10 Les enfants de moins de 15 ans face au risque d’accident de la route à Ouagadougou, Burkina Faso

M. Ouedraogo, E. Bonnet

Introduction

D’après un rapport de l’OMS (2015), 186 300 enfants (tout·e usagèr·e compris·e) meurent chaque année du fait d’accidents de la circulation, et les plus exposé·e·s au risque de décès vivent dans les pays à revenus faibles et intermédiaires (OMS, 2015). La région d’Afrique subsaharienne enregistre le plus d’accidents de la route chez les enfants par rapport aux autres régions du monde avec 35,2% de décès (Li et al. 2016). Dans les pays en développement, les enfants piéton·ne·s sont les plus vulnérables dans la circulation en raison de leurs attributs physiques et cognitifs (Cloutier et Apparicio, 2008). Plusieurs études (Peden et al. 2008; Pless et al. 1987; Sonkin et al. 2006) sur la population des enfants ont montré que la majorité des enfants sont victimes d’accidents de la route en tant que piéton·ne·s.

Le niveau de sécurité routière dans les villes en pleine croissance se dégrade avec une augmentation d’exposition au risque d’accident et de sources potentielles de conflits (Millot 2003). Contrairement aux villes européennes qui se sont développées dans un cadre réglementaire pour le desserrement du centre-ville, l’étalement des villes d’Afrique s’est fait dans le souci des populations pauvres de trouver un habitat en périphérie (Guézéré 2013). Cette tendance a allongé les distances à parcourir entre ces quartiers périphériques et les quartiers centraux qui abritent la majeure partie des activités formelles et informelles. Ces mouvements quotidiens entre la périphérie et le centre-ville augmentent l’exposition des usagèr·e·s vulnérables que sont les piéton·ne·s, les cyclistes, les deux-roues motorisés.

Au Burkina Faso, la capitale Ouagadougou a connu, et connaît toujours, une dynamique spatiale et démographique rapide. Elle est passée de 60 000 habitants dans les années 1960 à 710 000 en 1996, pour atteindre aujourd’hui près de 2 millions d’habitants. La ville s’étend aujourd’hui sur plus de 40 km d’est en ouest et du nord au sud. Les déplacements pendulaires entre la périphérie et le centre-ville sont très importants et génèrent un trafic dense au quotidien. Plusieurs modes de transport sont utilisés dans les mobilités des personnes à Ouagadougou. Cependant, la majeure partie (80%) des déplacements sont effectués avec les deux-roues motorisés. Les motos dites « chinoises » sont massivement importées depuis 2003 et accessibles à de nombreuses couches sociales (Nikiema et al. 2017). Ces mobilités, au travers des différents modes de circulation, représentent un risque d’accident de la route pour les usagèr·e·s vulnérables que sont les enfants. Les usagèr·e·s des deux-roues ne respectent pas le code de route et les pratiques de la circulation (Bonnet et al. 2015; Dolly 2013), le manque d’aménagement autour des écoles et la rue/route comme espace de jeu pour les enfants sont autant de facteurs d’exposition aux risques d’accident de la route pour les enfants (Licaj 2011).

Peu de travaux de recherche ont été réalisés sur les risques d’accident de la route chez les enfants en Afrique, et aucun au Burkina Faso. L’armature urbaine actuelle de la ville de Ouagadougou est formée de zones loties et de zones non loties en périphérie. Le terme « non loti » qui désigne les zones illégales, informelles, s’oppose à la zone lotie, légale, formelle, aménagée et viabilisée (Robineau 2014). Les quartiers non lotis sont habités par des ménages très pauvres, les habitats sont traditionnels avec des murs majoritairement construits en banco (Kobiané 2003).

Cet article a pour objectif de comprendre les déterminants géographiques (environnement urbain en particulier) des accidents de la route chez les enfants de moins de 15 ans dans leurs pratiques quotidiennes à Ouagadougou.

