14 Sécurité routière au Burkina Faso : l’indispensable formation des jeunes

A. Nikiema, A. Zougouri, E. Bonnet

Introduction : l’état de la question

En 2020, la décennie mondiale pour la sécurité routière portée par l’OMS s’achevait. Elle laissait alors entrevoir un bilan en demi-teinte (Bonnet et al., 2020), marqué par peu d’avancées pour les pays à faibles revenus[1]. Les accidents de la route font toujours partie des dix principales causes de mortalité des pays en développement alors qu’ils en sont absents dans les pays développés[2]. Cette cause de mortalité s’inscrit plus globalement dans la part croissante des maladies non transmissibles des pays du Sud (Duthé et al. nd; Rossier, 2019). Les Nations Unies ont donc réaffirmé la nécessité de poursuivre les actions en proposant une nouvelle Décennie d’action pour la sécurité routière 2021-2030 intégrée à l’agenda 2030 des Objectifs pour le développement durable (ODD). L’objectif 3.6 est de réduire de 50% le nombre de tués et de blessés sur les routes d’ici 2030[3].

À l’échelle du Burkina Faso, cette première décennie a été l’occasion d’affermir une législation déjà existante mais qu’il convenait également d’adapter aux nouvelles réalités du transport. Les piliers de la sécurité routière définis par l’OMS ont ainsi bénéficié de textes instituant le port de la ceinture de sécurité obligatoire (2013), le permis de conduire obligatoire pour les deux-roues motorisés (2018), s’ajoutant ainsi aux textes existants sur le port du casque pour les conducteurs de deux-roues motorisés et leur passager (2005[4]) ou la limitation de vitesse à 50 km/h (2005). Cette même décennie voyait se multiplier les instances dédiées à la sécurité routière. Ainsi, en juillet 2011 les membres du Conseil national de la sécurité routière (CNSR) étaient installés[5]. À l’échelle de la capitale les actions dans le domaine s’inscrivaient dans le Programme conjoint de renforcement de la sécurité urbaine (PCRSU) qui instituait en novembre 2012 la première édition de la semaine de prévention de l’insécurité. De ce programme communal, financé par le PNUD (Nikiema, 2021), sont nés les Volontaires communaux de sécurité routière (VCSR) transformés en 2013 en Volontaires adjoints de sécurité (VADS) et désormais sous contrat étatique. En 2012 naissait également la Fédération pour la promotion des associations en sécurité routière (FAPSER[6]). Ces actions avaient été précédées, en septembre 2011, par la création des sections accidents dans chacun des cinq commissariats d’arrondissement découpant la capitale, afin de faciliter l’intervention de la Police nationale en charge d’établir les constats lors d’accidents de la circulation. Cependant, malgré ces réalisations, les impacts sont restés peu visibles (Sanon, nd). On ne constate qu’aucun des textes précédemment cités n’ont été appliqués. Le Burkina Faso dispose donc de tout l’arsenal législatif sur la sécurité routière sans qu’il soit mis en œuvre.

En effet, le profil de ces structures intervenant dans la sécurité routière pose plus globalement la question de la territorialisation de la sécurité qui se lit à différentes échelles[7] (Wyvekens, 2012). La sécurité routière prend un caractère local à Ouagadougou, où les structures nationales (Police nationale, Brigade nationale des sapeurs-pompiers) produisent des statistiques à l’échelle de la ville, destinées à alimenter des bases de données gérées à l’échelle nationale. Cette ambivalence pourrait expliquer la difficile action des structures d’envergure étatique à des échelles locales. A ceci s’ajoute l’incivisme, issu en partie du délitement de l’autorité de l’État, qui se traduit par une forme de violence routière et une hausse de la mortalité sur les voies urbaines. La répression policière est insuffisante pour agir sur le phénomène et il apparaît de plus en plus évident qu’il faut, à l’image des pays du nord, instituer une éducation routière dès le plus jeune âge. La réforme curriculaire[8] de l’éducation de base, établie depuis 2013 au Burkina Faso, englobe désormais l’enseignement de la sécurité routière[9]. Or, il n’existe pas de supports adaptés à cet enseignement, ni de formations adéquates à destination du corps enseignant.

C’est dans ce contexte que le projet Fonds national de la recherche et de l’innovation pour le développement (FONRID)[10] « changer les comportements en circulation routière : une intervention auprès des élèves de la ville de Ouagadougou » a été mis en place. La démarche de ce projet s’est appuyée sur le questionnement suivant : quels sont les déterminants sur lesquels s’appuyer pour contribuer à améliorer la sécurité des élèves lors de leurs déplacements scolaires? Il s’agissait, ainsi, de décrire le niveau de connaissances des jeunes sur la circulation routière afin de comprendre les déterminants de leur insécurité sur la route et intervenir auprès de cette population à risque. Les constats et les acquis de l’intervention sont présentés en trois points. Le premier évoque la place des jeunes dans les statistiques sur l’accidentologie routière à l’échelle nationale et de la capitale. Après avoir décrit les grands axes du projet dans un deuxième point, les perceptions et connaissances sur la sécurité routière du point de vue des élèves au primaire puis au secondaire sont présentées dans une troisième section.

Les jeunes, une classe d’âge peu visible dans les statistiques d’accidentologie burkinabè et pourtant…

Les observations à l’échelle mondiale réalisées depuis 2000 indiquent que les traumatismes de la route représentent une cause importante d’invalidité et de décès : le nombre d’accidents de la route a fortement augmenté dans la Région africaine (Marquez et Farrington, 2013; OMS, 2020[11]). Parmi les faits les plus récents publiés par l’OMS en matière de sécurité routière : les accidents de la route entraînent environ 1,3 million de décès par an et sont la première cause de décès chez les 15 à 29 ans (Road safety, 2020[12]; OMS, 2021[13]). Les études s’accordent à dire que les jeunes populations (enfants et adolescent·e·s) sont parmi les plus vulnérables sur les routes. « Globally, around 186 300 children under 18 years die from road traffic crashes annually, and road traffic injuries are the leading killer of children aged 15-17 years worldwide » (OMS, 2015[14]). Ce phénomène serait trois fois plus élevé dans les pays à moyen et faible revenu. Une revue de la littérature sur le sujet indiquait que « every hour of every day, forty adolescents die as a result of road traffic crashes » (Kohli et al., 2013). L’OMS[15] et les Nations Unies[16] confirment, à travers le plan d’intervention pour la décennie 2021-2030, l’intérêt porté au rôle des accidents de la route sur la mortalité des enfants et des adolescent·e·s dans la lutte contre l’insécurité routière.

