3 L’expérience de la santé communautaire en France : une lecture au prisme des communs

Dominique Acker

Introduction

On ne parviendra pas à faire ou à refaire de la santé un bien commun sans que des communs, de multiple nature, voient le jour et se déploient. (Soigner, ouvrage collectif, 2021)

L’objectif de cet article est de proposer une lecture de la santé communautaire en France à partir d’une approche par les communs. Il ne s’agit cependant pas d’appliquer de façon artificielle une grille d’analyse mais plutôt de montrer que l’analyse au prisme des communs éclaire la manière dont la santé communautaire porte en elle un puissant pouvoir de transformation sociale, ouvrant des pistes pour penser autrement la question de la santé.

Notre système de santé connaît une crise majeure avec la décomposition de l’hôpital public et une privatisation rampante des structures de soins, l’absence de médecin traitant·e pour plus de 6 millions de nos concitoyen·ne·s, la hausse du non-recours aux soins, une industrie pharmaceutique qui nous tient en otage en pratiquant des prix prohibitifs ou en organisant la pénurie de médicaments (Krikorian, 2022). Par ailleurs, l’épidémie de Covid 19 a mis en évidence le poids des inégalités sociales de santé dans notre pays, et toute l’importance qu’il y a à reconsidérer notre conception de la santé et du « prendre soin ». Ce contexte nous ramène à l’enjeu majeur que représente l’organisation des soins primaires dans un système de santé, perspective dans laquelle se situent les centres de santé communautaire (CSC).

Ce texte s’appuie sur quatre expériences de CSC : La Place Santé à Saint-Denis (93), Santé Commune à Vaulx-en-Velin (69), Stétho’Scop à Hennebont (56) et la coopérative de santé Richerand à Paris (75). Les données utilisées les concernant proviennent de leurs projets et rapports d’activité, ainsi que des entretiens menés sur place[1]. Avant de les présenter plus en détail, je propose d’aborder les fondements de la démarche de santé communautaire au prisme de l’approche par les communs et de voir comment cette démarche a été mise en œuvre historiquement en France avec la création des centres de santé. Puis, j’essayerai de tirer quelques enseignements au regard de l’ambition de transformation sociale que portent les CSC et de m’interroger sur la façon dont ces centres, en tant que possibles communs de proximité, peuvent s’inscrire dans une perspective plus globale de service public de santé territorial.

La santé communautaire : fondements et mise en œuvre

Les principes de la santé communautaire convergent avec ceux des communs de proximité

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la santé communautaire est :

le processus par lequel les membres d’une collectivité, géographique ou sociale, conscients de leur appartenance à un même groupe, réfléchissent en commun sur les problèmes de leur santé, expriment leurs besoins prioritaires et participent activement à la mise en place, au déroulement et à l’évaluation des activités les plus aptes à répondre à ces priorités. (Motamed, 2015)

Cette conception participative de la santé peut être utilisée soit par les autorités politiques et administratives aux fins de planification et d’évaluation des besoins de la population[2], soit par des structures de terrain comme le sont les centres de santé communautaire. Ces derniers se réclament de trois textes fondateurs :

  1. le préambule de la constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), adoptée le 22 juillet 1946, qui souligne l’importance d’une opinion publique éclairée et d’une coopération active de la part du public pour l’amélioration de la santé des populations,

  2. la déclaration de la Conférence internationale sur les soins de santé primaires, réunie à Alma-Ata le 12 septembre 1978,

  3. la Charte d’Ottawa sur la promotion de la santé, adoptée le 21 novembre 1986.

S’inspirant de ces principes, les CSC convergent avec la manière dont ont été définis les communs de proximité dans cet ouvrage, avec leurs trois caractères interreliés qui sont : 1) une initiative citoyenne et autogouvernée, 2) dont la visée est le service de l’intérêt général et dont l’accès reste ouvert, 3) ancrée sur le territoire et respectueuse des écosystèmes dans lesquels elle est insérée. On retrouve dans leur mise en œuvre ces trois caractéristiques :

  1. les CSC sont pour la plupart issus d’une initiative citoyenne (souvent des médecins militant·e·s) et autogouvernée : les personnes veillent à un fonctionnement participatif au sein de leurs équipes par des pratiques autogestionnaires (Santé commune, Stétho’Scop) ou une organisation en coopérative d’intérêt collectif (La Place Santé, Richerand). Elles s’appuient aussi, avec la promotion de la santé, sur la participation et l’autonomie des patient·e·s telle que défendue dans la Charte d’Ottawa[3] et la Déclaration d’Alma-Ata : « tout être humain a le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en œuvre des soins de santé qui lui sont destinés. » Pour faire vivre au quotidien ce concept de promotion de la santé, les CSC font appel aux ressources de la communauté, à la capacité des patient·e·s à participer à leur traitement et aux savoirs dits « profanes » maîtrisés. Plusieurs centres de santé associatifs intègrent les usagèr·e·s dans leurs instances décisionnelles[4];

  2. ils prônent l’accès aux soins pour toutes et tous (notamment avec le tiers-payant) et assurent, dans la limite de leurs capacités, un accueil inconditionnel et pluriprofessionnel. Ils se sont donné comme objectif de mettre en œuvre le concept de santé globale défendu par l’OMS, prenant en compte les déterminants de santé[5], afin « d’offrir à tous les individus les mêmes ressources et possibilités de réaliser pleinement leur potentiel santé, quelles que soient leurs origines » (Charte d’Ottawa). Considérant que la santé ne se résume pas à l’accès individuel aux soins mais se constitue avant le soin, ces centres développent des actions de promotion de la santé avec les habitant·e·s, procèdent à une évaluation des besoins et font appel à des actions de médiation. Ce faisant, ils dépassent la stricte notion de soins et de réponse individuelle aux patient·e·s, ils visent la santé publique et l’intérêt général;

  3. au nom de la primauté des soins de santé primaires, « premier niveau de contacts des individus, de la famille et de la communauté avec le système national de santé » et de la nécessité de les rapprocher « des lieux où les gens vivent et travaillent »[6], ils sont ancrés sur un territoire et développent des pratiques collaboratives avec leur environnement.

