8 « Mon droit de marcher, mon droit de vivre ». Mortalité des piétons, routes et caractéristiques environnementales au Bénin

Y. Glèlè Ahanhanzo, D. Kpozèhouen, J. C. Sossa, Ghislain E. Sopoh, H. Tedji, K. Yete, A. Levêque

Introduction

À l’heure actuelle, aucun décès ni blessure sur la route n’est tolérable car le transport fait partie de la vie économique et tout usager ou usagère a droit à un transport sécurisé. Les accidents de la route sont responsables de plus de 1,35 million de décès par an dans le monde; ils sont la troisième cause de décès et d’invalidité en Afrique subsaharienne (Onywera et Blanchard 2013; WHO 2018).

Bien que la marche soit bénéfique pour la santé, les taux de mortalité routière les plus élevés en Afrique concernent les piéton·ne·s, avec 3,4 pour 100 000 habitant·e·s (95% IC : 2,5-4,2), après les conduct·eur·rice·s de véhicules à quatre roues avec 5,9 pour 100 000 habitant·e·s (IC 95% : 4,4-7,4) (Adeloye et al. 2016). Selon les dernières estimations de l’OMS, les piéton·ne·s représentent 40% de tous les décès dus aux accidents de la route en Afrique estimés à 26,6 pour 100 000 habitant·e·s (WHO 2018). Dans notre contexte d’urbanisation massive sans véritable politique de construction des villes, parmi les usagèr·e·s vulnérables, les piéton·ne·s sont particulièrement exposé·e·s en raison du manque d’aménagements piétonniers (Verzosa et Miles 2016). Dans de nombreux pays d’Afrique, les piéton·ne·s sont les plus concerné·e·s par les blessures et les décès dus aux accidents de la route (Damsere-Derry et al. 2010; Zegeer et Bushell 2012). Les facteurs de risque pour les piéton·ne·s présentent des formes diverses. Ces facteurs peuvent être liés à la fois au comportement du ou de la piétonne et être le résultat d’infractions délibérées ou d’erreurs involontaires (Amoh-Gyim et al. 2017). Pour l’individu lui-même, les comportements à risque mentionnés dans la littérature sont liés à la consommation d’alcool, aux conversations avec d’autres personnes et à l’utilisation d’un téléphone portable (Damsere-Derry et al. 2017; Mansfield et al. 2018). En ce qui concerne l’infrastructure, les caractéristiques des routes elles-mêmes, telles que le type d’aménagements routiers, ont également été identifiées comme des facteurs de risque à l’origine du décès de piéton·ne·s (Prato et al. 2018). Dans les zones urbaines, il a également été prouvé dans une certaine mesure que la conception de l’infrastructure routière ainsi que les interrelations avec l’environnement sont des facteurs favorables aux accidents de piéton·ne·s, en particulier aux intersections (Zegeer et Bushell 2012). Ainsi, l’importance des mesures relatives à l’environnement et aux infrastructures et la nécessité de mettre en œuvre des mesures de sécurité routière intégrant la protection des usagèr·e·s vulnérables de la route tels que les piéton·ne·s, ont été soulignés par de nombreux autres auteurs (Zegeer et Bushell 2012; Damsere-Derry et al. 2017; Damsere-Derry et al. 2019). En outre, la mise en œuvre de mesures d’infrastructure routière s’est avérée efficace pour réduire les décès de piéton·ne·s (Pal et al. 2018) et est recommandée par l’Organisation Mondiale de la santé (Shinar 2019).

L’approche basée sur un système sûr repose sur des interventions ciblant les véhicules, les routes, les usagèr·e·s et les limites de vitesse (Ecola et al 2018; Damsere-Derry et al. 2008). Au Bénin, où les règles de circulation ne sont pas souvent respectées et où le système de transport est caractérisé par un grand nombre de motocyclistes (> 80%), une grande partie des interventions de sécurité routière visent particulièrement les motocyclistes et les usagèr·e·s de la route vulnérables.

Ces interventions ne doivent cependant pas éclipser les autres domaines d’intervention, en particulier l’infrastructure routière et l’environnement, qui doivent être pris en considération dans une véritable politique de sécurité routière dans un contexte où la vitesse est un réel problème (CNSR 2015). Dans le but de contribuer aux orientations stratégiques pour améliorer la sécurité des usagèr·e·s vulnérables de la route au Bénin et des piéton·ne·s en particulier, cette étude s’attache à analyser les facteurs environnementaux et routiers associés aux piéton·ne·s impliqué·e·s dans les accidents de la circulation.