Cependant, les données fournies par l’OMS ne portent un regard qu’à l’échelle nationale. Les systèmes d’information sanitaire en Afrique ne facilitent pas le recueil de statistiques détaillées, aux échelles plus locales, pour permettre d’observer les tendances et les inégalités (OMS, 2021[17]) notamment en matière de sécurité routière (Bonnet et al., 2020). Cette collecte est d’autant plus complexe que l’objet du décompte varie selon la définition que l’on en fait : « les experts du transport parlent d’accidents de la circulation pendant que les experts en sécurité routière et en santé évoquent les traumatismes issus de la circulation routière » (Bonnet, 2015). En 2022, au Burkina Faso, il n’existe toujours pas l’organe administratif qui synthétise les données sur la sécurité routière. Les informations sont produites par des structures dont la fonction diverge. La police nationale collecte des informations sur les dégâts, matériels comme humains, dans une démarche de constat à destination des assurances. La brigade des sap·eur·euse·s-pompièr·e·s recense l’appui aux victimes d’accidents de la route et leur évacuation vers les hôpitaux qui, eux, comptabilisent le nombre de traumatisé·e·s pris·es en charge.

Pourtant, l’enjeu est capital d’un point de vue de santé publique. En effet, selon l’annuaire statistique du ministère de la Santé, les traumatismes par accident de la voie publique sont le 10ème motif de mise en observation dans les formations sanitaires de base en 2020 et la 6ème cause de décès au Burkina Faso, à l’image des pays d’Afrique sub-saharienne (Bhalla et al., 2014). Ainsi, 6161 personnes ont été mises en observation dans les formations sanitaires et 95 499 ont été enregistrées dans les services de consultation externes. Par ailleurs, les moins de 15 ans représentaient 20,2% des personnes admises en consultation externe. Compte tenu du support de collecte dans les établissements sanitaires, il n’existe pas de statistiques précises par âge, ni par sexe pour les moins de 15 ans.

À l’échelle de la région Centre[18], où se trouve Ouagadougou, 18 495 personnes ont consulté, dans une structure de soins de cette unité administrative, pour une blessure liée à un accident routier. Ce nombre contraste avec ceux de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers (BNSP) dont les statistiques sont valorisées chaque année par la Direction de l’observatoire de la ville (DOV) de Ouagadougou. En 2020, la BNSP a pris en charge 7 820 victimes[19] afin de les acheminer pour l’essentiel vers les CHU Yalgaldo, CHU Bogodogo et CHU pédiatrique. Les statistiques de la BNSP sont présentées par grands groupes d’âge. Ainsi, la classe d’âge 5-14 ans forme 4,5% des individus évacués par les sap·eur·euse·s-pompièr·e·s. Enfin, la 3ème source d’information relative aux accidents et accidenté·e·s est constituée par la Police nationale. Cependant la Police ne se déplace qu’à la demande des personnes impliquées puisqu’il n’existe pas de constat à l’amiable au Burkina Faso. Les autorités policières collectent les informations nécessaires pour les suites à donner : soit une prise en charge par les assurances, soit une suite judiciaire. Ainsi, des statistiques policières indiquent que 2 401 accidents auraient fait 5 216 victimes en 2020. Le profil par âge n’est pas précisé dans le rapport annuel. La disparité des données confirme ce qui a été observé dans d’autres pays d’Afrique sub-saharienne, des rapports basés sur les registres peuvent sous-estimer le poids des accidents de la route (Adeloye et al., 2016). Ceci est particulièrement vrai dans la capitale où le temps de prise en charge par la BNSP peut être très long. Deux études réalisées en 2015 (Bonnet et al., 2015) et 2021 (Guiard-Schmid et al., 2021) montrent que ce temps est passé de 51 minutes à 1h24. Ceci conduit à une évacuation des blessé·e·s par l’entourage de la victime qui n’apparaît pas dans les statistiques de prise en charge. De même lorsque les personnes impliquées ne sont pas assurées et en cas de dommages légers, le règlement se fait à l’amiable sans le recours à une autorité. Il y a donc d’importantes différences entre les sources statistiques selon l’enjeu des interventions, mais également avec la réalité de l’accidentologie. Ce phénomène est similaire pour ce qui concerne la mortalité routière. Les chiffres du ministère de la Santé ne sont disponibles qu’à l’échelle nationale. En 2020, 99 personnes étaient décédées dans un établissement de soins suite à un accident de la route au Burkina Faso. Ce chiffre paraît sous-évalué comme en attestent les données disponibles à l’échelle de la capitale puisque la BNSP avait répertorié 100 personnes décédées lorsque la police nationale en recensait 214 au cours de la même année.

Les statistiques du Ministère de la santé à l’échelle nationale et celles de la BNSP à l’échelle communale laissent difficilement voir l’implication des jeunes populations dans le risque routier. Alors qu’elle ne forme pas une part importante des usagèr·e·s de la route, Ouedraogo et Bonnet (2019) montrent pourtant que les moins de 15 ans constituent une population à risque. Les espaces où les enfants sont les plus exposés sont les rues qui sont aussi les aires de jeu pour les plus petit·e·s dans les quartiers lotis. Le chemin de l’école représente un autre danger pour les élèves qui se déplacent seul·e·s (dans la majorité des cas), l’accompagnement par les adultes ou le déplacement en groupe étant deux facteurs de réduction du risque pour les jeunes usagèr·e·s de la route. Et les évènements du quotidien rappellent combien la route de l’école peut être dangereuse, comme en témoignent deux accidents mortels d’élèves au mois de mai 2019[20] occasionnés par les camions sources d’une grande émotion à l’échelle publique. Le maire interpellé par la Coalition des élèves et étudiants du Faso (CONEFF) déclarait sur la page Facebook de la mairie de Ouagadougou : « on a pris toute la mesure et on a pris les dispositions pour qu’aller à l’école ne soit pas un danger pour nos enfants »[21].