Ainsi, les CSC tendent à ressembler à des communs de proximité. Et, comme tel est le cas pour les communs en général, leur articulation avec le marché et l’État dépend du contexte. C’est pourquoi leur rôle et leur place varient selon les pays. Aux USA[7], des initiatives communautaires se sont historiquement développées pour assurer l’accès aux soins des minorités noires et portoricaines (Gaudilliere, 2021). Ailleurs, le Québec a installé, depuis les années 1970, en tant que piliers de son système de santé, les centres communautaires, regroupant services sociaux et de santé. Enfin, le Brésil a créé des « unités basiques de santé », tandis que la Belgique a expérimenté, dans ses maisons médicales[8], de nouveaux modes de rémunération forfaitaire.

Mais qu’en est-il de l’histoire de ces concepts en France? L’organisation des soins primaires y est largement dominée par la médecine libérale[9] qui a longtemps freiné le développement des centres de santé. Avec leur fonctionnement participatif, les centres communautaires ont apporté une dimension nouvelle aux centres de santé historiques, tandis que la médecine libérale s’est peu à peu approprié la notion de travail collaboratif.

Les centres de santé se sont développés en France sur la base du travail en équipe et de l’accès aux soins

En France, la santé communautaire est souvent assimilée aux centres de santé, vécus par la médecine libérale comme les héritiers des dispensaires[10]. Mais lorsqu’on évoque les centres de santé, peut-on parler, systématiquement, de santé communautaire? Les récents scandales concernant des centres de santé ayant des pratiques commerciales et non éthiques, ainsi que l’émergence de fonds de pension parmi les promoteurs, incitent à la prudence : tous les centres de santé ne relèvent pas de la santé communautaire, mais les CSC présentent néanmoins toutes les caractéristiques fondatrices des centres de santé qu’il convient de repréciser ici.

Les centres de santé sont nés la plupart du temps à l’initiative de municipalités (souvent communistes), de caisses de sécurité sociale (régime minier) ou de mutuelles, pour assurer l’accès aux soins des classes populaires et promouvoir une médecine sociale au service du mouvement ouvrier, se préoccupant notamment de la prévention face aux risques industriels (mutualité des Bouches-du-Rhône). Depuis cette époque, les centres de santé ont peu à peu fait l’objet de régulation : ils sont définis aujourd’hui par l’ordonnance du 12 janvier 2018[11] en tant que structures de proximité ouvertes à tous, assurant des soins de premier recours, des activités de prévention, de diagnostic et de soins, éventuellement au domicile du ou de la patiente. Leurs prestations sont remboursables par l’assurance maladie, sans dépassement d’honoraires à la charge des patient·e·s, et ils pratiquent le tiers-payant. Ils ne peuvent distribuer de bénéfices, les professionnel·le·s y sont salarié·e·s et doivent soumettre leur projet de santé à l’Agence régionale de santé (ARS).

Si l’on voit ici que les centres de santé répondent historiquement à des objectifs d’inclusion sociale, leur développement a longtemps été fragilisé par des difficultés financières, avec un financement à l’acte non adapté à leur exercice (Acker, 2008), et par l’opposition de la médecine libérale, hostile au principe du salariat. La première convention médicale de 1971 a en effet donné « aux syndicats de médecine libérale un véritable droit de tutelle sur la création ou le développement des centres, et [a mis] fin à toute perspective d’en généraliser le modèle à l’échelle nationale » (Carini-Bellini, 2022). Même s’ils se développent (+200% en 20 ans), les centres ne regroupent aujourd’hui que 1 700 médecins (Saderne, 2021).

Si la médecine libérale se positionne plutôt en résistance, le secteur hospitalier semble plus contrasté. À part quelques initiatives comme celle de l’Assistance Publique de Marseille ou des hôpitaux de Confolens et de Vierzon, les établissements publics se sont très peu saisi des possibilités de création de centres de santé[12]. Ainsi, c’est le secteur privé à but lucratif (ex : groupe Ramsay) ou non lucratif (ex : hôpital Foch) qui commence à développer des centres de santé, considérés plus comme des relais de croissance, avec la perspective de renforcer leur filière de soins, du primaire à l’hospitalier, que comme une réponse à l’intérêt général.

Ce n’est pas l’approche défendue par les centres de santé communautaire qui sont porteurs de projets de santé construits avec les habitant·e·s.

Les centres de santé communautaire : fonctionnement participatif et mode de financement expérimental

Au sein des centres de santé, les CSC se distinguent, en effet, par leur caractère participatif. Bien qu’ils existent depuis plusieurs années, ce n’est que très récemment que l’on a vu émerger une définition officielle de leurs objectifs[13]. Ils sont présentés comme des centres qui tendent :

à offrir en ville une prise en charge sanitaire et sociale de premier recours, tournée vers les besoins de leurs usagers et généralement implantée dans des territoires défavorisés… elle se fonde sur un accompagnement médico-psycho-social mis en œuvre par une équipe pluriprofessionnelle, associant notamment des médecins généralistes et auxiliaires médicaux, des psychologues, des agents d’accueil, des médiateurs en santé et des interprètes professionnels. Ces professionnels, par différents biais, font participer les usagers au projet de santé de la structure, en visant à les rendre acteurs de leur propre santé.

Cette définition accompagne l’expérimentation dite SECPA (Encadré 5) qui ouvre un nouveau champ des possibles pour ces centres dans la mesure où elle leur assure une stabilité financière, stabilité qu’ils n’avaient pas en tant que centres de santé en général comme cela a été évoqué plus haut[14].