Méthodes

Cadre de l’étude

Le cadre de l’étude est la république du Bénin. Situé en Afrique de l’Ouest, c’est un pays côtier qui couvre environ 115 000 km2 pour une population de 11 millions d’habitants (2015) répartis sur 12 départements. La capitale économique Cotonou située dans le département du Littoral est le cœur de nombreux échanges économiques et le transport routier constitue la part plus importante du transport pour un pays stratégique dans les échanges commerciaux avec les états sahéliens limitrophes.

Sources de données

Les données de cette étude proviennent de la base de données des accidents constatés par la police au Bénin au cours de la période de 2008 à 2015. Cette base de données, mise en place à la fin des années 90, fournit des informations relatives aux caractéristiques, circonstances de survenue de l’accident, à l’état des lieux de l’infrastructure routière, aux véhicules et personnes impliquées. Ces dernières informations sont des données agrégées par accident et sont relatives aux victimes blessées et aux victimes tuées (décès de la victime sur les lieux de l’accident ou pendant le transport vers la structure de soins). Les données relatives à l’âge des victimes sont disponibles par tranche d’âge. Les informations relatives au sexe des victimes ne sont pas disponibles et par ailleurs, la base de données ne rapporte pas d’informations au sujet des victimes indemnes. Cette base de données est alimentée par les constats faits par la police sur les lieux de l’accident. Elle est en outre gérée par le Centre National de Sécurité Routière (CNSR) qui génère les annuaires statistiques annuels (CNSR 2015; CNRS 2018). De cette base de données, ont été extraites les observations relatives aux accidents ayant impliqué au moins un piéton.

Critères de sélection et variables

L’hypothèse de travail était que les facteurs environnementaux entourant l’infrastructure routière augmentent la probabilité de décès immédiatement après l’accident chez les piéton·ne·s impliqué·e·s dans une collision routière. Ainsi, à partir de la base de données, nous avons extrait les enregistrements liés aux accidents avec au moins un·e piéton·ne blessé·e pour l’analyse. Nous n’avons pas utilisé d’autres critères d’exclusion. L’unité statistique d’analyse est la collision; un accident ayant entraîné la mort et/ou la blessure de piéton·ne·s a été traité comme une seule et unique collision. Pour cette analyse, l’approche d’un système sûr implique un cadre conceptuel qui intègre l’environnement et la route, les véhicules et les facteurs comportementaux. Nous avons sélectionné nos variables en fonction de leur disponibilité dans la base de données et dans la littérature (Damsere-Derry et al. 2017; Haleem et al. 2015; WHO 2010). Les données comportementales n’ayant pas été enregistrées, nous n’avons pas pu intégrer ces aspects dans notre analyse. De même, il n’y avait pas de détails sur les questions techniques liées au véhicule impliqué, ces variables n’ont donc pas été incluses. Toutes variables relatives à l’environnement et à l’infrastructure routière qui étaient disponibles ont été incluses dans l’analyse; nous avons exclu les variables relatives à la localisation de l’accident enregistrée par des coordonnées GPS (Global Positioning System), qui n’étaient pas complètes (l’enregistrement des coordonnées GPS a commencé en 2015). La variable dépendante était le décès d’un·e piéton·ne. Il s’agit d’une variable dichotomique, les seules réponses possibles étant « Oui » et « Non ». La mort d’un·e piéton·ne a été enregistrée comme « Oui » si au moins un·e piéton·ne est décédé·e à la suite de l’accident de la route et « Non » dans le cas contraire.

