Conclusion : enjeux et perspectives

Benjamin Coriat, Nicole Alix, Justine Loizeau

Parvenu·e·s au terme de cet ouvrage, quelques enseignements généraux des investigations effectuées peuvent être présentés. Nous avons choisi de les regrouper sous quatre thèmes. Tout d’abord il nous a paru utile de revenir sur la notion même de service de proximité pour rappeler comment la définition que nous en avons proposée dans ce livre échappe aux catégories des nomenclatures administratives et comptables (celle de l’INSEE en particulier); aussi il s’agit de rappeler pour quoi la spécificité que nous revendiquons dans la définition proposée des communs de proximité est importante (section 1). De là nous faisons porter l’attention sur l’importance que tiennent les institutions au sein desquelles agissent les commoneur·e·s, en insistant sur la manière dont elles influencent leurs comportements en posant chaque fois des séries de contraintes et d’opportunités qui diffèrent suivant les cadres juridiques choisis. Il est ici cependant rappelé que, si l’importance des institutions ne peut être sous-estimée, l’action des communautés concernées par l’activité du commun importe plus encore (section 2). La troisième section est consacrée à une mise en regard de l’ESS et des communs. Si l’apport de l’ESS aux communs est rappelé, l’accent est porté sur le fait que les deux catégories diffèrent grandement par leurs origines et leur visée (section 3). Enfin la dernière section est consacrée à une question difficile et complexe – celle de la relation des communs à l’État et aux pouvoirs publics en général – mais dont la résolution est vitale pour l’avenir des communs de proximité bien sûr, mais aussi des communs tout court.

Interroger les concepts de service et de proximité

Tout d’abord rappelons nos interrogations sur les concepts de « services » et de « proximité », abordées dans l’introduction et dans nos différents chapitres.

La logique du commoning, décrite dans les différents chapitres, repose sur le principe de la participation des personnes concernées dans la définition, la production et le contrôle de l’activité du commun. Or, il faut le rappeler, le commoning ne trouve pas sa place dans les définitions normatives, tant administratives que marchandes, de l’activité économique. Nous faisons ici référence aux cadres de gestion, juridiques, fiscaux, comptables, aux critères « de qualité », auxquels les communs sont soumis pour exercer leur activité. Dès lors que celle-ci a vocation à s’adresser à des tiers au commun, il est pourtant impossible d’en faire abstraction. C’est pourquoi nous ne retrouvons pas dans la définition de « service » donnée par l’INSEE[1] comme « la mise à disposition d’une prestation technique ou intellectuelle » où les services « principalement non marchands » sont assimilés à des services lucratifs. Cette normativité, produite par et pour le modèle économique dominant, constitue une étrangeté et une menace pour les communs de proximité comme pour tous les communs. Elle permet de faire croire qu’on peut régir les échanges non marchands comme de simples « défaillances » que le marché peut combler pour peu que l’État solvabilise la demande.

Par ailleurs, la notion de « proximité » impliquée dans la démarche du commoning est propre aux communs. Comme explicité dans les chapitres 5 et 6 de Benjamin Coriat et Nicole Alix, elle possède ses propres spécificités et ne peut être mise sur le même pied que des services supposés similaires : mettre l’activité du commun en concurrence via des marchés publics avec des acteurs lucratifs conduit à sa ruine. Les « communs de proximité » devraient donc être traités de façon spécifique dans le droit de la concurrence, soit en les excluant du champ, soit en les traitant comme des services d’intérêt général. Et comme le montrent notamment Jean-Claude Boual et Thomas Perroud dans les chapitres 7 et 8, c’est possible! dès lors que la volonté politique est affirmée.

En sus des enseignements généraux que nous dressons ici, le travail que nous avons eu le plaisir de partager avec les autrices et auteurs de cet ouvrage nous conforte donc dans une double conviction : le combat pour les communs « de proximité » est un combat politique permanent; il nécessite de continuer à poursuivre sur des voies que, dans cet ouvrage, nous avons commencé à explorer.

Les institutions dans lesquelles s’exerce l’action importent… mais l’action exercée par les communautés compte davantage encore

Des études de cas proposées dans la première partie de cet ouvrage comme de la discussion conduite dans la seconde partie, une conclusion s’impose; celle que, de toute évidence, les institutions importent!

