12 Unités de production électrique et propriétés privées : aperçu des questionnements juridiques en droit privé français
Jean-François Dreuille
La politique énergétique de la France encourageait initialement la production d’électricité d’origine photovoltaïque sur des terrains privés et pour des productions limitées. Les particuliers, mais également les entreprises, procédèrent donc à l’installation de panneaux solaires, le plus souvent en toiture, intégrés au bâti, largement encouragés, en cela, par le prix de rachat de l’électricité, plus avantageux. Dès lors, dans un premier temps, les grandes exploitations au sol restèrent assez limitées. On l’aura compris, la France n’a clairement pas fait le choix des très grandes centrales, telles que celles installées, par exemple, en Espagne, notamment, pour limiter les risques de spéculations foncières.
La promotion de la production d’électricité d’origine solaire a été encouragée par de multiples incitations fiscales (taux réduits de TVA, crédits d’impôt sur le revenu, exonérations, amortissements, réductions et dégrèvements) (Joye et Guigue 2010). Cette incitation, très forte dans un premier temps, a contribué à créer de véritables niches fiscales très couteuses pour l’État. La réaction ne s’est pas fait attendre : à partir de 2010, le législateur a réduit le crédit d’impôt et il l’a supprimé dans la loi de finance de 2014[1]. L’effet est immédiat pour les particuliers et l’équation est très simple : moins d’incitations fiscales et de crédits d’impôts, moins de raccordements, ce qui tend à relativiser la fibre écologique des citoyens français.
Depuis le quatrième trimestre 2015, le nombre de raccordements a diminué et ce sont les grands projets qui prennent le relais (Commissariat Général au Développement Durable 2016). Cette tendance s’est confirmée en 2016 : plus de 50 % de la puissance raccordée en 2016 provient d’une puissance supérieure à 250 kW, alors que la puissance moyenne des installations est de 18 kW. À titre d’exemple symbolique de cette orientation nouvelle, la plus puissante centrale photovoltaïque d’Europe a été inaugurée, au cours de la COP 21, près de Cestas en Gironde. D’une puissance de 300 MW, cette centrale pourrait satisfaire aux besoins électriques d’une ville de 300 000 habitants[2]. De plus si l’on s’intéresse aux projets solaires photovoltaïques en cours d’instruction et encore non raccordés, au 31 décembre 2016, on constate que plus de 73 % de la puissance des nouvelles installations sera issue d’installations supérieures à 250 kW[3].
Pour autant, beaucoup de particuliers ont installé des panneaux solaires et continuent à le faire, notamment en toiture. Observons, pour l’année 2016, les chiffres de répartition des installations solaires photovoltaïques par tranche de puissance : 74,36 % des installations ont une puissance inférieure ou égale à 3 kW. Cette proportion monte à 90,75 % si on inclut les installations entre 3 et 9 kW selon les chiffres de 2016, non définitifs à ce jour (Commissariat Général au Développement Durable, s. d.). C’est dire que la grande majorité des installations sont de petites installations exploitées principalement par des particuliers (347 046 installations de cette nature), d’où l’intérêt de se pencher sur les questionnements juridiques soulevés par l’implantation d’une unité de production électrique sur une propriété privée.
Ces problématiques ont été abordées, dans le détail, dans l’ouvrage collectif rédigé sous la direction du professeur David Bailleul (Bailleul 2010). En s’appuyant sur cet ouvrage et avec l’accord des auteurs concernés (Quezel-Ambrunaz et Lebourg 2010) (Claret et Dreuille 2010), cette contribution a pour objet de présenter, dans les grandes lignes, les notions juridiques de droit privé que l’on peut mobiliser pour sécuriser juridiquement les installations et la production d’électricité par des personnes privées.
La principale difficulté consiste à opérer des processus de qualification juridique afin de déterminer le régime juridique applicable. D’emblée, on peut donc affirmer que le thème de l’énergie solaire ne présente, pour le juriste, aucun particularisme d’ordre méthodologique. Les qualifications juridiques soulevées n’en sont pas moins complexes et certaines ne sont pas définitivement tranchées (Partie I). Un constat similaire peut être dressé lorsque l’on se penche sur les contrats les plus fréquemment mobilisés pour l’implantation de panneaux solaires sur une propriété privée (Partie II).
