Chapitre III. Vers une décolonisation du curriculum scolaire haïtien et une décolonialité de la connaissance

L’éducation est l’arme la plus puissante que vous pouvez utiliser pour changer le monde.
— Nelson Mandela

 

Le colonialisme ne s’est pas simplement insinué dans le contenu du programme mais dans les structures mêmes du programme. Vous pouvez ajouter ou remplacer un contenu par un autre – ce qui est important – mais si la structure même du programme d’études n’est pas réformée, très peu de résultats peuvent être obtenus à la fin.[1]
Suellen Shay, Doyenne et professeure associée, Université du Cap (2015)

 

Je reprends à mon compte le titre du livre de Ngugi wa Thiong’o (2011[1986]) intitulé Décoloniser l’esprit et j’y adjoins le terme « imaginaire » de Gruzinski (Mignolo 2015, 29) pour formuler la phrase suivante : « décolonisons l’esprit et l’imaginaire haïtiens ».

Pour arriver à cette décolonisation mentale des Haïtien-ne-s, il faut non seulement déconstruire le discours dominant intériorisé par les citoyen-ne-s, mais aussi reconfigurer cet univers mental en déterritorialisant le curriculum scolaire actuel et surtout en le re-territorialisant.

Préalablement, je propose de faire un rappel nécessaire sur les concepts de décolonialité du pouvoir, de la connaissance, de l’être, du genre et du « faire »[2], que nombre de scientifiques, entre autres Wynter, Grosfoguel, Maldonado-Torres, Mignolo, Gordon et Lugones, ont largement commenté. Un retour sur ces notions permet de justifier les raisons pour de nouveaux choix en faveur d’une décolonisation/décolonialité de la connaissance en vue d’une « liberté épistémique »[3], comme le souligne Ndlovu-Gatsheni (2019).

Maldonado-Torres (2016), s’appuyant sur les idées de Frantz Fanon (Peau noire, masques blancs, 2015 [1952]) propose deux schémas heuristiques relatifs au triptyque Modernité/Colonialité/Décolonialité (MCD) : « MCD est une construction particulière de connaissance, de pouvoir et d’être qui divise les mondes en zones d’être et de non-être humain et qui rend la guerre sans fin et perpétuelle ».

Analytics of coloniality (d’après Maldonado-Torres 2016)

Il y a lieu de rappeler ici les unités d’analyse dans le tableau ci-après – empruntées au webinaire de Ndlovu-Gatsheni (mars 2019), à Lugones (2008) et au Curriculum Change Working Group de l’Université du Cap (2018) – qui font l’objet de réflexions décoloniales.

Unités d’analyse de la (dé)colonialité
Connaissance

 

se concentre sur la politique de formation des savoirs : quels types de savoirs permettent et légitiment le racisme, les épistémicides, les linguicides, les mémoricides, les cultures et les aliénations?
Pouvoir

 

explique comment la « politique mondiale » actuelle / moderne a été construite, constituée, configurée, se reproduit et comment elle fonctionne : « volonté de puissance », paradigme de la différence / paradigme de la guerre / naturalisation de la violence / génocides / nettoyage ethnique / monde sans les autres / racisme / xénophobie.
Être parle de réinventions complexes de l’être humain, de processus d’asservissement et de formation du sujet : classification sociale des espèces humaines conformément aux densités ontologiques différentielles inventées et à la hiérarchisation raciale des espèces humaines.
Genre  découvre les pratiques coloniales d’imposition et de formation du genre marquant la division coloniale de manière différenciée, inséparablement des processus de racialisation et des processus de vidage des âmes / des corps colonisés des pratiques relationnelles, cosmologiques, les constituants sociaux, et inséparablement, du processus de les transformer en instruments dociles d’accumulation de capital.
Faire  trouve son expression dans le mimétisme, où le sujet colonial répond à la mission civilisatrice en imitant l’oppresseur, même lorsque cela revient à nier la densité ontologique du soi.

 

Je complète cette illustration sur la (dé)colonialité de Maldonado-Torres (2016, 20) en y adjoignant les éléments de « genre«  de Lugones (2008) et de « faire » (CCWG 2018 et Spivak 1988) avec des liens que je propose dans le schéma ci-après.