Les institutions importent

Si l’on entend avec North les institutions comme « les règles du jeu » ou plus formellement « les agencements conçus par les humains et comme des contraintes qui influencent leurs interactions » [« the humanly devised constraints that shape human interactions » (North, 1991) nul doute que les dispositifs institutionnels au sein desquels se déploient les activités, jouent des rôles importants et souvent structurants[2]. Pour s’en tenir aux entités qui peuvent servir de supports à l’offre de « services » de proximité, selon que les dispositions institutionnelles qui lient les associé·e·s reposent sur des contrats consistant à « affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter », comme le stipule par exemple l’article 1832 du Code Civil[3], ou au contraire qu’on a affaire à une association dont la vocation est entendue comme strictement à des fins non lucratives, il est clair que la nature des services offerts comme leur qualité variera grandement. De même selon que le pouvoir de décision appartient aux actionnaires à proportion de leur degré de détention du capital ou qu’il obéisse à la règle une personne/une voix… ou encore selon que les excédents d’exploitation et bénéfices sont distribués aux actionnaires[4] ou qu’ils sont définis comme « impartageables », la nature et les contenus des services proposés seront très différents. En ce sens, les disposions institutionnelles qui servent de cadre aux activités importent au plus haut point. Les services de proximité ne seront nullement rendus de la même manière et pour les mêmes publics et bénéficiaires suivant que l’entité qui s’est constituée pour offrir ces services entend faire fructifier les fonds investis initialement par des investisseurs extérieurs à la communauté concernée ou même par des membres de la communauté elle-même (c’est le cas des coopératives) ou qu’elle soit constituée sans capital à préserver (c’est le cas des mutuelles et des associations) et au contraire que l’organisation mise en place vise à délivrer un service à la communauté la plus large, hors de tout souci de lucrativité, voire en proscrivant cet objectif. La question de la participation du « bénéficiaire » du « service » à la conception et la production de tout ou partie du « service » est tout aussi cruciale pour le mode de production. On peut même aller plus loin et dire qu’à l’intérieur même d’une forme institutionnelle donnée (l’association par exemple) suivant qu’elle est ou non à but non lucratif, reconnue ou non d’utilité publique, les « règles du jeu » au sein desquelles les acteurs évoluent, conduiront à des pratiques éminemment différentes. Les mêmes remarques peuvent être faites si l’on considère non plus l’association mais la coopérative comme cadre organisateur des activités. Les statuts adoptés influenceront la nature comme les contenus des services offerts. Il faut d’ailleurs ici remarquer que, du côté des commoneur·e·s, on a souvent soutenu que la forme SCIC, était dans nombre de cas bien une forme institutionnelle bien adaptée aux objectifs que se fixent les communs. Sans aucunement cependant que cette forme constitue une panacée.

Les institutions « extérieures » norment aussi l’action des communs et leurs « institutions ». L’influence des modèles d’organisation administrative ou des services marchands lucratifs, souvent invisibilisée, est prégnante et source d’un isomorphisme[5] lent et pernicieux qui guette les communs, comme il a saisi nombre d’institutions de l’ESS. Nous avons signalé le risque d’application aveugle du droit de la concurrence mis au service du modèle capitaliste. Mais le droit et le juge administratifs peuvent aussi « capturer » les communs à partir de la norme. Par exemple, lorsque des personnes âgées veulent vivre ensemble et partagent des « services » en s’aidant les uns les autres pour prévenir leurs pertes d’autonomie, elles sont toujours susceptibles d’être considérées comme ayant créé un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. En cas de plainte, par défaut de soin, par exemple, le juge administratif peut – dans le droit français – requalifier en « délégation de service public » « de fait » et obliger à respecter des normes de taille de logement, d’encadrement par du personnel ayant certains types de qualification, etc. L’exemple vaudrait tout autant pour une garde partagée de jeunes enfants ou d’un centre d’hébergement de réfugié·e·s. Cette protection est certes attendue d’une puissance publique « protectrice en dernier ressort du citoyen », mais notre droit administratif doit-il toujours protéger les personnes avant de promouvoir leur autonomie? À l’heure de la prise de risque que réclament la crise écologique et sociale, la question mérite d’être creusée! Faudrait-il explorer la piste de la reconnaissance de la subsidiarité[6] dans notre arsenal législatif, voire constitutionnel?

Pour autant, loin s’en faut, les institutions et les « règles du jeu » qu’elles posent, ne sont pas tout. Les exemples pullulent d’associations « à but non lucratif » dont une partie restreinte des associé·e·s bénéficie largement des ressources de l’association; surtout, bon nombre d’associations « de proximité » sont devenues des délégataires de service public où l’auto-gouvernement, marqueur essentiel des communs, n’existe plus. De même, on ne compte plus le nombre de coopératives qui, dans le plein respect des statuts, distribuent des dividendes significatifs aux seul·e·s coopérateur·trice·s sociétaires[7]. Comme cela a souvent été noté, les phénomènes relevant de « l’isomorphisme institutionnel » – par lesquels on décrit l’alignement plus ou moins prononcé des coopératives sur le fonctionnement des entreprises classiques – sont devenus très prégnants dans le monde de l’ESS, au point que, dans nombre de cas, il est bien difficile de distinguer le fonctionnement réel d’une coopérative de celui d’une société de capitaux classique, c’est-à-dire d’une entreprise capitaliste.

L’action des communautés compte encore plus

C’est ici que le rôle de la communauté[8] nouée autour du commun, sa mobilisation et sa capacité à exercer un contrôle sur la manière dont les décisions sont mises en œuvre et mieux encore, sa capacité à peser en amont et pendant le processus de prise décision lui-même, sont en dernière analyse ce qui garantit que l’entité ne s’écartera pas de sa vocation et produire et de délivrer le service attendu. La communauté pèse aussi après, pour réagir sur la décision prise, la corriger, orienter la suivante, etc. C’est ici aussi, que le commun prend tout son sens. Il n’y a pas en effet de commun, sans communauté constituée. C’est-à-dire sans communauté capable par sa mobilisation et son action de faire en sorte que l’entité en charge de la production et de la délivrance du ou des services conçus pour la servir, ne s’écarte pas de sa vocation.