Énergie solaire et qualifications juridiques
Les panneaux solaires thermiques ou photovoltaïques, en captant le rayonnement solaire, produisent de l’énergie. Juridiquement, ce processus soulève deux enjeux : il s’agit, avant tout, de tenter de trancher la qualification juridique du rayonnement solaire (A), puis de proposer les qualifications juridiques les plus adaptées en ce qui concerne l’implantation des panneaux solaires (B).
A. Rayonnement solaire et qualification
L’intérêt n’est pas purement théorique : le régime juridique du rayonnement solaire va dépendre de cette qualification. Dès lors, il convient impérativement de trancher cette première difficulté : le rayonnement solaire relève-t-il en droit français de « la chose commune » ou du « bien »?
La réponse à cette question implique d’appréhender, en se référant aux débats doctrinaux classiques, les différences entre « la chose » et « le bien » juridiques.
Pour certains auteurs, la « chose » peut devenir un « bien » si elle peut être appropriée; pour d’autres, la « chose » peut devenir un « bien » si elle fait l’objet effectivement d’une appropriation.
Pour autant, au terme de ces deux raisonnements, l’appropriation apparait décisive dans la qualification. Or, c’est très difficilement concevable s’agissant du rayonnement solaire : on peut utiliser le rayonnement solaire, mais on ne peut pas se l’approprier, pour la bonne et simple raison qu’il n’est pas envisageable de se conduire à son égard en propriétaire.
Ainsi, personne n’a la faculté de détruire le rayonnement solaire : l’abusus fait donc défaut. La qualification de « bien » juridique doit être écartée et il convient donc de privilégier la « chose », ce qui soulève immédiatement une autre interrogation : une « chose », certes, mais quelle « chose »?
Il ne s’agit pas d’une « chose » abandonnée, elle n’a jamais appartenu à quelqu’un. La qualification res derelictae doit donc être écartée.
Il ne s’agit pas davantage d’une res nullius, qui sont des choses appropriables selon l’article 713 du Code Civil. Il s’agit donc plus certainement d’une res communis, relevant de l’usage commun, au même titre que l’air.
Pour autant, le processus de qualification n’est pas achevé : il convient de tendre vers un « bien appropriable », en passant d’une « chose commune » à une « chose appropriée » et enfin, en quelque sorte, pour finaliser le processus, de passer d’une « chose appropriée » à un « bien » juridique, un « bien » susceptible d’entrer dans le commerce. Or, ce cheminement juridique se fait en deux temps.
Dans un premier temps, le panneau solaire, qu’il soit thermique ou photovoltaïque, est fondamental dans ce processus : il va transformer le rayonnement solaire en énergie thermique ou électrique. Or, c’est le propriétaire du panneau solaire qui va bénéficier de la propriété de cette énergie, par un droit d’accession, en application des articles 547 et suivants du Code civil.
Dès lors, le schéma semble très simple : le propriétaire du panneau solaire devient, par la règle de l’accession, le propriétaire de l’énergie produite.
Pour autant, les facteurs de complexification juridique sont très nombreux. Sans déflorer la seconde partie de la contribution, il est important de préciser, à ce stade, que le propriétaire de l’immeuble n’est pas nécessairement l’exploitant.
En effet, un tiers, le plus souvent une société, peut disposer d’une partie de l’immeuble pour y implanter une centrale solaire afin de l’exploiter. Il peut encore s’agir d’un usufruitier, ou du propriétaire d’un immeuble en indivision, mais dans ce dernier cas il conviendrait de déterminer si l’achat est fait en commun par tous les indivisaires, ou par l’un d’entre eux. Le propriétaire du panneau solaire peut également être le locataire de l’immeuble, s’il a lui-même procédé à l’installation. Le propriétaire peut enfin être le vendeur des panneaux solaires, qui a très bien pu se réserver la propriété des biens, jusqu’au complet paiement, une clause de réserve de propriété présentant d’indéniables avantages, sous réserve toutefois que les panneaux n’aient pas été intégrés au bâti.
