9 Performance du système d’information sanitaire de routine dans la surveillance des traumatismes par accident de la route au Bénin

D. Kpozèhouen, Y. Glèlè Ahanhanzo, G. E. Sopoh, A. Kpozèhouen, C. Azandjèmè, A. Levêque

Introduction

Les accidents de la route constituent la 8ème cause de décès dans le monde (WHO 2012). Les pays à revenu intermédiaire et en développement sont les plus touchés, avec 93% des décès[1]. Au Bénin, les accidents de la route occupent la 6ème place parmi les principales causes de mortalité chez les personnes âgées de 15 ans et plus (Ministère de la santé 2018). La létalité des traumatismes dus aux accidents de la route dans le pays a presque doublé en passant de 0,94% en 2016 à 1,84% en 2017 (Ministère de la santé 2017; 2018). La majorité des décès liés aux accidents de la route sont évitables (Oliver et al. 2017). Cela nécessite l’existence de politiques de préventions adéquates et basées sur les réalités du pays. À l’instar de plusieurs pays africains, le Bénin ne dispose pas de politique de sécurité routière, politique intégrant entre autres, la prévention des accidents de la route et les mécanismes de prise en charge des victimes (WHO, 2012). Cette absence de politique se traduit entre autres par une législation insuffisante en matière de prévention des traumatismes routiers car elle ne couvre que deux des cinq principaux facteurs de risque (WHO, 2012). Il s’agit des réglementations sur la conduite en état d’ivresse et sur le port de casque chez les motocyclistes. L’élaboration d’une politique de sécurité routière nécessite la disponibilité d’informations de qualité sur les accidents. Pour cette raison, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande l’opérationnalité d’un système de surveillance épidémiologique des accidents de la route capable de renseigner sur l’ampleur du phénomène et de guider dans le choix des mesures préventives dans tous les pays membres (Holder et al., 2004). La surveillance épidémiologique des accidents de la route au Bénin n’est pas intégrée. Les informations sont parallèlement générées par deux structures étatiques que sont le Centre National de la Sécurité Routière (CNSR) du Ministère des Infrastructures et des Transports, et le Service de Gestion du Système d’information (SGSI) du Ministère de la Santé (MS). Chacune de ces structures dispose en son sein d’un système de surveillance lui permettant de recueillir différentes données relatives aux accidents de la route.

S’agissant du SGSI, il se base sur l’une des composantes du Système National d’Information et de Gestion Sanitaire (SNIGS) qu’est le Système d’Information Sanitaire de Routine (SISR). Ce système est constitué de statistiques des services, de données administratives, de données communautaires, de données épidémiologiques et de surveillance (Ly et al. 2017). Ainsi, il fournit des données sur toutes les affections fréquemment rencontrées dans les formations sanitaires du pays et sert de système de surveillance épidémiologique des traumatismes routiers en milieu hospitalier. Il constitue l’unique source de données pour la production des indicateurs sur les accidents de la route dans les annuaires statistiques sanitaires du pays. Compte tenu du besoin d’éléments d’aide à la prise de décision dans le domaine de la prévention des accidents de la route au Bénin et du rôle prépondérant que joue ce système dans la satisfaction de ce besoin, il est important de s’assurer son efficacité en matière de surveillance. L’objectif de cette étude était d’évaluer la performance du SISR en tant que système de surveillance épidémiologique des traumatismes routiers au Bénin en 2019.

Méthodes

Cadre de l’étude

La présente étude s’est déroulée dans deux villes du Bénin : Cotonou et Ouidah. La ville de Cotonou est divisée en treize arrondissements et quatre zones sanitaires. En termes d’infrastructures sanitaires, on y trouve principalement quatre espaces hospitalo-universitaires, deux hôpitaux de zone et 16 centres de santé (Ministère de la santé 2018). La ville de Ouidah appartient à la zone sanitaire Ouidah/Kpomassè/Tori-Bossito et abrite un hôpital de zone. En plus de cet hôpital, on y retrouve deux grands centres de santé. Elle est divisée en quatre arrondissements.

