voix pionnières qui ont, par le geste critique, présidé à l’émergence des littératures notamment francophones d’Afrique, afin d’observer les conjonctures qui en ont fait des instruments ponctuellement efficaces pour l’affirmation des premiers textes d’auteurs africains (Kesteloot 1963; Nantet 1972; Jahn 1961, entre autres). Des premières voix qui se sont faites entendre pour légitimer les littératures africaines à leurs plus récentes critiques, à l’ère de la mondialisation portée au plan de la critique par l’éloge de la traversée des cultures, on peut noter que celles-ci continuent d’être convoquées dans la lecture des textes littéraires. En témoignent les différentes déclinaisons explicites ou implicites de la culture dans les approches appliquées aux littératures africaines tels la transculturalité, la transitivité, le transcolonialisme, etc. Nul besoin de s’arrêter plus longuement sur les différentes fonctions de l’ancrage culturel des littératures écrites en langues européennes sur le continent. Il apparait clair qu’une des explications historiques est directement liée au besoin de situer ces littératures et de les spécifier par rapport à d’autres littératures. Les cultures africaines deviennent dans ce contexte un instrument critique de différenciation très efficace.

Les littératures africaines en langues européennes deviennent de ce fait des objets culturels marqués au sceau ambivalent du propre et de l’étranger. En raison de sa nature composite, hybride, l’œuvre littéraire a été perçue comme le lieu d’une manifestation de l’altérité, africaine en l’occurrence. Ce faisant, la lecture de l’œuvre devient une démarche vers un univers autre, non pas seulement au plan sémiotique, mais également d’un point de vue anthropologique.

Ras Ben Sakka, Tunisie. Photo de Hichem Bekhtine, wikipédia [CC BY-SA 4.0]

La réflexion que je propose dans cet ouvrage sur les études culturelles africaines part de ce constat, c’est-à-dire de l’histoire des littératures africaines perçues à l’aune des cultures africaines à des fins de différenciation et de particularisation. Ces prémisses autorisent la formulation de réflexions relatives aux modalités d’appréhension, disons aux modes de lectures des œuvres littéraires en tant que résultantes de pratiques culturelles dont le macrocontexte africain sert de cadre de légitimation. Il s’agit donc de mettre en évidence cette figure du lecteur et de la lectrice face à l’étrangeté de la littérature du continent, et, bien évidemment désormais, des cultures qui sont convoquées pour les expliquer dans une certaine mesure.

Dans la présentation qui suit, je partirai donc du fait que la personne qui lit les œuvres littéraires faisant face à des cultures africaines devra poser un certain nombre de gestes qui me permettront de la figurer comme une lectrice médiatrice. Pour mieux la cerner, les œuvres traitant des violences et des drames collectifs tel le génocide de 1994 au Rwanda m’apparaissent d’une teneur heuristique majeure. En les prenant comme exemple, je pourrai donner un aperçu des fonctionnalités de cette figure d’une lectrice médiatrice, en m’inspirant de l’apparente anecdote de la lectrice du roman de Boubacar Boris Diop ([2000] 2014), Murambi, le livre des ossements.

Du lien entre violence et littérature en contexte africain

Il existe déjà une abondante littérature sur la violence dans les littératures africaines. La violence dont il y est question se rapporte aux grands événements qui ont marqué le continent, de l’esclavage au génocide de 1994 au Rwanda, en passant par les guerres civiles et ce que j’ai regroupé dans la catégorie des violences postcoloniales (Bazié et Lüsebrink 2011). Leur typologie, telle que la propose Alexie Tcheuyap, permet déjà de mesurer l’ampleur du phénomène, non pas seulement au plan politique et social, mais aussi littéraire (Tcheuyap 2003). Cette typologie en trois temps identifie une première phase de violence qui est celle de l’Afrique traditionnelle, marquée par une littérature épique. Au plan culturel, cette violence a ceci de particulier qu’elle est idéologiquement motivée, logée à l’enseigne des mythes structurants et, selon Tcheuyap, motivée également dans son déploiement suivant des dynamiques « endogènes » (Baudrillard 1995). On retrouve ensuite, selon cette typologie, la deuxième phase de la violence dans l’époque coloniale jusqu’aux années des indépendances. La troisième phase, celle qui nous intéresse particulièrement dans ce chapitre, est marquée par les guerres internes, insurrectionnelles, et l’émergence de paradigmes nouveaux comme celui de l’enfant-soldat, un traitement particulier du corps tant dans la sphère sociopolitique que littéraire, tout cela avec un traitement particulier de l’espace.

Les violences qui marquent les œuvres de mon corpus reflètent ces trois tendances. L’imaginaire d’une Afrique soumises aux violences, tel qu’il apparait dans les œuvres d’Afrique et d’ailleurs, ne respecte évidemment pas ces coupes dans le temps. Le point le plus visible de cette pyramide de la violence est cependant la période postcoloniale et, plus précisément, celle qui clôt les années 80 avec le virage idéologique global marqué par la chute du Mur de Berlin. Tcheuyap, pour cette période postcoloniale, dira : « L’État postcolonial s’est révélé pire que l’organisation coloniale. Il n’est dès lors pas étonnant que d’autres types de guerres aient surgi pour le contester, car l’État à construire était fait à l’image de l’État colonial » (Tcheuyap 2003, 20).

Cette contestation trouve son summum à la fin des années des conférences nationales, des tentatives de démocratisation et des pseudo-élections qui ont permis aux pères de la nation de pérenniser leur règne à la tête des États jusque dans les années 2000. Il faut cependant préciser et insister sur le fait que les violences qui seront considérées dans le présent texte vont au-delà des « violences sanguines » dont parle Tcheuyap.

La lecture : sur le lieu de la violence et de l’écriture

Les lecteurs et lectrices de Cette aveuglante absence de lumière (Ben Jelloun 2000) se souviendront probablement des scènes : dans une prison souterraine, des détenus politiques se battent pour leur survie. Ils ne le font pas au moyen d’armes ni d’outils quelconques avec lesquels ils auraient pu organiser leur évasion de cette célèbre prison de laquelle les survivants ressortiraient après 18 ans de réclusion. L’un des moyens efficaces de cette lutte contre le désespoir et la mort quasi certaine se trouve dans la narrativité. L’un des détenus se souvient de ses lectures antérieures et raconte les récits à ses compagnons d’infortune. Ces récits deviennent les bouées grâce auxquelles, jour après jour, les détenus surmontent leurs angoisses et repoussent les limites de leur capacité à endurer les souffrances qui leur sont infligées. Il est bon de faire la distinction ici entre la narrativité qui consiste à raconter l’histoire et qui permet conceptuellement de mettre l’accent sur l’activité de la narration, ses modalités techniques et sa portée esthétique, et la lecture. Ici, le narrateur prisonnier dans Cette aveuglante absence de lumière fut un lecteur libre, qui a exercé son activité de lecteur antérieurement à celle qui consiste à redonner à un auditoire reclus le fruit de ses fréquentations livresques. Il ne serait donc pas erroné de voir dans cette narrativité une « lecture » ou mieux encore, une relecture qui, dans la prison, se passe du livre pour s’opérer (Bazié 2015). Ce personnage-narrateur, brisé par toutes ces violences, s’impose à nous parce qu’il incarne la rencontre entre violence et lecture sur la même scène. Mieux, l’une des facettes de cette violence touche directement l’objet de la lecture : le livre! Chez Ben Jelloun, cet objet est situé dans l’angle mort du pouvoir politique qui enferme les opposants pour les empêcher de le contester : la lecture chez lui, comme chez ses pairs, est loin d’être une activité banale, simplement utile pour meubler le temps. Elle permet d’arracher au temps et à la violence des objets précieux et de sauver littéralement des vies. Violence, littérature et lecture se retrouvent dans une atmosphère de destruction et de menace du sujet fragile et incroyablement érudit.