Cadre conceptuel

Le cadre conceptuel pour la réalisation de notre étude est basé sur celui de Cloutier et Apparicio, (2008), adapté au contexte des villes d’Afrique subsaharienne. Ainsi, la dimension du réseau routier, la dimension de la morphologie urbaine, la dimension socio-économique et celle du milieu scolaire ont été prises en compte dans l’analyse des facteurs de risque d’accident chez les enfants à Ouagadougou. Dans la littérature, les composantes liées à l’environnement des lieux de résidence des enfants (quartier formel ou quartier non formel) sur l’exposition aux risques d’accident de la route dans les villes d’Afrique subsaharienne n’existent pas à notre connaissance. Le présent cadre prendra en compte l’environnement du bâti (quartier loti et quartier non loti) dans lequel les enfants habitent et pratiquent leurs activités quotidiennes (jeux et aller-retour à l’école). L’hypothèse est que le risque d’être impliqué dans un accident de la route avec traumatismes chez les enfants est lié à l’environnement du lieu de résidence.

Pour ce faire, nous appréhendons cette problématique en combinant les quatre dimensions (cf. Figure 1) avec leurs différentes composantes qui sont autant de facteurs d’exposition au risque d’accident de la route chez les enfants en milieu urbain.

Premièrement, la dimension du réseau routier renvoie à la composante rue/route qui est souvent utilisée par les enfants comme espace de jeu (Elias et Shiftan 2014; Peden et al. 2008) et pour les allers-retours entre la maison et l’école. La seconde composante est celle de la densité du trafic sur les voiries des zones loties et celles des zones non loties.

Deuxièmement, la dimension de la morphologie urbaine est relative à la caractéristique morphologique de l’espace urbain entre quartiers lotis et non lotis comme des espaces différenciés aux risques d’exposition d’accident chez les enfants. La zone lotie est caractérisée par la hiérarchie du réseau routier, l’aspect géométrique des quartiers, les infrastructures de base comme l’électricité, l’eau à l’intérieur des cours ou au niveau des bornes-fontaines, des îlots d’habitation aux contours nettement marqués. Par contre dans la zone non lotie généralement en périphérie de la ville, les quartiers sont sans organisation spatiale interne, manquent d’infrastructures et seules des portions de routes peuvent être repérées au sein d’un réseau de pistes important et inorganisé (Fournet et al. 2008). Cette disparité socio-spatiale entre la zone non lotie et la zone lotie peut être considérée comme un facteur de risque d’accident de la route chez les enfants dans leurs activités quotidiennes. Selon Godillon et Vallée (2015), les caractéristiques des quartiers de résidence influencent les inégalités devant le risque d’être impliqué dans un accident de la route. Ainsi, une plus grande mixité fonctionnelle et une plus forte densité sont associées à un accroissement de l’exposition au trafic, la pratique de la marche et des jeux chez les enfants.

Troisièmement, la dimension socio-économique renvoie à la défavorisation des ménages liés aux habitudes de déplacements des enfants vers les écoles qu’ils et elles fréquentent. Le choix des modes de déplacement des enfants dépend souvent de la situation économique des parents. Les enfants vivants dans des ménages qui possèdent un véhicule ont une faible probabilité de se rendre à pied ou à vélo à l’école (Lewis & Torres, 2010). Selon l’OMS, les conditions socio-économiques des parents influencent l’exposition au risque d’accident des enfants dans leurs déplacements quotidiens (OMS, 2008).

Quatrièmement, la dimension du milieu scolaire prend en compte la clôture (le mur construit fermé avec des entrées) de l’école et les aménagements réalisés à proximité des écoles afin de réduire l’exposition au risque d’accident de la route. Les panneaux de signalisation, les ralentisseurs de vitesse, les barrières de sécurité aux abords des écoles et la création de zones 30 sont autant d’éléments qui peuvent contribuer à la réduction des accidents de la route chez les enfants.

Figure 1. Schéma du cadre conceptuel. Source : Adapté de Cloutier et Apparicio, 2008.