Le projet de changer les comportements en circulation routière des élèves de Ouagadougou

Au Burkina Faso, en 2022, il est donc difficile de disposer de données exhaustives sur l’accidentologie routière des jeunes. Ce phénomène est observé également dans les pays développés. Selon Soltani et al. (2022) de plus en plus de recherches indiquent que la surveillance des blessures dans les transports, basée uniquement sur le signalement des collisions par la police, sous-représente les blessures subies par les groupes vulnérables. Par ailleurs, les rapports des sections accidents des commissariats de la capitale et les études menées sur les traumatismes de la route à Ouagadougou en 2015 et en 2021 (Bonnet et al.) montrent un risque routier croissant en milieu urbain.

Malgré une législation en conformité avec les recommandations de l’OMS, les autorités burkinabè peinent à faire adopter les bonnes pratiques. Les autorités policières, avec les Volontaires adjoints de sécurité (VADS) (Nikiema, 2021) tentent de dissuader ou de réprimander aux feux tricolores ou aux croisements de la capitale, mais elles ont des difficultés à agir face à un étalement urbain qui entraine des mobilités croissantes et la multiplication des usagèr·e·s vulnérables. Par ailleurs, il existe un incivisme grandissant en circulation mis à nu par une autorité peu présente sur le terrain et peu respectée.

Une recommandation UEMOA de 2009 proposait d’intégrer l’éducation à la sécurité routière dans les systèmes éducatifs des Etats membres, mais elle a été suivie de peu d’effets. On sait pourtant, à l’image des expériences dans les pays à bas revenus asiatiques que la formation dès le plus jeune âge a des effets sur les comportements en circulation à l’âge adulte. Certains pays ont fait le choix d’une éducation à la sécurité routière comme en Thaïlande[22], pour une mobilité plus sûre sur le trajet de l’école. Au Vietnam, depuis 2008, le ministère de l’éducation a publié des directives afin de renforcer l’éducation à la sécurité routière dans les établissements d’enseignement (UN, 2018).

Les insuffisances de l’éducation à la sécurité routière auprès des jeunes, observées à l’échelle nationale burkinabè sont de deux ordres :

  • les formations sont disparates, ponctuelles et dispensées en fonction de la bonne volonté des chef·fe·s d’établissements,
  • il n’existe pas, à notre connaissance, de travaux scientifiques évaluant les connaissances, attitudes et pratiques montrant la nécessité d’éduquer les jeunes à la sécurité routière.

C’est dans ce contexte que le projet « Changer les comportements en circulation routière : une intervention auprès des élèves de la ville de Ouagadougou » a été financé par le Fonds national de la recherche et de l’innovation pour le développement (FONRID) au Burkina Faso, pour la période 2020-2023. L’objectif final était ainsi de faire prendre conscience aux jeunes des risques encourus sur les axes de circulation en ne respectant pas les règles élémentaires de sécurité et des enjeux sanitaires et économiques encourus par elles et eux et leur famille. Les modalités pratiques de la mise en œuvre de l’intervention ont reposé sur le principe d’une recherche action, pensée avec les cherch·eur·euse·s[23], les organisations de la société civile (des associations spécialisées dans la sécurité routière) et les populations cibles.

L’intervention reposait sur trois étapes essentielles dont le but était de mettre en évidence les facteurs et leviers nécessaires aux changements de comportement en circulation. L’étape 1 a recueilli les connaissances des jeunes sur les règles de circulation et les attitudes et perceptions des élèves (primaire, post-primaire et secondaire) en circulation via un questionnaire. Les raisons du non-respect des règles (incivisme, intolérance, etc) ont été explorées. Cette étape était une base indispensable puisque l’analyse des discours des élèves et des méconnaissances devait être le support des interventions et le moyen d’évaluer l’efficacité de l’intervention à l’issue du projet.

L’étape 2 a consisté en la mise en place de l’intervention/formation aux règles de circulation dans des établissements scolaires pendant les cours d’éducation civique ou pendant les heures d’étude. Elle s’est déroulée tout au long de l’année scolaire 2021-2022 dans différents niveaux de classe (CM1, 4ème, 1ère). Enfin, l’étape 3 devait concerner l’évaluation des acquis au terme de l’intervention auprès des mêmes élèves. Des recommandations ont été proposées sur la base des résultats afin de généraliser ces enseignements.

L’étude s’est déroulée dans la capitale, Ouagadougou, une ville peuplée de 2 453 496 habitant·e·s au dernier recensement de la population de 2019 (INSD, 2020). Les établissements collaborant au projet ont été tirés au sort dans la base de données sur l’offre scolaire disponible via le projet ASPENO mené par l’IRD en collaboration avec l’INSS/CNSRT et l’ISSP. Ce sont ainsi 170 élèves de CM1, de deux établissements en primaire, et 868 élèves des classes de 4ème et 1ère, de 3 établissements en secondaire, qui ont participé.

Au primaire, l’association partenaire est intervenue chaque semaine pendant 30 minutes lors du cours consacré à l’éducation civique et en présence de l’enseignant·e responsable de la classe. L’apprentissage s’est appuyé sur l’enseignement de différentes notions : les règles de sécurité routière (port du casque, le non usage du téléphone en circulation etc.), la signalisation routière (feux tricolore, panneaux stop, sens interdit etc.) et la pratique de la route et le risque associé (passage piétons et comment traverser une route). Cette initiation a eu pour enjeu de sensibiliser l’enfant à l’existence de règles à respecter dans l’espace routier. L’incivisme observé en circulation (Nikiema et al., 2021) laisse supposer que la connaissance des interdits et des obligations sont faibles dans l’espace social que représente la voirie urbaine. L’enseignement de la signalisation est une initiation au langage symbolique du code de la route (Granié, 2004). Mais l’enseignement visait également la prise de conscience de l’insécurité liée à la route.

Au secondaire, l’association n’est pas intervenue pendant les cours, comme au primaire. Les chef·fe·s d’établissements ont proposé des heures creuses pendant ou en fin de journée. L’intervention a nécessité la participation des responsables de la vie scolaire, afin de mobiliser les élèves, l’identification d’une salle équipée permettant de les accueillir. Ceci reposait donc sur l’implication des chefs d’établissement. L’enseignement était proposé 1h par semaine.