Les variables indépendantes considérées étaient relatives aux facteurs environnementaux de l’AR : la zone (Urbaine/Rurale), le type de jour (Jour ouvrable sans activité particulière/Week end/Jours de fêtes/Jours de marchés), les conditions atmosphériques (Normales/Anormales), la luminosité (Jour/Nuit avec éclairage public/Nuit sans éclairage public). Ont été également prises en compte : les conditions atmosphériques (météo) (normal/anormal). Pour ces dernières, les conditions atmosphériques anormales atmosphériques, les conditions météorologiques étaient la pluie, le brouillard ou tempête de poussière. Les caractéristiques de l’infrastructure routière ont également été prises en compte : classification des routes (routes nationales et urbaines/chemins et sentiers non classés/ les routes nationales inter-États appelées Routes Nationales Inter-États (RNIE)), accident de la circulation à une intersection (oui/non), profil de la route (plat/inclinaison ou élévation), accident de la route dans un virage ou une courbe (oui/non), type et l’état du revêtement routier (pavés en bon état/asphalte en bon état/endommagé) et présence de barrières de sécurité routière (oui/non). Les caractéristiques de la collision, telles que le type de véhicule impliqué (véhicule motorisé à deux roues/véhicule léger à quatre roues/camion), la position du véhicule sur la chaussée (oui/non) et la position du ou de la piétonne pendant la collision (traversant une intersection/traversant en dehors d’une intersection/sur la route ou aux alentours/piéton en dehors de l’axe principal de circulation) ont été incluses. Pour cette dernière variable, les piéton·ne·s n’ayant pas participé à l’accident principal sont celles et ceux qui ont été blessés à la suite des dommages causés par la collision.

Analyse statistique

Les données ont été traitées avec le logiciel Stata 15. Les statistiques descriptives usuelles ont été présentées avec une comparaison des variables indépendantes qualitatives avec la variable dépendante, par le test du c2 de Pearson. Les facteurs liés au décès de piéton·ne·s ont été sélectionnés au seuil de 20% à l’analyse univariée et ont été introduits dans un modèle multivarié de régression logistique par procédure pas à pas descendante. Les associations ont été appréciées par les odds ratios (OR) avec intervalle de confiance à 95% (IC95%). L’adéquation du modèle final a été testée par le test de Hosmer et Lemeshow. Le seuil de 5% a été retenu pour la significativité des tests statistiques.

Résultats

Caractéristiques descriptives des accidents et des piéton·ne·s victimes

Sur les 42 846 accidents enregistrés au cours de la période d’observation, 3 760 ont impliqué au moins un·e piéton·ne soit 8,78%. Un total de 4 392 piéton·e·s ont été concerné·e·s dont 3 284 blessé·e·s et 1 108 tué·e·s. La tranche d’âge des sujets de 20 ans et plus (n=2 396) représentait 54,55% des victimes et celle des moins de 13 ans, 26,23% (n=1 152).

Près de la moitié (43,67%) des accidents ont été constatés dans le département du Littoral. Chacun des autres départements est concerné pour moins de 10%. Le profil type de l’accident est caractérisé par une survenue en zone urbaine (70,19%), pendant un jour ouvrable sans activité particulière (69%) et sous des conditions atmosphériques normales (95,95%). L’infrastructure routière concernée était une RNIE dans 50,51% des cas. Les accidents hors virage ont été les plus fréquents (91,17%) et le ou la piéton·ne était en cours de traversée hors intersection dans près de 5 cas sur 10. La chaussée était goudronnée et en bon état dans plus de 6 cas sur 10 et la séparation des voies était présente dans un tiers des cas. Il s’agissait d’un conflit avec un véhicule léger à 4 roues dans 57,78% des cas (Tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques des accidents constatés impliquant les piétons au Bénin, 2008-2015.

Prévalence des accidents avec décès de piéton·ne·s et facteurs associés

Sur les 3 760 accidents ayant impliqué des piéton·ne·s, la prévalence du décès de piéton·ne·s était de 27,74% (IC95% : 26,31- 29,20%). En comparaison avec les classes de référence, les résultats montrent une proportion significativement plus élevée de décès de piéton·ne·s lors des accidents survenus en zone rurale, lors des accidents survenus les jours de fête ou les jours de marché, ceux survenus la nuit sans éclairage public et ceux intervenus sous des conditions atmosphériques anormales. En outre, les accidents survenus sur les RNIE, et ceux intervenus sur les routes dégradées ont entraîné des proportions plus élevées de décès de piéton·ne·s. Dans le même sens, on note une proportion de décès de piéton·ne·s plus élevée pour les accidents qui ont eu lieu lors de la traversée hors intersection et chez les piéton·ne·s aux alentours de la chaussée, ainsi que ceux intervenus en virage, ou sur route en pente (Tableau 2).