Encadré 5 : Un financement expérimental pour assurer l’équilibre économique des CSC

L’expérimentation SECPA (structures d’exercice collectif participatif), mise en œuvre depuis le 1er août 2021 et visant un objectif de 60 centres d’ici le 31 décembre 2023, propose quatre dotations forfaitaires pour financer l’ensemble des activités réalisées autour des patient·e·s (démarche participative, prévention, promotion et éducation à la santé). Leur implantation est fléchée dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) ou dans des territoires présentant des taux de pauvreté supérieurs à la moyenne nationale, l’objectif étant d’offrir une réponse adaptée aux problématiques de nombreux territoires défavorisés.

Pour La Place Santé, lorsqu’il s’est agi d’anticiper le départ en retraite des docteurs P. et M., il a d’abord été envisagé un projet de Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP). Ces MSP, initiées dans les années 1990, regroupent plusieurs professionnel·le·s de santé (au moins deux médecins généralistes et un·e professionnel·le non-médecin), en principe de statut libéral[15] : elles se développent désormais à grande échelle et sont encouragées dans leur création par les pouvoirs publics qui ont affiché récemment leur objectif d’en développer 4000 de plus. Elles se présentent comme une réponse au désir de collectif des jeunes médecins[16], mais restent très attachées à la Charte de la médecine libérale prônant, depuis 1927 : libre choix du ou de la patiente, liberté d’installation et paiement à l’acte. Les jeunes médecins intéressé·e·s par le projet de La Place Santé souhaitant être salarié·e·s et déchargé·e·s de l’ensemble des tâches administratives liées au statut libéral, le projet a été transformé en CSC.

A contrario des MSP, en quoi les CSC qui vivent leur expérience comme une préfiguration d’un modèle de santé de premier recours[17], sont-ils porteurs de transformation sociale, d’une autre façon d’agir et de penser la santé?

Les centres de santé communautaire, porteurs de transformation sociale

Il s’agit d’examiner ici successivement comment, en questionnant à la fois la dimension socio-économique des déterminants de santé, l’asymétrie des relations avec les patient·e·s, le dépassement du paiement à l’acte, l’organisation du travail et l’expérience de l’autogouvernance, les CSC, en tant que communs de services de proximité, remettent en cause le fonctionnement du système actuel et peuvent être de « puissants leviers de changement et de transformation de nos sociétés » (Derumier, 2021, 383).

Par une approche globale prenant en compte les déterminants de santé

Ces centres proposent tous une approche en termes de santé et de bien-être des habitant·e·s plutôt que de distribution de soins. Avec cette approche globale, l’accent est mis sur la prise en compte des déterminants de santé et sur la lutte contre les inégalités sociales de santé. Cette approche passe notamment par le développement des fonctions d’accueil et de médiation en santé qui assurent information, orientation et accompagnement des patient·e·s dans leurs parcours de santé, dans une logique de faire avec et pour et non uniquement de faire pour. Ce n’est plus le ou la citoyen·ne qui va consulter les soignant·e·s, mais, dans un processus inversé, les soignant·e·s qui vont vers la population. Les CSC ont d’ailleurs œuvré pour faire reconnaître le métier et la formation[18] de médiateur·ice officialisés dans la Loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016[19].

C’est pourquoi ces centres ont aussi développé, à côté des consultations de médecine générale ou de spécialité, des activités de prévention et de promotion de la santé (ateliers marche, yoga du rire, douleur et dos à Saint-Denis, atelier d’éducation thérapeutique des patient·e·s atteints de maladie chronique, activité physique adaptée, art-thérapie à Hennebont). Pendant la période du Covid, l’activité marche est la seule qui a pu être maintenue par La Place Santé, elle a constitué une vraie bouffée d’oxygène pour les femmes de la cité. Ces activités de promotion de la santé, de « santé proactive », s’appuient sur l’expertise même des patient·e·s qui y participent, ce qui constitue également un facteur puissant de transformation sociale. Le « aller-vers » s’adresse directement aux personnes connues pour être des personnes à risque, auprès desquelles il faut être très réactif, comme les « patients porcelaines » de La Place Santé (Menard, 2022.)

Par l’implication et la participation des habitant·e·s

Avec l’expérience de La Place Santé à Saint-Denis, on s’aperçoit que la participation des habitants et surtout des habitantes, composante déterminante du modèle, ne va pas de soi (Encadré 6).

Encadré 6 : L’implication des habitant·e·s : une adaptation permanente pour La Place Santé

Tout est parti d’une recherche-action menée par une équipe de sociologues dans le cadre de la politique de la ville sur le diagnostic des besoins de santé des habitant·e·s du quartier des Francs-Moisins à Saint-Denis. Les professionnel·le·s de santé, les institutions et les habitant·e·s associés à cette démarche ont alors décidé de profiter des savoirs accumulés sur leur vécu et leurs pratiques, et de leur envie de faire ensemble, en créant une association pour mettre en œuvre le projet esquissé par les sociologues. Elle rassemblait trois collèges : les institutions (municipalité, hôpital…), les professionnel·le·s (soignant·e·s du quartier, PMI, CMP…) et les usagèr·e·s (association des femmes, amicale des locataires, des gardien·ne·s d’immeuble…). Cependant, malgré la création de lieux d’accueil spécifiques pour les habitant·e·s (lieu ressources jeunes, lieu santé mentale…) le lien avec la population ne s’est pas fait et l’association a dû revoir son projet, se recentrer sur les questions de santé, et mobiliser les ressources de la communauté : une vingtaine d’habitant·e·s a ainsi été formée avec l’aide des institutions membres de l’association (CAF, CCAS, Hôpital, CMP, CPAM, médecins…) et l’association a pu salarier cinq habitantes-relais qui ont obtenu le diplôme de techniciennes de service social et ont évolué ensuite vers le rôle de médiatrices.

