La bifurcation. Introduction et présentation

Frédéric Caille

Amulya Kumar Narayana Reddy a 43 ans, en 1973, lorsqu’il connaît sa bifurcation. Engagé dans une carrière déjà brillante de chercheur et de professeur en électrochimie, il est revenu en Inde dans sa ville natale de Bangalore depuis six ans, soit la même durée, ou presque, que celle qu’il a passée en séjour postdoctoral aux États-Unis. Son manuel de référence, best-seller international de 1400 pages, Modern Electrochemistery, co-écrit cinq années durant avec le directeur du laboratoire de Philadelphie, J. O’M. Bockris, « une agonie et une extase » dira-t-il, lui ouvre une voie académique paisible et dégagée[1].

La bifurcation d’A. K. N. Reddy n’est pas l’entrée dans une nouvelle foi, une nouvelle religion. Il s’agit du résultat d’un choix rationnel, d’une analyse froide et argumentée dont le scientifique qu’il est va s’efforcer, trente ans durant, d’établir le bien-fondé.

Le choix est rationnel sur les fins : avec Gandhi, notamment, Reddy réouvre les yeux sur son milieu d’origine et la réalité sociale des campagnes de l’Inde. Le renforcement de l’effort scientifique et technologique du pays, suivi du renforcement de l’industrialisation, n’a pas conduit à une baisse de la pauvreté, au contraire même. Le schéma occidental de développement importé, qui combine la maitrise de hautes technologies fortement capitalistiques et la baisse du besoin de main-d’œuvre, conduit et conduira toujours à, selon une formule présente dès l’un de ses tout premiers textes, « des îlots élitistes d’opulence au milieu d’un océan de pauvreté de masse ». Cette prise de conscience, écrit-il bien plus tard, constitue un véritable « personal ‘break-through’ », une percée intime, une brisure à travers soi, un tournant de vie et d’être.

Le choix est rationnel également sur les moyens : avec Gandhi, toujours, Amulya K. N. Reddy fait sien le « talisman » laissé par ce dernier et, littéralement, il se remet en marche. « Chaque fois que vous avez un doute, rappelez-vous le visage de la personne la plus pauvre que vous ayez vue, et demandez-vous si ce que vous envisagez va lui être utile ». Pour le physicien A. K. N. Reddy, c’est toute la technoscience moderne, si conquérante dans les pays avancés, mais qui a fait si peu pour le travail et le bien-être quotidiens de milliards de personnes, qui se trouve ici interpellée. Le jeune électro-chimiste émerveillé sacrifiant sa vie de famille pour l’écriture de son grand manuel, dira-t-il plus tard, arrive au terme d’un processus, un choix d’avenir, dans lequel la familiarité critique acquise aux États-Unis avec les modes de financements compétitifs sur projets des laboratoires, ou le refus des propositions de grandes sociétés privées occidentales, tiendront toute leur place. Il ne s’agira jamais pour Reddy de renier les avancées des savoirs et sciences modernes, ni même bien entendu leur efficacité. Reddy s’efforcera simplement de travailler à d’autres procédures de recherches, plus ancrées dans les territoires des pays émergents. La reconnaissance scientifique internationale acquise, il est désormais membre de l’Institut Indien des Sciences, son urgence devient de réfléchir à d’autres protocoles, de contribuer à la mise au point de techniques adaptées aux campagnes, économes, respectueuses des personnes et de l’environnement, des techniques douces – des « low-techs » dirait-on aujourd’hui –, des « technologies appropriées » ou « rurales », plaidera-t-il inlassablement de son côté[2].

La bifurcation d’Amulya K. N. Reddy n’est pas seulement la sienne. Elle apparaît à nos yeux, à un demi-siècle de distance, comme la préfiguration et le modèle, à l’échelle d’un individu, de celle qui se présente désormais aux destinées de l’humanité tout entière. La sortie du chemin des énergies fossiles, faciles, inégalitaires et polluantes, la bifurcation vers un « mix énergétique » de sources primaires renouvelables, plus complexe, mais plus équitable et plus proche des utilisateurs modestes, est ce à quoi Amulya K. N. Reddy a consacré les trente dernières années de son existence[3]. En près de trois cents publications, deux expérimentations villageoises en Inde sur le long terme, de nombreuses rencontres et plusieurs séjours de recherche, en Afrique, aux États-Unis, dans des institutions et des universités internationales, l’électro-chimiste Reddy s’est effacé devant l’un des rares pionniers et experts de la planification énergétique de rang mondial issu d’un pays des Suds. Le seul, même, pour cette période, avec l’aventure plus vite interrompue des recherches et installations expérimentales du physicien nigérien Abdou Moumouni Dioffo[4].

