7 Remise en question de l’usage de l’énergie solaire au Sénégal. Variations autour du cadre juridique.

Mamadou Badji

L’usage est le « fait de se servir de quelque chose, d’appliquer un procédé, une technique, de faire agir un objet, une matière, selon leur nature, leur fonction, afin d’obtenir un effet qui permette de satisfaire un objet » (Dictionnaire Le Robert, 1re éd., 1973). Par « usage de l’énergie solaire », il faut entendre l’acte de mise en application d’une ou plusieurs fonctions de cette source d’énergie pour obtenir un effet voulu. Ce faisant, dans la plupart des cas, l’usage réduit et peut détruire les potentiels fonctionnels qu’il applique, notamment la qualité de l’énergie solaire correspondante, en modifiant les caractéristiques de cette source déterminante.

L’intérêt pour l’énergie solaire dans le monde ponctue les préoccupations anciennes. Le soleil faisait l’objet d’usages multiples qui concernaient « bien davantage la vie quotidienne, avec la cuisson des aliments et la mesure du temps » (Bouvier et Pehlivanian 2013, p. 8). En Égypte pharaonique, notamment, des préoccupations religieuses et politiques étaient au centre des applications, ce qui pourrait laisser croire à sa « profonde continuité dans le champ politique depuis la plus lointaine Antiquité » (ibid.).

Au demeurant, l’énergie en elle-même pose des problèmes dont « la profondeur historique peut gêner le chercheur dans sa façon de l’appréhender » (ibid.).

Dérivé du grec energeia signifiant la « force en action », le terme est définissable comme « une chose conférant un dynamisme » (Krolik, 2011a). Selon les spécialistes, il y a six formes principales d’énergie (Delalande et Mandil, 1998). L’énergie mécanique correspond à la force du mouvement et se matérialise dans la gestuelle humaine, le déplacement de la locomotive, la circulation du vent et de l’eau… L’énergie thermique (ou calorifique) est issue d’une agitation de la matière et se traduit un transfert de chaleur ou de froid. L’énergie électrique émane de la force produite par l’attraction ou la répulsion entre des particules chargées ou par leur mise en mouvement. L’énergie chimique est dégagée lors de la combinaison d’atomes et résulte d’une réaction ou d’une combustion. L’énergie nucléaire trouve sa source dans les liaisons entre les nucléons et peut découler d’un processus de fission (Hladik, 2016, p. 29-30). L’énergie radiative est issue du déplacement de photons et se manifeste par une onde magnétique visible comme la lumière, ou invisible comme les infrarouges, les ultraviolets et les rayons X (Wiesenfeld, 2006, p. 18).

Sur le plan sémantique, l’énergie renvoie au concept dans sa globalité; en ce sens, on l’envisage en tant que bien, c’est-à-dire comme chose susceptible d’appropriation, des sources d’énergie, c’est-à-dire des matières premières ou phénomènes naturels permettant de dégager l’énergie (pétrole, bois, charbon, gaz, etc.). De la sorte, il s’agit d’un bien « qui s’avère, en outre, malgré ses spécificités, apte à intégrer les principales subdivisions du droit des biens » (Lamoureux, 2009, p. 239). Puisque « l’énergie peut subir un cycle de transformations plus ou moins long et faire l’objet d’usages variés, ce bien fait l’objet d’une règlementation particulière. C’est dans ce sens que l’on parle du droit de l’énergie » (Kamga et Amadou, 2013, p. 64).

L’appel au droit pour réguler le secteur de l’énergie est le reflet de la séparation entre les convertisseurs artificiels et les convertisseurs biologiques, établie par certains auteurs (Cipolla, 1961). Pour maîtriser la production d’énergie, il faut en maîtriser les sources. Or, « c’est évidemment la propriété qui rend fondamentalement compte de la maîtrise qu’exerce l’individu sur les choses » (Dross, 2012, p. 17). C’est pourquoi, « animé du besoin d’enclore les choses, pour mieux se les réserver, l’homme pousse toujours plus loin le mouvement d’appropriation; dès que le progrès technique rend l’appropriation possible, les enjeux économiques se mobilisent et le droit fait le reste » (Ost, 1993, p. 18).