Ainsi, le lieu de violence ou de crime apparaît concomitamment avec l’acte de lecture. Ce lieu n’est plus topographique mais textuel. La violence y a laissé ses traces. Elle y est une sorte d’écriture dont la lecture est devenue une science et une affaire d’expert. D’où la nécessité de protéger ces lieux, de les sceller comme un document au contenu précieux et secret dont la lecture donnerait accès à des révélations vitales. Le lieu de violence dans ce sens invite à la lecture : celle de l’enquêteur spécialiste des crimes, celle de la communauté traumatisée par des massacres de vies innocentes et qui, en scellant le lieu pour en conserver l’écriture, le destine à des lectures commémoratives par la pérennisation, avec le but clairement affiché de déchiffrer l’horreur, d’en assurer une lecture adéquate et d’éviter qu’elle se reproduise. Si ces pratiques n’étonnent désormais personne, c’est que violence, écriture et lecture sont devenues dans l’imaginaire contemporain des gestes tout à fait normaux réunis en un seul lieu, et pas seulement depuis qu’on « lit une carte », lieu réel et symbolique, pour lire le lieu physique qu’elle représente et projette, avec le plus grand naturel.

Considérer la lecture à partir d’un personnage impliqué dans une violence dont il est la victime est une chose. Lire les violences africaines dans le roman est une tout autre chose. Dans le premier cas, nous sommes face à un monde homogène, celui du texte littéraire, et considérons des réalités qui lui sont propres et auxquelles il impose sa loi, celle de la littérature et de ses potentialités qu’on a pu classer dans le registre de la licence poétique. Dans l’autre cas, nous sortons de ce cadre homogène pour considérer deux univers distincts, celui d’une personne physique qui choisit de lire une œuvre en particulier, et celui de l’œuvre en question. À partir du moment où celle-ci est sensée contenir une certaine violence, ou à tout le moins être un indicateur de celle-ci, il devient indispensable de dire de quelle manière la violence se déplace de son lieu originel vers le lieu symbolique qu’est le texte littéraire. Selon quels pouvoirs de transcription la violence historique enregistrée sur le continent africain a-t-elle pu trouver son entrée dans le roman et quelles sont les modalités de ce déplacement qui n’est plus objectif mais subjectif et esthétique? Lire les violences africaines dans le roman francophone contemporain signifie-t-il, naïvement, que le roman comme forme peut facilement devenir le contenant et le porteur fidèle des violences africaines?

Ce n’est évidemment pas le cas. Il faudra donc chercher la réponse ailleurs. Elle se trouve, d’une part, dans la nature même du roman et dans la pratique des écrivains et écrivaines; d’autre part, la réponse à la question relative au déplacement de la scène de violence se trouve dans l’horizon que construisent les textes et grâce auquel les auteurs et autrices espèrent rejoindre un autre horizon, celui du lecteur ou de la lectrice. Pour arriver à cette fin, le texte littéraire embraie sur le social et le culturel pour se déployer et développer des liens complexes avec eux. Il ressortira alors toute l’importance de ce que Peter Zima appelle les sociolectes, dans ce qu’ils apportent comme possibilités de cristallisation sémantique pour le biais de la codification dont ils sont le résultat. Il définit le sociolecte comme « comme un répertoire lexical codifié, c’est-à-dire structuré selon les lois d’une pertinence collective particulière […] le sociolecte peut être défini par rapport à ses trois aspects essentiels : le répertoire lexical, le code (pertinence et taxinomie) et la mise en discours » (Zima 1985, 134). La présence des sociolectes dans le roman sur les violences africaines est très déterminante : ils constituent un ensemble de faits objectifs à l’adresse des communautés interprétatives. Cette précision est importante parce que Zima les décrit dans la perspective de la production des textes et non pas dans celle de leur lecture, surtout lorsqu’il fixe l’objectif de la sociocritique qui consisterait à voir « comment l’absorption intertextuelle de sociolectes et de discours donne naissance à une structure littéraire particulière » (1985, 136).

On pourrait donc dire que la violence dans le texte littéraire africain s’y « déplace » en « partant » du cadre sociohistorique, culturel et évènementiel, grâce à une sorte de ponction que fait le littéraire dans le discours social. Cette ponction trouve des espaces déjà structurés et signifiants dont l’intégration tire profit dans la mesure où ces structures constituent les points d’ancrage et les lignes de reconnaissance du bassin social et culturel duquel elles proviennent. C’est donc à juste titre que Justin Bisanswa situe l’analyse du roman africain « à l’intersection d’une rhétorique et d’une sociologie », arguant que « l’écrivain est aussi partie prenante d’un univers social, fait d’instances diverses, de revues, de lieux de sociabilité. Il est conscient du microcosme dans lequel il évolue, ayant à prendre position sur son milieu » (Bisanswa 2009, 18).

Le fait décrit par Zima et par Bisanswa est avéré, quel que soit le contexte littéraire. L’écrivain africain dont parle Bisanswa, « conscient d’un univers social » qui forcément trouve sa voie vers l’œuvre littéraire à travers les formes diverses de « langages collectifs », puise dans des histoires et des cultures propres au continent. La démonstration de Bisanswa réhabilite le roman africain à travers la mise en évidence de ce lien avec le réel, le culturel et le social qu’il travaille à sa manière, et dont la négation participerait d’un aveuglement volontaire face à un principe fondamental et essentiel à la création africaine et contemporaine. Plus que de discréditer le réalisme du roman africain, la prise en compte de l’illusion référentielle ou de l’effet de réel a permis d’en faire une lecture plus avisée et, en fin de compte, plus enrichie. Avec ceci tout de même : à dénier que les romans de cette obédience parlent du monde, on les priverait de toute une part de leur sens historique et de leur portée (Bisanswa 2009, 140).

Établir ce fait que le roman, et partant, les littératures africaines travaillent à partir d’une prise sur le réel et le culturel, tout comme sur l’Histoire, n’a d’importance que si ce postulat s’accompagne du potentiel heuristique utile à la critique des œuvres. Ce gain théorique et critique consiste d’ores et déjà à situer dans le cadre de la présente réflexion la part de l’histoire et du social qui fermente le roman francophone dont j’analyserai la lecture. Il faut la chercher dans l’histoire globale du point de vue des grands événements, au risque de donner dans une exagération apparente. C’est ce que fait Georges Molinié à partir du regard qu’il pose sur les camps de concentration sous le régime nazi :

Littérature du deuil et de la honte, littérature piégée, littérature suicidée, littérature à régime forcément d’intermittence à réception. Si tout est littérarisable, c’est que le littéraire se meut désormais pour nous dans un champ de ruines, dans l’ultime commun après l’abominable, sans territoire, ouvert – précieux de sa seule et absolue pauvreté (Molinié 1999, 25).