Pour La Place Santé, il a fallu expérimenter plusieurs dispositifs pour inciter les habitant·e·s à s’impliquer : après les habitantes-relais citées ci-dessus, il y a eu, en 2011, la création d’un comité des personnes habitantes/usagères/citoyennes (CHUC) avec pour objectif de donner à ses membres la même place qu’aux autres acteurs de santé. Pour ce faire, l’expérience et l’expertise de l’équipe a été partagée dans le cadre d’une formation à la participation en santé. L’étape actuelle est à la création d’un collège des habitant·e·s au sein de la SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif), reposant sur la participation des associations locales plutôt que sur des participations individuelles. Certains centres comme Santé commune (Encadré 7) ont renoncé pour l’instant à organiser la participation des habitant·e·s de manière formelle, ce qui n’empêche pas une forte implication des usagèr·e·s dans le fonctionnement du centre (voir encadré 7).

Encadré 7 : Histoire de Louisa* (Santé commune)

Louisa, 43 ans, vit en France depuis 20 ans et, depuis 7 ans, dans le quartier de Vaulx-en-Velin où elle est hébergée par sa famille qui vient des Comores. C’est l’assistante sociale de la mairie qui l’a adressée au centre, suite à des soucis avec son conjoint. Auparavant, elle voyait son médecin traitant pour une consultation de dix minutes : il lui prescrivait des médicaments et elle revenait régulièrement le voir. Elle a besoin d’échanger, mais sans être jugée : ici, le temps de consultation fait qu’elle peut parler de tout. Elle a changé de médecin traitant, a les mêmes problèmes qu’avant mais elle ne les perçoit plus de la même façon. Quand elle ne se sent pas bien, elle vient au centre : elle ne prend plus de médicaments. Louisa est intégrée à la communauté d’usagères : elles se voient tous les vendredis et déjeunent ensemble : c’est la première fois qu’elle a des « copines ». Elles ont réalisé ensemble un « centre de bien-être », pensant que ce serait bien pour celles qui sont dans la précarité. Elle parle du centre auprès des personnes de son entourage, qui voient bien qu’elle va mieux qu’avant. Cela leur a donné envie de venir. [* Le prénom a été modifié.]

À La Place Santé, les habitantes ont œuvré, avec l’équipe du centre, pour la mise en place d’une activité vélo en obtenant la création, par la ville, de pistes cyclables, ainsi que le recours aux ressources de la communauté pour l’apprentissage et la fourniture de vélos. Pour de nombreuses femmes, l’existence d’un centre de santé communautaire, ouvert sur la cité et accessible à tout moment, constitue une occasion unique de socialisation et de rencontres. La participation des hommes est plus difficile à obtenir.

D’autres centres comme Stétho’Scop misent sur l’éducation populaire pour casser l’asymétrie des relations entre professionnel·le·s et patient·e·s :

il est nécessaire que les professionnels partagent leurs savoirs avec les habitants et que les habitants puissent échanger et partager les savoirs qu’elles et ils ont sur leur propre santé. Nous aspirons donc à impliquer les premiers concernés dans l’analyse, l’action et l’émancipation face aux questions de santé. Nous souhaitons pour cela nous inspirer des méthodes d’éducation populaire. (Projet Stetho’scop, 2020)

Le centre a ainsi mené, en 2021, une « enquête conscientisante » pour faire émerger un « collectif d’habitants/usagers » pouvant prendre part aux choix des actions de promotion de la santé, et aux décisions du centre.

Par l’abandon de la rémunération à l’acte

La mise en place du paiement forfaitaire s’inscrit à rebours du mouvement d’industrialisation et de standardisation des soins qui consiste à nier, en même temps, l’autonomie des professionnels et la spécificité de chaque patient·e (Da Silva, 2020). Avec le paiement forfaitaire induit par l’expérimentation SECPA, non seulement les centres ont gagné en stabilité financière, mais surtout ils témoignent d’un meilleur travail en équipe, d’une disponibilité retrouvée pour améliorer l’accueil, faciliter le parcours du ou de la patiente, démêler certaines situations et sensibiliser sur les droits[20]. L’abandon du paiement à l’acte permet d’adapter le mode de rémunération à la réalité pluriprofessionnelle des pratiques de soins et de santé et favorise le changement des pratiques professionnelles : il ne s’agit plus de débattre du rôle de l’accueillante ou de la délégation de tâches entre médecins et infirmières de pratique avancée (IPA) ou infirmières « ASALEE »[21] qui suivent les patient·e·s chroniques, mais de répondre, en équipe, aux besoins des patient·e·s :

Notre équipe a opté pour le paiement au forfait en 1999 car ce mode de paiement est plus cohérent pour nos valeurs (solidarité, justice sociale, accès aux soins) et nos objectifs d’une approche globale de la santé. Cela nous permet de faire plus de prévention et de santé communautaire. Enfin, à l’usage, le paiement au forfait favorise aussi la cohésion de l’équipe et la solidarité en interne[22]. Témoignage du Dr. Jean Laperche, médecin généraliste (maison médicale de Barvaux en Belgique)

En matière d’abandon du paiement à l’acte, il faut aussi citer l’expérimentation PEPS (paiement en équipe des professionnels de santé), sur laquelle fonctionne le centre Richerand (Encadré 8).

Encadré 8 : L’expérimentation PEPS

Lancée en juillet 2019 par le ministère des Solidarités et de la Santé et l’Assurance Maladie (arrêté du 19 juin 2019), elle introduit le principe d’une rémunération forfaitaire collective des professionnels de santé en ville, se substituant au paiement à l’acte, et libre dans son utilisation et sa répartition.

Le dispositif PEPS nous pousse à réfléchir à de nouvelles activités qui pourraient avoir un impact positif sur la santé de nos patients et qu’on pourrait valoriser… On travaille sur une autre perception par les patients de ce qu’est la santé… plus globale[23].

Précédant encore cette expérimentation, les syndicats médicaux ont admis progressivement, dans le cadre des négociations conventionnelles, le principe de rémunérations forfaitaires qui représentaient en moyenne, en 2019, 15 % des revenus des généralistes, contre 6 % en 2010[24]. La littérature insiste, cependant, sur le faible impact de ces modes de rémunération forfaitaire, tant sur la qualité et l’efficience des soins que sur les pratiques[25] et l’organisation du travail d’équipe dans le cadre du paiement à l’acte (Bras, 2017). Ils ne sont donc pas vraiment porteurs de transformation sociale, et il ne faut pas s’illusionner sur le pouvoir de transformation lié au seul financement[26].