Des résultats révélateurs de la nécessité de mettre en œuvre l’apprentissage en milieu scolaire

L’enseignement des règles de sécurité routière au primaire, la première étape indispensable à l’acquisition des bons réflexes en circulation routière

Le mode de déplacement pour se rendre à l’école : une source de risque

L’offre éducative au primaire dans la province du Kadiogo, dont une grande partie est occupée par le territoire de la commune urbaine de Ouagadougou, était de 2039 établissements, dont 25% dépendant·e·s du secteur public au cours de l’année scolaire 2020/2021 (MENAPLN, 2021). Les politiques mises en œuvre ont favorisé la multiplication des écoles, parmi lesquelles « à chaque village, une école » pendant la période révolutionnaire sankariste (1983-87), ou « l’éducation pour tous en 2000 » à la suite du discours de Jomtien (Pilon, 2004). Les années 1990, avec les Programmes d’ajustement structurel (PAS), sont marquées par une diminution constante de la part du secteur public. La politique de communalisation intégrale qui confie, dès 2004, la responsabilité aux communes de « la prise en charge du développement de l’enseignement primaire dans le territoire communal : construction ou acquisition et gestion des écoles primaires » (CGCT, 2004, p.18) contribue à la diminution des investissements publics, faute d’un budget adéquat. En 2015, une étude portant sur la distribution spatiale de l’offre éducative et son évolution dans le temps à Ouagadougou constatait le phénomène de recul du secteur public (ASPENO, 2021). Selon les statistiques ministérielles, au cours de l’année scolaire 2014/2015, à l’échelle de la province du Kadiogo, les établissements publics représentaient 30,9% de l’ensemble de l’offre. Le rythme de croissance entre secteur public et privé est donc différencié.

Or, la mobilité des enfants scolarisé·e·s au primaire varie selon le profil de l’école et le niveau de vie des parents comme en témoignent les observations réalisées dans les deux établissements d’étude. L’origine géographique des élèves de CM1 à l’école publique Samandin A, créée en 1959, est issue du quartier d’implantation, du même nom, soient 82,9%. L’école privée laïque Le petit monde, ouverte en 2002, présente un autre recrutement géographique. Les élèves sont originaires de 29 quartiers différents[24] parmi lesquels les deux principaux, Kalgondin (quartier d’implantation) et Karpala, ne représentent que 20% du recrutement chacun (figure 1).

Figure 1 : Origine des élèves scolarisés dans les établissements Samandin A et Le petit monde. Source : Projet FONRID, 2022.

La distance des élèves avec leur établissement scolaire est l’un des facteurs justifiant le mode de déplacement adopté. Ainsi, à Samandin, 84,3% se rendent à pied à l’école. Pourtant, Ouedraogo et Bonnet (2021) indiquent que les enfants qui se rendent à l’école à vélo et par la marche sont les plus impliqué·e·s dans les accidents de la route. La vulnérabilité des enfants est accrue par leur petite taille, leur comportement imprévisible et leur mauvaise appréciation des risques[25]. À l’école Le petit monde, au contraire, 82% des élèves déclarent venir en voiture et 12% en moto. L’éloignement impose d’accompagner les enfants, mais le niveau économique des familles explique sans doute la part importante de l’automobile. Comme le constataient déjà, à Ouagadougou, Diaz Olvera et al. (1998, p.103) puis Boyer et al. (2016, p.56), la « hiérarchie modale » est avant tout une « hiérarchie sociale ». Ces observations montrent donc qu’il existe des inégalités sociales et territoriales en termes de mobilité et de ce fait, d’exposition au risque routier (Haddak et al., 2011; Ouedraogo et Bonnet, 2021). Ces différences dans le mode de déplacement sont le reflet du taux d’équipement des ménages et leur capacité financière à acquérir un moyen motorisé.

En raison de leurs pratiques de mobilité quotidienne les jeunes enfants se trouvent donc dans des situations à risques, particulièrement lorsque leurs déplacements se font de façon autonome. L’inattention des piéton·ne·s de moins de 13 ans est la première cause de leur mortalité. Une étude menée par DEKRA[26] en 2019 en France indiquait que les enfants n’ont pas la même conscience du danger que les adultes ce qui les exposent au risque sur la route, particulièrement celles et ceux qui font le chemin de l’école à pied ou à vélo. Parmi les 170 élèves de notre étude, 2 enfants sur 10 (21,2% précisément) déclaraient avoir été victimes d’un accident au cours de l’année scolaire. Ce risque est d’autant plus accru que l’acquisition de l’autonomie s’acquiert très tôt pour les jeunes Ouagalais·es. En effet, en moyenne, les enfants interrogé·e·s au primaire déclarent avoir roulé seul sur la route à vélo dès 7 ans[27]. Si, selon Prezza et al. (2001), le déplacement à pied pour se rendre à l’école constitue un apprentissage de l’espace public urbain, cet apprentissage doit, toutefois, se faire par la répétition de l’expérience avec l’accompagnement d’adultes référent·e·s (Godillon et Cloutier, 2018). La mobilité supervisée serait facilitée par la perception de risques routiers élevés de la part des parents (ibidem). Celle-ci n’existe pourtant pas pour notre échantillon. Toutefois une étude a montré que les adultes profitent rarement de la traversée de la route pour donner des instructions orales à leur enfant (Grenn et al., 2008).

L’apprentissage des règles de circulation et l’acquisition des connaissances sur les contextes favorables aux accidents sont donc nécessaires au Burkina Faso. D’autant que l’encadrement pédagogique de l’enfant à l’école primaire permet de développer des réflexes sécuritaires. « Un enfant est tout à fait capable d’apprendre très tôt à maîtriser des notions indispensables à son déplacement »[28].

Les règles de circulation : des connaissances longues à acquérir

La conviction qu’ont les enfants de connaître les règles de sécurité routière s’élève à 87,6% parmi les élèves enquêté·e·s. Elle est rapidement remise en cause lorsqu’on les interroge sur la législation relative au port du casque par exemple : seulement 31,2% savent que le casque est obligatoire pour le conducteur ou la conductrice d’un deux-roues motorisé et son passager ou sa passagère. La signalisation verticale n’est pas davantage acquise : 14,1% des élèves disent connaître le panneau « cédez le passage », 39,4% le panneau « ralentisseur », 32,9% le « panneau sens interdit ». Leurs connaissances restent donc parcellaires et on peut supposer qu’elles sont influencées par l’environnement quotidien de déplacement des enfants qui ne leurs permet pas d’être confrontés à une signalisation routière abondante.