Une énergie pour les personnes humaines

Le parcours d’Amulya K. N. Reddy relève de la science et de la planification des énergies tout autant que de la sociologie des techniques ou de l’éthique de la science[5]. Les trois grands domaines en effet, comme il ne cessera de le répéter, sont indissociables dès lors qu’il s’agit de réfléchir à des systèmes socioécologiques durables et humainement bons. En d’autres termes, il n’est pas de « développement » ou d’émergence possible des pays des Suds, argumente le scientifique total (à la fois technicien, sociologue, éthicien, économiste) que devient Reddy au fil des années, sans que ne soit reconsidérée en profondeur la nature des interactions entre les savants, les experts et les communautés locales. Cette conviction, comme l’explicitent ses écrits, se construit au de son parcours. Et de ce point de vue l’expérience prolongée du village de Pura le marquera à jamais, lui l’enfant d’une famille indienne de classe moyenne urbaine éduquée[6]. « Les paysans font des choix technologiques rationnels et raisonnés », écrit-il, et ceci est la raison profonde pour laquelle « les scientifiques doivent d’abord être étudiants, apprendre des gens, s’ils veulent être ensuite de bons enseignants pour les populations ». En somme, en matière d’énergie, comme en toute technique, nul n’est meilleur expert que celle ou celui qui en est au final l’usager. Telle est l’une des grandes et simples conclusions dont il se fera l’avocat[7].

La personne humaine doit être au centre. Elle n’est pas un moyen, une variable des planificateurs. The « end-user » est la mesure de la réussite ou non de tout scénario de développement, ne cessera de répéter Reddy, que l’échelle soit celle de « l’écosystème villageois », sur lequel se concentre ses premiers travaux, ou qu’elle s’étende aux dimensions d’une métropole telle que Bangalore, pour la planification énergétique de laquelle il mettra au point avec son équipe, grâce au financement de l’État du Karnataka, le scénario DEFENDUS (DEvelopment-Focused, END-Use-oriented and Service-directed). A une approche « croissance-production-consommation » (« a growth-oriented supply-sided consumption-directed approach ») il faut préférer une approche « émergence-usages-services » (« a development-focused, end-use-oriented service-directed approach »), résumera-t-il.

Pour le dire autrement, il n’est pas possible de dissocier les moyens techniques que l’on retient des objectifs politiques et sociaux que l’on se donne. « La technologie est comme le matériel génétique, elle porte le code de la société qui l’a conçue et, pourvue d’un milieu favorable, la reproduit », écrit-il dès 1973, regrettant au passage l’absence de mise en question de la « technologie capitaliste » par une grande partie des mouvances politiques de la gauche indienne. Retraité de l’Institut Indien des Sciences, il consacre ses dernières années d’activités à la diffusion de la méthodologie DEFENDUS auprès des experts et des décideurs des pays des Suds, notamment par le biais de l’International Energy Initiative (IEI) et de son journal Energy for Sustainable Development, une ONG et une revue de sensibilisation et de formation au développement des énergies renouvelables dans les pays émergents qui sont toutes deux créées en 1991.

D’autres techniques

Ne pas séparer l’action de la réflexion, ne pas craindre de se centrer sur l’humain ni d’introduire valeurs, sentiments et émotions dans la réflexion technico-scientifique, devenir en un mot comme il le dit un « scientifique socialement responsable », tels sont les principes directeurs sur lesquels le physicien Reddy construit sa bifurcation. Il n’y a pas, il est important de le souligner, de rejet de la technique, d’anti-machinisme, de passéisme, d’anti-progressisme, encore moins de rejet de la science ou de retour en arrière dans la démarche ainsi proposée[8]. Mais simplement le fait de comprendre, comme l’avait déjà fait remarquer Gandhi, qu’un « design pour les plus modestes devrait utiliser des matériaux disponibles dans un rayon de quinze kilomètres ». Beaucoup de « technologies appropriées », traduit dans sa propre réflexion Reddy, sont ainsi susceptibles d’être spécifiques à une région, à un emplacement, à une culture déterminés. Il s’agit donc de travailler conjointement, ne cessera-t-il d’argumenter, à une vision à la fois décoloniale dans l’esprit et universaliste sinon techno-scientifique dans la pratique. En d’autres termes, les technologies de basse intensité énergétique et capitalistique, que Reddy estime nécessaires pour soulager la vie des populations modestes des pays des Suds, demandent une réflexion, une expérimentation, une planification dans l’usage et la diffusion aussi rationnelles et élaborées que celles des hautes technologies industrielles importées de type occidental. « Une leçon importante », ajoute-t-il en anticipant sur la contre-histoire des innovations techniques telle que l’a proposé notamment David Edgerton, « est que n’importe quel sot peut compliquer une chose, mais qu’il faut du génie pour la simplifier »[9].