Avec l’abandon de la rémunération à l’acte, le temps consacré au lien et à la personne n’est plus aussi contraint[27] : qu’il s’agisse de l’accueil, de l’écoute, de la médiation, de la consultation (Santé Commune programme des consultations toutes les 30 minutes), mais aussi de la coordination et du travail en groupes thématiques : cela a donc aussi un impact sur le fonctionnement collectif des centres.

Par une nouvelle organisation du travail collectif

En matière de travail collectif, la question se pose régulièrement de savoir quels sont les ingrédients nécessaires pour que les équipes fonctionnent bien. Les professionnel·le·s des centres de santé communautaire québécois soulignent l’importance des temps de réunions, du respect des compétences et du modèle de « soins par étapes » : ainsi, ce n’est pas nécessairement l’ensemble des professionnel·le·s qui sont engagé·e·s, dès le départ, auprès du ou de la même patient·e. Appliquant le concept du « bon soin au bon moment », tou·te·s les professionnel·le·s se rendent disponibles rapidement et les rôles de chacun sont clairs (Gauthier, 2021). Pour certains centres, l’organisation du travail collectif passe par une démarche d’autogestion.

Santé Commune en fait un des points forts de son organisation : autogestion salariale, absence de hiérarchie mais fonction de coordination. Un gros travail est fait pour prendre en compte toutes les compétences et faire monter l’autre en compétences : « comme le groupe est très hétérogène, la dynamique de groupe fonctionne ». L’auto-organisation entre membres de l’équipe (personnes soignantes/non soignantes) permet de redonner du sens à leur vision du soin : temps de consultation, travail collectif, médiation… Elle est vécue comme un fonctionnement « agile » permettant de répondre au plus près des besoins.

À Stétho’Scop, tout le monde est appelé à participer aux décisions de gestion du centre via le comité de gestion qui réunit l’ensemble de l’équipe salariée permanente : chacun·e y dispose d’une voix, l’ordre du jour est librement complété par chaque salarié·e, et les décisions se prennent par consensus. Il est précisé dans leur projet que « tout sujet de discussion porté en comité de gestion doit être étayé par les connaissances individuelles des membres du groupe afin de permettre une égalité d’information »[28].

Pour d’autres centres, comme La Place Santé, il s’agit plutôt de s’engager dans une démarche de management participatif et horizontal. Tous les centres signalent cependant que ce type de fonctionnement peut constituer une surcharge de travail et contribuer à l’épuisement des équipes.

Un des apports des CSC à la vision des communs, c’est que le travail collectif et autogéré décrit ci-dessus ne concerne pas seulement leur fonctionnement interne mais qu’il les inscrit aussi dans la communauté.

Par l’instauration de nouvelles coopérations avec la communauté professionnelle

Très tôt les CSC ont intégré l’idée que pour assurer la meilleure prise en soin globale pour leur patient·e·s, notamment ceux porteurs de maladies chroniques, il fallait s’organiser en réseau avec l’ensemble des intervenants. Lorsque la cité des Francs-Moisins à Saint-Denis a été sévèrement confrontée à la crise du VIH, l’association préfiguratrice de La Place Santé, a décidé de créer, avec l’hôpital, l’un des tous premiers réseaux Ville-Hôpital (VIH 93) et de joindre ses forces à celles des habitantes-relais pour mieux mobiliser face à la maladie.

Ces centres participent aussi, mais avec un succès inégal, aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) (Encadré 9).

Encadré 9 : Les communautés professionnelles territoriales de santé

Créées en 2016 par la Loi de modernisation de notre système de santé, elles regroupent, dans des associations loi 1901, les professionnels d’un même territoire (professionnels de santé de ville, libéraux ou salariés, établissements de santé, acteurs de prévention ou de promotion de la santé, établissements et services médico-sociaux ou sociaux) qui souhaitent s’organiser autour d’un projet de santé pour répondre à des problématiques communes, contribuer à une meilleure coordination ainsi qu’à la structuration des parcours de santé des personnes usagères, patientes et résidentes. Le projet de santé est un prérequis à la contractualisation entre les professionnels et l’ARS.

Ces CPTS[29] créent un nouveau maillage territorial de l’offre de soins : encouragées par les pouvoirs publics, elles bénéficient de subventions significatives (200 à 300 000€ chacune) qui financent la coordination et l’implication des professionnels de santé. Les syndicats de médecins libéraux y voient des « usines à gaz ». D’autres considèrent enfin que, si elles contribuent à une dynamique de coopération sur le terrain et sont « séduisantes sur le papier, ces CPTS présentent de très sérieuses limites… [notamment] de transférer des actes de professionnels saturés vers d’autres professionnels tout aussi saturés » (Stambach, 2022).

Dans tous les cas, leurs objectifs restent encore éloignés des ambitions des centres de santé communautaire, notamment pour ce qui relève de la participation des usagèr·e·s et de la prise en compte des déterminants de santé.

Dès lors, au-delà de leur apport individuel, comment inscrire la place des centres de santé communautaire dans le système de santé et les soins primaires? comment passer du local au global? comment passer du soin individuel à la santé d’une population? du service au bien commun? J’esquisserai dans le paragraphe suivant quelques pistes de réflexion.

Quelle place pour les centres de santé communautaire dans un service public de santé?

Dans un système à bout de souffle, ce qui semble faire sens aujourd’hui par rapport à la vision des communs, c’est d’apporter prioritairement une réponse à la crise de la démographie médicale et de bâtir un véritable service de proximité, tout en assurant l’indépendance des centres et en abordant « le vaste chantier de la gouvernance » (Coriat, 2020, 201).