L’enjeu fondamental est de faire en sorte qu’Haïti et ses enfants ne perdent pas totalement leur âme, comme l’a fait le Japon. Il faut que notre société haïtienne reste authentiquement indigène en paraphrasant le credo japonais (« Techniques occidentales, esprit japonais! ») repris par Ali A. Mazrui et Teshome Wagaw (1986, 35) : « Techniques occidentales respectueuses de la nature, de l’esprit et de l’imaginaire haïtiens ». En d’autres termes, il s’agit de retenir ce qui nous convient dans le monde occidental et de mettre en place un système indigène d’éducation de masse basé sur une politique linguistique volontariste s’appuyant sur la langue commune, le créole (Ajayi 1986, 20). Il est important de reprendre ici ce commentaire très judicieux de Mazrui et Wagaw (1986, 36), à savoir que « chaque société non occidentale doit étudier elle-même le dilemme où elle se trouve enfermée ». Cela signifie qu’il faut se réapproprier notre curriculum en se posant au préalable un certain nombre de questions sur le modèle sociétal voulu en Haïti. Pour ce faire, j’ai réuni ci-après différents points de vue critiques pouvant guider la mise en place d’un nouveau curriculum en vue de transformer l’actuelle société haïtienne en une société plus juste socialement/ cognitivement/culturellement et équitable.

L’approche de Mazrui et Wagaw

Les interrogations de Mazrui et Wagaw (1986, 35-54) constituent le socle de mes réflexions, nourries par ailleurs par les traditions indigènes, c’est-à-dire les méthodes et coutumes éducatives puisées dans les cultures africaines et amérindiennes. Ainsi, les quatre objectifs essentiels, différents quoique se chevauchant parfois, de l’éducation seraient :

  • Premièrement, le système d’enseignement a-t-il pour principale finalité implicite et explicite de servir la société? Si tel est le cas, ses principaux objectifs sont d’ordre sociocentrique.
  • Deuxièmement, le système d’enseignement a-t-il pour but de servir Dieu? L’objectif religieux d’une école religieuse est-il si puissant qu’il constitue en quelque sorte la raison d’être de l’entreprise? Dans l’affirmative, l’orientation du système d’enseignement sera théocentrique.
  • Troisièmement, le système d’enseignement cultive-t-il et encourage-t-il une compréhension globale de la nature et de l’univers, indépendamment du service de la société ou de Dieu? Cherche-t-il à développer la curiosité à l’égard de questions aussi diverses que l’accouplement des coléoptères et le mouvement des astres? Dans ce cas, on dira que ces branches du système d’enseignement sont, dans une certaine mesure du moins, d’ordre écocentrique.
  • Enfin, le système d’enseignement a-t-il comme finalité dernière de permettre à chaque individu, homme ou femme, de s’accomplir, et de libérer l’individualité et les énergies créatrices de chaque être? Si la philosophie du système d’enseignement comporte un engagement envers cet idéal d’individualisme, son orientation sera, dans une certaine mesure, égocentrique, le terme étant utilisé sans connotation péjorative.

Pour reprendre les propos de Mazrui et Wagaw (1986, 61), je crois qu’il est impératif pour les établissements d’éducation haïtiens de tenir compte de nos caractéristiques anthropologiques (africaines et amérindiennes) et de notre situation écologique afin de faire de la question de l’environnement un véritable leitmotiv pour un authentique développement endogène.

L’approche du Centre d’étude et de recherche pour les dialogues décoloniaux

Selon le Center of Study and Investigation for Decolonial Dialogues[4], les questions suivantes doivent être posées dans tout processus réflexif sur la décolonisation/décolonialité :

  • Qui produit et transmet le savoir et la compréhension?
  • Quelles institutions soutiennent la production de connaissances et de compréhension hégémoniques et pourquoi des connaissances et des compréhensions qui ne bénéficient pas du soutien de telles institutions ne sont-elles pas validées en tant que connaissances et compréhension institutionnelles?
  • Comment pensons-nous la relation entre culture et économie politique de manière complexe et non réductrice?
  • Qu’est-ce que la colonialité de l’être et comment penser à la décolonisation de l’être?
  • Quelle est la cartographie du pouvoir du système mondial capitaliste/patriarcal moderne/colonial et comment repenser les luttes pour la décoloniser et la transcender?

Le Groupe de travail de révision du curriculum de l’Université du Cap en Afrique du Sud

L’une des revendications majeures des manifestations étudiantes de 2015 et 2016 en Afrique du Sud a été la révision des programmes universitaires selon une orientation décoloniale de la recherche sur les programmes d’enseignement et sur un questionnement rigoureux du savoir et de son rapport à la société. Les questions suivantes – résumées dans le tableau ci-dessous – ont suscité l’urgence de développer de nouvelles idées profitant à la société dans son ensemble :

Connaissance/Enseignement/Décolonisation/Décolonialité (Université du Cap – Afrique du Sud)

Qui produit la connaissance?

Quelles institutions et disciplines la légitiment?

Quelle connaissance pour et qui en profite?