Les connaissances ont été acquises auprès des parents pour 58,8% d’entre eux. Or, tous les élèves se déplaçant par leurs propres moyens (vélo ou à pied) ne sont jamais accompagnés d’un adulte. Il n’y a pas de réel apprentissage des bonnes pratiques en situation concrète. Pourtant, le rôle des parents est considéré primordial en sécurité routière[29]. Ainsi, des travaux indiquent que la conduite des parents inspire les enfants qui sont plus sensibles à leurs recommandations qu’une autre source (Godillon et Cloutier, 2018). « Les comportements parentaux servent de base aux constructions de règles chez l’enfant » (Granié, 2018, p.14). Ce phénomène a été également observé parmi les élèves concerné·e·s par notre intervention. En effet, au terme de la formation, il leur a été proposé de dessiner ce qui, selon eux, était la cause des accidents. Les facteurs de risques classiques ont été représentés comme le non-respect du feu tricolore (58,8%) et l’utilisation du téléphone en circulation (11,7%). Mais un facteur comportemental non abordé par les formateurs a fait l’objet de nombreux dessins : la consommation d’alcool (figure 2). Ainsi, 31% des élèves de l’école Le petit monde ont évoqué cette cause parfois seule, parfois associée au non-respect de la signalisation. À l’école Samandin A, seul un élève a abordé ce sujet.

Figure 2 : Dessins d’élèves de CM1 sur la consommation d’alcool cause d’accidents de la route. Source : Projet FONRID 2022.

Ceci met en évidence l’influence exercée par l’entourage familiale sur la perception des jeunes enfants concernant les risques routiers. Il n’existe pas d’études à ce sujet à l’échelle du Burkina Faso, mais les travaux menés ailleurs montrent que « les règles de sécurité que l’enfant construit sont basées plus souvent sur le discours ou le comportement parental que sur les apports de l’éducation scolaire » (Granié, 2004, p.11). « La cellule familiale joue un rôle prépondérant en matière d’éducation et de comportement routier des enfants dès le plus jeune âge »[30]. Mais il faut pour cela qu’il existe une action éducative volontaire sur la sécurité routière de la part des parents, ce qui n’est pas connu au Burkina Faso.

L’acquisition des connaissances relatives aux règles de circulation est nécessaire. Cependant, elle ne peut se faire dans un laps de temps court comme en attestent les résultats issus de l’évaluation réalisée au terme de la formation auprès des élèves participant au projet. La part des connaissances a évolué de façon positive mais elle révèle également l’indispensable formation continue. En effet, selon l’évaluation finale 60% des élèves savent que le port du casque est obligatoire pour le conducteur ou la conductrice et 51,2% pour le passager ou la passagère. Le panneau relatif au ralentisseur est reconnu par 50,3% des élèves et 43,1% le sens interdit. Les travaux réalisés dans les pays du Nord enseignent qu’une « culture de la prévention des accidents de la route devient un élément fondamental de l’éducation tout court » (Flory, 2002). Elle passe par l’école notamment. « Road safety education should start as early as the age of 4-5 and needs to be continued through primary and secondary school » (Dragutinovic et Twisk, 2006, p.3). En outre, les résultats, bien que montrant des acquis, suggèrent que l’adoption d’un comportement prudent dépend de la crainte de la sanction, de la stigmatisation par des personnes importantes (comme les parents ou les ami·e·s) des comportements non conformes, tout ceci reposant sur l’influence relative de la sensibilisation et de la prévention (Assailly, 2016). L’apprentissage par les jeunes enfants est d’autant plus complexe qu’ils et elles « ne se contentent pas de reproduire les messages visuels ou oraux transmis par ses parents ou par l’école » (Granié, 2004). Ils et elles construisent leur « propre représentation de la sécurité routière à partir de la confrontation des systèmes de valeurs de leurs différents milieux de vie » (ibidem). Ceci explique sans doute les résultats différentiels entre les acquis à l’école Le petit monde, établissement privé où sont inscrits des enfants de familles aisées et l’école Samandin A, construite dans un quartier populaire. En effet, les acquis apparaissent différents concernant le port du casque, 54,9% des élèves du Petit monde ont enregistré l’obligation pour le conducteur contre 50,5% à Samandin. Les différences se creusent concernant le passager ou la passagère respectivement 68,1% et 50,7% et encore davantage pour ce qui concerne le panneau signalant un ralentisseur, 68,1% pour le premier établissement et 27,5% pour le second. La connaissance du danger, issue des constructions basées sur les discours du milieu de vie, oriente le comportement de déplacement de l’enfant (Granié et Assailly, 2005). Il a été démontré que la prévention et l’intervention pour ce groupe vulnérable doivent être mises en avant notamment par l’éducation à la sécurité routière. (Chayphong et Iamtrakul, 2022).

Des comportements révélateurs des changements sociétaux et de la nécessité d’adapter les outils d’apprentissage au secondaire

Une autonomie sur la route acquise depuis longtemps mais pas source d’un moindre risque d’accident

Une étude menée auprès de jeunes adolescent·e·s en France précisait que « le début de la mobilité piétonne autonome dans l’enfance est l’une des transformations les plus importantes en termes d’exposition au risque que l’individu ait à affronter au cours de sa vie » (Granié et al., 2016). L’étude constatait trois phénomènes : l’augmentation de la morbidité des collégien·ne·s comparativement aux lycéen·ne·s sur la route du collège, l’augmentation des déplacements motorisés accompagnés et de ce fait un recul de l’âge de l’autonomie des jeunes d’où un risque accru. À Ouagadougou, cette autonomie est acquise depuis longtemps puisqu’en moyenne, les 868 collégien·ne·s et lycéen·ne·s déclarent avoir commencé à circuler, de façon occasionnelle, sur la route à vélo dès 7 ans ½ et à moto à 13 ans.

Comme au primaire, les modes de locomotion des élèves reflètent l’inscription sociale et spatiale des inégalités (figure 4).

