7 Solutions technologiques pour un système de surveillance sanitaire efficace des accidents de la route au Burkina Faso
E. Bonnet, A. Nikiema, Z. Traoré, S. Sidebega, V. Ridde
Contexte
Au début des années 2000, des systèmes de surveillance informatisés ont commencé à être développés pour collecter et transmettre des données sur les maladies infectieuses dans les pays à faible revenu en temps réel grâce aux technologies mobiles. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont été développées pour offrir des capacités informatiques et de communication sophistiquées dans des environnements éloignés (Ashar et al. 2010). Ces TIC ont permis le développement de systèmes de surveillance de la santé publique (German et al. 2001) pour enregistrer les événements de santé affectant les populations, dans le but ultime de soutenir le développement d’interventions sanitaires (German et al. 2001).
Ces systèmes de surveillance sont encore très rares en Afrique, notamment dans les pays à faibles revenus (Odero et al. 2007), malgré des besoins importants pour suivre et anticiper les nombreuses épidémies qui émergent dans les régions isolées et marginales. En utilisant les technologies mobiles à des fins de santé publique (mHealth), il est possible de collecter des données et de surveiller les phénomènes de santé dans le temps et l’espace (Cinnamon et Schuurman. 2010). Ces technologies reposent sur la disponibilité d’un réseau téléphonique de grande étendue et de plates-formes numériques qui permettent une mise en œuvre simple, rapide et accessible d’un système de surveillance sanitaire géoréférencé (Sacks et al. 2015).
Parmi les « épidémies » non infectieuses qui nécessitent également une surveillance, on trouve les accidents de la route (Nantulya et Reich 2002; WHO 2013), qui sont des événements sanitaires majeurs. Ils sont une des premières causes de mortalité et de morbidité dans le monde, et particulièrement dans les pays à faible revenu d’Afrique, où ils représentent la cinquième cause de mortalité (WHO 2015). Leurs conséquences ont des impacts sur la santé des populations, mais aussi sur les économies et les sociétés des pays. On estime que les coûts directs des traumatismes dus aux accidents de la route représentent 3% du produit national brut à l’échelle mondiale et jusqu’à 5% dans les pays à faible revenu (WHO 2013; WHO 2015).
Il est donc important que les traumatismes routiers fassent l’objet de stratégies pour alléger ce fardeau. Cependant, dans la plupart des pays africains, il est très difficile d’évaluer le nombre exact d’accidents de la route, les lieux où ils se produisent et leurs conséquences en termes de mortalité et de morbidité.
Le manque de données sur les traumatismes dans ces pays est reconnu et déploré depuis longtemps (Odero et al. 2007; Krug et al. 2000), mais peu de choses ont été faites pour remédier à cette situation. La Décennie d’action pour la sécurité routière des Nations Unies (WHO 2011) a suscité des actions dans de nombreuses régions, mais presque aucune en Afrique. Au Burkina Faso, la question des accidents et traumatismes de la route n’a pas été considérée comme prioritaire dans les stratégies de santé publique, principalement en raison du manque de ressources et de la profusion d’autres priorités nécessitant une attention particulière (Bonnet 2015a). Pourtant, le pays et particulièrement sa capitale, Ouagadougou, sont très affecté·e·s par ce fardeau. Les informations médiatiques sur les accidents mortels sont nombreuses et de plus en plus fréquentes (OSCO 2016). Des enquêtes occasionnelles ont été menées, mais il n’y a pas de système de surveillance continu pour fournir les preuves nécessaires sur lesquelles baser des actions ciblées qui pourraient réduire ces événements (Haddon 1972). La Police Nationale du Burkina Faso comptabilise le nombre de collisions sur la voie publique à partir des déclarations des agent·e·s sur les lieux. La Brigade Nationale des Sapeurs-Pompiers (BNSP) prend en charge la majorité (70%) des blessé·e·s des accidents de la route (Bonnet 2015a). Elle comptabilise le nombre de personnes traitées pour des blessures subies lors d’un accident de la route et produit des rapports annuels sur la mortalité et la morbidité. Cependant, les rapports de la police et de la BNSP ne coïncident jamais. Par exemple, à Ouagadougou, pour 2014, la BNSP a rapporté 7 818 accidents de la route et 152 décès, alors que la police a compté 13 173 accidents de la route et 145 décès. Dans les deux organisations, il existe des biais et des sous-déclarations en matière de collecte et de saisie des données qui expliquent, dans une certaine mesure, ces chiffres et la faible fiabilité des données.