Méthodologie

Cette recherche dans la capitale burkinabè concerne l’exposition des enfants face aux risques d’accidents de la route dans le cadre d’un mode de déplacement majoritairement associé aux deux-roues motorisés. Nous avons mené une étude dans les écoles primaires de la ville de Ouagadougou entre avril et mai 2017 (Cf. carte 1).

L’approche mobilisée est un devis de recherche mixte de type concomitant quantitatif et qualitatif (Pluye, 2012). Ce type de devis triangule les résultats de deux modes de collectes pour approfondir les connaissances.

Pour la collecte quantitative, les données recueillies reposent sur un questionnaire administré auprès des enfants dans les différentes écoles. Le questionnaire était constitué de différentes sections relatives aux caractéristiques sociodémographiques des enfants, les catégories socio-professionnelles de leurs parents, les zones d’habitation, les habitudes de déplacement vers l’école, les informations sur les accidenté·e·s et les jeux dans la rue. Les écoles retenues pour l’enquête ont été sélectionnées de façon aléatoire, stratifiées par arrondissement. La base de données des écoles qui a servi à la sélection fait partie des données à référence spatiale de la plateforme d’information géographique du Burkina Faso (PiGéO)[1]. Les coordonnées géographiques de chaque école sont accompagnées du nom de l’école, des contacts, du statut (public ou privé), des informations sur le personnel, du matériel scolaire et de la présence de toilettes. Au total, 9 écoles privées ont été sélectionnées, dont trois d’obédience religieuse (une catholique et deux protestantes). Les trois autres écoles sont publiques.

Cette enquête a fait l’objet d’une demande d’autorisation auprès de la direction régionale du centre, du ministère de l’Éducation nationale et de l’alphabétisation afin d’obtenir l’adhésion des différents responsables des écoles sélectionnées. Nous avons sélectionné 45 élèves par école soit une population d’étude théorique de 540 élèves.

La population d’étude

La population d’étude était composée des élèves de moins de 15 ans des classes des cours élémentaires de première année (CE1) et de deuxième année (CE2), et des cours moyens de première année (CM1) et de deuxième année (CM2). Nous avons sélectionné au hasard 45 élèves par école, soit entre 10 à 15 élèves par classes. Au niveau de deux écoles privées (complexe scolaire les Joyeux Enfants du Burkina et l’école primaire Rehoboth), compte tenu de l’absence de certain·e·s élèves liée aux difficultés financières des parents à pouvoir honorer la scolarité, l’effectif prévu des enquêté·e·s (45) par école n’a pas pu totalement être atteint.

Tableau 1. Liste des écoles par arrondissement, leurs statuts et les élèves enquêtés.
Carte 1. Localisation des écoles enquêtées à Ouagadougou. Source : PIGéO, 2015.

Processus de collecte

L’enquête s’est déroulée dans la cour de chaque école à partir de rendez-vous préalablement fixés avec la direction des écoles. Les élèves ont été interrogé·e·s de façon individuelle à l’aide du questionnaire. Chaque élève sélectionné·e sortait de la classe à tour de rôle pour répondre aux différentes questions. Chaque question a été lue à haute voix, laissant à l’élève tout le temps de répondre avant de passer à la question suivante. Concernant les données d’observation sur le terrain, elles reposent sur la technique d’observation directe à base d’une grille d’étude sur les différents types d’aménagements réalisés autour des écoles. L’observation a porté sur la présence de ralentisseurs pour réduire la vitesse des usagèr·e·s motorisé·e·s, les panneaux de signalisation (par exemple les zones 30), la construction de clôture pour les écoles et les barrières de protection devant les écoles.

L’analyse des données

Les données collectées ont été saisies sur le logiciel de traitement et d’analyse de données Le Sphinx. Une vérification de la saisie a été effectuée pour éviter les erreurs et les pertes d’informations. L’exportation des données a permis de faire des analyses avec le logiciel XLSTAT. Des analyses descriptives ont été réalisées. Le test de khi2 a permis de valider les corrélations entre les accidenté·e·s et les caractéristiques sociodémographiques (âge sexe, profession du père et de la mère) et socio-territoriales (zones d’habitation, espace de jeu, habitude de déplacement et mode d’accompagnement).