Déterminants de décès au sein des piéton·ne·s victimes d’AR

L’analyse multivariée a montré que la zone de survenue de l’AR, le jour, la luminosité, la classification de la route, l’état du revêtement routier et la position du piéton lors de l’AR sont des déterminants de décès du ou de la piéton·ne.

Tableau 2 : Facteurs associés au décès des piétons dans les accidents de la route au Bénin, 2008-2015. Analyse univariée et multivariée.

Ainsi, après ajustement sur les autres variables, le risque de décès du ou de la piéton·ne en cas d’AR était 5 fois plus élevé en zone rurale qu’en zone urbaine (OR=4,94; CI95% : 4,10-5,94). Le risque de décès du ou de la piéton·ne était plus élevé pour les accidents survenus les jours de fête (OR= 2,17; CI95% :1,34-3,52 ) et les jours de marché (OR=1,55; CI95% : 1,04-2,31) par rapport à ceux survenus les jours ouvrables sans activité particulière; ceux survenus la nuit sans éclairage public étaient plus à risque de décès du ou de la piéton·ne que ceux survenus le jour (OR=1,30; CI95% : 1,06-1,59). La survenue de l’accident sur une RNIE ou sur une route dégradée élève 2 fois le risque de décès du ou de la piéton·ne avec des OR respectifs de 1,79 (CI95% : 1,46-2,20) et 2,04 (CI95% : 1,41-2,95). Toutes choses étant égales par ailleurs, le risque de décès du ou de la piéton·ne est plus élevé dans les accidents lors de la traversée du ou de la piéton·ne hors intersection et lorsque le ou la piéton·ne était aux alentours de la chaussée avec respectivement des OR de 1,69 (CI95% : 1,19-2,38) et de 1,91 (CI95% : 1,49-2,44) comparativement aux accidents survenus avec le ou la piéton·ne tiers·e au conflit principal (Tableau 2).

Discussion

Cette étude avait pour objectif d’identifier les prédicteurs environnementaux et infrastructurels du décès chez les piéton·ne·s victimes d’AR au Bénin, dans un contexte où désormais, une vision holistique est recommandée dans l’approche managériale de la sécurité routière (WHO 2018; WHO 2010). Les résultats ont montré que les facteurs environnementaux tels que la zone et le jour de survenue de l’AR, la luminosité, ainsi que les caractéristiques infrastructurelles telles que la classification de la route, l’état du revêtement routier et la position du ou de la piéton·ne lors de l’AR sont des prédicteurs de décès du ou de la piéton·ne.

Le nombre d’accidents impliquant les piéton·ne·s, ainsi que la proportion de décès sont plus élevés que dans une étude similaire réalisée au Ghana en 2019 sur des données d’accidentologie couvrant la période de 2007 à 2016 (Ojo et al. 2019). Cette dernière étude rapportait 328 AR de 2007 à 2016, dont 51 avec décès de piéton soit 15,51%. Ces statistiques sont plus faibles que celles rapportées dans la présente étude; elles sont toutefois non comparables vues les différences portant sur les territoires concernés, et sur le contexte économique notamment celui du transport. Néanmoins, il existe un consensus sur le fait que la fiabilité des chiffres est fonction de la capacité du système de collecte à capturer les évènements notamment l’accident, puis le décès. Les pays à revenu faible pour la plupart ont encore des systèmes de collecte des données d’accidentologie peu performants notamment sur l’exhaustivité des données, et ce pour plusieurs raisons au nombre desquelles la faible intégration avec les systèmes hospitaliers (Sango et al. 2016; Chokotho et al. 2013). La faible proportion de décès peut aussi être en partie expliquée par la fonctionnalité des systèmes de recours aux soins en post crash immédiat. En effet, les études ont montré que la mortalité pré-hospitalière en cas d’AR est réduite du fait du délai de recours et de la qualité du système pré-hospitalier de recours (Harmsen et al. 2015; Henry et Reingold 2012). Dans nos contextes, la disponibilité et la pleine fonctionnalité de ces services n’est pas garantie, mais elle s’impose dans les interventions en vue de réduire la morbidité et la mortalité liées aux AR. Ainsi une évaluation réalisée au Nigéria montrait une qualité insuffisante dans la mise en œuvre des services en post-crash immédiat avec du retard dans le recours aux soins et une prise en charge inadéquate en pré-hospitalier avec moins de 30% des victimes d’AR pris en charge de manière adéquate en pré-hospitalier (Ibrahim 2017).