Pour en revenir au rayonnement solaire, la « chose commune » est donc désormais appropriée. Or, cette appropriation est de nature à produire des effets de droit. On peut ainsi songer aux règles de responsabilité civile, en cas d’électrocution ou encore d’incendie : le responsable est le gardien de la chose (Code Civil, art. 1241, al. 1er)[4].
Toutefois, l’énergie appropriée et issue de l’installation solaire n’est pas, ce stade, un « bien » juridique dans le commerce.
Dans un second temps, l’énergie appropriée peut devenir un « bien » juridique si elle est transformée pour devenir utile. Elle doit servir effectivement à chauffer l’eau de l’habitation ou encore, s’agissant de l’énergie électrique, il est nécessaire qu’elle transite par un onduleur, transformant le courant continu en courant alternatif, avec une tension et une fréquence adaptée au réseau de distribution.
L’énergie doit donc être utile et, de plus, elle doit pouvoir être cédée pour entrer dans le commerce.
À ces conditions, la « chose appropriée » devient un « bien » juridique que l’on va pouvoir qualifier en usant des catégories classiques : bien consomptible, chose de genre, bien de première nécessité, bien qui peut être mis à disposition à titre gratuit ou à titre onéreux, etc…
On constate donc que les hypothèses juridiques d’implantation sur une propriété privée sont multiples et que, pour chacune d’entre elles, un régime différent est applicable. Un raisonnement similaire peut être tenu s’agissant de la qualification des panneaux solaires dont le régime juridique va dépendre des conditions matérielles d’implantation.
B. Implantation des panneaux solaires et qualifications juridiques
Le type d’implantation matérielle des panneaux solaires est décisif. Une installation complètement intégrée au bâti, notamment lorsque les panneaux solaires assurent l’étanchéité de la toiture de l’immeuble, a des conséquences juridiques différentes d’une installation en surimposition, c’est-à-dire lorsque les panneaux solaires sont simplement posés sur la toiture. Les règles sont encore distinctes lorsque les panneaux sont installés au sol.
Dans toutes ces hypothèses, la principale difficulté consiste à déterminer s’il s’agit de biens « meubles » ou « immeubles », puisque, naturellement, le régime juridique varie selon la nature du bien.
Avant son installation, il ne fait pas de doute qu’un panneau solaire constitue un bien meuble. Qu’en est-il une fois le panneau installé? Tout va dépendre de son installation matérielle.
Raisonnons, en premier lieu, sur le type d’installation privilégié par le législateur au moyen d’incitations d’ordre financier (coût de rachat de l’électricité avantageux), c’est-à-dire sur les panneaux solaires qui sont intégrés au bâti. Il peut être soutenu que ces panneaux solaires deviennent des immeubles par nature une fois qu’ils sont intégrés au fonds (Voir Conseil d’État 20 mai 2016, Inédit, n° 384395)[5].
En toute logique, la solution devrait être différente lorsque les panneaux solaires ne participent pas à l’étanchéité de la toiture, mais sont simplement posés sur le toit : la nature mobilière doit l’emporter pour des panneaux installés en surimposition.
Quand aux installations au sol, là encore les hypothèses sont si variées que l’on peut soutenir que les qualifications, meubles ou immeubles, sont concevables.
De ces qualifications vont découler des règles juridiques, sachant que le droit privé français ne contient pas de règles particulières : il n’existe pas de droit privé de l’énergie solaire.
Les problèmes juridiques soulevés par l’implantation de panneaux solaires sur une propriété privée se règlent à l’aide des outils juridiques que l’on trouve principalement dans le code civil.
Cette analyse est très largement confortée lorsque l’on se penche sur les relations contractuelles susceptibles de se nouer lors de l’exploitation de l’énergie solaire.