Figure 3 : Mode de déplacement des élèves de 4ème et 1ère à Ouagadougou. Source : Projet FONRID, 2021.

Les moyens de déplacement privilégiés au collège public (mixte de Gounghin) et privé laïc (Tanghin) sont le vélo et la marche. Au lycée, le nombre d’élèves marchant pour aller à l’école diminue au profit du vélo et de la moto. La logique du recrutement scolaire est dépendante d’une offre éducative de moins en moins abondante du post-primaire au secondaire et d’un point de vue géographique du centre vers la périphérie. Selon l’atlas scolaire de Ouagadougou (ASPENO), en 2015, 954 écoles accueillaient les élèves au primaire contre 392 au secondaire. Par ailleurs, l’aire de recrutement varie selon le statut de l’établissement. Au Lycée mixte de Gounghin, l’origine géographique des élèves est très diversifiée et étendue. Dépendant de l’État, il recrute des élèves qui n’ont souvent pas d’autres choix de lieu d’étude pour des raisons financières. Leur mobilité repose sur des moyens peu coûteux (la marche, le vélo), une situation discriminante (Boyer et al., 2016) observée également au lycée privé laïc de Tanghin qui recrutent d’abord dans son secteur d’implantation.

Le lycée Notre-Dame de l’espérance recrute lui aussi dans son secteur d’implantation, toutefois, la réputation de l’établissement impacte l’aire d’attraction. Ainsi, cet établissement catholique dirigé par des sœurs attire les élèves de quartiers parfois très éloignés (figure 5). L’aire d’attraction, le niveau économique mais également les critères de sélection des responsables d’établissement expliquent le profil différent, comparativement aux deux autres lycées, des modes de déplacement des élèves du lycée Notre dame de l’Espérance. Ce profil est marqué par deux caractéristiques. La première est la diminution de l’implication des parents dans la mobilité des élèves. Ils et elles accompagnent moins leurs enfants au lycée qu’au collège. Ainsi, en classe de 4ème 56,2% des élèves déclarent venir seul·e·s, ils et elles sont 68,7% en classe de 1ère. Ces chiffres restent toutefois bien inférieurs aux deux autres établissements où 95,3% des élèves de 4ème viennent seul·e·s et 97,8% en classe de 1ère. La seconde caractéristique est relative à l’utilisation de moyens de transport onéreux (tant dans l’achat que l’utilisation quotidienne), la moto et la voiture (accompagné par un parent) pour le collège et la moto pour le lycée. En effet, au passage du brevet en fin de 3ème, il est de plus en plus fréquent de voir les parents offrir un deux-roues motorisé à leur enfant. L’importation massive de modèles très variés de ce moyen de transport a permis sa « démocratisation » (Khan Mohammad, 2016). Le nombre croissant de nouvelles immatriculations observable dans les rapports annuels du ministère des transports en témoigne. Les contextes socio-territoriaux jouent donc certainement un rôle dans le type de véhicule utilisé pour se déplacer mais également sur la disponibilité des parents à accompagner leurs enfants.

Figure 4 : Origine des élèves scolarisés dans 3 établissements secondaires.

La mobilité individuelle est privilégiée face à des transports en commun inexistants dans la capitale du Burkina Faso (Boyer et Delaunay, 2017). Par ailleurs, malgré des premières expériences précoces sur des engins motorisés, l’âge légal pour le déplacement à moto semble relativement respecté. En classe de 4ème, parmi les 132 élèves se rendant à l’école à moto, seuls 62 conduisent seul·e·s dont 7 n’ont pas encore l’âge requis fixé à 14 ans pour les engins de moins de 125 cm3 selon la loi n°005-2018/AN portant fixation des règles du permis de conduire[31]. Les élèves sont donc fortement dépendant·e·s des modes de transport doux et, dans une moindre mesure, de l’accompagnement motorisé. Ceci se manifeste de façon différenciée selon le type d’établissement, ce qui a déjà été observé ailleurs (Granié et al., 2016).

L’éloignement entre le lieu de résidence et l’établissement scolaire peut constituer un facteur aggravant l’exposition au risque d’accident. Le taux d’accident déclaré par les élèves est en moyenne de 22%, quel que soit la classe. Toutefois ce taux varie à l’échelle des établissements et selon le mode de déplacement. En effet, parmi les élèves déclarant un accident au cours de l’année, 66% sont scolarisé·e·s au lycée Notre dame de l’espérance. Si à l’échelle globale 55,7% des accidents ont concerné des déplacements en moto, il apparaît surtout que l’éloignement constitue un facteur de risque, auquel il faut ajouter une contrainte supplémentaire le caractère potentiellement accidentogène du quartier d’origine des élèves, et, de fait, des axes de circulation empruntés (tableau 1).

Tableau 1 : Taux d’accidents déclarés selon le moyen de déplacement et l’établissement. Source : Projet FONRID, 2021
Mode déplacement Lycée mixte de Gounghin Lycée Notre dame de l’Espérance Lycée Péniel Tanghin Tambila
à moto 31,3 67,2 35,3
à pied 15,6 3,9 41,2
à vélo 53,1 19,5 20,6
en voiture  0 9,4 2,9
Moyenne 16,5 66,0 17,5

Au Lycée Notre dame de l’Espérance, les quartiers d’origine des élèves comme Tampouy, Kamboinsé et Kilwin sont particulièrement concernés. Les travaux menés sur l’accidentologie routière à Ouagadougou par Bonnet et al. en 2015 et 2021 montrent l’importance de l’insécurité routière dans cette partie du territoire urbain. Les aménagements favorisent la survenue d’accidents : larges voies bitumées, encombrement important voire empiètement des activités commerciales informelles sur la voirie, faible présence d’équipements (ralentisseurs, chicanes, etc) permettant de réduire les facteurs de risques comme la vitesse. Ces larges voies très empruntées constituent également un risque pour les piéton·ne·s qui souhaitent traverser d’où les caractéristiques observées au lycée Péniel de Tanghin. Au final, si les variables socio-économiques n’interviennent pas directement sur l’accident on peut avancer l’hypothèse d’un lien dépendant du moyen de transport utilisé, de la distance à parcourir, du type de voie empruntée et des recommandations potentielles des parents en termes de sécurité.