Comme par l’hypallage, ce constat de Molinié transfère les qualités – au sens de caractéristiques – de l’Histoire à la Littérature, consacrant par le fait même le lien entre le social, le culturel et le textuel. Il fait ce que Boubacar Boris Diop fait dire à son protagoniste à la fin de Murambi. Le livre des ossements :

Cornelius eut un peu honte d’avoir pensé à une pièce de théâtre. Mais il ne reniait pas son élan vers la parole, dicté par le désespoir, l’impuissance devant l’ampleur du mal et sans doute aussi la mauvaise conscience. Il n’entendait pas se résigner par son silence à la victoire définitive des assassins. Ne pouvant prétendre rivaliser avec la puissance d’évocation de Siméon Habineza, il se réservait un rôle plus modeste. Il dirait inlassablement l’horreur (Diop 2014, 190).

La littérature qui naitra de ce projet ambitieux sera forcément semblable à celle que décrit Molinié, parce qu’écrite dans la brûlante conscience des violences qui ont secoué le Rwanda et d’autres parties du globe. Ainsi, d’une époque à une autre, le sémioticien et théoricien de la lecture fait un constat sur le lien essentiel entre violence et littérature depuis Auschwitz; son propos trouve un écho fort dans l’œuvre de l’écrivain d’un autre génocide, au Rwanda cette fois. Les violences dont il est ici question, à l’extrême manifestation du principe selon lequel la culture et la société nourrissent et fertilisent le texte littéraire, apparaissent comme cette part irréductible et incontournable de ces histoires « obscures » (Diop 2014, 190) qui marquent les lieux, les imaginaires et les mémoires. Ce faisant, rien d’étonnant à ce qu’on les retrouve dans les œuvres, elles-mêmes produits des mêmes lieux, des mêmes imaginaires et des mêmes mémoires. Je postule, à la suite de Georges Molinié, que les attitudes de lecture face à ce type de textes sont variables et obéissent à d’autres exigences que celles qui balisent la lecture d’œuvres travaillant des questions moins graves. Cependant, il est important de décliner plus tard la posture de lecture comme participant d’une médiation de manière à la positionner face à des textes d’une teneur éthique moins apparente parce qu’ils ne traitent pas de violences génocidaires ou de guerres civiles. Je postule que dans une moindre mesure, au plan éthique, le geste de médiation reste le même et que les caractéristiques que je déclinerai ci-après s’appliquent au fond à toute lecture d’œuvres africaines, ou de textes littéraires plus généralement.

À la fin de ce parcours introductif, il convient de souligner une caractéristique propre aux textes traitant des violences, africaines en particulier. Ce trait particulier ressort des discours de la réception et confirme mon postulat selon lequel les œuvres de violences exigent une posture de lecture différente des autres : on assiste à une sorte de transfert de l’urgence d’une écriture par devoir de mémoire vers celle d’une lecture qui s’impose également comme un devoir humanitaire dont tout lecteur ou toute lectrice devrait s’acquitter avec diligence (voir à ce propos la critique très révélatrice de Albert Sebag (2000) sur Allah n’est pas obligé dans Le Point et Bazié 2003). La lecture m’apparaît dès lors comme une forme de médiation à différents niveaux : celui de la personne qui lit vers un microcosme, un univers qui lui est étranger; celui de la personne médiatrice vers des univers en conflits du point de vue de la violence objet de l’écriture, d’un point de vue purement intrinsèque à l’œuvre – et enfin celui du médiateur-lecteur et de la médiatrice-lectrice qui exerce son activité de lecture dans la quête d’une conciliation entre un monde en souffrance, celui figuré dans l’œuvre, et le sien propre. Sur ces trois plans, nous verrons que la lecture de ces textes est une forme de médiation incontournable et qu’elle ne peut se défaire de la portée éthique qui lui colle et exige un positionnement selon une axiologie propre au monde du texte, mais qui a résolument prise sur la culture, la société et l’histoire de la personne qui lit.

Lecture en médiation

Dans sa Postface à Murambi. Le livre des ossements, Boubacar Boris Diop (2014) cite une de ses lectrices d’origine romaine :

Pendant des années, avoue-t-elle, j’ai énormément souffert de ce qui est arrivé au Rwanda sans jamais réussir à me sentir quoi que ce soit de commun avec ses acteurs, bourreaux et victimes confondus. Pour moi tout cela se passait dans un monde lointain et inconnu, dans un monde qui m’était totalement étranger. Grâce à la lecture des œuvres de fiction sur le génocide, ces Rwandais me sont devenus peu à peu aussi familiers que mes voisins de palier et aujourd’hui, je sais que rien, absolument rien, ne me différencie d’eux. Je suis eux et ils sont moi, c’est tout (Diop 2014, 221).

Cette correspondance entre l’auteur de l’une des œuvres les plus lues sur le génocide au Rwanda et sa lectrice est précieuse pour notre réflexion sur la figure du lecteur médiateur ou de la lectrice médiatrice. J’ai conclu mon propos précédent sur le constat d’un double transfert entre les violences sur les lieux historiques et leurs représentations dans les œuvres littéraires : celui du paradigme humanitariste qui fait correspondre à un devoir de compassion et d’action caritative un devoir d’écriture et un devoir de lecture, tous deux marqués par une notion de temps, celle de l’urgence. Agir par devoir d’humanité, écrire par devoir de mémoire et lire dans la même optique deviennent des gestes qui s’inscrivent tous dans un même registre. L’acteur principal de ce registre est la personne qui lit. Elle se déplace dans ce registre grâce à trois gestes, marquant sa relation avec les victimes de la violence et donc aussi avec les lieux réels et symboliques qui en traitent. C’est autour de ces trois gestes qu’il conviendra d’esquisser la figure du lecteur et de la lectrice en médiation.

Le premier geste posé face à l’œuvre de violence lui permet de se constituer en sujet autre. Par « œuvre de violence », j’entendrai commodément et à la suite de ce développement, ce que l’on entend par « lieu de violence ». Je désigne par là toutes ces œuvres qui figurent les violences historiques sous quelque forme que ce soit à partir de ce lien essentiel entre le texte littéraire et son contexte socioculturel. Dans cette phase préliminaire de sa lecture, le sujet qui lit est un sujet « en sécurité », dont la démarche peut aller de l’intérêt nul pour les réalités et les violences, jusqu’à la situation d’empathie extrême qui le pousse à rechercher une entrée dans cet univers étranger mais face auquel il est tout sauf indifférent. Il est important de préciser que la lecture de ces œuvres peut être diversement motivée. Mais un trait commun à toutes ces motivations sera que le lecteur ou la lectrice potentiel-le ne pourra pas se méprendre sur le sujet dont traite l’œuvre qu’il ou elle s’apprête à lire d’une part, ni prétendre pouvoir désactiver tout ce qu’il ou elle sait sur l’Afrique tant médiatisée, surtout par le biais des violences diverses qui la portent à l’avant-scène de l’actualité. C’est de ce lieu de lecture que le sujet médiateur se constitue en l’autre de celui qui souffre, et qu’il lit l’œuvre de violence. Le deuxième geste qu’il posera, à partir de ce pôle d’altérité, est celui d’une lecture sensible. Le troisième geste fait de lui un sujet non plus impliqué dans une simple démarche de lecture, mais le médiateur ou la médiatrice entre un univers – celui de la violence – et un autre – celui d’un monde meilleur. D’où la portée éminemment éthique de la lecture de ces œuvres. Ces trois gestes se trouvent dans le propos de la lectrice de Murambi. Il sera donc le fil sur lequel j’étendrai ma réflexion.