Énergie solaire et relations contractuelles
Comme indiqué précédemment, la qualité de l’exploitant est essentielle. Sans aucune prétention exhaustive, le raisonnement portera sur deux hypothèses distinctes.
Dans la première, en apparence la plus simple, le propriétaire des panneaux est également le propriétaire de l’immeuble, c’est-à-dire que les qualités d’exploitant et de propriétaire de l’immeuble sont réunies sur la même tête. Dans la seconde hypothèse, plus complexe, l’exploitant n’est pas le propriétaire.
A. L’exploitant propriétaire de l’immeuble
Le propriétaire d’un immeuble passe un contrat pour implanter sur ce bien des panneaux solaires, afin de vendre l’électricité produite. En apparence, l’hypothèse ne soulève guère de difficultés. Pour autant, les questionnements juridiques demeurent nombreux. En effet, la qualité du propriétaire doit également être prise en considération.
Ainsi, s’agissant d’un particulier qui passe un contrat d’implantation sur sa propriété d’une installation solaire, doit-on lui appliquer le droit de la consommation, afin de retenir les règles relatives au démarchage ou aux clauses abusives?
Au contraire, doit-on considérer qu’un particulier qui contracte dans le but de vendre de l’électricité ne peut être considéré comme un consommateur?
À priori, il devrait être traité comme un consommateur puisque le contrat n’intervient pas dans le cadre d’une activité professionnelle. Partant, qu’en est-il, par exemple, s’agissant d’un agriculteur qui fait équiper le toit d’un bâtiment agricole? Doit-il être traité juridiquement comme un consommateur ou comme un professionnel?
Cela pourrait dépendre : s’il s’agit de panneaux photovoltaïques destinés à la production d’électricité pour la vente, il pourrait encore s’agir d’un consommateur, ce qui en soit ne s’impose pas, mais s’il s’agit de panneaux solaires thermiques destinés à alimenter la chaufferie de son exploitation, la qualité d’exploitant agricole devrait exclure la qualification de consommateur.
Le Code Rural prévoit que la production et la commercialisation d’électricité et de chaleur par la méthanisation relève de l’activité agricole (Code Rural, art. L311-1) :
Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l’exploitation d’un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l’acte de production ou qui ont pour support l’exploitation. Les activités de cultures marines sont réputées agricoles, nonobstant le statut social dont relèvent ceux qui les pratiquent. Il en est de même des activités de préparation et d’entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation, à l’exclusion des activités de spectacle. Il en est de même de la production et, le cas échéant, de la commercialisation, par un ou plusieurs exploitants agricoles, de biogaz, d’électricité et de chaleur par la méthanisation, lorsque cette production est issue pour au moins 50 % de matières provenant d’exploitations agricoles. Les revenus tirés de la commercialisation sont considérés comme des revenus agricoles, au prorata de la participation de l’exploitant agricole dans la structure exploitant et commercialisant l’énergie produite. Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret.
En revanche, aucune précision n’est donnée concernant la production d’électricité à partir de l’énergie solaire.
Il est possible juridiquement de contourner cette lacune mais cela oblige notamment l’agriculteur à créer une société, et encore cela ne lui confère pas la faculté d’exploiter une installation au sol.
Il convient également de s’interroger sur la nature du contrat passé. S’agit-il d’un contrat de vente ou d’un contrat d’entreprise?
Il semble bien que l’implantation de panneaux solaires s’inscrive dans une opération complexe : étude de l’ensoleillement, analyse des besoins du propriétaire, et donc d’une analyse spécifique. Dès lors et même si les biens installés, panneaux solaires et onduleurs, sont des produits standardisés, ce qui rapproche l’opération d’une vente ordinaire, c’est bien la qualification de contrat d’entreprise qui paraît la plus pertinente.
Pour autant, d’autres qualifications contractuelles peuvent être mobilisées : l’installation proprement dite relève t-elle de la catégorie des contrats de construction, ce qui aurait pour conséquence l’application des règles spéciales de responsabilité du constructeur et des garanties qu’il doit fournir, à savoir la garantie de parfait achèvement ou encore la garantie décennale des articles 1792 et suivants du Code civil?