La méconnaissance des règles de circulation, pas un obstacle à la mobilité motorisée pour les élèves du secondaire

Une revue de la littérature réalisée par Granié et al. (2016) montre que l’entrée au collège correspond à une période de changement de pratiques en termes de mobilité et une disposition à la transgression des règles qui peut amener certain·e·s adolescent·e·s à prendre davantage de risques. « Adolescents overestimate their abilities and pay inadequate attention to their performance as pedestrians compared with younger children and adults » (Tolmie et al., 2006, p. 50). Ce manque d’attention conduit à un comportement dangereux (Charbit, 1997; Masten, 2004).

Dans un autre écrit, Granié évoquait la norme sociale (2004, p. 14) :

Cette norme n’est pas basée sur la réalité des faits, mais sur certaines représentations, véhiculées par les groupes sociaux. C’est cette norme que l’enfant observe quotidiennement dans le véhicule au travers du comportement de ses parents et c’est sur cette norme que l’enfant va construire ses propres règles de conduite.

À Ouagadougou, les jeunes enfants et les adolescent·e·s sont quotidiennement confronté·e·s au non-respect des règles de circulation, notamment concernant le port du casque. En effet, des travaux montrent que seulement 7,1% des usagèr·e·s de deux-roues motorisés portent le casque lors de leurs déplacements dans la capitale et 2,6% à Bobo-Dioulasso (Nikiema et Bonnet, 2021). Ce comportement institué comme une norme sociale est également observable parmi les jeunes adolescent·e·s utilisant ce mode de déplacement pour se rendre au collège ou au lycée. Ainsi, parmi les élèves interrogés à Ouagadougou, seulement 20,5% déclarent toujours porter le casque en circulation, ce pourcentage descend à 10,9% pour les élèves interrogés à Bobo-Dioulasso lors d’une campagne réalisée par l’association Caracasque en 2022. Plusieurs travaux universitaires viennent étayer les motifs de ces comportements inadaptés : le casque gêne en circulation, il tient chaud, il est étouffant, il ne permet pas de bien voir ou entendre (Drabo, 2014; Sidbega, 2015; Consigui, 2019).

La conjonction de ces facteurs n’est pas anodine, particulièrement pour les jeunes conduct·eur·rice·s. En effet, il a été montré l’importance des facteurs culturels et leur influence potentielle sur une moindre perception du risque (Alonso et al., 2018). Ce facteur est particulièrement élevé dans le contexte du Burkina Faso où l’imposition du port du casque aux deux-roues motorisés a subi l’opposition massive de la population donnant lieu à des « émeutes des casques » en 2006 (I. Sory, 2012). Lors de la semaine de la sécurité routière, du 8 au 14 août 2022, l’Office national de la sécurité routière (ONASER) a décidé de mettre à nouveau la priorité sur cet axe largement discuté dans les journaux en ligne[32] [33] [34]. Dans ce contexte, les statistiques issues des questionnaires administrés auprès des élèves ne surprennent pas. Ainsi, parmi les élèves ayant une moto pour se déplacer seulement 39,7% affirment que leurs parents les ont obligé à apprendre le code de la route. Toutefois, aucun ne dispose du permis de conduire A1 obligatoire pour circuler. Les règles ont été apprises pour 49,1% d’entre elles et eux auprès des parents ou des ami·e·s. Par ailleurs, si 92,3% des adolescent·e·s interrogé·e·s disent connaître les règles de sécurité routière, 27,3% déclarent connaître le panneau « cédez le passage » mais parmi eux seulement 26,6% peuvent le nommer correctement. Le panneau ralentisseur est un peu plus connu, 74,9% des élèves; le sens interdit, rare dans les rues ouagalaises, est reconnu par 42,2% d’entre eux; le panneau limitation de vitesse à 50 km/h par 42,8%. Enfin, seuls 57,8% des élèves peuvent dire que la présence du panneau stop impose un arrêt obligatoire. Les connaissances des règles de circulation sont donc lacunaires et imposent un apprentissage. Pourtant, le manque d’intérêt pour la sécurité routière est tel que les collégien·ne·s et les lycéen·ne·s n’ont pas adhéré à la formation hebdomadaire proposée, aux heures creuses et sur la base du volontariat. La présence des élèves était aléatoire. Dans l’un des établissements, parmi les 160 élèves de la classe de 4ème, seuls 7 étaient encore présent·e·s après 3 séances d’intervention et ce, malgré l’expérience d’enseignement de l’association responsable de l’encadrement. L’absence d’un·e représentant·e de l’établissement ou d’un·e enseignant·e pendant l’intervention, contrairement au primaire, a sans doute contribué à une difficile participation des élèves. L’utilisation des heures creuses attribuées à la formation pour le rattrapage de cours ou pour les devoirs ont été un autre obstacle d’importance.

Les facteurs culturels sont particulièrement importants et influents dans l’éducation routière (Alonso et al., 2018). Or, l’incivisme routier observé au Burkina Faso laisse entendre une faible culture de la sécurité routière. Par ailleurs, l’influence des pairs dans le domaine a été observé, il est d’ailleurs mis en perspective comme un moyen de motiver les jeunes à améliorer le respect des règles (Pfeffer et Hunter, 2013; Fischer, 2019). « The range of risk factors created by peers is large, this range presents a number of promising targets for intervention to improve teen driving safety » (Allen et Brown, 2008).

Conclusion

De nombreuses recherches ont montré que les facteurs humains étaient à l’origine des accidents de la route. Il apparaît donc indispensable de renforcer les connaissances en la matière par la prévention notamment auprès des jeunes usagèr·e·s de la route, population à risques. La revue de la littérature dans le domaine montre l’importance de l’approche pédagogique et sociologique. La géographie est plus rarement associée à ces recherches pourtant elle est d’un apport considérable en spatialisant les pratiques de mobilité et, de fait, les risques potentiels associés aux déplacements. L’étude intitulée « changer les comportements en circulation routière : une intervention auprès des élèves de la ville de Ouagadougou », a pris le parti de favoriser une approche géographique, afin de mettre en évidence des faits jusqu’alors peu étudiés en matière de sécurité routière au Burkina Faso.

