Introduction

Regards pluriels sur les cultures africaines comme lieux de savoirs

Isaac Bazié et Salaka Sanou

Étudier la culture, notamment selon le principe de la différence et suivant les grandes avenues qui ont marqué la distinction entre les grandes aires au plan mondial n’est pas un projet nouveau, loin s’en faut. Ce regard marqué par la recherche de la différence à des fins d’une taxinomie qui plaçait l’Occident en haut de l’échelle et lui conférait ipso facto un rôle de censeur face à tout ce qui n’était pas occidental a longuement été débattu et battu en brèche. Des travaux comme ceux d’Edward Said (1978) ou de Valentin Mudimbe (1988) ont tracé les lignes de force de cette « grande herméneutique » dont parle Achille Mbembe (2000; 2010), lui-même participant de ce renouveau des épistémologies issues du Sud. Il n’est donc pas nécessaire de revenir par exemple sur les critiques de l’anthropologie culturelle depuis ses premiers balbutiements qui ont largement contribué à asseoir les épistémologies ayant opéré largement dans le paysage institutionnel en Occident et même en Afrique, le continent s’étant paradoxalement fait le sage héritier de structures de productions des savoirs aliénants à son égard depuis l’époque des colonisations. Au cœur de toutes ces approches, un principe différentiel qui postule et souvent hypostasie la différence sur l’axe du soi et de l’autre, avec les cultures comme lieux et objet des transactions.

C’est ce constat qui justifie l’attention particulière que nous accordons aux études culturelles africaines dans le présent ouvrage. En effet, dans le contexte africain, on peut dire que les figures de l’altérité construites à partir de l’a priori de la négation/péjoration des cultures du continent dit noir, ont d’office inscrit la culture au cœur des travaux que les chercheurs et chercheuses d’Afrique ont développés à leur tour sur les liens entre l’Afrique et le reste du monde, à commencer par l’Occident colonisateur. Il faut noter que la conjoncture favorable à une systématisation des études culturelles africaines s’est constituée depuis des précurseurs comme Dim Dolobson Ouédraogo (1932 et 1934), mais aussi avec les travaux majeurs des tenants de la négritude comme Léopold S. Senghor (1961 et 1993). Il ne faut pas oublier les travaux de chercheuses et chercheurs ayant fortement participé à l’émergence des études africaines en général comme Janheinz Jahn (1961) ou Lilyan Kesteloot (1963), avec – faut-il le rappeler – le point tournant que fut le colloque de Yaoundé en avril 1973, invitant les critiques à faire la part belle aux peuples africains et à leurs cultures dans la recherche.

Le réquisitoire de critiques comme Ambroise Kom (2000) relativement aux paramètres du canon des littératures africaines, telles qu’enseignées dans les institutions universitaires en Europe et en Amérique, a ceci d’actuel qu’il plaide pour une diversification des acteurs et actrices sur la scène des producteurs et productrices de savoirs sur l’Afrique. Ce n’est pas ici le lieu propice pour vider cette question, au risque de tomber dans des simplifications appauvrissantes. Cependant, le présent ouvrage constitue à plusieurs égards une prise de position au plan institutionnel – et idéologique donc – et une ouverture au plan méthodologique sur les enjeux liés à l’étude des cultures et littératures africaines.

Le présent ouvrage collectif, consacré aux études culturelles africaines, emprunte plusieurs avenues. Dans une visée historiquement et méthodologiquement plus large que les études africaines, il a été nécessaire de retourner très ponctuellement dans les années 50 et 60 du siècle dernier pour rappeler à la mémoire les cultural studies et suivre le fil des traitements et perceptions subséquentes de la culture jusqu’à nos jours. Partant de là, les liens avec les cultural studies se font dans le contexte africain. La teneur théorique et le désir de contribuer à la mise en place d’outils conceptuels utiles à l’appréhension des cultures africaines trouvent leurs justes expressions dans les chapitres suivants : le recyclage (Philip Amangoua Atcha), le copiage (Adama Coulibaly), la médiation (Isaac Bazié) et la sociologie des petits récits (David N’Goran). Encore faut-il pouvoir se situer dans l’histoire de la critique africaine et en connaître les enjeux (Kaoum Boulama), afin de mieux apprécier les propositions théoriques et les études de cas novatrices qui sont proposées. Ce défi relevé, il convient de se pencher sur des pratiques culturelles avérées. Le choix des cas particulier donne une idée du spectre à couvrir et de la richesse des recherches à venir : la littérature orale bààtɔnù au nord du Bénin (Gniré Tatiana Dafia), le mariage polygamique dans les arts (Aïssata Soumana Kindo), les masques, alliances et parentés à plaisanterie au Burkina Faso (Alain Joseph Sissao). Le texte de Salaka Sanou qui clôt le volume est loin d’être une conclusion : il est plus de l’ordre d’un témoignage programmatique qui porte un regard rétrospectif sur les études culturelles au Burkina Faso et ouvre sur les orientations possibles dans ce champ de recherche.