On le constate, les réponses aux questionnements juridiques, dans notre hypothèse, sont loin d’être évidentes. Compliquons encore un peu plus en réfléchissant cette fois à la situation dans laquelle l’exploitant n’est pas le propriétaire.
B. L’exploitant non propriétaire de l’immeuble
L’exploitant n’est pas le propriétaire de l’immeuble, notamment dans le cas où une société assure l’exploitation d’une centrale solaire, soit intégrée au bâti, soit au sol.
Ce sont alors des grandes surfaces qui vont être exploitées, par exemple sur les toits de bâtiments agricoles, industriels, commerciaux (supermarché par exemple). Naturellement, il n’y a pas grand intérêt pour la société exploitante de devenir propriétaire de l’immeuble, de sa toiture, ou du sol.
Toutefois, on ne peut pas écarter totalement l’éventualité d’une vente, relevant alors d’une vente immobilière assez classique, mais contenant néanmoins des conditions suspensives particulières, liées notamment à la délivrance d’autorisations pour l’exploitation.
On peut également concevoir d’autres techniques de vente comme la convention de superficie ou alors, plus subtile, une division en volume, lorsque l’implantation de l’installation intervient sur un bâtiment existant. Dans cette dernière hypothèse, le propriétaire vend uniquement le volume nécessaire à l’exploitation, donnant lieu à une publication auprès des services de la publicité foncière.
Dès lors que les parties souhaitent éviter les lourdeurs inhérentes à une vente immobilière, un coût non négligeable de publicité foncière, mais encore si l’exploitant ne trouve aucun intérêt à devenir propriétaire, le contrat de bail apparaît, alors, comme une technique juridique adaptée : il va permettre, non pas d’obtenir un droit de propriété, mais plus simplement un droit de jouissance, plus simple et certainement plus adapté à la situation.
De plus, les parties trouvent dans le droit français toute une gamme de baux qui peuvent répondre à leurs préoccupations et intérêts particuliers : il est ainsi possible d’avoir recours à un bail civil de droit commun ou encore à un bail commercial pour conférer temporairement au preneur, donc, dans notre hypothèse à l’exploitant de l’installation photovoltaïque, un droit de superficie (droit de propriété sur les installations construites, le bailleur renonçant à son droit d’accession).
Pour autant, un problème très pratique peut se poser, relatif à la durée du bail. En effet, un bail civil ne peut en principe dépasser la durée de 12 ans sans être publié. Or, l’amortissement de l’installation est plutôt calqué sur une période de 15 à 30 ans. Partant, il conviendra de reconduire un nouveau bail, mais sans aucune garantie, dès lors le bailleur n’est pas tenu de le renouveler.
Par conséquent, il peut être plus intéressant, pour l’exploitant, de se tourner vers le bail commercial, qui lui assure un droit au renouvellement.
Dans tous les cas, il faut impérativement que le contrat de bail ait réglé dès le départ le sort des constructions à l’échéance du contrat. En effet, à l’échéance c’est le bailleur qui devient propriétaire des constructions, et donc de l’installation photovoltaïque, par le jeu de l’accession, ce qui paraît être tout de même très gênant pour l’exploitant.
En d’autres termes, les baux ordinaires ne sont pas parfaitement adaptés et l’on peut s’interroger sur l’opportunité de retenir d’autres techniques juridiques garantissant également un droit de superficie, mais sans les inconvénients qui viennent d’être énoncés.
La concession immobilière, prévue par une loi du 30 décembre 1967, présente l’avantage d’avoir une durée minimum de 20 ans sans pouvoir aller au delà de 99 ans (personnes privées).
L’inconvénient est qu’il faut un acte authentique et une publication auprès des services de la publicité foncière. Le concessionnaire va bénéficier de la jouissance de l’immeuble moyennant le versement d’une redevance, il sera le plus souvent chargé de l’entretien. C’est tout de même un contrat qui avantage plutôt le concessionnaire que le concédant.