Comment est notre existence sociale de colonisé-e?

Comment pensons-nous être décolonisé-e-s?

Quelles hiérarchies de pouvoir constituent la cartographie de puissance de l’économie politique mondiale dans laquelle nous vivons et comment allons-nous décoloniser le monde?

Qui a des privilèges?

Quels intérêts dominent?

Qui doit enseigner?

Qu’enseignons-nous?

Comment enseignons-nous?

À qui enseignons-nous?

La démarche postcoloniale de la société hongkongaise

En 1999, la Commission de l’éducation, le principal organe consultatif de la politique éducative de Hong Kong, a entamé une révision du système éducatif. Les objectifs éducatifs suivants, considérés comme étant appropriés pour Hong Kong au 21e siècle (Kennedy, Fok et Chan 2006, 113-114), visent :

  • L’atteinte d’un développement complet de la personne selon ses capacités dans différents domaines (éthique, intellectuel, physique, esthétique…) dans la perspective d’un apprentissage tout au long de la vie;
  • L’essor d’une pensée critique, exploratoire, innovatrice et adaptative au changement;
  • La promotion de la confiance en soi et d’un esprit d’équipe, la prospérité, le progrès, la liberté, la démocratie et la contribution au futur et au bien-être de la nation et du monde entier, de manière large (Commission de l’éducation 1999c, 15).

Les contours de la réforme mentionnés ci-dessus ont finalement été traduits en objectifs du curriculum. Le programme de réforme du curriculum est connu sous le nom de « Réforme de l’apprentissage pour apprendre » (Conseil de développement du curriculum, 2001).

Les principes de cette réforme du curriculum sont décrits ci-dessous (Kennedy, Fok et Chan 2006, 114) :

  1. Passage de la transmission du savoir à l’acquisition de connaissances, de compétences pour « apprendre à apprendre ».
  2. Accent mis sur l’identité nationale et l’utilisation de la langue nationale, le putonghua, ou mandarin standard.
  3. Élargissement des connaissances intellectuelles à acquérir dans les domaines d’apprentissage clés, à savoir : langue chinoise, langue anglaise, enseignement des mathématiques, sciences humaines, éducation scientifique, technologie, éducation artistique et éducation physique.
  4. Identification de compétences génériques relatives à la collaboration, la communication, la créativité, la pensée critique, la technologie de l’information, le calcul, la résolution de problèmes, la gestion autonome, et les techniques d’études pour favoriser l’apprentissage tout au long de la vie.
  5. Accent mis délibérément sur quatre tâches essentielles : l’éducation morale et civique, la lecture, le projet d’apprentissage et la technologie de l’information afin de promouvoir des échanges interactifs et efficaces tout en mettant l’accent sur l’autonomie des élèves et l’apprentissage.
  6. Promotion de nouveaux modes d’évaluation répondant aux objectifs et les processus d’apprentissage afin que l’évaluation puisse servir à des fins tant formatives que sommatives, conformément à la philosophie « Apprendre à apprendre » (Conseil de développement du curriculum, 2001).

Les approches pluriverselles des Suds

Les philosophies et pratiques décrites ci-dessous sont reconnues comme une diversité de points de vue sur le bien-être planétaire et d’habiletés à le préserver. Ces différentes écoles de pensée cherchent à ancrer les activités humaines dans les rythmes et les cadres de la nature, en respectant la matérialité interconnectée de tout ce qui vit (Kothari, Salleh, Escobar, Demaria et Acosta 2019, xix). Ces différentes approches pluriverselles, en particulier celle d’Ubuntu, rappellent le Konbitisme haïtien qui est l’expression de la solidarité entre les membres de la communauté dans l’histoire nationale. Ce retour aux sources des Suds – africaines, amérindiennes – permet non seulement de se réapproprier notre identité perdue (ou en voie de perdition) mais aussi – et surtout – de ré-enculturer l’Haïtien-ne, comme le souhaitait la réforme Bernard.

Le concept d’Ubuntu

Barbara Nussbaum (2003, 2-3) décrit assez bien les dimensions inspirantes de cette philosophie africaine, à savoir « la compassion, la réciprocité, l’entraide, la dignité, l’harmonie et l’humanité », en vue de la construction et du maintien de la communauté dans la justice. Ubuntu, un mot nguni d’Afrique du Sud, nous appelle à croire et à sentir que :

Ta douleur est ma douleur,
Ma richesse est ta richesse,
Ton salut est mon salut. 