L’ouvrage qui réunit ces contributions s’intitule en premier lieu et à dessein Dɔnko, « savoir », en bamana. Plus qu’anedoctique, ce titre est symptomatique d’une approche visant à donner à la production et à la compréhension des savoirs sur les cultures et les réalités de l’Afrique un ancrage africain qui soit de plus en plus contraignant. Ce titre est issu du travail collaboratif avec Florence Piron et d’autres mains savantes qu’il n’est pas possible de nommer exhaustivement dans ces lignes. Nous remercions toutes les personnes qui se sont investies dans cette optique d’un arrimage des travaux universitaires sur l’Afrique à l’Afrique. Cet arrimage ne peut se faire sans la complicité heureuse de compétences qu’une seule personne ne peut posséder. C’est à ce genre de complicité que renvoie d’ailleurs la genèse de cet ouvrage, à notre désir partagé à Ouagadougou et à Montréal de contribuer à un approfondissement des études culturelles africaines. Ce désir aurait été difficile à réaliser sans l’inestimable contribution éditoriale de Florence Piron. Bark barka, comme on dit en moore. Dans ce registre également, nous remercions très sincèrement Caroline Giguère pour l’acribie et la générosité avec lesquelles elle a aidé à préparer cette publication, ainsi que Laure-Hélène Piron et Carlos Colavita pour la révision des résumés en anglais et en espagnol.

Résumé en moore

Nisalbs rog n mik bãgre

Pĩnd pĩnde, nasaaramba gʋlsa seb wʋsg nisablsã rog n mikã yelle. Tõnd miim ti b ra pa nand nisablsã rog n mikã ye. Rẽ n kit ti neb a taaba, ninsalbs la nasaaramba, yik n gʋls seb a taaba, n na n wilg ti ninsalbsa rog n mik tara yõõdo.

Neb a wɛ n naag tab n gʋls seb kada. B gomda soɛ nins nisalbsã bangdba sen toẽ n tũũ yelle, sen na n yili ti ninsalbsã viima ne b rog n mikã paam waogre.

Références

Jahn, Janheinz. 1961. Muntu : L’homme africain et la culture néo-africaine. Paris : Seuil.

Kom, Ambroise. 2000 : La malédiction francophone. Défis culturels et condition postcoloniale en Afrique. Hambourg : Lit Verlag/Clé.

Kesteloot, Lilyan. 1963. Les écrivains noirs de langue française : naissance d’une littérature. Bruxelles : Editions de l’Université de Bruxelles.

Mbembe, Achille. 2000. De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine. Paris: Karthala.

Mbembe, Achille. 2010. Sortir De La Grande Nuit : Essai Sur l’Afrique Décolonisée. Paris: Éditions La Découverte.

Mudimbe, Valentin Y. 1988. The Invention Of Africa : Gnosis, Philosophy And The Order Of Knowledge. Londres: Indiana University Press – James Currey.

Ouedraogo, Dim Dolobson. 1932 : L’empire du Mogho. Coutumes des Mossi de la Haute-Volta. Paris : Les éditions Domat-Montchrestien F. Loviton et Cie.

Ouedraogo, Dim Dolobson. 1934 : Les secrets des sorciers noirs. Paris : Nourry.

Said, Edward W. Orientalism. New York : Vintage Books.

Senghor, Léopold S. 1961. Liberté I: Négritude et humanisme. Paris : Seuil.

Senghor, Léopold S. 1993. Liberté 5. Le dialogue des cultures. Paris : Seuil.

Citation

Bazié, Isaac et Salaka Sanou. 2019. « Introduction. Regards pluriels sur les cultures africaines comme lieux de savoirs ». In Dɔnko. Études culturelles africaines. Sous la direction d’Isaac Bazié et Salaka Sanou, pp. 1-4. Québec : Éditions science et bien commun.

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