Par ailleurs, le concessionnaire n’est pas titulaire d’un droit réel sur l’immeuble susceptible d’hypothèque. Or, la problématique des sûretés et des garanties ne doit pas être négligée.
En effet, alors même qu’il existe des formules d’emprunt à des taux attractifs ou éventuellement des crédits d’impôt et, partant, des mesures incitatives assez fortes, il n’en demeure pas moins que l’acquisition et l’installation des panneaux photovoltaïques représentent une dépense d’investissement conséquente. Il est donc très probable qu’un tel projet implique un concours bancaire. Or, l’organisme prêteur est en droit d’exiger que l’emprunteur lui fournisse des garanties, puisées dans le droit commun. Il n’existe pas, en effet, de modalités de garantie propres au financement d’une installation de panneaux photovoltaïques.
Pour autant, un tel projet peut susciter des interrogations en droit des sûretés, parce que toutes les sûretés ne sont pas adaptées. Là encore, le rôle du juriste est d’étudier les différentes techniques de sûretés concevables, de retenir les bonnes et d’écarter celles qui ne présenteraient pas d’intérêt pour les parties, et notamment, bien sûr, pour le créancier.
Donc il peut être aussi intéressant d’apprécier la nature du contrat qui doit être passé entre le propriétaire et le tiers exploitant, en fonction des garanties que l’exploitant va pouvoir apporter à sa banque.
À l’évidence, si la banque veut une sûreté lui assurant un droit réel immobilier susceptible d’hypothèque, c’est-à-dire un droit sur l’immeuble permettant à la banque de le saisir et de le vendre avec une position préférentielle, il va falloir opter pour un contrat qui assure à l’exploitant un droit réel qu’il pourra offrir en garantie au banquier sous la forme d’une hypothèque, par exemple afin de garantir le remboursement de l’emprunt ayant servi à l’acquisition des panneaux solaires.
Par conséquent, il peut être préférable d’opter pour un autre contrat que la concession immobilière et lui préférer, par exemple, le bail à construction.
Précisément, le bail à construction confère un droit réel immobilier au preneur, susceptible d’hypothèque, et peut être consenti pour une durée de 18 à 99 ans, ce qui suppose sa publication.
À l’issue du bail, le bailleur devient propriétaire des constructions, sauf convention contraire.
On constate donc, d’une part, que la durée répond davantage aux objectifs de l’opération que les baux ordinaires de droit commun et, d’autre part, que l’exploitant est en mesure de proposer au prêteur une garantie satisfaisante, dès lors que le bail à construction confère au preneur un droit réel immobilier qui peut être hypothéqué.
Dans le cas particulier des centrales photovoltaïques au sol, le preneur est titulaire d’un droit de propriété temporaire sur le sol et les constructions, ce qui est de nature à conforter une demande de crédit, le prêteur pouvant alors exiger une hypothèque à la fois sur le tréfonds et sur les constructions.
Pour autant si on pousse un peu l’analyse, on constate que le bail à construction présente également des imperfections : la différence entre le bail à construction et les autres baux, particulièrement le bail emphytéotique, réside dans l’engagement que prend le preneur d’édifier des constructions sur le terrain du bailleur et de conserver ces dernières pendant la durée du bail, constructions qu’il aura aussi le droit d’exploiter.
Or la question se pose de savoir si la réfection d’une toiture et l’installation de panneaux solaires répondent à cette exigence de construction, la construction devant être significative.
Cette problématique n’existe pas s’agissant du bail emphytéotique.
En effet, les obligations d’amélioration, de construction et d’entretien du fonds mises à la charge du preneur ne constituent pas un élément caractéristique de l’emphytéose, à la différence du bail à construction.
Conçu à l’origine pour permettre au propriétaire d’un fonds de le faire défricher et mettre en culture par un exploitant, le bail emphytéotique a connu un regain d’intérêt ces dernières années, au-delà d’ailleurs des zones rurales. L’implantation de centrales photovoltaïques, mais aussi d’éoliennes, est à cet égard de nature à lui conférer une utilité renouvelée.
