3 Vue depuis les sciences physiques : la recherche actuelle sur l’énergie solaire en Afrique, particulièrement au Sénégal
Grégoire Sissoko
C’est une histoire qui commence un peu avant la décolonisation, puis qui se continue après.
À Dakar, deux objectifs furent poursuivis à partir du début des années 1950 en matière de recherche sur l’énergie solaire, à savoir d’un côté la formation d’enseignants-chercheurs et de l’autre le développement de résultats à buts sociaux et appliqués.
La première orientation qui fut retenue s’est incarnée tout d’abord dans la création du LASES de l’université de Dakar (Laboratoire des semi-conducteurs), lequel se consacra rapidement au travail sur les photopiles.
En parallèle, se développa également, à partir de 1962, une autre orientation de travail centrée sur les travaux du professeur Masson et les applications thermodynamiques de l’énergie solaire, une orientation que portera l’I.P.M. (Institut de physique météorologique), créé par Masson lui-même, puis par le CERER qui lui a succédé jusqu’à nos jours (Centre d’études et de recherches sur les énergies renouvelables).
Enfin, plusieurs autres institutions de formations se consacreront à la formation des élèves ingénieurs ou techniciens supérieurs et également à la recherche technologique[1].
Elles seront, avec les premières citées, véritablement les premiers lieux d’accueil de la recherche solaire au Sénégal, et elles le demeurent aujourd’hui.
Dans le passé
Tout ce travail de lancement, ce travail exploratoire, n’aurait pas vu le jour sans un certain nombre de personnes, des physiciens venus de France, comme le professeur Masson déjà mentionné[2], mais également, dans la génération suivante, avec plusieurs professeurs qui furent nos maîtres et qui étaient originaires à la fois de France et du Sénégal.
Parmi eux, nous pouvons mentionner Djibril Fall et Mansour Kane, qui dirigeront plus tard le CERER, Lamine Ndiaye, spécialiste en thermodynamique, William Cohen Solal, spécialiste de la mécanique quantique et qui travaillait sur la physique des semi-conducteurs, Michel Rodot, qui fut un des premiers spécialistes du photovoltaïque en France, Pierre Chartier, spécialiste des couches minces pour les cellules photoélectriques, etc.
Voici, en 1986, une partie de l’équipe réunie lors de la soutenance de ma thèse de troisième cycle. Avec, de gauche à droite : le professeur Cohen Solal, avec les lunettes, le professeur Djibril Fall, directeur de l’IPM puis du CERER jusqu’en 1992, le professeur Mansour Kane, le professeur Ndiaye, un professeur invité de France, un doctorant, et enfin, tout à gauche, moi-même.
On voit donc ici quelques-uns des assistants et étudiants que nous étions, sachant que, ensuite, les expatriés vont repartir, et que nous, nous sommes restés, avec la mission de conduire, de poursuivre. Ou de ne pas conduire…
Pour comprendre dans quelles conditions la recherche solaire s’est ensuite poursuivie, avec quels enjeux et quels défis, il faut repartir des documents d’époque, et notamment de ceux qui nous montrent des expérimentations en cours.
On voit ainsi ci-dessous les Professeurs Mansour Kane et Lamine Ndiaye en train de travailler à la première photopile solaire qui fut réalisée au Sénégal!
Ce qui montre que le Sénégal a véritablement été un pays pionnier en matière de fabrication de photopile solaire!
On pense parfois que les Africains ne savent pas le faire, mais les Africains peuvent très bien le faire!
Ici, il s’agit de couches minces, notamment de sulfure de cadmium.
On voit à côté le Professeur Kane en train de valider le rendement de ces photopiles en fonction des variations sur le spectre solaire. Il cherche en fait à déterminer les paramètres électroniques qui montrent les limitations du rendement dans certaines zones du spectre.
Les images suivantes montrent le travail avec de l’azote liquide, car nous avions à l’époque les moyens de faire de l’azote liquide, et nous retrouvons ensuite les deux mêmes professeurs en train de travailler avec une pompe à vide afin de créer un environnement protégé.
En effet, comme le montre le cliché ci-dessous, lequel a été en partie repris dans un numéro fameux pour l’énergie solaire du Courrier de l’UNESCO, le laboratoire possédait à cette époque une cloche à vide qui permettait de travailler sur les photopiles sans aucune « pollution » de l’environnement, telle que la simple respiration humaine. La légende de la photographie dans ce numéro de janvier 1974 est parlante sur l’importance à l’époque de Dakar dans ces recherches.