Les technologies rurales, douces, ne sont pas simples ou triviales dans leur élaboration. « Au contraire, puisqu’elles reposent sur le redoutable défi d’être virtuellement sans coûts, ou de limiter strictement ces derniers », relève Reddy. Elles ne sont pas des sous-techniques, mais seulement des techniques à échelle et à destination de la satisfaction de la personne humaine, et d’abord de ses besoins fondamentaux. Il s’agit de techniques porteuses pourrait-on dire de solutions, et non pas de ces « paquets technologiques » porteurs quant à eux d’un véritable programme de société, à l’image de ceux que présente plus que jamais une grande partie de la technoscience mondialisée contemporaine, comme nous pouvons en avoir le sentiment à relire Amulya K. N. Reddy à trois ou quatre décennies de distance.

Une science humaine des énergies

La bifurcation d’Amulya K. N. Reddy est donc indissociablement éthique, politique et technologique. Et c’est là sans doute son grand apport et tout l’intérêt de revenir vers ses travaux aujourd’hui. Avec ses trois coauteurs de l’ouvrage Énergie pour un monde durable (1988), jamais traduit, la « bande des quatre », le Brésilien Jose Goldemberg, le Suédois Thomas B. Johansson et l’Américain Robert H. Williams, un groupe éclectique qui, dira-t-il, « s’est enrichi de la diversité issue des différences dans nos origines, notre culture, notre expérience et notre expertise », Reddy anticipe en effet sur une part importante de la réflexion énergétique contemporaine. « Pour nous, les dimensions humaines de l’énergie étaient aussi importantes que la technologie. Nous étions extrêmement sensibles aux impacts environnementaux de la production et de l’utilisation de l’énergie ».

Les « 4 » sont tous des physiciens qui ouvrent leur réflexion au-delà des frontières de leur discipline d’origine. L’énergie ne leur apparaît plus seulement comme la résultante de certaines propriétés de la nature et du fonctionnement de l’univers. Elle est aussi une réalité sociale, écologique, géopolitique. « Nous étions profondément préoccupés par l’équité entre les pays industrialisés et en développement, et à l’intérieur même des pays en développement, avec leurs petites îles de richesse éclatante au milieu de leurs vastes océans de pauvreté abjecte. Surtout, nous partagions une vision commune de l’énergie comme un instrument de développement, et de la technologie comme un mécanisme crucial pour que l’énergie puisse jouer ce rôle ».

L’énergie est donc un moyen et non une fin en soi. L’énergie, pour parler dans des termes que Reddy anticipe, est une modalité de relation humaine et une force de structuration des conditions matérielles, sociales et culturelles de la vie moderne. La mécanique des matériaux, la disponibilité des sources et réserves primaires sont certes, parmi d’autres, certains de ses déterminants, mais l’énergie reste un espace de choix, comprend le physicien Reddy, au moment où il s’engage, sans même vraiment le savoir, dans les prémices d’une véritable science humaine des énergies[10]. Ainsi, pour expliquer, définir ou piloter un « système énergétique », s’efforce-t-il de montrer, il faut toujours repartir des grandes valeurs et priorités auxquelles ce dernier se propose de répondre (par exemple, historiquement, la grandeur et la puissance de l’État, le bien-être des élites ou, beaucoup plus rarement, la satisfaction des besoins fondamentaux des plus modestes), puis il convient de s’attacher aux modalités de son élaboration et de sa gouvernance (notamment les relations entre populations et experts, la participation des usagers, la répartition des coûts et des conséquences), enfin, il faut comparer et combiner les sources énergétiques et les options technologiques de conversion des énergies (par exemple choisir l’électricité, le biogaz ou l’hydrogène comme transporteurs/convertisseurs d’énergie), puis comprendre les usages réels et quotidiens, et non seulement se contenter de la mise en regard des coûts nominaux par unité d’énergie et des capacités brutes de production.