Lecture comme médiation : Geste 1 – se constituer en lectrice autre

Il y a, dans les théories majeures sur la lecture et la réception de l’œuvre littéraire, un principe qui parait tout à fait banal de prime abord, mais qui va devenir cardinal à notre propos sur la figure du lecteur ou de la lectrice en sa qualité de sujet lisant à partir d’une altérité fondamentale entre lui et l’œuvre qu’il lit. Il existe déjà une théorisation très précise de la distinction entre l’objet livre et le sujet historique lecteur de celui-ci. Cette forme d’altérité, que je qualifierais de primaire et non triviale parce qu’elle permet déjà d’être très attentif aux différentes étapes de la démarche de lecture, est explicitée entre autres par Frans Rutten (1980, 73).

Partant de l’objet livre — ou artefact selon les termes de Rutten —, il m’apparait possible d’insister avec lui sur la nette distinction ou distance qu’il observe entre deux pôles : « artefact » et « le lecteur ». L’extériorité postulée par Rutten au début de sa démonstration est, selon ma position, applicable à la relation entre texte et lecteur/lectrice tout au long du processus de lecture. Je la conçois donc comme une forme d’altérité à double facette : une facette objective au sens de Rutten et qui se définit suivant ce principe de l’extériorité, et une facette subjective et existentielle qui fait intervenir des univers de conscience et de sensibilité du monde. Ces univers de conscience sont, d’une part, celui du lecteur ou de la lectrice en tant que sujet historique, avec ses valeurs culturelles et ses préoccupations ponctuelles et, d’autre part, celui de l’œuvre littéraire, marqué lui aussi par des valeurs et des préoccupations particulières. Le lieu et le temps de la lecture constituent l’espace d’une rencontre toute particulière de ces deux univers. En effet, tout comme culture et société paraissent finalement un trait indissociable de l’identité de tout lecteur ou de toute lectrice, la constitution en sujet autre, c’est-à-dire cette posture étrangère à une œuvre vers laquelle on se positionne, semble être au cœur des grandes définitions du lecteur ou de la lectrice extrinsèque.

C’est ce principe d’un sujet perceptible comme l’autre du texte de violence qui sous-tend implicitement le propos de la lectrice de Murambi. Pris dans sa globalité, ce compte rendu de lecture d’une œuvre de violence extrême est une excellente illustration de l’écart différentiel entre les deux entités — lectrice autre vs. texte de violence — et le rapprochement possible entre les deux. Ce rapprochement parcourt une distance qui peut aller jusqu’à la fusion, l’identification quasi parfaite. C’est la raison pour laquelle il faut ajouter que le principe d’extériorité-altérité dont il est ici question est relatif et non absolu ni figé. Si cette distance entre l’artefact de Rutten et le lecteur ou la lectrice est effectivement insurmontable, elle ne l’est plus dans sa dimension dynamique et symbolique à partir du moment où nous la pensons du point de vue des horizons d’attente. C’est, d’une certaine manière, ce que démontre Georges Molinié dans sa typologie des attitudes de réception. Avant de voir ce qu’il en dit, il faut préciser que Molinié se penche sur les modalités qui président à la mise en évidence de la littérarité d’un texte. On peut dire avec lui que le texte n’est pas littéraire a priori mais qu’il l’est potentiellement. Cette littérarisation qui doit tout à l’activité d’un lecteur ou d’une lectrice est de nature contingente parce qu’elle peut advenir ou ne pas advenir selon l’identité, les intentions et les gestes du sujet historique qui lit (Molinié 1998, 133-134).

Je pars d’une préoccupation différente de celle de Molinié. Mon but n’est pas de voir de quelle manière « le régime de littérarité » trouve son expression ou sa « montée », comme dirait Molinié. Cette orientation de son propos présume l’identité « objective » de l’artefact qui s’affiche d’office comme un texte littéraire. À partir de ce postulat d’une littérarité de l’artefact que tient le lecteur ou la lectrice de Rutten dans ses mains, la réflexion tout à fait justifiée de l’auteur de la sémiostylistique consiste à évaluer l’attitude des lecteurs et lectrices face à l’objet potentiellement et ouvertement désireux d’être perçu comme un objet littéraire. Même si ce qui ressort de ses observations est utile pour notre propos, j’aborde pour ma part la question d’un autre point de vue. Il m’importe, à partir de l’horizon d’attente que construit et l’œuvre et le sujet qui lit – dans la mesure où il est documentable – de voir quelles lectures, quels usages sont faits d’œuvres à vocation littéraire.

Je suis d’avis que dans le registre des œuvres portant sur les violences africaines, les étiquettes – « l’ensemble structuré d’instructions de lecture » dont parle Rutten – se disputent la place dans l’œil du lecteur ou de la lectrice. Elles sont essentiellement de deux natures : l’une est d’ordre générique et indique qu’il s’agit d’un roman et se situe donc dans une catégorisation plus générale d’une œuvre littéraire. L’autre étiquette est de l’ordre du discours social et ancre l’œuvre dans un lieu géographique, une période historique et un contexte culturel : l’Afrique. Ces deux instructions de lecture, suivant mes observations, ne sont pas toujours opposées et deviennent même parfois le lieu d’un jeu esthétique où l’ambivalence entre fiction et documentation sur le réel africain permet d’obtenir un certain effet sur la personne qui lit. À la fin du processus de lecture, il m’importera donc moins de voir à quel moment ou selon quels mécanismes de lecture le régime de littérarité a trouvé son expression que d’aller au cœur du postulat que je formule à la suite de Georges Lafarge sur les usages sociaux des textes : comment un roman, malgré son affichage explicite dans le genre romanesque et dans la catégorie littéraire, peut-il finalement devenir un moyen d’identification quasi fusionnelle entre une Européenne vivant à Rome et des Rwandais qu’elle n’a jamais rencontrés ? Quelles autres démarches deviennent possibles et concomitantes à cette expérience de lecture ? On pourrait dire que ce sont ces possibilités de « délittéralisation » du texte manifestement littéraire qui m’intéressent en premier lieu. Ce phénomène a, je pense, tout à voir avec les déplacements entre un lecteur ou une lectrice autre et un texte-univers qui se distinguent fondamentalement au début du processus de lecture. Comme nous l’avons cependant déjà soupçonné dans le propos de la lecture de Murambi, cette distinction est loin d’être figée. En considérant ici la typologie de Molinié, nous prenons la mesure des postures types observables, dont la première, la réception d’archive, nous intéresse pour la description de la figure du lecteur ou de la lectrice autre et de son attitude face au texte. Nous sommes donc ici face à une lectrice ou à un lecteur « concret », c’est-à-dire réel et objectivement extérieur au texte, qui lit pour s’informer, pris dans une démarche de type pragmatique qui s’accompagne nécessairement d’un travail de dépragmatisation d’un langage littéraire conçu et structuré pour avoir un effet esthétique, à des fins informatives, documentaires, archivistiques, etc. Le sujet autre se situe en dehors de l’univers du texte comme artefact, mais aussi du texte comme univers d’une expérience historique, sociale et culturelle douloureuse dont il a été épargné ou à laquelle il a survécu.