Cette proposition qui possède une valeur « générale » et concerne tout commun, revêt plus d’importance encore dans le cas particulier des communs de proximité étudiés dans cet ouvrage. Par vocation et constitution, un trait central de ces communs est leur ancrage sur le territoire et le service des populations et communautés des territoires où ils s’enracinent. Au demeurant, dans toutes les études de cas présentées dans cet ouvrage, la mobilisation et la présence active des communautés dans et autour du commun a été soulignée.

Pour toutes ces raisons, le commun de proximité tel que nous l’avons défini et tel qu’il se met en œuvre dans une très grande variété de situations dont les études disponibles montrent l’étendue des déclinaisons possibles, ne peut le plus souvent exister que sous formes de communautés « emboîtées », enchâssées les unes dans les autres. Le critère essentiel, répétons-le, n’est pas la forme institutionnelle choisie par le commun – laquelle ne constitue jamais une garantie en soi – mais le fait qu’une communauté – ou un ensemble de communautés – agissantes, mobilisées dans et autour du commun assurent sa vitalité et sa pérennité.

Il faut cependant, ici, se garder des fausses promesses. Il serait naïf de considérer la communauté comme un groupe homogène d’intérêts et tout aussi naïf de penser que toutes les composantes de la société civile disposeraient « par nature » d’une conscience affirmée des enjeux climatiques. C’est l’organisation spécifique des rapports de pouvoirs au sein du commun, sa « gouvernance » qui en font son originalité et sa puissance par rapport aux autres modèles d’organisations humaines. L’action exercée par les communautés repose toujours sur l’articulation de pouvoirs et contre-pouvoirs multiples.

Les pratiques des communs doivent être l’objet de préoccupations constantes. La question de savoir comment s’assurer que la prise de décision comme son exécution garantissent la volonté de la (ou des) communauté(s) concernée(s), suppose que des dispositions institutionnelles appropriées qui permettent l’expression des différences, aient été introduites dans le commun. Faire vivre et exister de telles organisations est un défi permanent. Trouver les formes d’institutionnalisation adéquates est d’autant plus important que l’absence de toute structure formalisée se traduit vite par des dénis de démocratie qui condamnent le commun à terme plus ou moins rapproché.

Communs et ESS : des complémentarités mais aussi des identités qui diffèrent quant à leur nature et à leur visée

Tout au long de cet ouvrage la référence à l’ESS, à ses formes institutionnelles comme à ses objets et aux moyens qu’elle se donne pour les atteindre, a été constante. C’est qu’en effet sur nombre de points, ESS et communs, qu’il s’agisse de communs en général ou de communs de proximité, paraissent en forte congruence. Si, cependant, on s’efforce de prendre de la hauteur, pour aller au-delà des fausses évidences et des apparences, les relations entre communs et ESS apparaissent comme bien plus complexes et doivent, nous semble-t-il, être précisées. C’est qu’en effet, s’il y a des complémentarités et une série de tensions positives entre communs et ESS, il y a aussi entre ESS et Communs des différences essentielles. À la fois de nature et de visée. Deux remarques doivent ici être faites à propos des formes institutionnelles de l’ESS et du mouvement de l’ESS vis-à-vis des communs.

Communs et formes institutionnelles de l’ESS

Concernant la question des formes institutionnelles dont nous venons de traiter dans la section précédente, il n’est pas douteux que la longue et riche tradition de l’ESS, constitue pour les communs – et pour les communs de proximité au premier chef – un ensemble de références et d’expériences qui constituent un large « catalogue », dans lequel puiser. C’est le moment de le redire, l’ESS a été le lieu de la formation d’une série remarquable d’innovations institutionnelles visant à brider le pouvoir du capital (voire à l’annuler dans le cas de certaines associations) et à accroître le pouvoir des personnes concernées sur les services et solidarités qui leur sont nécessaires ainsi que le pouvoir des salarié·e·s sur leurs conditions de vie et de travail. L’adoption de principes tels que « une personne/une voix », l’introduction de « fonds impartageables », l’idée de « non-lucrativité » ou de « lucrativité limitée », la recherche et la reconnaissance de « l’utilité sociale » ou de « l’utilité publique », pour ne citer que cela, constituent des principes parfaitement congruents avec la philosophie et la constitution des communs. Les questions posées, notamment au sein du monde coopératif, sur l’affectation de l’éventuel surplus, de l’excédent de gestion, sont tout aussi pertinentes pour les communs que pour les entités appartenant à l’ESS : l’excédent de gestion (ou la perte!) doit-il revenir aux consommateurs? aux producteurs? à la réserve impartageable? dans quelle proportion? Cette question vaut pour les communs et les commoneur·e·s.

Mais même dans ce domaine, le commun présente une forte spécificité. Celle que, au-delà de la communauté des « makers » à l’origine d’un commun donné, il doit exister autour de celles et de ceux à qui il incombe de conduire l’action quotidienne du commun, une ou plusieurs communautés d’usagèr·e·s et de contrôle, à même d’exercer sur les « makers » une activité de conseil et un pouvoir de contrôle sur les processus de prise décision.