Il est vrai qu’il apparaît comme l’instrument le plus approprié à l’implantation et à l’exploitation de telles installations, notamment en raison de sa durée adaptée, de 18 à 99 ans, en raison de sa souplesse et parce qu’aux termes de l’article L. 451-1 du Code rural :
« Le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d’hypothèque; ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière ».
Par conséquent, le bail emphytéotique présente un double intérêt, non seulement il semble le plus approprié en vue de l’exploitation d’une installation photovoltaïque, mais encore il favorise le crédit en permettant une inscription hypothécaire.
Conclusion
On constate donc que les techniques du droit civil, ou encore du droit rural, peuvent être utilisées pour sécuriser juridiquement les implantations d’installations de panneaux solaires sur des propriétés privées.
Cette contribution n’épuise cependant, en aucun cas, le questionnement juridique. D’autres problématiques mériteraient d’être creusées : le bailleur peut-il installer une centrale solaire sur les lieux loués, et tout particulièrement en toiture, sans l’accord du locataire[6]? Le locataire peut-il installer une centrale solaire sur les lieux loués? Le bailleur, à l’occasion de la réfection de la toiture du local loué, peut-il décider d’installer des panneaux solaires[7]?
Pour conclure, à défaut de règles juridiques spéciales, les parties contractantes doivent puiser dans le droit commun les techniques juridiques de nature à satisfaire aux intérêts de l’exploitant et éventuellement du propriétaire.
Celles qui sont concevables présentent des avantages et des inconvénients. Pour autant et globalement, ce n’est pas un obstacle majeur pour le développement de l’énergie solaire.
Bien au contraire, il convient simplement que les parties, usant de leur liberté contractuelle, fassent preuve d’un peu d’imagination.
Il n’a pas été évoqué la question de la commercialisation de l’électricité produite par l’installation. Cette commercialisation met en rapport plusieurs acteurs : le producteur, c’est-à-dire l’exploitant de l’installation, l’acheteur, pour la France, en principe EDF et le distributeur gérant le réseau (ERDF pour la très grande majorité du territoire métropolitain).
Il y a certaines contraintes qui pèsent sur l’exploitant, notamment des démarches préalables qui viennent s’ajouter aux exigences du droit de l’environnement ou encore du droit de l’urbanisme. Naturellement s’ajoute également le raccordement de l’installation : alors même que la distribution d’électricité relève d’un service public communal, le contrat de raccordement demeure régi par le droit privé.
Toutefois, ces contraintes juridiques et matérielles sont contrebalancées, dans une large mesure, par un prix d’achat de l’électricité, potentiellement très intéressant pour le producteur. En effet, après la question du raccordement intervient celle de l’achat de l’électricité, qui implique la passation d’un contrat de vente entre le producteur et l’acheteur, EDF, en France[8].
Il s’agit d’un contrat à la mesure, qui retarde le transfert de propriété au moment de l’individualisation, donc, au moment où l’électricité peut être quantifiée et livrée. Ainsi, le transfert de propriété est progressif et intervient au fur et à mesure que l’électricité produite est injectée sur le réseau. La principale caractéristique de ce contrat concerne le prix, qui n’est pas fixé librement par les parties. Or, l’attrait du prix d’achat est la principale mesure d’incitation au développement de l’énergie solaire, sachant que le prix est variable selon la nature de l’installation, ce qui, là encore, a permis au législateur de favoriser les installations intégrées au bâti.
Pour autant, ce qui est vrai en France ne l’est pas nécessairement dans un autre pays. Il est donc tout à fait envisageable de favoriser la production d’énergie d’origine solaire selon d’autres modalités d’exploitation répondant aux contraintes géographiques, environnementales, aux types d’habitat et à leur répartition sur un territoire donné.
À l’évidence, en présence d’un nombre trop faible de propriétés privées raccordées à un réseau de distribution d’électricité, le modèle français serait inadapté.