Cette divergence entre les rapports de police et ceux d’autres services de secours et de traitement se produit souvent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire (Slesak et al. 2015). Bien que des solutions impliquant des méthodologies de capture-recapture (Abegaz et al. 2014; Samuel et al. 2012) puissent être appliquées aux bases de données de la police et des hôpitaux pour estimer le nombre de décès et de blessures, ces solutions présentent des limites importantes dans certains pays comme au Burkina Faso. Par exemple, ni la Police Nationale ni l’hôpital Yalgado Ouédraogo ne disposent de bases de données informatisées sur les accidents de la route et les blessures. Ainsi, il est nécessaire de développer des outils de signalement des accidents de la route et des traumatismes afin de produire des preuves pour mieux comprendre ce phénomène devenu un problème majeur. L’utilisation des technologies mobiles et des médias sociaux s’est déjà avérée efficace pour la surveillance de la santé publique (Mangam et al. 2016), bien que ce soit dans des pays à revenu intermédiaire, comme l’Afrique du Sud. Le défi dans les pays à faible revenu comme le Burkina Faso est de développer un outil facile à utiliser pour les agent·e·s, peu coûteux, efficace, durable et conçu de telle sorte que les connaissances produites soient destinées à la fois aux utilisat·rice·eur·s et aux décideur·e·s. L’objectif de ce chapitre est de présenter la méthodologie, la mise en œuvre et la qualité des résultats produits par un prototype de système de surveillance des accidents et traumatismes de la route mis en place en partenariat avec la Police Nationale dans la ville de Ouagadougou.
Méthodes
Contexte de l’étude
Le Burkina Faso, un pays enclavé de l’Afrique de l’Ouest, situé au sud du Sahel, est l’un des dix pays les moins développés du monde. Sa capitale, Ouagadougou, est une ville de deux millions d’habitants qui connaît une urbanisation rapide et des changements démographiques, sanitaires et sociaux importants. Sa croissance a été mal contrôlée et elle reste un conglomérat urbain très hétérogène, combinant un centre moderne avec des zones résidentielles denses et insalubres et des limites urbaines irrégulières.
Le système de surveillance a été déployé sur une période de six mois, de février à juillet 2015, dans toute la ville. Les sept unités de patrouille du service public d’intervention sur les accidents de la route de la police nationale de la région Centre ont collaboré avec l’équipe de recherche.
Outils de collecte de données
Cette étude est un prototype de système de surveillance épidémiologique et de suivi spatio-temporel des accidents de la route, développé à l’aide d’Ushahidi, un outil open-source qui applique le concept de crowdsourcing à la cartographie et aux informations géographiques. Ushahidi (« témoin » en swahili) utilise SwiftRiver, une plateforme gratuite à code source ouvert qui permet d’extraire des informations très rapidement, puis de les restituer après les avoir filtrées et vérifiées. Les sources comprennent une variété de canaux tels que Twitter, les SMS (short message service), le courrier électronique et tout type de données des réseaux sociaux.
Le système de surveillance des accidents de la route reposait sur l’utilisation de géotraceurs – des appareils GPS (système de positionnement global) dotés d’une puce téléphonique qui permet de transmettre la position par SMS. D’autres solutions de collecte de données auraient été possibles en utilisant des téléphones intelligents et une application dédiée à la capture de données, mais la police nationale avait décidé de ne pas utiliser ce système. L’administration, craignant que les téléphones intelligents ne soient perdus, a rejeté cette option.