L’absence actuelle de matériel de laboratoire fonctionnel
Mais, après ce retour vers le passé, quel est l’état des lieux aujourd’hui?
L’état des lieux, c’est que ce laboratoire, il est vide!
Il n’y a plus rien.
Les pompes à vide (1re image) ont tout simplement été ramassées, démontées et vendues au prix du kilo de fer… La cloche à vide est inutilisable.
De même pour l’appareil pour faire de l’azote liquide, ou l’électro-aimant…
Leur état parle de lui-même…
Je passe sur le fait que nous avions également un groupe électrogène et des pompes de relais pour ne pas perdre le matériel des expériences et tous les protocoles en cas de coupure de réseau…
Car, rien que pour faire de la recherche, il faut de l’énergie…
On fait de la recherche pour trouver l’énergie, mais il en faut aussi pour cela!
Les conséquences et la situation actuelle
Donc, aujourd’hui, on a le choix : partir en France, en Europe, au Canada, et se mettre dans de bonnes conditions pour faire de la recherche.
Ou rester au Sénégal…
Partir en France, qu’est-ce que cela signifie ?
Soit vous participez à une compétition de bourses d’excellence, vous êtes lauréat, et vous y allez dans de bonnes conditions.
Soit vos parents ou votre famille payent et, lorsque vous revenez, il faut trouver la possibilité de rembourser.
On parle beaucoup actuellement de la dette américaine en matière de formation et de prêts étudiants, mais c’est pareil ici!
Et c’est ici une « crise », non pas seulement financière, mais également familiale que vous provoquez si vous ne pouvez rembourser, car en Afrique, la famille, c’est plusieurs couches, plusieurs générations superposées et imbriquées…
L’autre solution, donc, est de rester au Sénégal.
Avec quel type de professeur pour vous encadrer, pour que vous puissiez arriver au niveau Master et autre? Et quel type de professeur avec quel type d’engagement?
J’ai mis personnellement sept ans pour faire ma thèse d’État, de 1986 à 1993. Aujourd’hui, nous avons certains jeunes enseignants parmi nous qui peuvent, en trois ans, boucler cela…
Donc, voilà ce qui s’impose à nous : nous devons être une génération capable d’impulser la recherche sans rien du tout, sachant que les laboratoires sont vides…
Alors quels choix faut-il faire, quels choix de recherche faut-il faire?
Les anciens chercheurs et professeurs qui ont été formés à monter des dispositifs et à interpréter des résultats à partir de la physique fondamentale, ces acteurs attendaient de nous une poursuite de ce type de recherche, nous qui n’avons rien…
Alors nos choix se sont tournés vers la simulation, la modélisation et quelques rares cas d’expérimentations qu’on peut malgré tout réaliser.
Et il faut ensuite valider ces résultats dans des publications sur le plan international.
Et il faut aussi réussir à entrer dans le cahier des charges du « temps »!
Parce que nos familles, ici, ce sont des familles sociales. Or, si vous passez sept ans à faire une thèse, que vous commencez à 28 ans, sachant qu’on estime parfois que l’espérance de vie d’un Africain est de 35 ans, la famille ne peut plus compter sur vous…
De fait, la question devient de savoir sur quelles thématiques est-il possible de s’engager, de travailler?
Ces thématiques sont diverses, des plus théoriques aux plus appliquées. Notamment, par exemple, les recherches sur les isolants utilisant des matériaux locaux, pour la construction, tels que la filasse, le chanvre, les matériaux végétaux issus de l’arbre appelé « fromager »…
Mais également des perspectives plus larges, telles les utilisations des moteurs solaires, type les moteurs dits « Sterling », ou d’autres, comme ceux développés par la SOFRETES.
Mais plus largement encore, il nous semble aujourd’hui important de tenter d’ouvrir nos perspectives de recherche.
Par exemple, nous avons eu récemment la possibilité d’intégrer un groupe qui travaillait sur la situation des photopiles au niveau spatial.
Nous avons fait en ce sens plusieurs thèses et publications, qui concernent les dommages causés par certaines particules atomiques sur les panneaux en situation satellitaire, notamment.
L’idée était de nous « porter », en quelque sorte, au plus près des recherches sur le photovoltaïque les plus avancées, des Européens et des autres.