Je perçois le sujet autre au-delà de son altérité phénoménale face à l’artefact et au-delà de son altérité culturelle face au contexte africain. Face au texte de violence, comme je l’ai démontré ailleurs, l’altérité se construit plus d’un point de vue phénoménologique et historique que d’un point de vue figé par l’appartenance culturelle et géographique. C’est désormais l’espace et le temps historiquement singuliers de la violence qui devient le point de référence. Avoir assisté aux événements ou pas dessine dorénavant, et cela vaut même dans une communauté de gens ayant initialement la même origine et la même culture, le périmètre du cercle d’appartenance. Le dénominateur commun sera donc désormais « ce que nous avons vu et vécu ensemble » en lieu et place de la langue et de la culture que nous partageons. Le problème de Cornélius dans Murambi se trouve là : pendant son absence, cette reconfiguration s’est opérée sur la base de la violence génocidaire. C’est de cette manière que, considéré dans l’absolu, le lecteur d’origine africaine et la lectrice d’origine italienne de Murambi, citée en début de chapitre, se trouvent tous deux, à des distances variables cependant, à l’extérieur de l’univers de violence réel et sont donc des lecteurs autres. En tant que tels, les deux devront donc passer par une étape de réception d’archive à intensité également variable. La lectrice de Murambi se trouve probablement à l’extrême distance d’avec le texte et son univers. Suivant ses propres dires, elle s’est sentie concernée par la violence génocidaire – « j’ai énormément souffert de ce qui est arrivé au Rwanda » – tout en restant dans une sorte de distance quasi insurmontable face à cet univers qui l’a bouleversée, « sans jamais réussir à me sentir quoi que ce soit de commun avec ses acteurs, bourreaux et victimes confondus » (Diop, 221).

Il sera maintenant important de voir comment elle a réduit cette grande distance entre elle et l’altérité que symbolise le texte, jusqu’à un autre point, lui aussi extrême, qui est celui de la quasi fusion. Dans ce parcours, elle passe du statut de lectrice autre à celui d’une lectrice sensible, avant de se constituer en lectrice médiatrice.

Lecture comme médiation : Geste 2 – Se constituer en lectrice sensible

Le lecteur ou la lectrice autre du texte et de son univers n’est pas nécessairement sensible. Si le premier geste paraît évident et tributaire de la distance objective et minimale entre l’artefact et le lecteur ou la lectrice réel-le, le deuxième geste qui permettrait à celui-ci ou celle-ci de se constituer en sujet sensible face aux violences africaines dans le roman est soumis à un certain nombre de conditions qui déterminent la posture de celui ou celle qui lit. Il faut noter d’ores et déjà que cette question de la posture et de la sensibilité du lecteur ou de la lectrice au sens des violences collectives qui ont marqué le XXe siècle et de celles qui se déploient depuis le début du nouveau millénaire est devenue préoccupante. Elle l’est devenue pour la même raison qui motive cette réflexion: l’enjeu éthique des lectures qui sont faites d’œuvres et d’images qui se sont constituées en véhicules des violences historiques et collectives majeures.

C’est dans cette veine que Judith Butler s’arrête dans « Vie précaire » sur ce qu’elle appelle « cette capacité à être choqué, à se scandaliser et à éprouver du remords et de la peine » (Butler 2005, 183), pour plaider en conclusion en faveur d’une « démocratie sensible » (ibid.) dont l’émergence serait liée à l’autorisation, dans la sphère publique, de voix discordantes.

Bien que Butler parte des événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis et des images qui ont été véhiculées dans ce contexte et par la suite, sa réflexion nous intéresse au plus haut point parce qu’elle thématise ce rapport entre lecteur/lectrice autre et violence représentée qui est aussi représentation de sujets victimes. Le premier bénéfice de cette réflexion de Butler est qu’elle nous permet de faire le point sur la question de la représentation de la violence extrême et de ses apories, question qui apparaît ici secondaire parce que j’ai décidé de voir plutôt les modalités de la lecture que celles du dicible et de l’indicible. Le deuxième bénéfice de ce propos est qu’il nous permettra d’approfondir la question de la sensibilité comme qualité de la figure du lecteur de la lectrice qui ne lui est pas acquise a priori, mais qui se comprend comme une posture critique et une disposition éthique face aux violences, africaines dans notre cas et inscrites dans le roman francophone.

Les questions de la possibilité de la représentation des violences extrêmes ont parfois été traitées de manière aporétique et rangées dans la catégorie de « l’indicible » (Rinn 1998). Ma réponse à ce débat relève d’un parti pris : celui d’en faire une question secondaire et de m’attarder aux lectures des œuvres et images en circulation. Ce parti pris n’est cependant pas un geste d’humeur, mais simplement le fait d’un constat qui se nourrit de la réalité objective d’artefacts déjà en circulation dans la sphère publique, quel que soit le label que les différentes communautés interprétatives ont pu leur appliquer. Face au constat que ces artefacts sont devenus par leur publication des objets de discours, il m’apparaît plus important d’interroger les modalités de leur lecture et de leur éventuelle légitimation que la possibilité ou l’impossibilité de leur existence même. À moins que cette question ne relève – et c’est parfois le cas – du ressort de la réception également. Cela est vrai et possible dans la mesure où le décret d’une impossibilité de représentation du génocide des Tutsi ou des Juifs est en soi un geste de lecture et de réception, qui s’accompagne souvent d’une critique très élaborée de l’œuvre sacrilège.

Butler, quant à elle, recourt à la réflexion d’Emmanuel Lévinas sur le visage et la vulnérabilité que sa représentation véhicule. L’aporie de la représentation de la violence traumatisante et donc de la vulnérabilité est dépassée par cet enjeu du visage tel que pensé par Lévinas. Pour ce dernier, le visage ne se réduit pas à l’image ni à une expression verbale quelconque, mais il est l’incarnation même de l’autre dans ce qu’il a d’humain et de précaire et qui paradoxalement – suivant la lecture de Butler – invite ou suscite l’envie de tuer chez son prochain. Ce que Butler tire des considérations de Lévinas sur la question de l’indicible, c’est ce que j’appellerais un principe « dialectique » au sens adornien du terme (Adorno [1955] 1986) et qu’elle qualifie d’« image critique ». Elle dira : « L’image critique, si nous pouvons nous exprimer ainsi, élabore cette différence [entendre par là l’altérité du lecteur autre traitée plus haut] de la même façon que l’image lévinassienne ». Butler résume l’image lévinassienne qui est représentation du visage de la manière suivante :