Reddy explique sans relâche ces articulations que l’on pourrait, parfois, prendre pour des évidences, si tout n’était fait pour que dominent, et aujourd’hui plus que jamais, les approches prioritairement quantifiées et technicistes des énergies[11].

La bénédiction des communs

La bifurcation d’Amulya K. N. Reddy ne nous invite pas à jeter nos objets technologiques au fossé, ni à nous satisfaire d’une lampe à huile[12]. Elle réouvre seulement un rideau, un chemin de recherche et de réflexions sur l’articulation des sciences, des techniques et de certaines « valeurs de vie », ou « valeurs d’affirmation de vie », « life affirming values » écrit Reddy[13]. La distance et la neutralisation des émotions, relève-t-il, si elles sont nécessaires à l’analyse scientifique moderne, ne doivent pas faire obstacle à une « relation dialectique » entre les scientifiques ou les technicien-ne-s et leur objet d’étude, c’est-à-dire à une « unification ultérieure », humaine, émotionnelle et morale[14].

Appliquée prioritairement aux énergies, la réflexion de Reddy cherche donc à penser ce que signifie une « technologie appropriée », « appropriate technology ». Il a d’ailleurs donné de cette notion, qui est contigüe à celle de « low/high technology », l’une des plus simples et précises définitions parmi celles qui ont été proposées. Une technique ou technologie est « appropriée », dit-il, dès lors qu’elle favorise « la satisfaction des besoins humains fondamentaux, à commencer par ceux des plus démunis, la participation et le contrôle par son public et ses usagers, la préservation et la résistance de l’environnement naturel ». Ou, si l’on préfère, le « test de pertinence à cet égard consiste à savoir si la technique utilisée facilite la réduction des inégalités, le renforcement de l’autonomie, et l’harmonie avec l’environnement ».

L’évaluation humaine et sociale des techniques n’est pas un savoir de laboratoire. Elle n’est pas, relève Reddy, la prérogative d’un petit nombre de desservants de savoirs complexes. Elle est le fruit, lorsque les conditions en sont réunies, d’une observation, d’une computation et d’une qualification qui sont en pratique et par nature véritablement collectives[15]. Nulle part sans doute on ne le comprend mieux que dans le bref texte au titre-manifeste intitulé « La bénédiction des communs », « The Blessing of The Commons », dans lequel Reddy revient sur la réussite sur près d’une décennie du biodigesteur/méthaniseur villageois de Pura. « Le problème du gain individuel contre les intérêts de la communauté qui a été discuté dans les termes de la bien connue Tragédie des Communs décrite par Hardin », rappelle-t-il, est celui d’une situation où « le bénéfice personnel immédiat résultant de la poursuite de la destruction en cours des ressources communes est plus important et immédiat que la perte personnelle résultant de la destruction marginale, lente et de long terme de ces mêmes ressources »[16].

Le méthaniseur villageois collectif de Pura, comme sans doute de nombreux autres exemples ayant permis la survie des villages indiens pendant des siècles, relève l’auteur, est un contre cas d’étude de la prétendue domination anthropologique des intérêts individuels sur les priorités collectives[17]. Dans l’expérience de Pura, le maintien de l’alimentation en eau et de l’éclairage du village s’étant trouvé dépendre de la participation et de la collaboration de l’ensemble des foyers (par l’apport de matières animales, le paiement d’une contribution, la gestion et l’entretien des installations), les stratégies individuelles de défection, qui entraînaient l’arrêt des fournitures pour tous les habitants, et qui pénalisaient plus particulièrement les femmes en charge des activités domestiques, y compris les femmes des familles ne souhaitant pas collaborer, se sont révélées inexistantes. Une « convergence », une « confluence de l’intérêt personnel et de l’intérêt collectif » en matière d’énergie et de préservation des ressources naturelles et communautaires s’est établie, conclut Reddy, et ceci aussi du fait de l’auto-organisation et de la gouvernance villageoise, un constat qui rejoint les travaux et les conclusions de la politiste Elinor Ostrom bien avant sa consécration mondiale par le prix Nobel d’économie[18].

Il ne faut pas retarder la lecture d’Amulya Kumar N. Reddy. Sa bifurcation nous est comme une lettre envoyée à chacune et chacun, un enregistrement du proche passé qui nous parlerait de l’urgence du proche avenir, un enregistrement qui parlerait non pas seulement aux spécialistes des énergies, aux étudiants, aux experts, aux gouvernants et gouvernantes, mais à nous toutes et tous, acteurs et usagers de nos systèmes énergétiques des Suds et des Nords.