Bien que les proportions observées diffèrent, les résultats de la présente étude s’accordent avec la littérature sur le fait que la plupart des accidents qui impliquent les piéton·ne·s surviennent en zone urbaine et ne surviennent pas aux intersections. Selon une étude ghanéenne sur la période de 2008 à 2015, plus de 72% des accidents ayant impliqué les piéton·ne·s sont survenus hors d’une intersection (Ojo et al. 2019). Selon une autre étude réalisée en Israël, la majorité des accidents (95%) et des décès de piéton·ne·s (75%) ont eu lieu en milieu urbain et la majorité des décès concernaient les AR hors intersection (Gitelman et al. 2012). De cette même étude, il ressortait que la majorité des accidents (77%) et des décès (81%) des piéton·ne·s sont survenus lors de la traversée de la chaussée. Ces chiffres sont proches de ceux de la présente étude et de ceux rapportés au Ghana avec 70% des décès de piéton·ne·s encourus lors d’AR survenus au cours de la traversée de chaussée (Damsere-Derry et al. 2010). Ainsi, la traversée de la chaussée est une action qui expose particulièrement les piéton·ne·s. Le fait de la prédominance des accidents et des décès hors intersection peut s’expliquer dans nos contrées par le fait que le ou la piéton·ne cherche à traverser hors intersection par prudence en considérant le flux moindre d’interactions et de véhicules. Par ailleurs, très peu de passages piétons sont mis en place sur les infrastructures routières au Bénin, ce qui n’est pas le cas en Israël où la plupart des passages piétons sont marqués et signalés (Gitelman et al. 2012). En dépit de cela, 22% des décès de piéton·ne·s sont survenus sur les passages piétons, faisant plutôt évoquer la question de l’excès de vitesse et de la vigilance des conducteurs. Ces différents constats soulèvent d’importantes questions et imposent des stratégies adaptées relatives d’une part, aux caractéristiques de l’infrastructure routière (type, nombre et position pertinents des signalisations, nombre d’intersections) en relation avec la sécurité des piétons et d’autre part, en relation à la sensibilisation de tous les usagers sur l’utilisation et la conduite à tenir sur la route. Ainsi, par exemple, certains aut·eur·rice·s ont montré que les zones ayant de nombreuses intersections sont à risque moindre de collision avec les piéton·ne·s (Quistberg et al. 2015).

Alors que les collisions ont été prédominantes en milieu urbain, nos résultats montrent un risque de décès 5 fois plus élevé en milieu rural qu’en milieu urbain. Ces résultats sont corroborés par la littérature et peuvent s’expliquer d’une part par une accessibilité plus faible aux services de soins imposant donc du retard dans le recours de soins après crash (Schlottmann et al. 2017; Lee et al. 2018). Un facteur humain est également évoqué par certains auteur·rice·s pour expliquer le risque plus élevé de décès après crash en zone rurale, facteur humain qui serait lié à une plus faible perception des risques par les piétons (Rakauskas et al. 2009). En effet, que cela soit en zone urbaine ou rurale, les comportements des usagers et surtout des piéton·ne·s en relation avec leur perception des risques influencent le risque d’AR et de décès (Hamann et al. 2017; Zivkovic et al. 2016). Ces facteurs doivent être intégrés dans une vision d’ensemble pour l’élaboration des autres interventions, y compris celles portant sur les infrastructures routières. Cela confirme également la nécessité d’envisager des interventions en vue d’améliorer la perception individuelle des risques routiers, de la vulnérabilité des usagers et les pratiques et comportements sur la route pour la sécurité de tous et toutes.

La littérature s’accorde également sur le rôle de la luminosité dans les collisions pour tous les usagèr·e·s, avec un accent sur les risques encourus par les piéton·ne·s (Patel et al. 2016; Lee et al. 2018; de Andrade et al. 2014; Asgarzadeh et al. 2018). Les résultats de la présente étude vont dans le même sens avec le risque constaté de décès plus élevé des piétons lors des AR survenus la nuit, sans éclairage public. Dans le contexte du Bénin, où l’éclairage public pose le double problème de l’existence avec une très faible couverture des artères et de la fonctionnalité avec un taux de disponibilité extrêmement faible, il est nécessaire que les pouvoirs publics prennent conscience du caractère protecteur de cet outil et qu’il soit intégré dans les interventions pour la sécurité des usagèr·e·s sur la route.