Résultats

Les caractéristiques sociodémographiques des enfants impliqué·e·s dans les accidents de la route

Les enfants impliqué·e·s dans les accidents de la route sont davantage les garçons (32%) que les filles (25%). Parmi l’ensemble des enfants impliqué·e·s, la proportion des enfants ayant l’âge de 12 ans (39%) et de 8 ans (34%) est relativement supérieure. Au-delà de 8 ans, cette proportion diminue (24% pour les 9 ans et 13% pour les 10 ans) et augmente à nouveau (33% pour les 11 ans) jusqu’à 12 ans, avant de baisser (32% pour les 13 ans et 24% pour les 14 ans) (Tableau 2). S’agissant de la profession des parents, les pères salariés (41%) et les pères qui ne travaillent pas (33%) ont plus d’enfants impliqué·e·s dans les accidents de la route. Les enfants de père commerçant/commerçant ambulant (23%) et de père employé/ouvrier (23%) sont relativement moins impliqué·e·s.

Au niveau des mères, ce sont les élèves/étudiantes (33%) et les salariées (31%) qui ont le plus d’enfants impliqué·e·s dans les accidents. Notons que les ménagères et les commerçantes/commerçantes ambulantes ont des enfants impliqués dans les mêmes proportions (29%). Toutefois, il n’y a pas eu de différence significative au test de khi2 entre l’implication des enfants dans les accidents de la route et leurs caractéristiques sociodémographiques (l’âge, le sexe et la profession des parents), en raison du faible effectif de certaines classes d’âge.

Tableau 2. Les enfants impliqués dans un accident selon les caractéristiques sociodémographiques. Source : Résultats d’enquête, 2017.

La zone lotie de Ouagadougou : espace à risque d’accident de la route chez les enfants

Il existe une différence d’implication des enfants dans les accidents de la route selon la zone d’habitation. Les enfants résidant dans les zones loties (36%) sont davantage impliqué·e·s dans les accidents de la route que les enfants (18%) des zones non loties avec une différence très significative au test de khi2 (Tableau 3). S’agissant des enfants impliqué·e·s selon leur espace préféré de jeu, ils et elles le sont plus pour les enfants qui préfèrent jouer dans la rue devant la cour d’habitation (31%) et pour les enfants qui font le choix de jouer à l’intérieur de la cour d’habitation (30%). Les enfants impliqué·e·s qui préfèrent jouer sur un terrain vacant, et des espaces nommés autres, ils et elles le sont moins dans des proportions équilibrées (avec des taux respectifs de 24% et 23%). Parmi l’ensemble des impliqué·e·s, les enfants qui ont pour habitude de déplacement le vélo (30%) et la marche (29%) vers les écoles sont les plus impliqué·e·s par rapport à ceux qui voyagent dans une voiture (27%) et sur une moto (20%) avec les parents sans différence significative au khi2. Enfin, par rapport aux différents modes d’accompagnement sur le chemin de l’école, les enfants qui y vont en groupe avec des frères ou des sœurs ou avec les ami·e·s de classe sont les plus impliqué·e·s. Les enfants qui s’y rendent seul·e·s (27%), sont plus impliqué·e·s que les enfants qui sont accompagnés (24%) par les parents.

Tableau 3. Les enfants impliqué·e·s dans les accidents de route selon la zone d’habitation, les espaces de jeu, les habitudes de déplacement et les modes d’accompagnement. Source : Résultats d’enquête, 2017.

Au regard des zones d’habitation et selon les espaces de jeu préférés, les enfants résidant dans les zones loties pratiquent leurs jeux dans des espaces qui les exposent le plus au risque d’accident par rapport aux enfants des zones non loties. Dans la zone lotie, il y a plus d’enfants (35%) qui préfèrent jouer dans la rue (nommé·e·s « six mètres ») que dans les zones non loties (9%).