Ainsi, pour Lévinas, l’humain n’est pas représenté par le visage. L’humain est bien plutôt indirectement affirmé par la disjonction même qui rend sa représentation impossible, et cette disjonction est communiquée (c’est moi qui souligne) par l’impossible représentation. Pour que la représentation communique (c’est moi qui souligne) l’humain, il faut donc non seulement que la représentation échoue, mais aussi qu’elle montre son échec. Il y a quelque chose d’irreprésentable que nous cherchons néanmoins à représenter, et ce paradoxe doit être préservé par la représentation que nous en donnons. (Butler 2005, 178)

Il faut noter que Butler, à la suite de Lévinas, pose le fait d’une irreprésentabilité de l’humain et de sa souffrance comme prémisse. Cette prémisse n’est cependant pas un obstacle à la représentation si celle-ci n’a pas pour objectif ultime de saisir l’irreprésentable, mais de le communiquer. La nuance ici est importante et revient à travers ce concept d’un art, d’une image qui ne représente pas l’humain ni la vulnérabilité, mais qui les communiquent, de manière récurrente chez Butler. Pour Butler, tirant ses conclusions de la réflexion de Lévinas, le fait d’un indicible n’est ni discutable ni problématique quant à la représentation, pour autant que la représentation inclue en elle-même et de manière inséparable deux moments, l’un consistant en une tentative de représenter quelque chose et l’autre en une conscience des limites de celle-ci. Ce genre de représentation, à en croire Butler, serait utile au développement de la capacité des sujets sensibles face à la violence. Finalement donc, la réflexion sur les modalités de la représentation et ce qui est en jeu dans la circulation des images débouche sur une réflexion sur le lecteur ou la lectrice en tant que nanti-e de la « capacité à être choqué-e » à la lecture d’images de violence, choquantes, et capable de déployer une certaine activité interprétative, participant d’une communauté – ce que Butler appelle une « démocratie sensible ».

Si tout cela est possible, c’est que le lecteur ou la lectrice sensible est tout sauf naïf ou naïve. La mise en circulation d’images critiques au sens de Butler n’est qu’une des conditions de son avènement. L’autre est de l’ordre de sa propre posture de lecture et de son rapport à l’altérité. Dans ce sens, Butler n’épuise pas la question, mais en donne les orientations de manière fort utile. Car il faudra voir comment et pourquoi les images déréalisantes en circulation, qui cachent la souffrance et favorisent sa « forclusion », travaillent dans l’imaginaire collectif. Nous verrons en effet que l’aplatissement de la réalité, la déshumanisation dont parle Butler, participe de deux dynamiques : l’une est à la genèse des processus de lecture, dans la production même des images et de la teneur critique qu’on leur insuffle; l’autre est à l’extrémité du spectre et concerne l’horizon du lecteur ou de la lectrice. L’aplatissement dans ce cas, c’est le non-vouloir voir de la souffrance que l’image tente de communiquer dans la pleine conscience de son échec à la représenter. Ce non-vouloir voir est le fait de l’horizon d’attente qu’il faut analyser minutieusement et de manière contextuelle. Là se trouve donc une autre condition essentielle à la constitution de la figure du lecteur ou de la lectrice sensible. Non seulement elle n’est pas partisane des deuils expéditifs et de l’aveuglement volontaire, mais en se constituant une capacité à être choquée, elle est aussi consciente que toutes les images ne sont pas communicantes d’une souffrance et d’une humanité irreprésentables. Cette figure n’est pas naïve, tout comme l’image n’est pas dupe de ses limites en termes de représentation. Autant elle véhicule une tentative et une conscience de ses limites, autant elle l’approche dans un geste qui est tentative et en même temps conscience critique de que l’image peut et ne peut pas véhiculer.

Pour ma part et à la suite de Butler-Lévinas, la lectrice de Murambi, en se constituant en lectrice autre, devient une lectrice sensible avec la conscience de la teneur critique des images auxquelles elle est exposée et avec celle de sa propre démarche critique. Elle entre en contact avec un univers déshumanisé. C’est cette déshumanisation qui, historiquement — c’est-à-dire à l’échelle des événements tels qu’ils se sont produits —, est justement le fait de la violence dont traitent et l’image et le roman africain qui nous intéresse.

Si chez Butler, déréalisation — dans l’univers des représentations — et déshumanisation — au plan éthique — sont des corollaires, c’est que la seconde est affaire de langage, donc de signes et d’images. En tant que telle, cette déshumanisation n’est pas seulement observable au niveau des faits historiques, elle l’est aussi quand ceux-ci deviennent l’objet de représentations a posteriori. Le lecteur ou la lectrice sensible, dans sa démarche critique, doit faire face à la désarticulation d’un univers initialement cohérent qui a sombré dans la violence. Sans cela, il ou elle serait frappé-e, je pense, de ce que Butler appelle « l’insensibilité à la souffrance humaine et à la mort » (Butler 1985, 181). Il ou elle cesserait d’être sensible parce qu’ayant perdu le rapport à une certaine réalité. Si donc la violence déshumanise, sa représentation le fait tout autant. Les deux processus ne s’opèrent pas de la même manière : la première déshumanisation accompagne une violence exercée envers un sujet soumis à la souffrance historique; la deuxième est celle de représentations obstruant par le trop plein ou l’aseptisation, voire l’absence totale de la souffrance, l’apparition du sujet en souffrance et de la violence qui en est la cause. Dans tous les cas, il apparait donc que le lecteur ou la lectrice sensible est pris-e dans une démarche interprétative éminemment éthique et ultimement politique, dans la manipulation des signes de la violence. Il ou elle s’expose en tant qu’autre à des images et à des textes plus ou moins « critiques » – au sens butlerien du terme -, avec une « capacité » affective, disons une sensibilité, et une conscience critique.

Tant d’attributs et de qualités portent à conséquence. La première conséquence est que, ne pouvant rester insensible à l’image et au texte de violence – quelle que soit sa teneur critique – le lecteur ou la lectrice sensible en ressentira l’effet. Cet effet a une double facette : l’une participe de l’acte de lecture des textes de violences spécifiquement, et est intimement lié aux opérations de lecture et à leurs résultats dans la démarche interprétative du lecteur ou de la lectrice sensible; l’autre est liée aux conséquences sociales de la lecture qui est lecture sensible d’un univers défiguré par la violence. La lectrice de Murambi, lectrice sensible à l’origine de cette démarche interprétative, devient une lectrice médiatrice. Sa médiation se déploie sur un plan individuel et collectif : individuel dans sa lecture et sa confrontation avec un univers marqué par la négativité et auquel elle est poussée à donner un sens, à trouver des leçons positives; collectif dans le changement éventuel d’horizon et donc de valeurs que Hans Robert Jauss théorise en lien avec la portée sociale de l’expérience esthétique.