Une application a été développée pour traiter les SMS des dispositifs GPS et les relier au système de cartographie Ushahidi. Celle-ci était activée par un officier de police sur le lieu de l’accident. Les données étaient envoyées en temps réel à la plateforme, qui analysait le contenu des SMS et extrayait les informations pertinentes (coordonnées géographiques) pour les intégrer dans l’interface Ushahidi sur la carte. La capacité de détecter et de supprimer les rapports en double d’un même accident ou d’une même collision avec un usager de la route vulnérable (piéton ou cycliste) a également été ajoutée. La plateforme était accessible par Internet pour la consultation et l’exportation des données (figure 1). Pour compléter les informations sur l’événement, les données concernant le sexe, l’âge, le(s) type(s) de véhicule(s), les blessures et les décès parmi les populations impliquées ont été collectées sur papier à partir des rapports rédigés par les agent·e·s. Ces données étaient saisies quotidiennement dans une base de données.
Les systèmes centraux fonctionnaient sur un serveur Linux alimenté par Ubuntu 12.04 LTS avec 4 GB de RAM, 2 CPU et 20 GB d’espace disque. Ce serveur principal faisait fonctionner toutes les applications (Ushahidi, système de base de données, système de gestion des SMS, filtrage des incidents/suppression de la duplication, interface web, etc.). Les données de la plate-forme (fichiers et bases de données) étaient synchronisées automatiquement à 2 heures du matin tous les jours sur un autre serveur de sauvegarde (qui avait les mêmes spécifications matérielles que le serveur maître). Avec cette architecture, il était possible de restaurer les sauvegardes en cas de difficultés et de basculer sur le serveur de secours en cas de panne pour minimiser les temps d’arrêt de la plate-forme.
Vingt-et-un agent·e·s de la police nationale ont été formé·e·s à l’utilisation et à la maintenance du géotraceur au cours d’une session de formation d’une journée. Des sessions de remise à niveau ont été organisées lors de visites mensuelles dans les commissariats de police. Pour assurer le fonctionnement continu des géotraceurs, des systèmes ont été installés pour qu’ils puissent être rechargés à partir des batteries des véhicules de police.
Analyse spatiale
La plateforme de surveillance a permis d’exporter les cas (accidents) géolocalisés et agrégés sur la carte vers le système d’information géographique (SIG) et d’autres logiciels statistiques. Les analyses spatiales (estimateur de densité à noyau) ont montré les concentrations d’accidents de la route dans la ville. L’analyse des données a été réalisée en utilisant ArcGIS 10.3 pour l’analyse spatiale.
Résultats
Faisabilité du système de surveillance : une plateforme parfaitement fonctionnelle
Le processus de collecte des données par les policiers à l’aide de géotraceurs a bien fonctionné. Les chercheur·euse·s ont pu valider la collecte de données sur les accidents en comparant le nombre d’entrées dans la plateforme avec le nombre de rapports remplis par les équipes d’intervention. Le protocole de mise en œuvre du système était basé sur une communication continue entre l’équipe de recherche et les postes en service de la police nationale. Cette coopération a permis de résoudre les problèmes, tels que les dysfonctionnements des géotraceurs ou les mauvaises manipulations, dès qu’ils se présentaient. Cependant, la mise en place des sept géotraceurs et la synchronisation de la collecte des données ont pris environ un mois. Des configurations supplémentaires de messages SMS ont été nécessaires, ainsi que des sessions de recyclage avec les agent·e·s concernant la manipulation et l’entretien du matériel. D’autres problèmes liés à l’équipement sont apparus vers la fin de la période de six mois. Plusieurs géotraceurs ont mal fonctionné, principalement en raison du manque de protection contre la chaleur des véhicules dans lesquels ils étaient installés.