Sur les terrains vacants sans clôture, plus d’enfants (21%) dans les zones loties font le choix de pratiquer leurs jeux que les enfants (18%) des zones non loties. Enfin, lorsqu’on tient compte des enfants qui préfèrent jouer dans la cour d’habitation, ils et elles le sont plus dans les zones non loties (62%) que dans les zones loties (41%).

Tableau 4. Zone d’habitation selon les lieux préférés de jeu des enfants. Le test de khi2 est très significatif avec p<0,0001. Source : Résultats d’enquête, 2017.

Les traumatismes des enfants impliqué·e·s dans les accidents

Les enfants sont victimes d’accident de la route avec différents traumatismes. Près de 28% des enfants enquêté·e·s affirment qu’ils ou elles ont déjà été impliqué·e·s dans un accident de la route dans leurs activités quotidiennes (Tableau 5).

Tableau 5. Nombre d’enfants impliqué·e·s dans les accidents. Source : Résultats d’enquête, 2017.

Parmi les enfants impliqué·e·s (Tableau 6), 70% ont été blessé·e·s et les 30% restant ont affirmé avoir été impliqué·e·s sans avoir eu de blessure. Les blessures sont le plus localisées sur les membres inférieurs (49%) et sur les membres supérieurs (35%) (Tableau 6). Les blessures au niveau de la tête représentent 16%. Pour les victimes blessées, 43% ont été hospitalisées lors de la prise en charge (Tableau 6).

Tableau 6. Localisation des blessures corporelles et les enfants hospitalisé·e·s. Source : Résultats d’enquête, 2017.

Un environnement urbain à risque routier pour les enfants

À partir des résultats obtenus, plusieurs interprétations soulignent que l’environnement urbain de la ville de Ouagadougou joue un rôle important dans l’exposition au risque d’accident de la route chez les enfants entre la zone lotie et la périphérie. Le bâti est organisé autour des rues structurées de façon orthogonale. Les abords des grandes voies et de certaines rues sont occupé·e·s de façon illégale par les commerces. S’ajoute à l’occupation de la voirie, la densité du trafic par les usagers de deux-roues motorisés. Tous ces éléments contribuent à exposer les enfants dans leurs activités quotidiennes puisqu’ils et elles ne disposent pas d’espaces protégés pour se déplacer et jouer.

Dans ces zones loties, les enfants qui habitent les célibatorium[2] ont des difficultés à trouver un espace de jeu dans la cour. Ce sont donc les rues et les espaces vacants qui deviennent des lieux récréatifs pour les enfants. Cependant, ces espaces vacants ne sont pas fermés et servent aussi de raccourci pour les usagers des deux-roues. Les enfants ne sont donc jamais protégés dans la zone non lotie (tableau 4). La configuration des quartiers favorise le jeu dans la rue des espaces lotis et dans les cours des espaces non lotis.

L’environnement urbain des zones loties est très dense dans les quartiers centraux (anciennement lotis) et de densité moyenne pour les zones nouvellement loties (en dehors de leurs cours). Les deux images suivantes (images 1 et 2) illustrent des enfants qui occupent les rues et les espaces vacants pour pratiquer les jeux.

Photo 1. Jeu des enfants dans une rue. Prise de vue : M. Ouedraogo, 2017.
Photo 2. Jeu des enfants dans un espace vacant traversé par les usagèr·e·s de deux-roues motorisés. Prise de vue : M. Ouedraogo, 2017.

Concernant les zones non loties, ce sont des zones illégalement occupées, avec pour corolaire l’absence de voirie structurée. La structuration du réseau routier (forme sinueuse) ne permet pas aux usagèr·e·s des deux-roues motorisés de rouler à grande vitesse (photo 3). Contrairement aux zones loties, les enfants occupent moins les voies comme espace de jeu (tableau 3). En plus, les espaces vacants sont quasi inexistants dans les zones non loties pour être occupées comme espace de jeu par les enfants.

L’environnement bâti expose donc moins les enfants dans les accidents de la route. Par ailleurs, ces enfants s’exposent moins puisqu’ils restent en majorité (tableau 2) dans la cour pour leurs jeux.