Références
Bailleul, David, éd. 2010. L’énergie solaire. Aspects juridiques. Chambéry : Université de Savoie Lextenso éditions.
Claret, Hélène, et Jean-François Dreuille, 2010. « L’implantation sur les propriétés privées ». In L’énergie solaire. Aspects jurdiques, 215‑63. Université de Savoie Lextenso éditions.
Commissariat Général au Développement Durable. s. d. « Énergie et climat / Les différentes énergies/Énergies renouvelables/ L’essentiel en chiffres/ L’énergie photovoltaïque ». [En ligne] http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr
Commissariat Général au Développement Durable, Service de l’observation et des statistiques, 2016. Tableau de bord : solaire photovoltaïque quatrième trimestre 2015. Chiffres et statistiques 732.
Joye, Jean-François, et Alexandre Guigue, 2010. « La promotion de l’énergie solaire au plan national ». In L’énergie solaire. Aspects juridiques, 61‑128. Chambéry : Université de Savoie Lextenso éditions.
Quezel-Ambrunaz, Christophe, et Johann Lebourg, 2010. « L’énergie en tant que bien ». In L’énergie solaire. Aspects juridiques, 131‑71. Université de Savoie Lextenso éditions.
- Toutefois, le crédit d’impôt reste en vigueur pour les panneaux solaires thermiques. ↵
- L’intérêt de ces centrales au sol est le coût de revient de la production : profitant de la baisse des panneaux solaires et pouvant jouer sur le nombre, le coût est moindre qu’en toiture, par exemple. Paradoxalement, cela ne va pas sans poser d’autres problèmes d’ordre écologique : la société Neoen (déjà exploitant de la centrale de Cestas, notamment) est confrontée à l’annulation du permis de construire d’une centrale solaire à Larçay, au sud de Tours, à la demande de deux associations environnementales (Tribunal Administratif Orléans, 27 janvier 2017). ↵
- Au cours de l’année 2016, la production d’électricité de la filière solaire photovoltaïque s’élève à 7,7 TWh, en hausse de 14 % par rapport à 2015. Elle couvre 1,6 % de la consommation électrique française. ↵
- On pourrait également songer à la responsabilité pénale, l’électricité produite pouvant faire l’objet d’un vol pénalement sanctionné. ↵
- Question préjudicielle posée par le Conseil d’État à la Cour de Justice de l’Union Européenne pour connaître les limites de l'opération immobilière en matière de pose de panneaux solaires, la qualification d’immeuble ne semblant pas être contestée : « Article 1er : Il est sursis à statuer sur le pourvoi présenté par la société Solar Électric Martinique jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée sur la question de savoir si la vente et l’installation de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires sur des immeubles ou en vue d’alimenter des immeubles en électricité ou en eau chaude constituent une opération unique ayant le caractère de travaux immobiliers au sens de l’article 5, paragraphe 5, et de l’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, devenus l’article 14, paragraphe 3, et l’article 24, paragraphe 1, de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée. » ↵
- Dans le cas d’une centrale solaire au sol, l’emprise de cette dernière diminue nécessairement la contenance des lieux loués et l’installation ne peut donc avoir lieu sans l’accord du locataire. ↵
- Une telle possibilité paraît bien résulter de la loi Grenelle 2. Cette loi permet en effet aux organismes d’HLM (Habitations à Loyers Modérés) d’implanter des panneaux solaires aux fins de les exploiter. Dans l’hypothèse de l’installation d’un chauffe-eau solaire et dans la mesure où cette installation s’inscrit dans un ensemble de travaux d’économie d’énergie dans un local à usage d’habitation, le bailleur pourrait d’ailleurs, sous certaines conditions, imputer une partie du coût au locataire bénéficiaire de cette amélioration. ↵
- Voir notamment, Arrêté du 9 mai 2017 « fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations implantées sur un bâtiment utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 100 kilowatts, telles que visées au 3° de l’article D. 314-15 du Code de l’énergie et situées en métropole continentale ». ↵
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