En ce sens, on peut soutenir que si les formes institutionnelles requises par le commun et nécessaires pour son déploiement puiseront largement dans l’héritage et les innovations apportées par l’ESS, sur nombre d’aspects (en ce qui concerne par exemple l’organisation des communautés de contrôle[9]). Ces formes sont encore en gestation et suivront sans doute des voies originales. Au-delà des congruences, une première différence peut donc être notée : le commun quelles que soient les formes institutionnelles retenues pour servir de base aux entités qui le constitue, n’existe que sous forme « ouverte » à travers un jeu de communautés « enchâssées », qui toutes participent de son activité et fondent l’identité du commun.

Communs et ESS : des origines et des visées qui diffèrent

Plus profondément, cependant, la vraie différence entre l’ESS et le mouvement des communs tient au fait que l’un et l’autre qui se sont constitués dans des moments historiques distincts et pour affronter des situations qui diffèrent, ne se déploient pas en poursuivant les mêmes objectifs et ne reposent pas sur les mêmes fondements.

Il faut ici rappeler avec netteté que la philosophie de l’ESS, comme les institutions qu’elle a engendrées, sont datées. Nées avec l’industrialisation au 19ème siècle, dans un contexte de capitalisme peu ou non régulé, les formes entrepreneuriales de l’ESS, dont la coopérative qui en est sa figure emblématique, se sont avant tout préoccupées du bien-être de leurs membres. Le statut de sociétaire salarié·e, la règle une personne/une voix, les réserves impartageables, ont par-dessus tout l’objectif d’apporter aux membres de la coopérative une protection face aux pratiques prédatrices du capital, qui au moment de la constitution de la philosophie du coopérativisme sont spécialement fortes[10]. Contribuer à tempérer les pouvoirs du capital ou dans le cas des Mutuelles, construire des institutions de solidarité bâties entre salarié·e·s, sur le principe du volontariat, ont été et sont encore les contributions essentielles de l’ESS, le principe qui en fonde les institutions. Si l’on considère le cas des associations, même leur contribution à l’intérêt général, lorsque c’est le cas, peut être asservie à des logiques de « réparation » des dégâts créés par le capitalisme et sa logique d’exploitation des ressources humaines et environnementales. Les associations se sont alors souvent retrouvées dans la situation de pallier des insuffisances ou défaillances du fordisme et de l’État providence, dont elles ont alors contribué à assurer l’essor. Pour certaines d’entre elles, elles ont même été créées pour cela. Et aujourd’hui encore, l’exemple de ce qu’est devenue l’aide alimentaire fournie par les Restos du cœur depuis leur création par Coluche fournit un exemple frappant de la manière dont une initiative citoyenne portée par la solidarité a été transformée en une quasi-institution en charge de pallier le désordre créé par l’explosion de la pauvreté et des inégalités…

Ainsi, outre l’« isomorphisme institutionnel »[11] qui marque l’ESS aujourd’hui dans nombre de ses activités impliquant le passage par le marché – et qui est admise comme un des dangers qui menace son identité et son intégrité – il y a une consubstantialité essentielle de l’ESS à l’industrialisme et à ses institutions, qu’il s’agisse de l’entreprise ou des appareils de l’État qui se sont constitués autour d’elle, notamment pour ceux de l’État providence.

Le propre des communs est qu’ils se constituent et se déploient dans tout un autre âge, non celui de l’essor mais celui de l’essoufflement général de l’industrialisme, et tout spécialement celui des limites écologiques atteintes et désormais franchies par cet industrialisme et l’extractivisme sur lequel il est bâti. Pour le dire de manière plus nette encore, alors que l’ESS, née avec l’industrialisme, en porte tous les traits, même si son souci et sa vocation ont été d’en tempérer et modérer les excès, les communs – depuis leur grand « retour » dans les années 1980 – se déploient dans une toute autre époque, celle l’anthropocène, avec le souci central d’assumer le défi tout à la fois de l’accès à toutes et tous aux ressources essentielles à leur subsistance et de préserver l’intégrité des écosystèmes pour le présent mais aussi pour les générations futures. C’est ainsi que le commun comprend dans sa constitution même l’idée que lorsque les règles de « prélèvement » des ressources, conçues pour assurer la reproduction des communauté humaines, menacent la biodiversité ou l’écosystème, celles-ci doivent être modifiées pour assurer la préservation des écosystèmes menacés[12].

L’ESS, même si elle cherche à s’en séparer plus ou moins nettement pour certaines de ses composantes et ses entités, reste fondamentalement fille de l’industrialisme et du productivisme. Les communs dans leur essence même ont pour vocation et principe de contribuer à l’essor d’un mode renouvelé de produire et de consommer. En effet, les communs sont fondés sur un principe d’usage durable de ressources par des humains qui rompt avec le mode extractiviste de production et de consommation au cœur de l’industrialisme. Les règles de prélèvement sont conçues pour assurer que les ressources ne soient jamais sur-prélevées. Cela ne signifie pour autant pas une préservation des ressources par un non-usage et une mise à distance, par exemple en excluant les humains de milieux naturels « réensauvagés ». Le commun étant fondé sur le principe de la propriété et de l’usage partagés, il suppose que des relations se nouent et se négocient dans les manières d’organiser les usages et la production, en vue de maintenir l’habitabilité collective (Loizeau, 2023).