Umuntu Ngumuntu Ngabantu – Une personne est une personne à cause des autres

Ubuntu est une philosophie sociale, une manière d’être et un code éthique profondément enracinés dans la société africaine et sa culture. La valeur sous-jacente cherche à honorer la dignité de chaque personne et se préoccupe du développement et du maintien de relations d’affirmation et d’amélioration mutuelles. Parce que le concept d’Ubuntu embrasse et exige la justice, il inspire et crée donc une base solide pour notre humanité commune. Cela existe depuis des milliers d’années dans la plupart des pays d’Afrique et continue d’être au cœur des préoccupations intrinsèques, des valeurs de la culture africaine traditionnelle, bien que dans les zones urbaines, ces valeurs soient de plus en plus érodées.

Selon l’évêque sud-africain Dandala (Nussbaum 2003, 2), Ubuntu n’est pas un concept facile à distiller en une procédure méthodologique. C’est plutôt le fondement d’un style de vie ou d’une culture qui cherche à honorer les relations humaines comme primordiales dans toute activité sociale, collective ou d’entreprise. Ubuntu devient une fontaine d’où découlent les actions et les attitudes. Conscience de ce que l’on peut donner et recevoir devient tout aussi important. Le dicton Umuntu Ngumuntu Ngabantu (« une personne est une personne à cause des autres ») devient une déclaration qui nivelle tout le monde. Il stipule essentiellement que personne ne peut être autonome et que l’interdépendance est une réalité pour tous. Le sociolinguiste sud-africain Buntu Mfenyana explique : « Ubuntu est la qualité de l’être humain. C’est la qualité ou le comportement de ntu ou de la société qui partage, le caractère charitable, la coopération. C’est un esprit d’humanisme participatif » (Nussbaum 2003, 2). Dans sa manifestation pratique, Nussbaum souligne qu’Ubuntu pourrait inclure toute action exprimant une personnalité, une organisation, l’engagement des entreprises ou des gouvernements à exprimer leur compassion, leur sollicitude, leur partage et leur sensibilité à la communauté dans son ensemble. Ceci permettrait d’avoir de nouveaux et nouvelles dirigeant-e-s qui auraient le souci de servir la société et le peuple haïtiens, de créer un vivre-ensemble véritablement harmonieux où l’humanité est au centre des préoccupations des politiques publiques haïtiennes. 

Principes généraux d’Ubuntu

  • La caractéristique d’Ubuntu est d’écouter et d’affirmer les autres à l’aide de processus créant la confiance, l’équité, la compréhension partagée, la dignité et l’harmonie dans les relations.
  • La conscience Ubuntu concerne le désir de construire une réponse bienveillante, durable et juste à la communauté – que ce soit une entreprise, un village, une ville, une nation ou notre famille mondiale.
  • En raison de son accent sur notre humanité commune et de son appel éthique à incarner notre communauté dans le monde, Ubuntu offre un moyen alternatif de recréer un monde où cela fonctionne pour tous. Autrement dit, les gens, les entreprises et les pays réapprendraient à vivre ensemble avec respect, compassion, dignité et justice et réorganiseraient les ressources en conséquence.
  • Ubuntu, appliqué à la responsabilité des entreprises, serait en fin de compte un partage de la richesse et la prestation (au moins) des services de base, tels que la nourriture, le logement et l’accès à la santé et l’éducation accessibles et visibles à tous les membres de notre famille mondiale.

Le concept d’Agaciro

Agaciro est un concept généralement traduit par « valeur, dignité, respect de soi » qui parle des expériences concrètes vécues par les Rwandais-es pouvant servir d’exemplarité (Ndushabandi et Rutazibwa 2019, 79). Pour ces chercheurs, Agaciro – considéré comme une attitude culturelle datant des périodes précoloniales – représente une voie pour une pensée alternative radicale, post-développement, au modèle de développement international hégémonique, voire « décoloniale ». Ndushabandi et Rutazibwa soulignent par ailleurs que l’actuel président rwandais, Paul Kagamé, a créé le Fonds de développement Agaciro qui est non seulement un instrument de politique publique, mais aussi de communication entre les Rwandais-es et le reste du monde. Ndushabandi et Rutazibwa (2019) ont exploré les manières créatives par lesquelles, à travers Agaciro, le concept de dignité est recentré dans la pensée du développement et les pratiques sociales au Rwanda actuel.

Le concept d’agdal

‘Agdal’ est un terme d’origine tamazight, plus précisément d’une famille de langues amazigh/ berbères d’Afrique du Nord. Non seulement un outil agro-économique pour la gestion des ressources communautaires, l’agdal est un élément culturel autour duquel tourne tout un système de références sacramentelles, éthiques, esthétiques et d’autres symboles, qui fait de l’agdal le reflet fidèle d’une culture amazighe de montagne et l’élève en un fait social total (Dominguez et Martin 2019, 82).