Une réponse à la crise de la démographie médicale

L’expérience des CSC s’est construite en partie sur l’incapacité du système traditionnel de médecine libérale à répondre aux besoins des citoyen·ne·s, avec notamment la difficulté d’accès aux spécialistes et à un médecin traitant[30]. La crise de la Covid 19 est venue renforcer l’évidence des inégalités de santé, avec une surmortalité dans les quartiers populaires et les populations d’origine étrangère, et la nécessité de prendre en compte les déterminants de santé. Le premier souci des CSC a donc été de répondre aux besoins exprimés par les habitant·e·s, dont la demande prioritaire concerne le maintien de l’offre de soins face aux départs en retraite non remplacés. Cette menace est d’autant plus prégnante qu’elle émane de quartiers où le taux de pauvreté est important (41,5 % de taux de pauvreté dans le quartier Keriouker à Hennebont, 47 % à Vaulx-en-Velin), et où le déficit de l’offre se cumule avec des renoncements aux soins pour des raisons financières[31]. Ces personnes n’ont souvent pas d’autre choix et la création, dans leur environnement, d’un CSC constitue une réponse pertinente pour attirer de jeunes médecins : l’organisation du travail en équipe y est attractive et les libère du travail non médical qui, « mis bout à bout, correspond à une journée entière par semaine », contribuant ainsi à augmenter l’offre de soins (Stambach, 2022).

Au sein d’un service public territorial de santé

Pour les médecins Frédérick Stambach et Julien Vernaudon, « le paramètre de la démographie des soignants … est figé pour au moins 13 ans et nous devons faire avec » sur ce laps de temps (Stambach, 2022), d’où leur proposition d’officialiser un service public de premier recours, le service public de santé territorial (SPST), incluant centres hospitaliers et métiers du lien. Il s’agirait de permettre aux professionnel·le·s volontaires dans le libéral de rejoindre les CPTS (renommées Pôles de santé territoriaux) dans lesquelles ils et elles seraient salarié·e·s (sur la grille des praticien·ne·s à l’hôpital) et pourraient passer, en toute fluidité, d’une fonction à une autre, d’un mode d’exercice à un autre (hôpital/centre de santé). D’ores et déjà, plusieurs CSC recrutent leurs médecins sur la base des grilles du service public, ce qui devrait favoriser l’harmonisation des rémunérations.

Cette proposition en rejoint plusieurs similaires comme celle de service de santé d’intérêt général territorialisé (SSIGT) suggérée par André Grimaldi (2023) qui en définit :

  • les missions : permanence et continuité des soins, neutralité et non sélection des patient·e·s, respect des tarifs réglementés, adaptabilité, notamment en cas de crises sanitaires, et participation à un projet territorial de santé, prévention et promotion de la santé, protection de l’environnement;

  • les composantes : le service public hospitalier et les centres publics de santé dont la pérennité est assurée par l’appartenance à la puissance publique, les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), les centres de santé privés à but non lucratif, et les professionnel·le·s de santé libéraux installés en secteur 1.

L’avenir des CSC au sein d’un service public de santé territorial reste à écrire : vont-ils, comme les maisons de santé pluriprofessionnelles, apparaître en tant qu’acteurs privés à but non lucratif, « autant comme des instruments des politiques publiques de santé menées par le ministère … que comme une dynamique professionnelle » (Kayser, 2019). Vont-ils être considérés comme participant d’une coproduction de l’action publique, à l’image des « pactes de coopération développés en Italie[32] »? Vont-ils s’intégrer, à côté des autres types d’exercice, dans un dispositif public de premier recours avec des personnels salariés relevant d’un statut public (Stambach, 2022)? S’agit-il a contrario de « commonaliser » le système public de santé « au sens de [lui] donner ou redonner l’esprit du commun », en « revitalisant » l’égalité dans l’accès et la gouvernance »? (Coriat, 2020, 190).

Dans tous les cas, les CSC ne pourront se développer sans une revitalisation du service public et on peut penser, à l’instar des pôles d’activité (Coriat, 2020, 174), qu’ils puissent y apporter complémentarité et substitution, dès lors que cela correspondra à l’attente des habitant·e·s, et non à la seule volonté administrative.

Échapper à la bureaucratisation, développer la démocratie

Quel que soit cet avenir, il s’agit, en effet, d’échapper à une bureaucratisation du système et de préserver une définition commune et démocratique de la gouvernance et des règles de fonctionnement. L’État reste encore considéré comme « le lieu central de la formulation des règles et de la mise en œuvre de l’action » pour ce qui touche au corps, à la santé, à l’hygiène et à la prévention (Basson, 2022). C’est donc bien par leur ancrage territorial que les centres de santé communautaire peuvent échapper au « formatage institutionnel » (Basson, 2022) et contribuer à définir, avec les acteurs de terrain et les habitant·e·s, leurs propres règles, qu’il s’agisse par exemple de la permanence des soins, de la question du « juste » soin, des maladies chroniques et des soins psychiatriques, de la santé publique, de ce qui doit être « placé hors marché », etc.

Le pilotage conjoint du système de santé par l’État et par l’Assurance maladie est source de complexité pour les professionnels de santé, l’État ayant pris progressivement la main sur l’organisation des soins primaires avec les Agences régionales de santé (ARS). Ce pilotage pyramidal ne fait guère de place à la démocratie, qu’il s’agisse des élu·e·s ou des usagèr·e·s, souvent représentés par des patient·e·s, parfois consultés, mais sans réel pouvoir. La forme que pourra prendre cet exercice démocratique dépendra des contextes locaux, des statuts et fonctionnements des centres, mais on peut imaginer des conventions citoyennes se substituant aux actuelles conférences de santé.

Enfin, pour porter une ambition de transformation puissante, les centres de santé communautaire doivent assurer leur indépendance financière et leur développement dans un rapport de forces favorable.