Ainsi et au total, il s’agit pour les communs d’une manière d’habiter le monde en rupture avec l’industrialisme et l’extractivisme qui en est le principe moteur. La question de l’écologie est au cœur des communs et en fonde le principe. Elle est « marginale » ou sans objet pour l’ESS et ses entités qui peuvent décider – ou non – d’en faire un de ses objets. Il est sur ce point frappant que l’un des derniers ouvrages consacrés à l’ESS (cf. R. Boyer, 2022) et auquel certains de ses acteurs majeurs ont contribué à donner une grande visibilité[13], reste muet sur la question de l’écologie et de l’anthropocène. La question débattue dans cet ouvrage est celle de la capacité (ou non) des entités de l’ESS à « faire système » autour d’un « principe de coopération » – dont l’ESS comme par nature, au-delà de ses composantes et de ses contradictions – serait dotée[14]. En aucun cas et à aucun moment n’est discutée la question de l’adéquation de l’ESS aux exigences nouvelles nées de l’anthropocène, question répétons-le, qui est celle placée au cœur des communs.

Quelle(s) relation(s) aux pouvoirs publics?

L’actualité nous rappelle que l’État affirme à de nombreux endroits une opposition ouverte et violente vis-à-vis de personnes qui revendiquent la nécessité des communs. Sur la zad de Notre-Dame-des-Landes (NDDL), des personnes ont défendu un bocage vivant contre sa bétonisation en l’occupant avec des formes d’habiter et de s’organiser selon une logique des communs. Les forces de l’ordre ont été déployées pour y mettre fin en 2012 (1 500 policiers et gendarmes) et en 2018 (1 800 policiers et gendarmes, des dizaines de fourgons et quatre véhicules blindés). Plus récemment, à Sainte Soline où il s’agit de promouvoir l’eau comme bien commun contre son accaparement via des méga-bassines, les réactions des pouvoirs publics ont été similaires (20 escadrons de gendarmes mobiles, neuf hélicoptères, quatre véhicules blindés, quatre canons à eau). À ces violences policières s’ajoutent des entraves construites à partir des outils juridiques. D’un côté, la zad de NDDL bataille depuis l’abandon du projet d’aéroport pour faire reconnaître les formes d’habitat et de propriété collectives. De l’autre, le mouvement des Soulèvements de la Terre impliqué dans la lutte des méga-bassines a également été la cible d’une procédure de dissolution administrative par le gouvernement. Ces deux exemples mettent en lumière la nécessaire lutte à la fois pour la propriété collective et à la fois pour le maintien des droits fondamentaux de libre association[15], à la base de toute possibilité d’émergence des communs.

Face à ces événements et ces tendances à l’alignement des mouvements auto-organisés, nous considérons qu’il est indispensable que l’État et, plus généralement toutes les collectivités publiques, repense ses relations avec les communs.

En particulier, les institutions de l’État peuvent suivre deux orientations, agir en « facilitatrices » d’un côté, et en « contributrices » de l’autre. Cette proposition de portée générale appliquée au cas des communs de proximité concerne en particulier ses interlocuteurs publics tels que la commune, et plus généralement les collectivités locales, où les situations de compétences sont partagées entre autorités administratives locales et centrales (santé, éducation…).

Précisons, avant d’entrer dans le vif du sujet qu’une précondition à la réinvention des relations entre État et communs est d’assurer la pleine autonomie et indépendance des commoneur·e·s dans la conduite du commun. Une position de « non-ingérence » des pouvoirs dans les communs est ainsi indispensable, comme l’est le respect par les pouvoirs publics de leur autogouvernement et de leur autonomie dans leurs délibérations. Le commun ne peut, en rien, s’accommoder de l’existence d’une présence et d’une prescription de l’État ou de ses agents dans la définition de ses objectifs et la conduite de son action.

L’État facilitateur

C’est seulement dans des conditions qui garantissent cette autonomie et cette indépendance que les commoneur·e·s peuvent conduire une activité visant à faire des pouvoirs publics un facilitateur) du déploiement des communs. En pratique, il s’agit de faire en sorte que l’État et les pouvoirs publics, au lieu d’imposer leurs plans propres (en cherchant à les faire exécuter par d’autres qu’eux-mêmes), installent des outils et instruments (lois, règlements, modes de financement, institutions diverses…) qui constituent autant de ressources (tangibles et intangibles) que les commoneur·e·s pourront utiliser et dans lesquelles ils pourront puiser pour assurer le déploiement des communs. Des exemples multiples et relevant de domaines d’application très divers peuvent ici être proposés. Il peut s’agir d’abord d’espaces physiques mis à disposition sous forme d’espaces bâtis (friches, bâtiments publics…) ou non (par exemple pour des activités de jardins partagés…). Il peut aussi s’agir de ressources immatérielles (bases de données ouvertes, wifi proposés gratuitement dans des espaces publics étendus tels que des jardins ou des « zones blanches » en ville ou dans les espaces ruraux). Dans cet esprit, l’État peut aussi déployer une activité législative ou réglementaire favorisant le commun. Les dispositions rendant « libres » et librement reproductibles les articles scientifiques quelques mois après leur publication, contenues dans la « loi Axelle Lemaire », fournissent une belle illustration de la manière dont la réglementation peut « libérer » des contraintes de l’enclosure et contribuer à créer les conditions du commun, ici du commun dans le domaine scientifique. Dans d’autres cas, ce peuvent être des services spécialisés mais d’intérêt général qui peuvent être offerts de manière ouverte. Ainsi E. Ostrom présente-t-elle dans l’un de ses articles le cas du US Geological Survey, une institution américaine qui produit des données hydrologiques et géologiques sur le territoire des États-Unis, dont les données en accès libre et ouvert se sont révélées précieuses pour une gestion optimisée des nappes phréatiques, notamment en Californie où des communs se sont constitués pour l’accès et le partage des ressources en eau en utilisant les données fournies par l’institut public.