Lecture comme médiation : Geste 3 – Se constituer en lectrice médiatrice

L’esthétique de la réception de Hans-Robert Jauss ([1974] 1978) a ceci de séduisant qu’elle établit un lien entre valeurs esthétiques et valeurs sociales des lecteurs individuels ou collectifs. C’est dans cette optique que le lecteur ou la lectrice des violences en général et africaines en particulier devient médiateur ou médiatrice, la médiation étant le troisième geste qu’il ou elle pose après s’être constitué-e en « autre sensible » face à un univers marqué par la violence. Jauss part de considérations préliminaires sur l’expérience esthétique qu’il n’est pas inutile de reconvoquer brièvement. Il pose en effet son regard sur la connotation négative qui entache la notion de « jouissance esthétique » pour réhabiliter celle-ci dans son sens positif de geniessen, qui signifierait plaisir et possession d’un point de vue divin, et jouissance pensante. Dans ce cas, la jouissance serait une sorte de moyen pour s’approprier le monde (1978, 138). Il revisite cette notion pour la mettre au service de l’expérience esthétique dont elle serait le fondement. Ce qui m’intéresse ici est moins la « libération » ou réhabilitation de l’expérience esthétique en tant que telle que ce qu’elle entraîne ou implique. À l’échelle où elle se déploierait, Jauss identifie trois plans qui nous interpellent particulièrement en ce qui a trait à l’activité de la lectrice médiatrice dont je fais le portrait à partir de la réception de Murambi :

La libération par l’expérience esthétique peut s’accomplir sur trois plans : la conscience en tant qu’activité productrice crée un monde qui est son œuvre propre ; la conscience en tant qu’activité réceptrice saisit la possibilité de renouveler sa perception du monde ; enfin – et ici l’expérience subjective débouche sur l’expérience intersubjective – la réflexion esthétique adhère à un jugement requis par l’œuvre, ou s’identifie à des normes d’action qu’elle ébauche et dont il appartient à ses destinataires de poursuivre la définition (1978, 143).

Il faut préciser d’entrée de jeu qu’une certaine modestie s’impose quant à la libération postulée par l’auteur de l’Esthétique de la réception. Cependant, les trois plans qu’il décrit posent les fondements sur lesquels le lecteur médiateur ou la lectrice médiatrice bâtit sa démarche. Nous ne nous embarrasserons pas ici du fait que tous les plans énumérés par Jauss restent jusque-là intrinsèques au lecteur ou à la lectrice et que leurs implications sociales en termes d’actions concrètes ne sont ni envisagées ni certaines d’être couronnées de succès. On peut considérer que le premier état de conscience à partir duquel le sujet « crée un monde qui est son œuvre propre » est celui du lecteur ou de la lectrice autre, dans son altérité constitutive d’une posture en dehors de l’œuvre et de l’univers de celle-ci. Le deuxième plan de conscience pourrait trouver quelques coïncidences avec la posture du lecteur ou de la lectrice sensible dans la mesure où cette figure s’expose à un univers autre auquel elle n’est pas indifférente. Le renouvellement de la perception du monde du lecteur ou de la lectrice autre trouve toute sa motivation dans le contact avec l’œuvre de violence parce qu’elle est le lieu par excellence du conflit des valeurs et des questions fondamentales. D’où le fait que le troisième plan, défini par Jauss avec justesse sur l’axe de l’intersubjectivité, devienne le lieu de la médiation par le lecteur ou la lectrice : la conciliation des valeurs et au-delà, des univers par le biais du « jugement » éthique, forcément, influence le résultat de la démarche interprétative.

Le mouvement dans la conscience du lecteur ou de la lectrice qui s’effectue sur le troisième plan chez Jauss sous la forme d’un jugement — qu’exige dans notre cas l’œuvre de violence —, se traduit par ce qu’il appelle une adhésion à une position éthique ou une identification à un code de conduite qu’il qualifie de « norme d’action ». Adhésion et identification à un mode d’action supporté par un certain nombre de valeurs – le propre même de la norme – deviennent donc les maîtres mots de cette troisième étape dans la démarche du lecteur ou de la lectrice. Ils se rattachent à la définition du lecteur ou de la lectrice en médiation et il est important de leur dessiner des contours clairs.

Chez Jauss, ce sont les deux vitesses d’un même mouvement du lecteur ou de la lectrice qui est appelé-e à se déplacer d’un univers de sens créé préalablement à la lecture vers un autre univers au contact duquel il se crée une tension entre les deux horizons. Je pense que ce que nous pouvons retenir ici pour le bénéfice de notre réflexion, en plus de la claire description des états de conscience rattachables dans une certaine mesure aux figures des lecteurs et lectrices autres et sensibles, c’est ce mouvement du lecteur ou de la lectrice. Il n’est possible – faut-il le rappeler – que parce que celui-ci ou celle-ci s’est positionnée en tant qu’altérité face au texte et à son univers. Il donne lieu à une expérience de l’altérité sous la forme de l’intersubjectivité justement à cause de cette distance. Le lecteur médiateur ou la lectrice médiatrice est donc autre, sensible et du fait de sa capacité à être affecté-e, est aussi capable d’un geste qui le ou la rapproche de l’univers de la violence et des sujets en souffrance du récit. Ce mouvement est diversement pensé. La lectrice de Murambi déclare :

Pour moi tout cela se passait dans un monde lointain et inconnu, dans un monde qui m’était totalement étranger. Grâce à la lecture des œuvres de fiction sur le génocide, ces Rwandais me sont devenus peu à peu aussi familiers que mes voisins de palier et aujourd’hui, je sais que rien, absolument rien, ne me différencie d’eux. Je suis eux et ils sont moi, c’est tout (2000, 221).

Le mouvement que cette lectrice entreprend est le résultat d’une « jouissance esthétique » au sens où l’entend Jauss, c’est-à-dire d’une appropriation du monde que l’œuvre lui a permis de côtoyer. Cependant, il faudra être prudent sur l’issue de cette appropriation : « Je suis eux et ils sont moi, c’est tout ». Le roman de Boubacar Boris Diop n’a pas en annexe un protocole à suivre pour fusionner avec les victimes du génocide de 1994 au Rwanda, et pourtant, sa lecture donne lieu à des déclarations qui, prises au premier degré, permettraient de classer la démarche de la lectrice à l’échelle de la fusion et de l’identification absolues avec les victimes de la violence génocidaire.

Le piège, à la lecture de la Postface de Murambi, serait de prendre au premier degré les propos ci-dessus cités. Dans un autre roman, Tu t’appelleras Tanga (Beyala 1988), nous voyons deux femmes, une Blanche et une Noire faisant une expérience assez particulière : à travers le toucher et la parole qui s’en trouve libérée, Tanga, l’Africaine, fait don de son récit de vie à Anna Claude, la Française venue en Afrique dans une quête d’amour qui la conduit finalement en prison. Le roman de Calixthe Beyala, récit d’une violence autre que la violence génocidaire, nous confronte – cette fois dans l’espace même de la trame narrative et non pas du point de vue d’un lecteur réel – à des propos très comparables à ceux de la lectrice de Murambi. En effet, à la fin du livre, une conversation étrange a lieu entre la mère de Tanga et Anna Claude:

– Ma fille. Dis-moi, qu’est-ce qu’ils ont fait de ma fille, gémit-elle. – Votre fille ? – Oui, ma fille. Elle était enfermée avec toi. Dis-moi… – Votre fille, c’est moi. – Pas toi, dit la femme d’une voix irritée, ma fille Tanga. – C’est moi… […] Vous nous avez tuées, madame (Beyala 1988, 189-190).