Le contrôle et la logique de puissance des États, ainsi que le bouillonnement universel des marchés, tel est sans doute l’un des post-scriptum du travail du grand scientifique indien, ne peuvent en effet suffire à construire le monde énergétique de demain auquel il voulait travailler. Pour que vienne vite ce monde d’énergies renouvelables conçues comme des outils d’émancipation et d’équité entre les personnes, sur une planète préservée, dans les Suds comme dans les Nords, il faudra plus que cela. Il faudra, Amulya Reddy le savait, travailler à d’autres savoirs, des savoirs plus critiques, plus discutés que ceux qui continuent, par exemple, à disputer les preuves du réchauffement à cause anthropique de la planète et la nécessité de la sortie immédiate des combustibles fossiles. Il faudra débattre et discuter des énergies en vérité et en sincérité, et non pas derrière les murailles des chiffres ou des choix technologiques, tel le numérique, qui propulsent au-delà du prévisible les consommations électriques du futur[19].

Il faudra, en un mot, de l’énergie pour interagir, en synergie, et pour le plus grand bien de l’humanité. Une bifurcation.


  1. Toutes les citations en italiques sont extraites des trois textes autobiographiques rédigés ou co-rédigés par Reddy (voir plus loin « Références » et la présentation du premier texte du présent ouvrage). Je remercie Bertrand Bocquet pour sa relecture d'une première version de ce texte et ses encouragements.
  2. Voir en particulier « Technologie, développement et environnement. Une réévaluation », texte traduit dans le présent ouvrage.
  3. Reddy est l’un des premiers à utiliser et surtout penser explicitement la notion de « mix énergétique », aujourd’hui devenue courante plus de trente ans après ses travaux, y compris dans les écrits francophones, pour désigner l’utilisation planifiée et coordonnée de diverses énergies. Il s’agit d’un anglicisme puisque l’on devrait dire « mélange énergétique », expression à laquelle nous avons renoncé faute d’usages. Pour un exemple récent où le terme n’est même plus défini : Florence Carré, Karine Adam, Raymond Cointe et al., « Les leviers d’action pour un mix énergétique propre et sûr au service de la transition énergétique dans les territoires », Annales des Mines - Responsabilité et environnement, 2020/2 (n°98), 89-92.
  4. Pour une présentation du travail de ce dernier et la réédition de son texte généraliste le plus marquant (« L’énergie solaire dans les pays africains », 1964), très proche du travail de Reddy : Frédéric Caille (éd.), Abdou Moumouni Dioffo (1929-1992). Le précurseur nigérien de l’énergie solaire, Québec, Éditions science et bien commun, 2018, en ligne : https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/soleilpourtous/chapter/lenergie-solaire-dans-les-pays-africains/.
  5. Le présent recueil de traductions, comme son titre l’indique, est consacré principalement aux travaux sur les énergies d’A. K. N. Reddy. Nous n’avons pas traduit de texte portant spécifiquement sur son « éthique de la science et de la technologie », laquelle est cependant perceptible dans son écrit autobiographique et indirectement dans certains de ses écrits sur l’énergie et les technologies. Pour un texte plus explicite, présenté en mars 2000 lors d’une conférence à Bangalore, voir « Nuclearization, Human Rights and Ethics » sur le site de recensement de ses travaux : http://www.amulya-reddy.org.in/Publication/2000_03_JP032300.pdf
  6. Voir particulièrement dans le présent ouvrage : « Leçons tirées du projet de biogaz communautaire de Pura ».
  7. Reddy rejoint de ce point de vue (voir également note 10 ci-dessous) certains des pionniers des « Energy Humanities » contemporaines, tels les anthropologues américains Laura Nader et Norman Milleron qui soulignent dès 1979 que « nous devons inclure l'expertise dans le cadre de tout problème que nous traitons », et qu’il est fondamental de se situer, en matière d’énergies particulièrement, « du point de vue des gens » ("at the people point of view"). Voir notamment : Nader, L., & Milleron, N., "Dimensions of the ‘people problem’ in energy research and ‘the’ factual basis of dispersed energy futures", Energy, 4(5), 1979, 953–967. Plus largement : Nader Laura (éd.), The Energy Reader, Chichester - Malden MA, John Wiley & Son, 2010.
  8. A. K. N. Reddy, et c’est là l’une de ses grandes originalités en regard du regain d’intérêt actuel pour les technologies douces, reste un scientifique formé à la chimie et à la physique des matériaux les plus modernes. Il ne vient pas vers l’étude de procédés plus économes et moins couteux en argent, matière et énergie par rejet des techniques de pointe, mais simplement par comparaison des finalités véritables des techniques (création de consommateurs prisonniers/passifs versus amélioration d’une vie pleinement humaine) et des intérêts relatifs pour les collectivités des Suds.