Le tableau 1 présente le coût total du système de surveillance sur trois mois, sans compter les activités de recherche. La méthodologie et la mise en œuvre de ce système de surveillance simple se sont néanmoins avérées satisfaisantes et les résultats obtenus sur une période de trois mois pendant laquelle le processus a parfaitement fonctionné ont illustré la capacité de production de connaissances du système. Le système de diffusion des données d’accident par SMS a permis de valider le processus proposé, car il a pu être remplacé par un simple téléphone équipé de la géolocalisation. Au total, 873 lieux d’accidents ont été enregistrés pendant 3 mois. Le système était accessible sur Internet (figure 2) pour une consultation ouverte de la carte des lieux d’accident, avec un accès restreint aux données sur les emplacements précis et aux informations temporelles. Grâce à l’interface cartographique, il est possible de zoomer et d’observer la distribution géographique des accidents dans un quartier, et même, par exemple, dans une rue spécifique (figure 3). L’interface permet également de suivre les accidents sur une période définie afin d’évaluer les fluctuations et de réaliser des interprétations temporelles de la distribution des accidents (figure 4). Toutes les données acquises et intégrées dans la base de données ont pu être exportées, sans problème particulier de conversion, de la plateforme vers des logiciels d’analyse statistique ou spatiale. Les analyses statistiques descriptives ont révélé que les accidents étaient plus fréquents le soir et aux heures de pointe, ainsi que le week-end et le lundi. Ils se produisent principalement aux intersections avec feux de circulation. En ce qui concerne les impacts sur la santé, la moitié des blessé·e·s étaient âgé·e·s de moins de 29 ans et 6 personnes sont décédées. Le système était accessible par Internet partout dans la ville de Ouagadougou, y compris par internet mobile. Bien que les policièr·e·s n’aient pas utilisé cette fonction, les tests effectués par l’équipe de recherche ont montré la possibilité d’accéder au système de surveillance.
Qualité des données produites
Pour illustrer l’interopérabilité et la qualité du système, une carte des « points chauds » des accidents à Ouagadougou (Figure 5) a été créée en exportant les emplacements géographiques des accidents. Cette exportation vers les outils d’analyse, réalisée sans problème de conversion ou de nettoyage des données, a démontré la qualité des données produites et archivées par le système de surveillance. Cela a permis d’analyser les phénomènes sous différents angles, ce qui est essentiel pour la mise en place de mesures de prévention. Sans entrer dans les détails des futurs articles qui analyseront ces données plus en profondeur, nous soulignons ici la cartographie des « points chauds » qui a mis en évidence plusieurs concentrations d’accidents sur les routes pavées de la capitale. Deux principaux points chauds sont apparus dans le centre-ville : l’un au niveau du rond-point des Nations Unies (zone 1 de la figure 5), où convergent les principales artères de la ville, et l’autre au niveau du rond-point des cinéastes (2), autre convergence du centre vers les principaux grands axes de la capitale. Les concentrations les plus importantes ont ensuite été observées au rond-point de Tampuy (3), puis à l’avenue Yatenga (4), une zone de plus en plus densément habitée. Cette densification a entraîné le développement d’activités tout au long des routes, liées notamment à la présence de quartiers résidentiels non autorisés, comme celui de Bissighin (5). Deux autres concentrations d’accidents ont été observées au niveau du rond-point de la jonction (6) et du cercle (7). Là encore, elles correspondent à des points de convergence et de contournement des quartiers centraux, ou à des routes menant à de nouveaux pôles administratifs, comme le quartier Ouaga 2000 (8). L’analyse de ces derniers a montré des accidents sur les artères principales de la ville, dans les zones de convergence. Cependant, des concentrations importantes ont également été observées sur des routes récemment pavées qui ne sont pas encore équipées de dispositifs de modération du trafic ou autres, ni même de feux de circulation. De même, des points chauds ont été observés à proximité de feux de circulation mal respectés par les conducteurs.
Des cartes à l’échelle des districts d’intervention ont été produites pour les commissariats de police afin qu’ils puissent analyser leurs territoires et déployer des agent·e·s aux endroits les plus exposés aux accidents.
Discussion
Le poids des traumatismes routiers est important dans la plupart des pays à faible revenu, et le Burkina Faso ne fait pas exception. Des similitudes peuvent être observées avec d’autres pays, notamment en Asie, en termes de sous-déclaration des accidents et du nombre de victimes. Au Pakistan, par exemple, une enquête nationale a été menée pour prévenir cette sous-déclaration et évaluer l’augmentation des lésions traumatiques associées aux accidents de la route (Ghaffar et al. 2014). En Afrique, comme ailleurs dans les pays du Sud, la collecte systématique de données est essentielle pour évaluer la charge réelle des accidents de la route (Consunji et Hyder 2004; Adeloye et al. 2016). Le prototype de système de surveillance développé et testé en situation réelle pendant six mois à Ouagadougou a donné des résultats de qualité, non seulement d’un point de vue méthodologique, mais aussi en termes de faisabilité de mise en œuvre et de résultats obtenus. En effet, la cartographie des points chauds est venue compléter une enquête menée par les services d’urgence traumatologique de l’hôpital Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou.