Avec cet exemple, nous avons avec Murambi une lectrice extrinsèque et avec Tu t’appelleras Tanga une lectrice intrinsèque qui toutes deux, participent du même mouvement qui est celui de la médiation. La lecture/écoute des violences les a propulsées dans ce mouvement qui est à l’origine d’un rapprochement. Le plus important ici est que ce mouvement les mène à une sorte d’adhésion et d’identification avec les victimes de ces violences. Dans les faits, la lectrice de Murambi n’est pas plus une Rwandaise après la lecture du roman qu’Anna Claude n’est Tanga après avoir écouté le malheureux récit de la mourante. C’est là toute la différence entre implication, identification et identité. Trois concepts qui nous permettront de mieux saisir la démarche de la lecture médiatrice.

Le lecteur médiateur ou la lectrice médiatrice, face aux romans de violence et aux constructions qui sont ainsi mises en circulation, lit et se méfie de ce qu’il ou elle lit. L’extra-référentialité ici n’est pas simple question d’un rapport du texte lu avec le discours d’une société qui, historiquement, a enregistré dans ses annales une violence radicale qui se serait réellement produite. Elle prévient, à partir d’un horizon qui est celui du lecteur ou de la lectrice, contre la production sérielle du même qui est une autre forme de fixité d’un fragment qui n’a même pas le mérite de ‘valoir’ le tout, comme le postule Lévinas : « Mais le décalage entre l’image et le tout interdit à l’image d’en rester à sa fixité; elle doit se tenir aux confins d’elle-même ou au-delà d’elle-même pour que la vérité ne soit pas partielle ni partiale » (Lévinas [1974] 1990, 100). Lire dans ce cas, c’est exiger et noter l’absence — comme le fait Butler — de ce qui permet de voir la violence sans être dupe du caractère fragmentaire de l’exposition, et partiel du dé-voilement.

La lecture en médiation est, face aux images de la violence extrême, une lecture sensible, critique des modes de création et de validation/réception des images. Médiation ici n’est donc pas synonyme de pacification, ce que j’ai qualifié d’aplatissement des écueils du texte. Si l’image est sensible au sens de Lévinas, celui-ci exige aussi qu’elle soit reçue, « accueillie immédiatement sans subir de modification » (Lévinas [1974] 1990, 100). La figure du lecteur médiateur ou de la lectrice médiatrice vise, suivant ce principe de l’immédiateté, une réduction maximale de la distance entre elle et ce qui la sépare de l’autre par la réduction de la distance entre elle et le fragment, véhicule de cette altérité. Elle est consciente du fait que l’image peut subir des modifications, que le savoir n’est pas immédiat, mais médiatisé de différentes manières. La lecture en médiation est une lecture qui ne vise donc pas la réduction comme simplification, ni la décomplexification. Elle ne s’évalue pas au résultat éthique ou esthétique, mais à la démarche, au processus, à la manière dont elle se comprend comme le geste d’une lectrice ou d’un lecteur autre, sensible, et conscient-e du fait que ce qu’il ou elle fait a une portée éthique majeure. Elle peut conduire à un engagement, dans le sens où une subjectivité, dans la valorisation de l’altérité dont elle a eu connaissance par le biais d’une partition, met quelque chose de soi en gage contre les mécanismes de la violence qui l’a affectée, choquée. La lectrice médiatrice ou le lecteur médiateur ne craint ni les doutes ni la censure de ceux et celles qui plaident pour une impossibilité de la représentation et sait que l’œuvre est un fragment de quelque chose qui ne sera pas cerné avec une seule image, fut-elle partition du tout. Raison pour laquelle cette figure trouve une raison suffisante dans sa démarche par l’appréhension rendue possible grâce au texte.

Conclusion

Pour poser ces jalons d’une théorie de la lecture comme médiation face aux objets littéraires culturels africains, je suis parti d’une lectrice historique qui a lu un livre sur le génocide de 1994 au Rwanda et dont le compte rendu de lecture est très révélateur pour mon propos. Il va de soi que la figure impliquée dans une lecture en médiation, telle que je la développe par la suite, s’éloigne de cette lectrice réelle : elle est le fait d’un postulat théorique.

Concevoir la lectrice comme étant porteuse d’une démarche interprétative qui s’inscrit dans le registre de la médiation s’est imposé dans ma réflexion pour plusieurs raisons. La principale est le caractère particulier des textes qui sont lus : textes relatant des violences en Afrique. Dans l’optique de l’étude des cultures africaines, cette figure de la lecture médiatrice s’avèrera très opérationnelle si on postule que la démarche d’appréhension des objets culturels africains est la même que celle des œuvres analysées ici. Le fardeau éthique dont cette démarche s’accompagnera ne sera cependant pas toujours le même face aux diverses œuvres et objets culturels. Ce qui ressort de cette démarche généralisable donc, c’est son caractère processuel, critique et éthique à des degrés divers. Elle est, en fin de parcours, garante d’une approche de l’autre et de sa culture dans la conscience et le respect de ce qui nous éloigne, et de la distance à parcourir pour nous rapprocher. Le sujet lecteur des objets culturels africains sera donc un médiateur, c’est-à-dire une subjectivité qui tente de s’inscrire dans le rapprochement, voire la réconciliation d’univers originellement distants l’un de l’autre.

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Isaac BAZIÉ est professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal. Son enseignement et ses publications portent sur les théorisations et les figurations de l’Afrique dans son rapport au monde, les littératures africaines et le canon de la littérature mondiale, les théories de la lecture et de la réception, le rapport entre littérature, violences, mémoires et identités. Il a publié entre autres : Imaginer la violence : figures, enjeux et horizons. Perspectives Nord-Sud, Québec, PUQ, 2015 (en collaboration avec Carolina Ferrer) et Écritures de la réclusion, Québec, PUQ, 2015 (en collaboration avec Carolina Ferrer). Courriel : bazie.isaac@uqam.ca

Résumé

L’étude des cultures africaines passe souvent par l’exposition des pratiques et des objets culturels africains. Cette manière de procéder est tout à fait indiquée, à tout le moins dans une tradition épistémologique qui a longtemps minoré l’Afrique et ses productions. La réponse à ces perceptions péjoratives passe certes par la mise en évidence de la richesse des cultures et littératures africaines, mais elle passe aussi par une autre approche : celle qui permet de réfléchir sur les grilles de lectures des cultures africaines. La présente contribution pose les jalons théoriques d’une posture de lecture, en considérant la lecture comme un acte de médiation. Le roman africain francophone qui traite des drames collectifs sert de lieu d’expérimentation aux fins de la définition de cette médiation. La démarche qui en découle pourrait ultérieurement être appliquée aux objets culturels, au-delà de la littérature de violence.

Mots clés

Roman africain, violence et culture, études culturelles

Citation

Bazié, Isaac. 2019. « Littératures africaines et lecture comme médiation. Réflexions sur l’appréhension des cultures africaines à partir des violences collectives dans le roman francophone ». In Dɔnko. Études culturelles africaines. Sous la direction d’Isaac Bazié et Salaka Sanou, pp. 95-120. Québec : Éditions science et bien commun.

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