Type d’étude, populations d’étude et sources d’informations

Il s’agissait d’une étude évaluative, avec une approche mixte (qualitative et quantitative) dont la collecte de données s’était déroulée du 25 mars 2019 au 19 avril 2019. Les principales cibles de l’évaluation étaient les acteur·rice·s impliqué·e·s dans le SISR. La méthode d’échantillonnage était non-probabiliste avec une technique d’échantillonnage par choix raisonné portant sur le chef du SGSI du MS, les statisticien·ne·s des bureaux de zone et les responsables du remplissage des relevés mensuels épidémiologiques (supports de collecte de synthèse mensuelle) des centres de santé publiques, des hôpitaux publiques et hôpitaux privées participant à la collecte de données de routine. Un quart du nombre total des relevés mensuels épidémiologiques des six derniers mois a été échantillonné par un tirage aléatoire systématique.

Techniques et outils de collecte

Un entretien individuel semi-structuré a été mené avec le chef du SGSI du MS à l’aide d’un guide d’entretien. Les statisticien·ne·s des bureaux de zone et les responsables du remplissage des relevés mensuels épidémiologiques ont fait l’objet d’un entretien individuel structuré à l’aide d’un questionnaire. Ce questionnaire a permis de collecter les données socio-démographiques et professionnelles (âge, sexe, profession, nombre d’années d’expérience, nombre de formation suivies) des acteur·rice·s du système et leur avis pour le renseignement de certains critères de performance. Une revue documentaire avec une fiche de dépouillement a permis d’accéder aux données des annuaires des statistiques sanitaires, des relevés épidémiologiques mensuels et des documents normatifs du SGSI du MS. Ces différentes techniques de collecte de données n’ont été mises en œuvre qu’après l’obtention des autorisations de recherche dans chacune des zones sanitaires et l’obtention du consentement libre, éclairé et écrit des différentes cibles.

Critères d’évaluation

L’évaluation était basée sur les critères de performance du Centre de prévention et de contrôle des maladies (CDC) pour un système de surveillance épidémiologique (German et al. 2001). Les critères suivants ont fait l’objet d’une approche qualitative :

L’utilité du système

Elle traduit la capacité du système à produire des informations sur l’ampleur des accidents de la route et à contribuer à la prévention des accidents en ce qui concerne le comportement des usagèr·e·s et la prise de décisions politiques. Pour juger de l’utilité du système, ses résultats ont été comparés à ses objectifs prédéfinis. L’atteinte d’au moins un objectif est synonyme d’utilité.

La simplicité du système

La simplicité du système tient compte de sa structure avec le nombre d’acteur·rice·s et de la perception de ces derniers vis-à-vis des tâches à accomplir. Pour juger de ce critère, l’avis des acteur·rice·s de chaque système a été pris sur la clarté des définitions des cas, l’adéquation de la quantité d’informations à renseigner, la facilité d’obtention des données à renseigner et de transmission des données d’un niveau à un autre. Les acteur·rice·s ont noté chaque composante de ce critère sur une échelle de 1 (Pas du tout satisfait) à 5 (Tout à fait satisfait). Ce modèle d’attribution des scores pour les composantes a été adapté du modèle d’évaluation des systèmes nationaux d’information sanitaire : Réseau Métrologique Sanitaire (RMS 2008). La somme des points attribués a été rapportée au nombre maximum de points pour obtenir le score de simplicité et voir dans quelle proportion le système était jugé simple par les acteur·rice·s.