Comme on le voit l’État dans sa fonction de « facilitateur » peut déployer nombre d’initiatives qui peuvent constituer un ensemble de ressources précieuses dans la conception et l’affirmation des communs.

L’État contributeur

Au-delà, il paraît possible aussi de favoriser des activités associant pouvoirs publics et communs, chacun opérant en pleine autonomie. Dans ce cas, les pouvoirs publics peuvent tenir le rôle de « contributeur » s’ils associent certaines des ressources propres dont il dispose, à celles des commoneur·e·s dans des activités se fixant des objectifs préalablement définis.

Une forme simple est alors l’engagement de l’État à mettre à la disposition de communs particuliers et singuliers des ressources comme autant de contributions à l’activité de ces communs. Comme cela a souvent été noté la forme SCIC, multi partenariale par constitution, qui peut permettre – lorsqu’elle est jugée nécessaire[16] – cette présence de l’État et de ses apports (monétaires, matériels ou immatériels) tout en présentant des garanties contre sa possible prééminence. La gouvernance de la SCIC – « par collèges » – doit rendre possible une présence des pouvoirs publics – ou de leurs représentants – sans que ceux-ci disposent de la relation d’autorité qui leur est en principe attachée. Dès lors que l’activité déployée par le commun répond à des expressions de l’intérêt général (lutte contre le changement climatique, services aux personnes empêchées ou handicapées…), que la commune ne peut prendre en charge, il devient de l’intérêt bien compris des entités publiques concernées de favoriser l’essor et le déploiement de ces communs. Ceci, dans la mesure où ces derniers sont capables de satisfaire à des besoins exprimés sur le territoire et non satisfaits. La première partie de cet ouvrage, dans les études de cas proposées, met en évidence nombre de situations où les conditions de cette contribution des pouvoirs publics au déploiement des communs sont réunies.

Une forme plus ambitieuse et plus complexe à mettre en œuvre de la contribution des pouvoirs publics aux communs, tient dans ce que l’on peut qualifier, sans nécessairement que cette désignation recouvre toutes les situations possibles, de « Partenariats Publics Communs » (PPCms).

Le PPCm peut alors être défini comme un accord de coopération formalisé entre des organisations issues de la société civile et une ou plusieurs institutions publiques pour des missions ou actions spécifiques clairement précisées dont l’objet et les modalités d’exécution doivent dans chaque cas donner lieu à un accord particulier.

Point central, dans tous les cas, les PPCms comme entités spécifiques et durables ne peuvent exister et se déployer sans garanties de respect du commun et de son auto-organisation. Toutes les représentations et préconisations visant à imaginer des « partenariats » dans lesquels la puissance publique conserve un pouvoir asymétrique sur ses « partenaires » du commun, par exemple à travers des modes de financement qui posent des conditions fixées par la puissance publique sont à écarter, comme incompatibles avec l’idée même de ce en quoi consiste le commoning et le commun. L’organisation des rapports de force est en effet centrale dans la relation avec les pouvoirs publics[17]. Dès lors que la puissance publique conserve ses prérogatives et agit suivant le principe d’autorité qui la fonde, de fait sinon de droit, elle se reproduit comme « donneur d’ordre ». Il est en effet en toujours loisible à l’État de pousser les organisations de la société civile, dans une approche utilitariste, à se transformer en cheval de Troie des logiques néolibérales. Comme pour l’ESS, on peut retrouver au sein des communs une opposition entre une logique de commoning et une logique d’entrepreneuriat social.

À l’heure où, en France, la puissance publique multiplie des « appels à projets » visant des initiatives le plus souvent d’origine citoyennes – souvent désignées comme des Tiers-Lieux[18] – et visant à servir les territoires où ils prennent racines – la portée des propositions que l’on vient de rappeler doit prendre tout son sens. Dans la quasi-totalité des cas, ces « appels » que formule la puissance publique contiennent des dispositions prescriptives fixées par elle. Dès lors, dans les formes de « partenariat » et de « collaboration », auxquels ces appels donnent lieu, l’autonomie des communs et des commoneur·e·s, en dépit des apparences, n’est en rien respectée.