Menée sur la même période, elle a permis d’obtenir des informations sur l’épidémiologie des traumatismes routiers. Elle a dénombré 1 867 victimes admises à l’hôpital principal et 47 décès. Parmi les blessé·e·s, 87% circulaient sur des véhicules à deux roues (bicyclettes ou motos). Plus de 50% des blessés étaient âgés de moins de 29 ans (Bonnet 2015a). Près de 45% des blessures étaient des traumatismes crâniens, et 26% des victimes présentaient encore un handicap 1 mois après l’événement. Enfin, le coût moyen de la prise en charge par patient·e était de 126 799 francs CFA (230 CAD) (Bonnet 2015a), soit près de quatre fois le salaire mensuel moyen au Burkina Faso. D’autres articles, plus analytiques sur les aspects épidémiologiques de cette étude sont en cours de rédaction. L’un des objectifs de cet article est de présenter tout d’abord une méthodologie et un processus de collecte de données innovants.
Ces différents systèmes de collecte de données sont des éléments distincts qui constituent les bases d’un système de surveillance des traumatismes. Ils pourraient facilement être mis en œuvre avec le soutien de tous ceux qui travaillent sur la sécurité routière au Burkina Faso. Les autorités responsables du transport, de la sécurité intérieure et de la santé ont récemment réagi positivement aux résultats présentés lors du premier Forum africain sur la sécurité routière (FASeR) (http://faser-afrosafe.org) en mai 2015 et lors de l’atelier de présentation des résultats de cette étude en novembre 2015 (http://www.equitesante.org/equiteburkina/axe-recherchetraumatisme/).
Un atelier de délibération mené avec tous les act·rice·eur·s de la sécurité routière a permis d’obtenir la collaboration de la communauté ainsi que des organisations gouvernementales et non gouvernementales pour surveiller, prévenir et réduire les accidents de la route au Burkina Faso. L’objectif est maintenant de développer un système de surveillance à l’échelle du territoire qui permettra de suivre les accidents, le traitement et le suivi des patient·e·s tout au long de leur processus de guérison. Il est impératif que les autorités s’engagent à mettre en œuvre ce système, car la hiérarchie de la police nationale est la clé pour le faire accepter par les agent·e·s sur le terrain. Cet engagement n’est pas évident au Burkina Faso, ni dans d’autres pays, où le contrôle et la prévention des lésions traumatiques ne sont pas une priorité pour les instances gouvernementales (Hyder et Razzak. 2013). Présenter et faire accepter la mise en œuvre de ce projet pilote a pris environ un an, car il a fallu persuader les agent·e·s d’ajouter une autre tâche à leurs activités quotidiennes. Il fallait le faire sans perturber leur routine et sans offrir de compensation ou de prime administrative, ce qui est la norme dans les pays dépendants de l’aide (Ridde 2010). Même s’il y a eu des moments où ils et elles étaient moins motivé·e·s pour utiliser et entretenir les géotraceurs, la communication continue entre l’équipe des aut·eur·rice·s et les agent·e·s de la police nationale a permis de surmonter les défaillances. La présentation des résultats lors de nos visites régulières aux unités de patrouille de la police nationale et lors de l’atelier de fin de projet a convaincu les agent·e·s et leurs supérieur·e·s de la valeur d’un tel système. Ceci démontre clairement l’importance d’un partage continu et transparent des résultats de recherche avec les décideurs, ce qui est encore trop rarement le cas en Afrique (Siron et al. 2015). Pour un déploiement à plus grande échelle, il sera donc important de prévoir d’importantes périodes de négociation avec les autorités. Ces négociations pour illustrer l’ampleur de la situation en matière d’accidents de la route et de traumatismes sont difficiles à mettre en œuvre (Bachani et al. 2012). Elles sont pourtant indispensables pour assurer la prise de commandes et valider l’implication des ministères de tutelle dans l’étude et son intervention. Cela est d’autant plus important aujourd’hui que, depuis l’élection de l’actuel président de la République en 2015, le ministère des Transports a étendu ses compétences au transport urbain et à la sécurité routière. Ces systèmes de surveillance et les technologies qui leur sont associées se sont révélés