Le concept de BuenVivir

Le BuenVivir en espagnol ou Sumak Kawsay en langue kichwa représente la vision des Premières nations, en particulier de Bolivie et d’Équateur, et propose une conception originale, décoloniale du monde actuel. Selon Paul Cliche (2017, 16), ce concept constitue « une vision intégrale de la vie, comprenant les communautés humaines et la nature, incluant les pratiques et les croyances et englobant tous les aspects, aussi bien matériels et physiques que symboliques et spirituels ». Cliche (ibid.) complète sa définition par une synthèse des quatre grands principes qui régissent cette vision :

  • Le premier est celui d’un BuenVivir pour l’ensemble de l’humanité et non pas seulement pour certains individus, bref une justice sociale profonde impliquant des rapports sociaux plus égalitaires, un accès équitable aux moyens de production et une redistribution plus juste de la richesse.
  • Le second est celui du respect de la nature, de la Terre-Mère (Pachamama), avec laquelle nous sommes en symbiose, ce qui exige qu’on veille non seulement sur l’accès et le contrôle des moyens de production et des richesses produites, mais aussi sur la façon que nous produisons cette richesse.
  • Rejoignant les deux premiers principes, le troisième est celui d’une économie au service de la société, ce qui suppose un renversement à maints égards de la situation actuelle où les sociétés sont bien souvent à la remorque de l’économie, de cette croissance accélérée par le marché desdites stratégies de réduction de la pauvreté.
  • Enfin, le dernier principe, qui les intègre tous, est celui de la recherche d’un équilibre entre tous les aspects de la vie, aussi bien les éléments matériels que symboliques, ce faisant intégrant les dimensions économiques, politiques, culturelles et écologiques.

L’intégration des deux voies

Dans un essai intitulé « Indigenous Ways of Knowing and Western Science: Including Traditional Knowledge in Post-Secondary Biology Courses » (2015), Lisa Sparkes et David Pierce proposent d’inclure les connaissances traditionnelles autochtones dans les cours de biologie postsecondaire. Pour ce faire, ils suggèrent de recourir à la « roue de médecine[5], un excellent outil comme cadre d’organisation pour l’inclusion des perspectives autochtones, en commençant dans la direction orientale avec Spirit (2015, 6). Pour introduire un sujet de manière inclusive, les unités d’apprentissage sont présentées en utilisant une perspective autochtone, avant d’expliquer le sujet en termes occidentaux. Ainsi, les connaissances autochtones locales sont intégrées de manière holistique et des mesures sont prises pour connecter les élèves au monde naturel (spirituellement, émotionnellement, physiquement et mentalement).

 

Pour conclure ce chapitre, je reprends à mon compte les propos d’Inazo Nitobe (2019 [1900], 33-102) qui a retenu les éléments suivants pour définir l’âme du Japon, à savoir la rectitude, la justice, le courage, l’esprit d’audace et la maîtrise de soi, la bienveillance et la compassion, la politesse, la vérité et la sincérité, l’honneur, le devoir de loyauté, le contrôle de soi. Ces règles de base dans la vie japonaise se retrouvent également dans les philosophies des Suds présentées ci-dessus et doivent nous servir de repères, afin de ne pas perdre notre âme, de nous ré-enculturer et, ainsi, de résister à l’acculturation, à l’occidentalisation.


  1. Shay, Suellen. 2015. « Decolonise more than just curriculum content – change the structure, too », The Conversation, le 13 juillet 2015. En ligne :  https://theconversation.com/decolonise-more-than-just-curriculum-content-change-the-structure-too-44480
  2. UCT CCWG (University of Cape Town - Curriculum Change Working Group) a ajouté une quatrième (que je considère comme une cinquième) catégorie – the coloniality of doing – (Juin 2018, 21) : « trouve son expression dans le mimétisme, où le sujet colonial répond à la mission civilisatrice en imitant l’oppresseur, même lorsque cela revient à nier la densité ontologique du soi » (traduction de l’auteur).
  3. Définition de la souveraineté intellectuelle dans la production et la reproduction du savoir : droit de penser, d’écrire, de théoriser, de communiquer et d’interpréter le monde d’où nous nous trouvons et ce, dans un nouvel humanisme et des écologies du savoir. Reconnaissance des différentes façons de savoir par lesquelles des peuples du monde entier donnent un sens à leur vie et donnent un sens au monde.
  4. Pour en savoir plus sur ce centre, visiter ce lien : http://www.dialogoglobal.com/barcelona/description.php
  5. Voir Annexes.

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