La flexibilité du système

La flexibilité juge de la capacité du système à s’adapter aux changements en besoin d’information, des conditions de fonctionnement et des ressources (temporelles et matérielles). Ce critère a été renseigné sur la base des changements survenus dernièrement au niveau du système. Les responsables des systèmes ont été sollicité·e·s pour renseigner sur ces changements. La flexibilité a été jugée sur deux composantes, à savoir : le niveau d’adaptation théorique aux changements et le niveau d’adaptation pratique. L’adaptation théorique portait sur les structures participant à la collecte de données. Pour mesurer l’adaptation théorique du système vis-à-vis d’un changement, le nombre de structures fonctionnant conformément au changement a été rapporté au nombre total de structures. Pour le niveau d’adaptation pratique, l’avis des acteur·rice·s opérationnel·le·s a été pris sur la réaction du système vis-à-vis de chaque changement survenu. Ces dernièr·e·s ont noté l’adaptation des systèmes à chaque changement sur une échelle de 1 (Pas du tout adapté) à 5 (Tout à fait adapté). La somme des points attribués a été rapportée au nombre maximum de points pour voir dans quelle proportion le système était jugé flexible par les utilisateur·rice·s. Le score de flexibilité du système a été obtenu en faisant la moyenne des deux niveaux d’adaptation.

S’agissant de l’approche quantitative, elle concernait les critères suivants :

L’acceptabilité du système

L’acceptabilité reflète l’implication des acteur·rice·s et formations sanitaires du système. Elle a été mesurée par la proportion de participation des formations/unités qui sont supposées contribuer à la collecte de données de routine.

L’exhaustivité

L’exhaustivité du système juge de sa capacité à identifier tous les cas de l’évènement d’intérêt. Dans cette étude, elle a été obtenue en rapportant le nombre de victimes d’accidents de la route enregistrés par le système au nombre total de victime à Ouidah dans le mois de mars 2019. Le nombre total exact des victimes d’accidents de la route n’étant pas disponible, il a été estimé en appliquant la méthode de capture-recapture aux deux sources de données du CNSR et du SGSI. Le nombre total d’accidents de la route pendant cette période a été obtenu grâce à l’estimateur non biaisé de Chapman et Seber (Gallay et al. 2010) :

Avec N1 et N2 les nombres de victimes identifiées respectivement par le SGSI et le CNSR et X11 le nombre de victimes identifiées conjointement par les deux sources. Afin d’obtenir le nombre de victimes conjointement enregistrées par les deux sources, une correspondance entre les bases de données a été effectuée en se servant des variables suivantes : la date de survenue de l’accident, le type d’accident, l’âge, le sexe et le type de blessures subies par les victimes. Le nombre de victimes identifiées par le système a été rapporté au nombre total de victimes d’accidents de la route estimé.

La représentativité

Un système de surveillance est dit représentatif s’il décrit correctement la survenue des évènements de santé suivis au cours du temps ainsi que sa distribution dans la population en termes de lieu et de caractéristiques individuelles. Dans cette étude, la couverture géographique du système a été l’indicateur de représentativité. Ainsi, le nombre d’arrondissements disposant d’au moins une formation sanitaire participant à la collecte des données de routine a été rapporté au nombre total d’arrondissements des villes.

La stabilité

La stabilité reflète la fiabilité et l’aptitude du système à fonctionner sans encombre. Le nombre de rapports annuels produits par le système entre 2008 à 2017 a servi d’indicateur de stabilité.

La réactivité

La réactivité reflète la rapidité de transmission de l’information d’un niveau à un autre du système de surveillance. Le temps moyen (en mois) mis par le système pour produire l’annuaire statistique d’une année écoulée entre 2008 à 2017 a permis d’apprécier la réactivité du système.

Analyse des données

Les données socio-démographiques et professionnelles des acteur·rice·s du système ainsi que celles relatives aux critères de simplicité et de flexibilité ont été saisies et traitées avec le logiciel Epi Info 7. L’utilité du système ayant fait l’objet d’une approche qualitative, ses données ont été traitées manuellement et analysées suivant le contenu. Quant aux autres critères, le tableur Excel a été utilisé pour traiter et analyser les données. Pour la description de l’échantillon, les fréquences absolues ont été utilisées pour les variables qualitatives, les moyennes et écart-types pour les variables dont la distribution était normale. La médiane et l’intervalle interquartile ont été calculés pour les variables quantitatives dont la distribution n’était pas normale.