efficaces, simples et abordables. Dans un contexte où la culture du papier est importante, l’intégration de l’utilisation systématique de ces outils dans les pratiques de surveillance de la police est un défi. Les agent·e·s de la police nationale ont accepté d’utiliser ces nouveaux outils, et nous les avons invité·e·s à la présentation des résultats afin de les inclure dans le processus d’analyse et de solliciter leur avis sur la technologie et la manière dont elle pourrait être adaptée. Une proposition a émergé, le développement potentiel d’un outil de collecte de données qui utiliserait un téléphone intelligent avec une application dédiée, plutôt qu’un géotraceur, notamment parce qu’il serait alors possible de saisir dans le formulaire des éléments relatifs au rapport de l’agent et aux personnes impliquées. Ces données, théoriquement compilées dans le fichier BAAC (bulletin analyse des accidents corporels), pourraient être compilées directement dans la plateforme Ushahidi. De plus, l’utilisation des téléphones intelligents permettrait d’éviter les problèmes fonctionnels rencontrés avec l’utilisation des géotraceurs.
L’un des points positifs de cette expérience est le faible coût de ce système de surveillance. Les appareils permettant d’envoyer les données, qu’il s’agisse de géotraceurs ou de téléphones intelligents, sont abordables, aux alentours de 150 euros. De même, l’envoi de SMS n’est pas difficile. La plateforme a été développée à l’aide d’outils open source très efficaces. Les seuls coûts — de développement et de maintenance — ont été encourus au début du déploiement, mais ils ont été considérés comme faibles par rapport à la valeur d’un système de bonne qualité pour la surveillance des accidents de la route et de leurs conséquences sur la santé. Outre les téléphones intelligents équipés de GPS, d’autres éléments sont nécessaires pour déployer ces solutions technologiques, comme un serveur informatique distant qui assurera la continuité de l’acquisition des données et pourra faire face aux coupures de courant — fréquentes au Burkina Faso — et la formation des agent·e·s de santé et des enquêt·eur·rice·s à l’utilisation de l’outil de collecte des données afin de les sensibiliser au gain de temps, à la fiabilité et à la valeur des systèmes de surveillance. La mise en œuvre de systèmes de surveillance électronique favorisera la santé publique, et ces outils innovants apporteront des avantages non seulement au système de santé, mais aussi à toutes les parties impliquées dans le secteur de la sécurité routière. La contribution globale des dossiers médicaux électroniques a été largement démontré au niveau mondial, et son application dans le Sud devient tout aussi pertinente, comme le montre notre expérience à Ouagadougou (Kukafka et al. 2007). Si ce système de collecte de données devait être mis en place pour la Police Nationale et l’hôpital, des statistiques régulières et complètes pourraient être produites sans avoir recours à des méthodes d’estimation statistique. Cela permettrait notamment de capturer des données sur les victimes d’accidents qui se rendent d’elles-mêmes aux urgences sans attendre l’arrivée de la police sur le lieu de l’accident. Inversement, les personnes légèrement blessées qui se rendent dans des centres de santé pour y être soignées après l’intervention de la police pourraient également être saisies dans le système. Si de nombreuses études ont utilisé des méthodologies de capture-recapture pour estimer ces cas non signalés (Abegaz et al. 2014), toutes ont souligné la nécessité d’améliorer les systèmes de collecte de données (Bhatti et al. 2011) afin d’en améliorer la qualité (Bhatti et al. 2011), de minimiser les divergences dans le dénombrement des victimes. Les méthodologies d’estimation sont efficaces a posteriori pour évaluer la charge des accidents, mais elles sont imprécises et souvent loin d’être exactes. Seule une collecte synchronisée des données par toutes les parties concernées (police, pompièr·e·s et hôpitaux) peut produire des chiffres précis sur le nombre d’accidents, de décès et de blessures. La présente étude présente toutefois certaines limites. Il y avait une incertitude quant à l’exhaustivité des données. En fait, la collecte de données effectuée par la police nationale