Photo 3. Étroitesse des rues d’une zone non lotie. Prise de vue : M. Ouedraogo, 2017.

Les alentours des écoles parfois non protégés

Les différentes visites dans les écoles ont permis d’observer les aménagements autour des écoles destinées à réduire le risque d’implication des enfants dans les accidents de la route. Parmi les douze écoles enquêtées, la moitié (six écoles) était sans clôture de protection. C’est le lieu de passage des usagèr·e·s de deux roues motorisées et des tricycles.

La photo 4 présente un usager de tricycle qui traverse une des écoles (Waog Taaba) de l’arrondissement 12. Pour la totalité des écoles enquêtées, aucun ralentisseur construit, ni des panneaux de signalisation ne sont présents pour alerter les usagers des deux-roues motorisés de la présence d’une école. Les écoles à proximité des grands axes (routes principales) n’ont pas de brigadièr·e pour aider les enfants lors de la traversée. Les enfants sans accompagnant·e sont laissé·e·s à elles et eux-mêmes lors de la traversée des grands axes. Souvent, ils et elles traversent en groupe, les plus âgé·e·s tenant les plus petit·e·s par la main.

Photo 4. Un usager de tricycle traversant une école sans clôture. Prise de vue : M. Ouedraogo, 2017.

Discussion

L’étude a révélé une différence d’exposition au risque d’accident associée à l’environnement urbain des zones d’habitation à Ouagadougou. Le risque d’être impliqué·e dans un accident de la route chez les enfants dans une zone lotie est plus élevé qu’en zone non lotie. Cela peut s’expliquer par une forte densité de population et une présence élevée des deux-roues motorisés qui convergent quotidiennement vers les quartiers centraux (zones loties) des villes, source de collision avec les enfants.

Selon Roberts et al. (1995), dans une étude réalisée en Inde, ils et elles confirment que le risque d’accident de la route avec blessure chez les enfants piéton·ne·s était fortement lié à la densité du trafic. Une autre explication, toujours associée au trafic, correspond aux stratégies de contournement des embouteillages employées par les usagèr·e·s des deux-roues motorisés. Lors des congestions, des flux importants de deux-roues utilisent des ruelles secondaires pour se diriger et pratiquent des vitesses élevées dans les espaces lotis où les enfants jouent ou marchent en rentrant de l’école.

Un autre facteur d’exposition est relatif à l’absence de trottoirs praticables par les piéton·ne·s. L’étalement urbain de Ouagadougou s’accompagne d’un faible réseau de voies bitumées (Nikiema et al. 2017), et d’une absence de trottoir dans les quartiers d’habitation et des écoles. En zone lotie, quand les trottoirs existent, ils sont généralement occupés par des marchands informels et empêchent leur utilisation, les piéton·ne·s ont donc l’obligation de marcher sur la route principale et renforcent ainsi leur exposition.

Dans la littérature (FIA 2016; Elias et Shiftan 2014; Haddak et al. 2011; Licaj 2011), on observe que les enfants résidant dans des familles défavorisées apparaissent comme les plus exposé·e·s aux accidents de la route, et sont plus susceptibles d’avoir des blessures graves. Nos résultats révèlent le contraire, les zones non loties en périphérie de la ville, où vivent les familles défavorisées présentent moins d’enfants victimes d’accident de la route. L’étroitesse et l’absence de voiries structurées dans ces zones n’offrent pas assez d’espace aux enfants pour pratiquer des jeux dans les rues qui pourraient les exposer aux usagèr·e·s motorisé·e·s. Dans ces quartiers, on observe également des vitesses plus faibles (Nikiema et al. 2017), qui peuvent expliquer une plus faible occurrence d’accidents.

L’un des problèmes est aussi le manque d’espaces récréatifs pour les enfants, spécifique aux villes du Sud des pays à faible revenu. Ce manque d’espaces de jeu sûrs induit les enfants à jouer dans les rues (Peden et al. 2008) y compris près de leurs maisons (Elias et Shiftan 2014). L’enjeu dépasse ici la seule question de sécurité routière, mais une question plus globale relative à la planification urbaine qui devrait intégrer la création de ces espaces sécurisés (Peden et al. 2008). On remarque cependant que très souvent, « les démarches de grands projets urbains ignorent les problèmes de sécurité » (Fleury et al., 2010) quels que soient les pays.