 

Résultats

La collecte de données a été effectuée dans dix-neuf centres de santé, cinq bureaux de zone sanitaire, six hôpitaux, en plus du SGSI de la Direction de la Programmation et de la Prospective du MS. Dans les formations sanitaires et bureaux de zone, nos cibles étaient : vingt-deux infirmiers, six statisticiens, une sage-femme et un responsable de surveillance épidémiologique. Le sex-ratio homme pour femme était de 1, avec une moyenne d’âge de quarante-deux ans et un nombre moyen d’années d’expérience de quinze ans. Parmi les dix-neuf responsables de centre de santé, dix n’avaient suivi aucune formation sur le remplissage des relevés mensuels épidémiologiques. Tou·te·s celles et ceux des hôpitaux et des bureaux de zone en avaient suivi au moins une.

Description du système

Le SISR renseignait systématiquement sur les affections et maladies fréquemment rencontrées dans les formations sanitaires du pays, dont les traumatismes liés aux AR. Il s’agissait d’une surveillance de type passif qui reposait sur la configuration pyramidale du système de santé du pays.

Au niveau périphérique, les agent·e·s des centres de santé publiques et des cabinets de soins privés renseignent dans le registre de soins curatifs (B1) les données suivantes sur chaque patient·e reçu·e : numéro d’ordre, nom et prénom, quartier, tranche d’âge, sexe, constantes, symptômes et autres signes, conduite ou traitement, observation. À la fin du mois, le ou la responsable du centre procède au décomptage de chaque affection recensée (cas et décès par tranche d’âge et par sexe). Ce dépouillement a pour but le remplissage des relevés mensuels épidémiologique : B5-a pour les centres de santé et cabinets privés et B5-b pour les hôpitaux. Ils constituent les principaux outils de collecte et les éléments de base de la surveillance épidémiologique. Les cas d’AR sont notifiés sous l’intitulé « Traumatismes dus aux Accidents de circulation » sur les fiches B5-a et B5-b. Une fois remplies, les fiches B5-a (support papier) sont acheminées vers les Bureaux de Zone sanitaire (au plus tard le 5 du nouveau mois) auxquelles appartiennent les centres de santé et cabinets de soins. Au bureau de zone, après vérification de la cohérence interne, les données des fiches sont intégrées dans l’entrepôt national en ligne du pays (au plus tard le 20 du nouveau mois) grâce à la plateforme : District Health Information Système 2 (DHIS2). La saisie des données revient au statisticien du Bureau de Zone. En cas d’incohérence interne, celui-ci le notifie par appel téléphonique au responsable du centre pour correction. Dans les hôpitaux privés et de zone, toujours grâce au DHIS2, la compilation des fiches B5-b se fait automatiquement après saisies des données individuelles des patients dans le volet « Tracker » du DHIS2. Les responsables de la statistique dans les hôpitaux récupèrent donc les fiches navettes des patients qu’ils intègrent directement au DHIS2 au plus tard le 20 du nouveau mois.  Au niveau intermédiaire et central, les données des Centres Hospitaliers Départementaux et du Centre National Hospitalier Universitaire doivent aussi être directement intégrées au DHIS2 comme dans les HZ.

Une fois les données rendues disponibles dans l’entrepôt en ligne, elles sont accessibles à tout usager de la plateforme. Les statisticien·ne·s des bureaux de zone s’en servent pour la production d’indicateurs sur les différentes affections suivies dont les AR, pour la rétro-information. Les acteur·rice·s du SGSI du MS se chargent de la compilation de ses données au niveau national et leur vérification en collaboration avec les équipes départementales. Enfin, ils et elles les utilisent pour la production des indicateurs sur les AR dans les annuaires des statistiques sanitaires.

Cette configuration, basée sur le DHIS2, est relativement récente. En effet, son intégration s’est faite en 2015, grâce à l’aide de la Banque Mondiale au travers de Projet de Renforcement de la Performance du Système de Santé (PRPSS).

Les activités du système de collecte de routine sont intégrées dans le budget de fonctionnement du SGSI de la Direction de la Programmation et de la Prospective.

