Préface 1
Professeur Nicolas Meda, Ancien ministre de la santé du Burkina Faso
Une augmentation inhabituelle du nombre de cas d’un phénomène de santé sur une période de temps limitée et dans un espace limité, qualifie ce qui est communément déclaré comme épidémie par les autorités sanitaires. Sous la direction de Aude Nikiema et Emmanuel Bonnet, un consortium de cherch·eur·euse·s déclarent, décrivent et expliquent que les traumatismes de la route constituent une épidémie oubliée en Afrique de l’Ouest pour ne pas dire en Afrique.
C’est une réalité incontestable. C’est sur les routes des pays les plus pauvres, particulièrement, ceux d’Afrique voire d’Afrique de l’Ouest que l’on meurt le plus. Les données de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sont sans équivoque sur cette réalité. Quelque 93% des décès sur les routes surviennent dans les pays en développement alors qu’ils ne possèdent qu’environ 60% du parc mondial de véhicules. Le taux de mortalité moyen est de 27,5 pour 100 000 habitant·e·s dans les pays à faible revenu, contre 8,3 pour 100 000 dans les pays à revenu élevé. Plus précisément, en juin 2022, l’OMS estimait à 1,3 million, le nombre annuel de décès dus aux accidents de la route, ce qui dépasse aujourd’hui les décès annuels dus au paludisme qui sont estimés à moins de 600 000. Se rajoutent les millions de séquelles handicapantes qui passent dans les pertes et profits des politiques publiques. L’OMS renchérit en disant que les accidents de la route coûtent à la plupart des pays 3% de leur produit intérieur brut et que plus de la moitié des tués sur les routes sont des usagers vulnérables qui sont les piétons, les cyclistes et les motocyclistes. Enfin, l’OMS rajoute que les accidents de la route sont la première cause de décès chez les enfants et les jeunes adultes.
Alors pourquoi, pour ne prendre qu’un seul exemple, les autorités sanitaires en Afrique n’ont d’yeux que pour le paludisme? Il faut le relever, le paludisme partout bénéficie de politique nationale, de programme national de lutte et d’un cadre organisationnel et opérationnel de lutte largement financé par le Fonds Mondial en plus d’autres initiatives bilatérales et multilatérales de coopération au développement.
Quel est aujourd’hui le paradigme et les critères appliqués de définition des priorités de santé publique en Afrique? Communément, les expert·e·s de la santé publique utilisent la fréquence du problème, sa gravité, son impact socioéconomique, sa vulnérabilité face aux interventions existantes, son évolution prévisible, la reconnaissance du problème par les autorités compétentes et les forces sociales. N’avons-nous pas ici concernant les traumatismes de la route en Afrique de l’Ouest, un vrai déni d’un problème posé et à résoudre par les autorités compétentes? N’avons-nous pas ici concernant les traumatismes de la route en Afrique de l’Ouest, un vrai désintérêt des forces sociales plutôt préoccupées et mobilisées autour de la chose politique, de l’insécurité et de la faim? Voilà donc ce que les cherch·eur·euse·s et aut·eur·rice·s de cet ouvrage dénoncent avec force et avec des arguments factuels tirés d’une abondante recherche observationnelle.
Nous le savons depuis longtemps. Pour mettre un problème à l’agenda de la politique nationale de santé, il faut disposer de données. il est communément admis que l’on ne peut pas agir sur quelque chose que l’on ne connaît pas bien et que l’on ne sait pas mesurer. En plus, il faut des entrepren·eur·euse·s politiques qui engagent toutes les forces sociales et partenariales dans un plaidoyer nourri à la recherche de la moindre fenêtre d’opportunité pour élaborer la politique publique idoine de résolution du problème. Cette négligence des parties prenantes sur la question des traumatismes de la route en Afrique de l’Ouest est sans doute liée à plusieurs facteurs mais singulièrement le manque de données parlantes semble émerger comme le principal facteur bloquant.
C’est pour relever, en partie, le manque de données probantes pour la décision publique autour des traumatismes de la route en Afrique que les cherch·eur·euse·s et aut·eur·rice·s de cet ouvrage se sont mis en réseau. Sous le leadership d’Emmanuel Bonnet, ces aut·eur·rice·s ont développé plusieurs plateformes de suivi des accidents et des traumatismes en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Bénin, Mali). Ce réseau a démontré la faisabilité de développer un outil de surveillance, peu coûteux, facile d’utilisation et interopérable entre les différentes parties prenantes de la prise en charge et des soins des victimes d’accident. Les données tirées des différentes études menées par ce réseau permettent de livrer trois résultats majeurs : (1) il est possible d’améliorer la production des données pour mieux agir face à l’épidémie oubliée des traumatismes de la route en Afrique de l’Ouest; (2) les traumatismes de la route constituent un véritable problème de santé en Afrique de l’Ouest et un enjeu réel de santé publique négligé; (3) le transfert des connaissances produites à ceux qui peuvent et qui doivent agir est impératif pour aider à élaborer des politiques de sécurité routière en Afrique de l’Ouest qui participeront à changer positivement les comportements sur la route. C’est cela tout l’intérêt de cet ouvrage que je vous invite à présent à déguster.