correspondait aux accidents pour lesquels elle était convoquée. Au Burkina Faso, les rapports de collision sont établis par la police et sont payants (3000 francs CFA = 4,6 euros); ces rapports sont nécessaires pour la couverture d’assurance lorsqu’il y a des dommages matériels. De même, la police nationale intervient systématiquement lorsqu’il y a des blessés dans un accident. Par conséquent, les collisions sans blessé·e·s graves ne sont pas comptabilisées, étant résolues de manière amiable par les parties impliquées. Les données recueillies dans cette étude ne tiennent pas compte non plus des personnes blessées qui se rendent d’elles-mêmes aux urgences. Dans l’étude menée par l’hôpital, 15 % des personnes blessées dans des accidents de la route (Bonnet 2015b) se sont rendues aux urgences par leurs propres moyens. Toutefois, ces limites de l’étude s’appliquent également à la collecte de données sur papier par les agent·e·s sur les lieux de l’accident, à laquelle s’ajoutent d’importants retards dans la saisie, des erreurs humaines et la perte occasionnelle des documents originaux. Ainsi, si ce système de surveillance présente certaines limites, celles-ci ne sont pas différentes de celles de la collecte de données sur papier utilisée couramment.
Conclusion
Cette étude pilote a démontré la faisabilité du développement de systèmes de surveillance. L’acceptation du système par les officièr·e·s de police et les autorités a été un résultat majeur de cette étude. Bien que cette acceptation n’ait pas pu être mesurée directement, le niveau d’utilisation des géotraceurs par les officièr·e·s sur les routes publiques a fourni une preuve indirecte. D’autres études ont montré l’adéquation de l’utilisation du téléphone mobile dans le Sud (Wagner 2016), mais aucune n’a encore exploré son utilisation à des fins de cartographie dans le contexte de l’analyse des accidents et des blessures de la route. Le principe de tout système de surveillance de la santé publique est de comprendre dans quelle mesure les problèmes de santé surviennent. Les objectifs de base sont les suivants : détecter les occurrences et leur distribution, surveiller les tendances à long terme et les causes de la maladie, et enfin, identifier les changements et les évolutions des pratiques (German et al. 2001). De ce point de vue, la plateforme testée est incomplète. Le défi est de permettre à ces systèmes de fonctionner de manière interactive avec d’autres systèmes d’enregistrement des soins de santé (actuellement basés sur des registres papier), ou de les développer avec les services d’urgence, ainsi que de les étendre à l’échelle nationale, car la charge des accidents de la route semble être plus importante en dehors des zones urbaines.
Quoi qu’il en soit, le système de surveillance des accidents de la route que nous avons créé est déjà pertinent en termes de sécurité routière, en amont des questions de santé. Par exemple, ce système a permis aux forces de police de Ouagadougou d’intensifier leur présence dans les « points chauds » et de s’engager dans des activités de contrôle et de dissuasion. Néanmoins, ce système n’est qu’une première étape avant de mettre en place un système de surveillance des traumatismes qui permettrait de suivre les accidents, les blessures traumatiques, et les conséquences à long terme pour les victimes. Il n’existe actuellement aucun programme de sécurité routière aussi complet en Afrique de l’Ouest, ni dans la plupart des pays à faible revenu. Il est essentiel que de tels systèmes soient mis en œuvre à grande échelle pour faire face à un phénomène qui devrait, dans le monde actuel, être considéré comme une priorité de santé publique non seulement en Afrique, mais dans tous les pays du Sud (Kukafka et al. 2007).
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Remerciements
Les auteur·rice·s remercient la Police Nationale de Ouagadougou. Ce projet de recherche s’inscrit dans le cadre du programme « Recherche et interventions communautaires pour l’équité en santé au Burkina Faso ». Nous remercions les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), qui ont financé le programme [Subvention no. ROH-115213]. VR est titulaire d’une Chaire de recherche en santé publique appliquée financée par les IRSC [Subvention n° CPP-137901].