  9. David Edgerton, Quoi de neuf? Du rôle des techniques dans l’histoire globale, Paris, Seuil, 2013, trad. française de The Shock of the Old. Technology and global History since 1900 (2006).
  10. Sur la notion récente d'humanités énergétiques ou "Energy Humanities" : Imre Szeman & Dominic Boyer, Energy Humanities. An Anthology, Baltimore, John Hopkins University Press, 2017. Voir en ligne : https://www.energyhumanities.ca. La démarche est encore très peu présente en français. Voir : Mathieu Duperrex, « Energy Humanities, une pensée écologique au miroir des énergies carbonées », Sociétés, 2020/2, n°148, 93-101; Frédéric Caille, « L’énergie solaire au Musée? Éléments d’une lecture énergopolitique du projet muséal Sofretes », Cahiers d’histoire du Cnam, 2020, vol. 13, 21-50. Disponible en ligne : https://technique-societe.cnam.fr/l-energie-solaire-trajectoires-sociotechniques-et-objets-museographiques-1249502.kjsp.
  11. L’International Energy Agency (IEA) est particulièrement représentative de ce type d’approche : https://www.iea.org.
  12. L’expression a été employée par le président de la République française le 14 septembre 2020, alors qu’il rejetait une demande de moratoire déposée par 70 député-e-s concernant le déploiement de la technologie numérique 5G, laquelle est très consommatrice d’énergie : « ‘J’entends beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile! Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine’, s’est moqué Emmanuel Macron, en référence à cette communauté religieuse américaine hostile à certaines technologies », Le Monde, 15 septembre 2020.
  13. L’image du rideau « lourd à notre main » qui dissimule certaines réalités dérangeantes que personne ne souhaite voir évoquer (notamment ici pour la France coloniale les réalités du continent africain) est empruntée au journaliste Albert Londres (Terre d’ébène, Paris, Le Serpent à Plumes, 1998 (1929), p. 276).
  14. Ce thème est explicite dans les écrits biographiques de Reddy (voir note 3 du premier texte de cet ouvrage). Il rejoint aussi la perspective épistémologique de Florence Piron, fondatrice des Éditions science et bien commun : « L’amoralité du positivisme institutionnel. L’épistémologie du lien comme résistance (2019) », La gravité des choses. Amour, recherche, éthique et politique, Ésbc, 2021 : https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/gravite/chapter/40/.
  15. La notion de computation renvoie à l’évaluation quantifiée, par le calcul, notamment de la relation à la durée, à la temporalité.
  16. « La tragédie des communs » (1968) est le texte qui a assuré la célébrité du biologiste américain Garrett James Hardin (1915-2003), et relancé le débat sur les relations causales possibles entre les formes de propriété ou d’appropriation des ressources naturelles (privées, étatiques/publiques, communautaires/collectives) et leur préservation/durabilité dans le temps. Pour une intéressante mise en perspective historique et critique : Fabien Locher, « Les pâturages de la Guerre froide : Garrett Hardin et la ‘Tragédie des communs’ », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2013/1, 7-36, disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2013-1-page-7.htm
  17. Le caractère anthropologique des formes de coopérations communautaires, y compris dans les pays occidentaux, est désormais bien documenté. Voir par exemple l’intéressant recueil de textes traduits pour la première fois en français par Frédéric Graber et Fabien Locher (éd.), Posséder la nature. Environnement et propriété dans l’histoire, Paris, éditions Amsterdam, 2018.
  18. On notera le long délai de traduction en français des travaux d’Elinor Ostrom : Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Bruxelles, De Boeck, 2010, traduction de Governing The Commons. The Evolution of Institutions for Collective Action, 1990, dont le titre évite la limitation aux ressources naturelles et rejoint plus directement la perspective de Reddy. Pour l’une des approches les plus synthétiques et pertinentes en français : Antona Martine et Bousquet François (éd.), Une troisième voie entre l’État et le marché. Échanges avec Elinor Ostrom, Éditions Quae, 2017.
  19. Pour l’une des approches francophones les plus documentées et précises de ce dossier : Fabrice Flipo, L’impératif de la sobriété numérique. L’enjeu des modes de vie, Paris, éditions matériologiques, 2020.

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