Grâce à ce type de positionnement et de thématiques, nous avons pu participer à des conférences internationales et j’ai moi-même à plusieurs reprises été sollicité pour des conférences européennes, pour présider des sessions, grâce à ces résultats qui avaient été identifiés au niveau international.
Par ailleurs, nous avons la possibilité désormais d’organiser des soutenances de thèse hors de Dakar, pour sensibiliser les populations aux enjeux énergétiques, notamment les femmes. Ce sont elles, en effet qui, en Afrique, exercent le principal rôle dans les familles sur ces questions.
Ainsi, nous avons pu « déconcentrer » des soutenances à Saint-Louis, à Thiès, à Kaolack…
Certains résultats concrets commencent donc à pouvoir être constatés.
Si on parvient non seulement à améliorer la formation, mais également à insuffler la « flamme » de la recherche, on voit des personnes sortir et réussir…
Par exemple, un de mes anciens étudiants est devenu l’auteur d’un manuel sur la mécanique quantique et il est désormais vice-recteur!
Alors que nous, nous n’avons pas eu le temps d’écrire des livres…
Un autre, également, est devenu professeur titulaire, vice-recteur de l’université de Thiès, et lui aussi a eu le temps d’écrire deux livres pour présenter aux jeunes ingénieurs comment faire de la thermodynamique, en collaboration avec un collègue de France.
Les perspectives d’avenir et la structuration d’un réseau continental
Au final, on voit que notre génération est peut-être en train de réussir à impulser autre chose. À poser des bases.
Notamment, aussi, parce que nos propres statuts ont été revalorisés. En 1985, en tant qu’assistant, je ne touchais que 200 euros de salaire, soit moins qu’un professeur de lycée… Aujourd’hui, on voit des ingénieurs qui reviennent travailler comme enseignants à l’université, et cela est positif.
Par ailleurs, nous avons porté un vrai effort sur la structuration de la recherche et des échanges au niveau africain, pour les soutenances, pour la visibilité et l’interconnaissance, au travers notamment du GIRER (Groupe International de Recherche sur les Énergies Renouvelables).
On voit ici le résultat de cet effort académique au Sénégal (à gauche), puis au niveau des pays partenaires à l’intérieur du CAMES.
Au Sénégal, particulièrement, nous avons mis l’accent également sur l’accès des femmes aux diplômes dans ce domaine de l’énergie solaire.
Nous avons déjà une thèse d’État et deux thèses de troisième cycles soutenues, et de nombreuses autres enseignantes et doctorantes!
Ce sont là des résultats dont nous nous félicitons tout spécialement.
Conclusion
Reste pour finir tout à fait à se poser diverses questions…
Et, pour moi, la première qui se pose est : vous, les jeunes, quel est le référentiel que vous allez avoir?
Monsieur Jean-Pierre Girardier nous a rappelé quelle était son ambition pour l’énergie solaire en Afrique, dès les années 1960[3].
Moi-même, en tant que professeur, je viens de tenter de l’évoquer.
Mais vous, les jeunes? Quelle peut être votre ambition, avec nos faibles moyens?
D’abord, sans doute, se faire connaître, diffuser internationalement, entrer au maximum en contact. Il faut devenir identifiable par vos recherches, comme je le dis toujours à mes étudiants.
Pour autant, d’autres questions restent à préciser : recherche en groupe, recherche de laboratoire, avec quels partenariats nationaux, régionaux, internationaux?
Dans tous les cas, il faut des personnalités fortes, sur place, pour porter les jeunes vers la recherche, d’autant qu’avec la massification de l’enseignement nous avons de fortes responsabilités.
En résumé, je partage une nouvelle fois la philosophie de Jean-Pierre Girardier, qu’il nous a rappelée durant ces rencontres : ne pas attendre que l’Europe vienne faire des choses pour vous, pour nous…
Et ces premières rencontres Decottignies sur l’énergie solaire nous montrent l’importance de la transversalité des études sur les énergies, l’importance d’associer tous les regards, à partir des sciences économiques, des sciences sociales, des sciences juridiques, des sciences physiques, de l’informatique, etc.…
Donc vous, les jeunes, ne laissez pas passer cet espoir!
Pour que vous soyez des liens entre les différents professeurs, pour que vous participiez à cette émergence et puissiez y trouver votre place.
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