Évaluation de la performance du système

Les critères de performance du SISR dans la surveillance des AR se présentaient comme suit :

Utilité

Le SISR produit des informations sur l’accidentologie du pays, des départements et des zones sanitaires. Il était donc jugé utile. A travers les annuaires statistiques sanitaires produits à chaque niveau de la pyramide sanitaire, il rendait disponible aux décideurs et décideuses les informations suivantes : incidence des traumatismes liés aux AR et nombre de cas de décès suite à un AR. Pendant le mois de mars 2019, le système avait enregistré 91 traumatisés d’AR dans la ville de Ouidah, sans décès.

Simplicité

Le système était jugé simple à 83% par les agent·e·s responsables de la collecte de données. Les scores pour les composantes de ce critère de simplicité se présentaient comme suit : la clarté de la définition des cas de décès était de 77,4%; l’adéquation de la quantité d’informations à renseigner était de 90,6%; la facilité d’obtention des données à renseigner était de 78% et la facilité de transmission des données au niveau supérieur était de 84%.

Flexibilité

Le SISR avait connu un changement majeur au cours de ces dernières années : l’avènement du DHIS2 en 2015. Compte tenu de son implémentation partielle au niveau périphérique, seul·e·s les statisticien·ne·s des bureaux de zone et des hôpitaux avaient jugé de la flexibilité du système vis-à-vis de l’utilisation de cette plateforme. Ces dernièr·e·s estimaient que le système était flexible à 81,81% vis-à-vis du DHIS2. Les scores des niveaux d’adaptation théorique et pratique étaient respectivement de 100% et 63,63%.

Acceptabilité

Sur les 232 formations sanitaires des deux villes concernées par cette étude, 128 participaient à la collecte de données de routine, soit une proportion de participation de 51,4%. Dans le secteur public, seuls le CNHU et l’Hôpital d’Instruction des Armées ne participaient pas à cette collecte, soit une participation de 91,67%.  Dans le secteur privé, la participation était de 44,77%.

Complétude

L’appréciation de la complétude avait porté sur 198 fiches B5-a. Sur chaque fiche B5-a, 39 cellules concernaient les accidents de la route pour les centres de santé disposant de salles d’hospitalisation et 21 pour les centres qui n’en disposaient pas. Il s’agissait du nombre de cas et de décès enregistrés par tranche d’âge (0-11 mois, 1-4 ans, 5-14 ans, 15 ans et plus) et par sexe, suivi du total (consultation, hospitalisation et général) et des références. Sur les 198 fiches échantillonnées, six provenaient de centres offrant les services d’hospitalisation. Parmi les 4 266 cellules concernant les accidents de la route, 694 cases étaient effectivement renseignées. La complétude était donc de 16,27%.

Exhaustivité

Du 1er mars au 31 mars 2019, les formations sanitaires de la ville de Ouidah, ont enregistré 91 cas de traumatismes routiers. Quant au CNSR, il a enregistré dans la même période six (06) accidents de la route engendrant 12 victimes. Après correspondance entre les deux sources, quatre (04) victimes ont été conjointement enregistrées par les deux systèmes; le nombre total d’accidents de la route était donc estimé par capture-recapture à 239 (tableau 1). L’exhaustivité de la SISR dans la surveillance des cas d’AR était donc de 38,07%.

Tableau 1 : Estimation par la méthode de capture-recapture du nombre de victimes d’accidents de la route à Ouidah en mars 2019

Représentativité

Tous les 17 arrondissements des deux villes ayant servi de cadre pour cette étude disposaient d’au moins une formation sanitaire (publique ou privée) participant à la collecte de données de routine. La représentativité est donc de 100%. Trois arrondissements (01 à Ouidah et 02 à Cotonou) ne disposaient pas de formation sanitaire publique, la surveillance y était assurée par des formations privées.

Stabilité

Le système était stable à 100% car les annuaires statistiques entre 2008 à 2017 ont été effectivement produits.

Réactivité

Entre 2008 à 2017, le temps moyen mis par le SGSI pour produire l’annuaire des statistiques sanitaire était de 5 mois. Cinq annuaires ont été produits au premier trimestre l’année suivante.

Discussion

Cette étude a évalué la performance du SISR en tant que système de surveillance des AR en se servant des critères de performance du CDC.