Assurer l’indépendance du modèle et sa généralisation

L’indépendance financière et l’équilibre économique sont, en effet, des éléments clés de la viabilité des communs de services de proximité[33]. La Place Santé a fait l’expérience malheureuse des aléas de la politique de la ville, lorsque le gouvernement a supprimé, en 2008, les conventions adultes-relais, et, en 2017, les contrats aidés. L’expérimentation SECPA assure pour l’instant une stabilité économique aux centres de santé communautaires, qu’ils soient constitués en association ou en coopérative. Mais il ne s’agit que d’une expérimentation, limitée dans le temps et dépendante d’une évaluation administrative sur laquelle les centres n’ont pas totalement la main. S’agissant de leur indépendance, et même s’ils ont besoin du soutien des ARS, il faut souligner que, non seulement les centres relèvent d’initiatives citoyennes, mais encore qu’ils perçoivent leur financement non pas de l’État mais de la Sécurité sociale. Cela pose bien sûr la question de la reprise en main démocratique de la Sécurité sociale, autre sujet de fond[34] que je ne puis aborder dans le cadre de cet article, mais c’est une différence qu’il faut garder à l’esprit.

La question qui se pose désormais pour donner sa chance à la transformation en cours, c’est d’atteindre une masse critique suffisante avec l’extension de ce nouveau modèle de financement à l’ensemble des territoires et sa traduction dans le droit commun. Comme le souligne le réseau des centres de santé communautaire[35], « il y a 1 514 quartiers en Politique de la ville (QPV), dont 86 % ne disposent d’aucune structure de soins de premier recours », or l’ambition de l’expérimentation porte sur un objectif d’une soixantaine de centres seulement. Nous sommes loin de la généralisation : il sera impossible d’assurer un accès pour tous sans multiplication des centres, sauf à considérer que l’on fait grossir les structures existantes, ce qui n’est pas compatible avec une gouvernance participative. Les équipes qui voudront se lancer devront résoudre la question d’un lieu physique à investir mais, contrairement à d’autres secteurs[36], elles devraient pouvoir s’appuyer sur les collectivités publiques, conscientes de leur responsabilité dans ce domaine, même s’il ne relève pas de leur compétence administrative.

Quel est, dès lors, le meilleur statut pour assurer cette indépendance et l’inscription dans le territoire? Deux centres expérimentent aujourd’hui le statut de SCIC : Richerand et La Place Santé. Pour Didier Menard, président de La Place Santé : « il fallait trouver un nouveau modèle juridique qui respecte nos valeurs, qui permette plus d’engagement des salarié·e·s, qui concrétise la santé communautaire dans la gouvernance de la structure, et qui permette aux partenaires de mieux trouver leur place dans le projet collectif. Devant nos exigences il n’y avait pas beaucoup d’offres possibles. La SCIC, société coopérative d’intérêt collectif, nous semble la meilleure solution » (ACSBE, 2021).

Conclusion

Il aura fallu plus de 50 ans pour que les centres de santé soient reconnus dans le code de la santé publique, on peut espérer des avancées plus rapides pour que le modèle de centre de santé communautaire ne soit pas réservé aux populations précaires, alors qu’il porte en lui, et pour tout le monde, un pouvoir de transformation de la manière de soigner, de penser la santé, de renouveler la démocratie et la gouvernance des institutions de santé. Parce qu’elle est une réponse aux défis d’aujourd’hui et de demain, un « axe majeur de la santé publique » (Menard, 2022, 83), la médecine participative devrait se généraliser dans les années qui viennent, en conjuguant, dans un service public territorial de santé, centres de santé communautaire et maisons pluriprofessionnelles, en s’étendant au secteur hospitalier, social et médico-social, sans oublier la médecine du travail et la médecine scolaire. Le changement des pratiques devra s’accompagner d’un abandon du financement à l’acte et à l’activité dont on a pu mesurer les dégâts dans le monde hospitalier. On peut faire confiance aux habitant·e·s et aux professionnel·le·s pour s’organiser et traiter ensemble des problèmes, pour peu que la question de la rémunération des acteur·ice·s ne vienne pas polluer la bonne gouvernance démocratique du système et son accès universel. Notre système nécessite aussi un investissement massif dans la formation : qu’il s’agisse des futur·e·s professionnel·le·s de santé ou de l’éducation à la santé.

Il s’agit de passer d’un système de soins à un système de santé (Menard, 2022, 121) et si la santé, impactée par toutes les politiques publiques, peut être considérée comme « commun par excellence » (Pierru, 2020), il importe « de donner un contenu concret au consensus idéologique qui définit la santé comme un bien commun » (Grimaldi, 2022) : c’est l’immense apport, en tant que communs de services de proximité, des centres de santé communautaire.

Lexique des sigles

ALD : affection de longue durée

ARS : agence régionale de santé

ASALEE : action de santé libérale en équipe (protocole)

CAF : caisse d’allocations familiales

CCAS : centre communal d’action sociale

CMP : centre médico-psychologique

CPAM : caisse primaire d’assurance maladie

CPTS : communauté professionnelle territoriale de santé

IPA : infirmière de pratique avancée

PEPS : paiement en équipe des professionnels de santé

PMI : protection maternelle et infantile

SECPA : structure d’exercice collectif participatif

SCIC : société coopérative d’intérêt collectif

VIH : virus de l’immunodéficience humaine

Bibliographie

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ACSBE, Rapports d’activité de l’ACSBE, 2021.

Bourdillon, François, Grimaldi, André. 2023. « Quelle réforme pour l’hôpital? », Les Tribunes de la santé. Presses de Sciences Po n°76, p. 93-97.

Bras, Pierre-Louis. 2017. « Paiement à l’acte/capitation : une réforme ébauchée mais avortée. », Les Tribunes de la santé. Presses de Sciences Po n°57.

Carini-Belloni, Benoît. 2022. Une médecine mutualiste de transformation sociale au service du mouvement ouvrier à l’épreuve du tournant « lucratif » de la mutualité. Presses de Sciences Po n°45.

Colin, Marie-Pierre, Acker, Dominique. 2009. Les centres de santé : une histoire, un avenir. Santé Publique (21), p. 57-65.