Il apparaît que la mobilité se fait de façon autonome dès le plus jeune âge, sans accompagnement. Les déplacements s’appuient alors sur les connaissances acquises auprès des parents, pourtant absent·e·s au moment de la mobilité, et sur la conviction des jeunes, enfants comme adolescent·e·s, de maîtriser les règles en la matière. Pourtant, leurs connaissances de la signalisation sont très faibles. Des différences spatiales sont alors observées en lien avec la distance d’accès à l’établissement. En effet, les jeunes usagèr·e·s de la route ne sont pas confronté·e·s de la même manière à la signalisation selon leur mode de déplacement et les voies empruntées puisque les panneaux sont essentiellement implantés le long des voies de communication bitumées, qui représentent à peine un quart de la voirie urbaine à Ouagadougou. Par ailleurs, le risque routier est différencié selon le quartier d’origine et la distance à parcourir et selon le moyen de transport utilisé pour se rendre en cours, lui-même dépend du niveau socio-économique de la famille. Il apparaît évident que dans certains établissements d’enseignement privés, le mode de déplacement est plus sécurisant pour les jeunes puisqu’il se fait en voiture. Cependant, cette forme de sécurité diminue avec l’âge, les jeunes aspirant à plus d’autonomie dans leurs déplacements et les parents à moins de contraintes comme cela a pu être observé ailleurs (Platt et al., 2003). Ceci a pour conséquence une hausse du pourcentage des adolescent·e·s se déplaçant en deux-roues motorisés dès le secondaire favorisé par l’absence de transports en commun dans la capitale burkinabè.

L’intervention montre qu’il est important d’associer les facteurs culturels dans les programmes d’éducation à la sécurité routière, comme cela a été déjà prouvé ailleurs. La faible participation des adolescent·e·s aux enseignements basés sur le volontariat montre également la nécessité de varier les outils d’apprentissage pour changer les comportements. Ainsi, si un enseignement débutant dès les classes de primaire apparaît indispensable, il doit être continu jusqu’au secondaire. Mais il est suggéré qu’au secondaire des formes d’apprentissage basée sur l’influence des pairs soient mises en place afin de motiver les jeunes à plus de respect des règles. Ce moyen a été expérimenté de façon favorable ailleurs. La sécurité routière au Burkina Faso ne doit plus s’appuyer sur la seule répression qui a, par ailleurs, montré ses limites depuis de nombreuses années, comme en attestent les émeutes contre le port du casque.

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  4. La loi existe depuis 1978. http://www.equitesante.org/wp-content/uploads/2016/01/3-legislation-sécurité-routière-au-Burkina-Faso.pdf
  5. Composé de 27 structures publiques, privées et de la société civile, cette structure avait été officiellement créée fin 2008. Dans la même mouvance il faut retenir l’adoption de la loi d’orientation des transports terrestres le 06 mai 2008, la création de l’Office national de sécurité routière (ONASER) par décret du 17 novembre 2008 et du document de politique nationale de sécurité routière le 17 février 2009.
  6. En 2020, elle regroupait 27 associations à Ouagadougou.
  7. Une ambivalence se lit jusque dans le Code général des collectivités territoriales (CGCT) qui en son article 262 précise que le maire assure la police des routes à l’intérieur du territoire communal.
  8. https://fasoeducation.net/espace_enseignants/reforme_curriculaire/curricula_primaire_classique/curricula_primaire_cp.pdf
  9. Un thème déjà visible dans les curricula construits pour le post-primaire en 2009.
  10. Structure publique de soutien à la recherche action et la valorisation des résultats de la recherche au Burkina Faso.
  11. https://www.who.int/fr/news/item/09-12-2020-who-reveals-leading-causes-of-death-and-disability-worldwide-2000-2019
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  17. https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/346556/9789240027190-fre.pdf
  18. La région est l’échelle de présentation des statistiques sanitaires retenue par le ministère de la Santé dans le rapport annuel. Le territoire de la région Centre, un des plus petits, a pour particularité d’être occupé pour sa plus grande partie par la commune de Ouagadougou.
  19. 7 142 accidents sont à l’origine du nombre de ces victimes.
  20. https://lefaso.net/spip.php?article89444 et http://lefaso.net/spip.php?article89597
  21. Déclaration du maire de Ouagadougou faite le 6 mai 2019 et disponible sur la page facebook de la mairie de Ouagadougou (consulté le 20/06/2022) https://www.facebook.com/mairie.ouagaofficiel/posts/2001706456804589/
  22. https://www.fia.com/news/empowering-youth-thailand-first-road-safety-centre-opens-immersive-learning-secondary-students
  23. Trois institutions sont associées. Il s’agit de l’Institut des sciences des sociétés dépendant du Centre national de la recherche scientifique et technologique (INSS/CNRST), de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et de l’Université Joseph Ki-Zerbo (UJKZ).
  24. Le nombre d’élèves originaires de ces quartiers varie, cinq quartiers sont plus fréquents dans les statistiques comme en atteste la carte.
  25. https://www.securite-routiere.gouv.fr/chacun-sa-conduite/conseils-sur-la-route-avec-les-enfants/attitude-adopter-avec-un-enfant-sur-la
  26. https://blog.dekra-norisko.fr/etude-dekra-les-enfants-sont-les-plus-exposes-aux-accidents-de-la-route/
  27. Pour information, la moyenne d’âge des enfants concernés par l’intervention est de 10 ans.
  28. https://www.securite-routiere.gouv.fr/sites/default/files/press-kits/3678-fiche1_dp_sr_en_famille_28_06_06_2.pdf
  29. https://www.securite-routiere.gouv.fr/chacun-sa-conduite/conseils-sur-la-route-avec-les-enfants/attitude-adopter-avec-un-enfant-sur-la
  30. https://www.securite-routiere.gouv.fr/sites/default/files/press-kits/3678-fiche1_dp_sr_en_famille_28_06_06_2.pdf
  31. Il s’agit du permis de conduire A1 dont l’âge minimum pour conduire les plus de 125 cm3 est fixé à 16 ans.
  32. https://lefaso.net/spip.php?article115264
  33. https://lefaso.net/spip.php?article115261
  34. https://lefaso.net/spip.php?article115284

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Les traumatismes routiers en Afrique de l’Ouest Droit d'auteur © par Emmanuel Bonnet et Aude Nikiema est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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