Bien que le SISR soit jugé utile dans la surveillance épidémiologique des traumatismes par AR, il fournissait peu d’informations (nombre de cas et décès uniquement). Les informations portant sur le type de blessures n’étaient pas produites. Les données sur ces aspects sont habituellement disponibles en milieu hospitalier; mais elles ne sont pas collectées compte tenu de la composition des outils. Ces données seraient tout de même très utiles dans l’évaluation des mesures de prévention mises en œuvre par le pays, à l’instar de celle sur le port de casque par les motocyclistes, introduite en 2015.

La bonne représentativité de ce système repose sur la couverture nationale du pays en infrastructures sanitaires qui était de 94,3% en 2017 (Ministère de la santé 2017). Elle ne garantit cependant pas une appréciation parfaite des AR compte tenu du niveau d’acceptabilité du système. L’acceptabilité des formations sanitaires était relativement inférieure à celle trouvée par Parker et al. pour le Système d’Information des Accidents de la Route et leurs Victimes au Cambodge (RCVIS) (Parker et al. 2014). La non-participation du CNHU constitue un véritable défi pour ce système en considérant le nombre important de victimes qu’il draine du fait de la qualité du plateau technique. Il en est de même pour l’Hôpital d’Instruction des Armées de Cotonou qui est affilié au Ministère de la Défense. De plus, moins de la moitié (44,77%) des structures privées participaient à la collecte de données de routine. Bien que des efforts soient faits dans le sens d’une plus grande intégration du secteur privé, la participation de ce secteur à la surveillance reste encore faible du fait du caractère informel voire illégal de nombreuses structures sanitaires privées. En ce qui concerne le CNHU et l’Hôpital d’Instruction des Armées de Cotonou, leur non-participation est liée aux différences organisationnelles avec les autres hôpitaux, ce qui ne favorise pas l’intégration des outils de collecte du SISR à leur système d’information sanitaire. Ceci soulève tout le problème de l’inter-opérationnalité des systèmes de collecte qui coexistent dans un même environnement. Les indicateurs actuels de morbidité et de mortalité produits par le SGSI sur les accidents de la route pourraient être plus réalistes et connaître une forte augmentation si toutes ces structures participaient à la collecte de données de routine.

Concernant la flexibilité du système vis-à-vis de l’implémentation du DHIS2, le niveau d’adaptation pratique relativement faible (63,63%) traduisait principalement sa difficulté de mise en œuvre. Cette difficulté est essentiellement liée à un problème de développement numérique du pays : la couverture internet. Le bon fonctionnement du DHIS2 nécessite une connexion internet de qualité; ce dont ne disposent pas tous les hôpitaux. Néanmoins, la plateforme DHIS2 offre la possibilité de collecter les données individuelles, mais cela nécessite une implémentation totale au niveau périphérique; c’est-à-dire son utilisation dans les centres de santé.

Le faible niveau de complétude des données était principalement dû au fait que les cellules qui devraient porter le chiffre « 00 » étaient laissées vides par les agents de collecte. La faible proportion d’agents formés sur le remplissage des outils de collecte pourrait être à la base de cette pratique. L’étude n’avait porté que sur les supports B5-a qui sont propres aux centres de santé. Compte tenu de la rareté des cas de décès dans ces centres, les cellules y faisant référence étaient vides. Il en était de même pour les cas chez les enfants de moins d’un an et d’un an à quatre ans. Tous ces éléments sont autant de facteurs explicatifs de cette faible complétude. Les relevés mensuels épidémiologiques des hôpitaux (B5-b) étaient automatiquement produits par la plateforme du DHIS2, ce qui réduit considérablement, voire exclut le risque de non-remplissage des cellules. La mise en œuvre d’un plan de formation par le SGSI pour les agent·e·s chargé·e·s du remplissage des fiches B5-a pourrait aider à améliorer la complétude des supports de collecte du système. En outre, une adaptation des outils, intégrant les particularités relatives aux données expliquant la faible complétude pourrait également être une piste d’amélioration.