En ce qui concerne les jours d’activités, il n’y a pas de réel consensus sur le rôle de la fin de semaine comme facteur de risque d’AR (Schlottmann et al. 2017; Patel et al. 2016). Les résultats de cette étude vont plutôt dans le sens d’un risque plus élevé de mortalité pour les piéton·ne·s les jours de fêtes et les jours de marchés. Cela peut s’expliquer par les excès de tous ordres liés aux jours de fête et qui sont à l’origine de différents comportements à risque (Excès de vitesse, pertes de contrôle, traversées de chaussée inappropriée). Les marchés constituent des zones ponctuelles à forte densité de population qui ont la spécificité dans le contexte socioculturel du Bénin de se tenir essentiellement le long des routes en dépit des mesures de sensibilisation à l’attention des vendeurs qui délaissent leur emplacement réservé à l’intérieur de l’espace dédié à la vente. Cette situation expose les piéton·ne·s (vendeurs et acheteurs/vendeuses et acheteuses) du fait de la densité de population (Quitsberg et al. 2015) et surtout le long des grands axes routiers tels que les RNIE. En effet, les grands axes ont été identifiés comme facteurs de risque d’AR et de décès pour les piétons (Verzosa et Miles 2016; de Andreade et al. 2014). Nos résultats vont dans le même sens et peuvent s’expliquer par la possibilité d’excès de vitesse offerte par ces larges voies dans un contexte où la faible répression permet aux usagèr·e·s (plus de 70%) de pratiquer des vitesses au-delà des limites autorisées (Damsere-Derry et al. 2008). En dehors du type de voie, les caractéristiques de la chaussée ont été également évoquées comme facteurs en relation avec le risque de décès des piéton·ne·s (Mansfield et al. 2018; Hussain et al. 2019). Nos résultats le confirment, une chaussée dégradée augmente de 2 fois le risque de décès du ou de la piéton·ne par rapport à une chaussée en bon état. C’est un argument en faveur de la nécessité d’une prise de conscience des pouvoirs politiques sur le rôle de la qualité des infrastructures routières dans la protection et la sécurité des usagèr·e·s.

La présente étude rapporte des résultats intéressants pour la prise de décision du fait qu’ils portent sur tout le territoire national, qu’ils reflètent une situation sur plusieurs années, qu’il s’agit de la première analyse de ce type et surtout qu’ils s’intéressent à une population vulnérable connue mais à propos de laquelle très peu d’investigations sont menées dans le pays. Les limites de l’étude résident toutefois dans le fait qu’elle a dû restreindre son champ d’investigation aux variables disponibles dans la base de données. Ainsi la non disponibilité de l’âge (en données individuelles) et du sexe n’a pas permis de faire une analyse sur les groupes à risque. D’autres caractéristiques relatives à la chaussée auraient également été pertinentes à intégrer dans l’analyse, telles que le marquage des passages piétons ou la signalisation des passages piétons. Des suggestions peuvent être faites à l’attention du CNSR (agence de sécurité routière béninoise) dans l’actualisation de leur base de données afin d’améliorer leur disponibilité pour l’analyse en vue de la prise de décision.

Conclusion

Cette étude a montré que les caractéristiques de l’environnement ainsi que les caractéristiques des infrastructures comme la classification de la route, l’état du revêtement routier et la position du ou de la piéton·ne lors de l’AR sont des prédicteurs de décès des piéton·ne·s victimes d’AR au Bénin. Ces facteurs doivent être pris en compte lors de l’élaboration des politiques de planification, d’interventions efficaces pour la sécurité des piétons au Bénin.

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Ce chapitre est une traduction d’un article publié en anglais et remanié/réduit pour cet ouvrage : « “My right to walk, my right to live”: pedestrian fatalities, roads and environmental features in Benin ». BMC Public Health. DOI : 10.1186/s12889-021-10192-2

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Les traumatismes routiers en Afrique de l’Ouest Droit d'auteur © par Emmanuel Bonnet et Aude Nikiema est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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