D’autres stratégies de protection des enfants sont proposées dans les pays développés pour réduire l’exposition au risque d’accident de la route chez les enfants, par la mise à disposition de bus scolaires et le concept de « walking bus »[3] (Peden et al. 2008). Au Burkina Faso, ce principe intéressant serait à mettre en oeuvre puisque la majeure partie des enfants prennent le chemin de l’école à pied et sans accompagnant·e, suivi de celles et ceux qui utilisent le vélo. Ils et elles sont confronté·e·s à toutes sortes de risques (agression, les chiens en divagation), mais surtout le risque d’être impliqué·e dans un accident de la route. Selon Peden et al. (2008), le manque de surveillance des enfants par les parents est l’un des facteurs importants d’exposition au risque d’accident de la route. Ainsi, il est important d’identifier les facteurs de risque sur le chemin de l’école, car le voyage scolaire fait partie des activités quotidiennes des enfants (Tetali et al. 2016). Dans les pays développés, les enfants accompagné·e·s à l’école par des voitures sont moins exposé·e·s au risque d’accident par rapport aux enfants piéton·ne·s et cyclistes (Roberts et al. 1995; Sonkin et al. 2006). Au Burkina Faso, cette situation est minoritaire, car l’utilisation des deux-roues motorisés domine dans la circulation, seules les familles aisées possèdent des voitures et déposent leurs enfants à l’école. Des politiques en matière de prévention de sécurité routière chez les enfants sont nécessaires en tenant compte du contexte particulier des pays sahéliens.

Conclusion

Les résultats révèlent que la sécurité routière des enfants est liée à l’environnement urbain des lieux de résidence et que les garçons sont davantage impliqués dans les accidents de la route que les filles. Les enfants résidant dans les zones loties sont plus impliqué·e·s dans les accidents que ceux vivant dans les zones non loties. En effet, les enfants résidant dans les zones loties occupent plus les rues et les espaces vacants pour la pratique de leurs jeux, ceci les expose donc davantage aux véhicules motorisés par rapport aux enfants des zones non loties. Les résultats soulignent également que les enfants qui pratiquent la marche et le vélo pour les déplacements quotidiens sont majoritairement touchés par les accidents.

La principale limite de cette étude est qu’elle ne couvre qu’un échantillon réduit d’écoles à Ouagadougou. Bien que représentatives des espaces urbains lotis et non lotis, elles ne peuvent refléter toute la diversité des quartiers de la ville. L’exposition au risque d’accident dans les villes du Sud est une problématique majeure, peu prise en compte par les États fragiles comme celui du Burkina Faso. Il est nécessaire de développer des preuves scientifiques qui permettront d’appuyer les autorités locales à trouver les moyens de protection des enfants et de prévention des accidents les impliquant. La mise en oeuvre de recherches interventionnelles de réduction de l’exposition des enfants au risque d’accident est indispensable pour cette région du monde.

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Ce chapitre est une traduction d’un article publié en anglais et remanié/réduit pour cet ouvrage : « Children under 15 years old of road risk in Ouagadougou (Burkina Faso) ». Revue francophone sur la santé et les territoires. DOI : https://doi.org/10.4000/rfst.827

  1. Libération des données géographiques à Ouagadougou- Burkina Faso : exemple de la plateforme d’informations géographiques de Ouagadougou (PIGO) », Networks and Communication Studies, NETCOM, 2013, vol. 27, http://netcom.revues.org/1350 Développement.
  2. Bâtiment à plusieurs logements : construit d’un niveau formé de plusieurs logements séparés (INSD, 2009).
  3. Des bénévoles adultes accompagnent des groupes d’enfants qui marchent le long d’itinéraires sûrs en portant des vestes ostensibles, peut-être fluorescentes.

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