L’affiliation du SISR au SGSI du Ministère de la Santé lui confère une stabilité complète. En effet, toutes les activités du SISR sont intégrées dans le budget du MS, ce qui assure une disponibilité des ressources financières. Quant à sa réactivité qui était deux fois supérieure à celle du Système d’Information des Accidents de la Route et Victimes au Cambodge (10 mois), elle résulterait de la décentralisation de l’analyse de données qui faciliterait la production des annuaires des statistiques sanitaires aux acteurs du niveau central (Parker et al. 2014).

La méthode de capture-recapture a fréquemment été utilisée pour apprécier l’exhaustivité des systèmes de surveillance épidémiologique (Sango et al. 2016; Slesak et al. 2015). L’exhaustivité du SISR dans la détection des victimes d’accidents de la route est relativement faible selon les résultats de la présente étude. Des résultats similaires ont été trouvés dans d’autres pays africains. Au Mali en 2012, Sango et al. avaient estimé par la méthode de capture-recapture la sensibilité du système sanitaire à détecter les victimes d’AR à 42% (Sango et al. 2016). En 2013, Abegaz et al. (2016) ont trouvé à Addis-Abeba en Éthiopie une proportion de victimes identifiées par les sources sanitaires plus élevée et comprise entre 55,2%–56% (Abegaz et al. 2016). Ces variations observées pourraient s’expliquer par les différences entre les périodes de collecte de données. En effet, Sango et al. (2016) avaient collecté sur une période de quatre mois allant de janvier 2012 à avril 2012, alors que la collecte de données pour l’étude en Ethiopie s’est étendue de juin 2012 à mai 2013, soit un an.

Sur la base des éléments de la méthodologie et des spécificités du sujet, certaines insuffisances ont été relevées vis-à-vis de la présente étude. Tout d’abord, les résultats obtenus ne peuvent pas être généralisés à tout le pays. En effet, Cotonou et Ouidah sont des villes à statut particulier et ne sont pas représentatives du pays. Aussi, certains critères (simplicité et flexibilité) étant très subjectifs, ils pourraient connaître des variations importantes d’une région à une autre du pays. S’agissant de l’application de la méthode de capture-recapture, sa validité est basée sur six conditions primordiales dont l’une suppose que la population étudiée doit être fixe (Gallay et al. 2002). Ce qui n’a pas été forcément le cas dans cette étude. En effet, la population de toute ville est sujette à des mouvements. Enfin, à l’instar d’autres évaluations de système de surveillance épidémiologique basées sur les critères du CDC, la valeur prédictive positive n’avait pas été déterminée (Parker et al. 2014; Babaie et al. 2015). Son appréciation n’avait pas été jugée pertinente compte tenu de la nature du phénomène suivi. En effet, les cas sont admis dans les formations sanitaires après la survenue de l’accident. Le diagnostic du traumatisme routier ne nécessite aucun test; il se fait sur la base de la déclaration du patient.

Conclusion

Cette évaluation a révélé que le SISR était utile dans la surveillance des traumatismes dus aux accidents de la route au Bénin. Bien qu’étant simple, représentatif et stable, ce système seul ne suffisait pas pour cerner l’ampleur des accidents de la route au Bénin et guider dans la prise de décision pour les mesures préventives. Un système intégrant les données de différentes sources (données sanitaires, issues des constats d’accident et des sociétés d’assurance) serait plus efficace pour une meilleure surveillance au Bénin. La mise en place d’un tel type de système implique une prise de conscience du problème et une analyse réaliste des parties prenantes ainsi que de la faisabilité afin de garantir sa pleine fonctionnalité.

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Ce chapitre est une traduction d’un article publié en anglais et remanié/réduit pour cet ouvrage : « Performance of the routine health information system for epidemiological surveillance of road traffic injuries in Benin ». Journal of Public Health and Epidemiology. DOI : https://doi.org/10.5897/JPHE2020.1215

  1. https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/road-traffic-injuries

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Les traumatismes routiers en Afrique de l’Ouest Droit d'auteur © par Emmanuel Bonnet et Aude Nikiema est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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