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Da Silva, Nicolas. 2022. La bataille de la Sécu. La fabrique.

Da Silva, Nicolas. 2020. « L’inestimable dans la relation de soin : une perspective d’économie politique », Psychiatrie Psychanalyse et Sociétés.

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Basson, Jean-Charles. 2022. Quand la santé sociale devient politique. La raison communautaire de la Case de Santé de Toulouse. Dans Duvoux, Nicolas, Vezinat, Nadège. La santé sociale. PUF. p. 87-99.

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Menard, Didier. 2022. Médecine de ville en péril – Sept propositions pour la transformer. Utopia.

Motamed, Sandrine. 2015. « Qu’est-ce que la santé communautaire? Un exemple d’une approche participative et multisectorielle dans une commune du Canton de Genève, en Suisse » L’information psychiatrique (9).

Pierru, Frédéric et Grimaldi, André. avril 2020. « L’hôpital le jour d’après ». Le Monde diplomatique.

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Vigneron, Emmanuel. 2015. Les centres de santé, une géographie rétro-prospective. FEHAP.


  1. L’autrice tient à remercier particulièrement Didier Menard et Émilie Henry (La Place Santé), Benjamin Dubet et Camille Delest (Santé commune), Marine Fortin (Stétho’scop) et Alain Beaupin (coopérative Richerand) ainsi que Fabienne Orsi pour ses précieux conseils.
  2. La commune de Meinier en Suisse a utilisé ce processus pour répondre aux attentes de ses concitoyens à propos de l’accueil des personnes âgées (Motamed, 2015).
  3. Charte d’Ottawa : la promotion de la santé est « le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d’améliorer celle-ci ».
  4. À Belfort la présidence de l’association gestionnaire est assurée par un usager (Colin, Acker, 2009).
  5. De nombreuses études montrent en effet que l’accès aux soins ne représente que 10 à 20 % de l’état de santé d’une personne, le reste étant déterminé par l’environnement dans lequel elle vit (alimentation, logement, conditions de travail, revenus, lien social…).
  6. Déclaration d’Alma-Ata.
  7. Aujourd’hui 1 400 centres de santé communautaires (CSC) américains soignent dans 12 000 lieux de prestations plus de 29 millions de personnes, soit 1/12e de la population américaine.
  8. Site de la Fédération des maisons médicales francophones : https://www.maisonmedicale.org/
  9. Selon les données du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM), l’effectif de médecins en activité régulière au 1er janvier 2023 était de 60 474 médecins généralistes de premier recours répartis comme suit : 51 362 médecins libéraux, 5 749 médecins en exercice mixte et 3 363 médecins en exercice salarié.
  10. Voir le combat historique contre les centres de santé retracé par Emmanuel Vigneron in Les centres de santé, une géographie rétro-prospective.
  11. Reprise dans l’article L6323-1 - Code de la santé publique - Légifrance (www.legifrance.gouv.fr).
  12. Ouvertes par la loi du 21 juillet 2009 (dite « HPST » : hôpital, patients, santé, territoires).
  13. Cahier des charges des centres et maisons de santé "participatifs". Expérimentation SECPA portée par la Délégation à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP).
  14. Extrait du rapport d’activité de La Place Santé :  « il devenait difficile de trouver le bon équilibre entre le temps consacré à échanger, à former et à participer aux ateliers de promotion de la santé et le temps passé en consultations, qui assuraient l’équilibre économique du centre dans le cadre du paiement à l’acte. Le statut juridique de l’association, sans soutien direct d’une mutuelle ou d’une municipalité, et sans fonds de réserve, s’avérait très fragile malgré la mobilisation des différents financeurs ».
  15. La possibilité de salariat est très encadrée depuis 2021.
  16. Selon le dernier atlas du Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM), les médecins de moins de 40 ans représentent désormais près de 30 % de la profession.
  17. Communiqué de presse du réseau national des centres de santé communautaire – 10 février 2022.
  18. La Place Santé a participé à la construction du référentiel de compétences sur lequel s’appuie le Diplôme universitaire « Médiation en santé ».
  19. Article L1110-13 du code de la santé publique.
  20. Témoignage de Mélia Traoré responsable accueil à La Place Santé.
  21. Protocole ASALEE (Action de Santé Libérale en Équipe) financé par l’Assurance maladie
  22. Site de la Fédération des maisons médicales francophones : https://www.maisonmedicale.org/
  23. Témoignage de Nadia Kandelman, médecin à La Place Santé.
  24. Source : www.legeneraliste.fr
  25. Une enquête, menée par la DRESS fin 2012 (Études et Résultats, 2014), a montré que, pour 81,4 % des médecins, cela n’avait pas beaucoup changé leurs pratiques.
  26. Le groupe privé à but lucratif Ramsay s’inscrit désormais volontiers dans le principe d’une rémunération forfaitaire.
  27. Rapport d’activité de La Place Santé : « la pression s’exerçait sur les consultations, limitées à 15 minutes pour les urgences, à 20 minutes pour les autres. ».
  28. Projet du centre Stétho'Scop.
  29. 440 sont installées et 780 en projet.
  30. 87 % du territoire est considéré comme désert médical – sous-doté en généralistes – et six millions de Français n'ont pas de médecin traitant dont 657 000 patients en ALD (affection de longue durée).
  31. Une enquête menée par la CPAM du Morbihan en 2018 révèle que 25,9 % de ses assuré·e·s déclarent avoir dû renoncer à des soins de santé (dentaires, gynécologiques, ophtalmologiques et de médecine générale), notamment pour des raisons financières.
  32. Voir chapitre 4.
  33. Voir chapitre 8.
  34. Voir la distinction opérée par Nicolas da Silva entre « l’État social » et la « Sociale » (Da Silva, 2022).
  35. Communiqué de presse du 10 février 2022 du Réseau national des centres de santé communautaire.
  36. Voir chapitre 1.

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