Pour conclure sur ce point, remarquons qu’en tout état de cause, dans les relations avec les pouvoirs publics, il est préférable de disposer de plus d’une corde à son arc. En ce sens, une gamme de solutions de partenariats et de financements afférents nous paraît nécessaire, pour faire face à des cas divers. De même que le fait de multiplier les partenaires diminue le risque d’être capturé par l’un d’entre eux. Il faut en effet rappeler que l’angélisme n’est pas de mise. L’intervention publique, qui connaît aujourd’hui une crise d’efficacité et de légitimité avérée, et dont certains aspects ont été rappelés dans cet ouvrage, cherche clairement à se refonder, à travers des outils qui, pour certains d’entre eux, visent explicitement la capture des communs de territoire, pour les asservir.

Dans tous les cas, et quelles que soient les formes de coopérations nouées, il est essentiel que les communs de proximité dont nous espérons avoir montré dans cet ouvrage toute l’importance puissent progresser dans leur déploiement, dans la plénitude et le respect de leur identité. Ce n’est qu’à ce prix et à cette condition que tous les bénéfices dont ils sont porteurs pourront être obtenus pour les communautés dont ils sont tout à la fois l’expression et l’instrument.

***

À n’en pas douter, les communs de proximité sont une part de notre avenir. Alors qu’ils satisfont des besoins immédiats et des plus concrets, c’est bien notre futur qu’ils dessinent, en contribuant à apporter aux territoires ces nouvelles manières « d’habiter en commun » que l’urgence écologique et sociale a rendue plus nécessaire que jamais.

Bibliographie

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Bosc, Yannick. 2015. « Les prud’homies de pêche, un modèle républicain », L’encre de mer, (38-40).

Boyer, Robert. 2022. L’Économie sociale et solidaire. Une utopie réaliste pour le XXIe siècle? Les Petits Matins.

Coriat, Benjamin. 2022. « Communs et coopératives. Tensions, complémentarités, convergences », entretien avec M. Filippi. RECMA, 2022/2 (n°364).

Coriat, Benjamin. 2020. La pandémie, l’anthropocène et le bien commun. Les Liens qui Libèrent.

Gide, Charles. 2001. Coopération et économie sociale 1886-1902. L’Harmattan – Comité pour l’édition des œuvres de Charles Gide.

Dimaggio, Paul J. et Powell, Walter W. 1983. « The Iron Cage Revisited: Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review.

Loizeau, Justine. 2023. Organizadons-nous. S’organiser en commun sur la zad de Notre-Dame-des-Landes, Thèse de doctorat, Université Paris Dauphine – PSL.

North, Douglas. 1991. « Institutions », Journal of Economic Perspective, 5(1).

Robé, Jean-Philippe. 1995. « L’entreprise en droit », Droit et Société, 29(1).

Rochfeld, Judith, Cornu, Marie, Angiolini, Chiara et Martin, Gilles J. (dir.). 2021. L’échelle de communalité, Note de Synthèse, Rapport n°17-34, Avr., IRJS.


  1. « Une activité de services se caractérise essentiellement par la mise à disposition d'une prestation technique ou intellectuelle… Les services ou activités tertiaires regroupent un vaste champ d'activités : commerce, transports, activités financières, immobilières, services aux entreprises, services aux particuliers, éducation, santé, action sociale. Dans la pratique statistique française, les activités de services n'incluent ni transports, ni commerce. Elles regroupent les services aux entreprises, les services aux particuliers, les services mixtes (hôtellerie-restauration, activités immobilières, information-communication) et les services principalement non marchands. »
  2. Bien sûr les institutions qui servent de cadre aux activités humaines (famille, école...). Plus généralement les lois, règles et conventions propres à une société donnée importent tout autant. Mais pour des raisons qui tiennent à notre objet dans cet ouvrage ici, nous nous concentrons sur les « micro- » institutions à partir desquelles s’exerce l’activité des commoneur·e·s.
  3. Cette disposition, faut-il le rappeler, est celle sur laquelle sont bâtis tous les statuts des sociétés commerciales. Comme l’a fait justement remarquer Robé (1995), elle tient lieu de statut juridique de l’entreprise, laquelle n’est pas définie comme telle dans le code civil.
  4. Les excédents d’exploitation et bénéfices sont distribués aux actionnaires y compris les salarié·e·s et les collectivités publiques, lorsqu’ils sont détenteurs de capital d’une coopérative, SCOP et SCIC. Être détenteur de capital entraîne une posture particulière : celle, a minima, de viser la conservation du capital (toute la comptabilité est d’ailleurs orientée vers cet objectif); et, bien sûr sauf dans le cas de placements solidaires, celle de viser un « retour sur investissement » pour le « risque » pris.
  5. Voir la définition dans le chapitre introductif.
  6. Sur la notion de subsidiarité si importante dans le droit italien et souvent invoquée dans la pratique des communs dans ce pays, voir la contribution de Gregorio Arena in Alix, Bancel, Coriat, Sultan (2018). Voir Chapitre 4 de Daniela Ciaffi et al.
  7. Il est ici utile sans doute de rappeler que la plupart des coopératives de salarié·e·s (SCOP) hébergent au moins trois statuts de salarié·e·s : celui de salarié·e/associé·e, celui de salarié·e « garanti » bénéficiant de contrats en CDI et celui de salarié·e à temps partiel. Par ailleurs, les SCOP sont une partie certes essentielle des coopératives, mais minoritaire : 4000 SCOP réalisent 8 milliards de chiffre d’affaires contre plus de 22 000 coopératives (de consommateurs, agricoles, bancaires...) qui totalisent 330 milliards de chiffre d’affaires.
  8. En pratique il peut s’agir de plusieurs communautés « enchâssées » : celle des usagèr·e·s et bénéficiaires et celles qui jouent un rôle de contrôle, pour reprendre ici des catégories introduites dans le rapport les travaux sur les échelles de communalité, cf. J Rochfeld et al. (2021).
  9. La notion de « communauté de contrôle » est ici utilisée dans le sens proposé dans Rochfeld et al. dans la recherche « Échelle de communalité ».
  10. Ce point a déjà été présenté dans Coriat (2020). Sur le contexte prédateur dans lequel se forme le coopérativisme, voir par exemple les travaux de Ch. Gide qui sont explicites sur ce point. On consultera notamment son ouvrage Coopération et économie sociale 1886-1902 (2001).
  11. Rappelons ici que par « isomorphisme institutionnel », on désigne la convergence des comportements qui se manifestent pour des organisations qui appartiennent ou opèrent dans un même champ ou domaine d’activité. La notion d’isomorphisme entend alors caractériser un processus d'homogénéisation dans la structure, la culture, et le produit de ces organisations, qui convergent vers des pratiques similaires. Dans le cas de l’ESS, l’isomorphisme institutionnel désigne la tendance des entités de l’ESS à se calquer sur les comportements des entités rivales ou avec lesquelles elles coexistent (en pratique et le plus souvent il s’agit des entreprises capitalistes classiques) dans les domaines d’activités où elles opèrent. Voir le chapitre 4 de Daniela Ciaffi et al.
  12. Ainsi par exemple dans le cas de la Prud’homie de pêche de Sanary, si une partie de la ressource halieutique (en pratique une espèce donnée de poissons) devient moins abondante ou se raréfie, les règles de prélèvement sont modifiées le temps que cette ressource se reconstitue (cf. Y. Bosc, 2015). Il faut cependant noter ici que si ces principes (adapter les règles aux évolution de l’écosystème pour le préserver) sont le plus souvent bien installées et bien comprises dans le cas des communs « naturels », il n’en est pas de même pour nombre de communs « immatériels », où les préoccupations écologiques apparaissent pour l’heure moins prégnantes.
  13. Nous faisons ici référence à l’organisation par le Labo de l’ESS d’une rencontre autour de cet ouvrage tenue le 16 janvier 2023 sous le titre « Place de l'ESS dans l'analyse économique ».
  14. L’invocation d’un principe de coopération qui constituerait un mode de régulation propre à l’ESS est d’autant plus surprenante et inattendue, que s’agissant d’ESS, si la « coopération » est présente, celle-ci vise et concerne des relations « internes » aux unités qui la constituent. La plupart des coopératives, des associations et a fortiori des mutuelles n’incluent en rien un principe de coopération « externe » - avec le reste de l’économie - comme constitutif de leur identité. La coopération lorsqu’elle existe concerne d’abord et avant tout les membres des entités concernées.
  15. Cette dissolution illustre un mouvement plus pernicieux via l’obligation, imposée par la loi plus connue sous sa dénomination de « loi anti-séparatisme », à toutes les associations agréées ou subventionnées de signer un « contrat d’engagement républicain ». Cela les oblige à respect « l’ordre public » tel qu’interprété par les préfets et les collectivités publiques et donne lieu à des menaces vis-à-vis des associations qui ne sont pas dans la logique administrative. Voir https://www.lacoalition.fr/Observatoire-des-libertes-associatives
  16. On peut en effet considérer que dans nombre de cas, la présence de l’État et des collectivités publiques dans la gouvernance n’est en rien indispensable, voire même non souhaitable, notamment dans la perspective d'alternances politiques ou de risque de prégnance de fait de la représentation publique.
  17. Il convient ici d’insister sur le fait que le risque existe bel et bien de simplement « nommer » sous ces vocables (ici la notion de PPCm des relations contractuelles et des arrangements institutionnels dans lesquels la puissance publique conserve de fait un pouvoir d’influence et de contrôle tel qu’il demeure en fait un « partenaire » dominant.
  18. Le cas de « France Tiers Lieux » qui s’est engagé le premier dans des appels d’offres multiples, conditionnant des aides au respect de certaines règles et prescription édictées par lui est ici emblématique de ces pratiques. Depuis, cette pratique visant la capture des communs par l’émission d’appels à projets, a fait florès et constitue désormais un instrument classique mis en œuvre par la puissance publique dans diverses de ses émanations, pour procéder à la capture des communs. Ce que nous désignons dans cet ouvrage comme des communs de proximité (ou plus généralement comme des initiatives citoyennes déployées sur les territoires et visant le service des communautés locales relativement bien identifiées) sont la cible privilégiée de ces divers « appels d’offres » ou « appels à projets ».

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Les communs de proximité Droit d'auteur © 2024 par Benjamin Coriat, Justine Loizeau et Nicole Alix est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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