En Europe, « l’usage de l’énergie était historiquement encadré par des champs juridiques traditionnels. Mais la crise économique, sociale et environnementale de l’énergie a bouleversé cet équilibre en façonnant une nouvelle discipline », dont le développement imprime à cette matière une direction particulière, notamment en France (Krolik 2011b).

Avant de pousser plus loin, il n’est pas inutile d’ajouter que l’histoire de l’homme se confond avec l’histoire de sa maîtrise des « convertisseurs », entendus au sens d’un « objet » qui « recueille telle ou telle forme d’énergie et la transforme en une autre forme ». Ces convertisseurs sont aussi bien des machines, les « convertisseurs artificiels », que des éléments naturels, les « convertisseurs biologiques », tels que l’arbre qui, par la photosynthèse, transforme l’énergie solaire en énergie chimique, permettant de la sorte à l’homme de respirer. C’est dire que l’humain lui-même est un convertisseur d’énergie (Cipolla, 1961, p. 523-524).

Toutefois, l’essor des convertisseurs artificiels va radicalement changer la perception anthropique de l’énergie. Pour comprendre la distance entre la perception de l’énergie et de ses sources, et son incidence sur la régulation juridique de l’énergie, un détour par l’histoire s’impose (Passet, 2012; Ost, 1993).

En effet, pour toute société humaine, le problème énergétique « est plus souvent un problème de convertisseurs qu’un problème de source : de ce point de vue, l’histoire de l’énergie coïncide avec celle des systèmes de convertisseurs énergétiques » (Debeir, Deléage et Hémery, 2013, p. 23).

En Europe occidentale où l’évolution de l’organisation des sociétés est fondée, dès les premières implantations, sur la maîtrise par l’homme des convertisseurs biologiques et le développement des convertisseurs artificiels[1], « le perfectionnement des techniques agraires, le développement des moulins à vent, ont permis à l’homme d’augmenter la quantité d’énergie à sa disposition » (Catala, 1999, p. 558). Cependant l’avènement du capitalisme, reposant sur le développement du secteur marchand, qui « a fondé toute l’activité sociale qu’il organisait non pas sur une valeur d’usage intrinsèquement déterminée, mais sur une valeur d’échange destinée au marché », met en avant les énergies fossiles (Debeir, Deléage et Hémery, 2013, p. 185). Cette valeur d’échange est au cœur du développement de l’utilisation d’une source d’énergie, car la source peut, par suite, connaître une évaluation par le biais d’un équivalent monétaire. Une filière de production et de distribution de l’énergie peut alors s’organiser (Ost, 1993, p.53).

C’est dire que la promotion de l’utilisation des sources d’énergie tient à l’augmentation générale des prix et à l’augmentation des besoins énergétiques. Elle incline à rechercher la maîtrise du transport des sources, puis de l’énergie elle-même. Par exemple, dans l’Angleterre du 16e siècle, l’usage du charbon s’explique par la pénurie de bois. L’utilisation de cette ressource jusqu’alors sous-exploitée, tributaire de la surexploitation des forêts, de la pression démographique, de la hausse générale des prix se précise. Elle connaît une expansion scandée par la recherche de meilleures conditions d’extraction et de transport (pas de difficultés technologiques spécifiques) et un coût peu élevé de ces activités.

D’autres transformations se produisent au milieu des années 1930, consécutives à la substitution du pétrole au charbon. C’est l’annonce d’une distanciation de l’individu consommateur avec les convertisseurs biologiques : « l’énergie n’apparaît plus sous ses sources, mais sous ses formes, dont la première, particulièrement en France, deviendra l’électricité ». Le premier choc pétrolier, en 1973, pousse les États à diversifier leurs approvisionnements en énergie, par l’appel à des sources de remplacement plus ou moins anciennes telles que l’énergie solaire ou éolienne. Dans les pays occidentaux, la recherche s’est très tôt attachée à trouver des alternatives au modèle énergétique en vigueur depuis la révolution industrielle, fondé sur le charbon et les hydrocarbures.

Aujourd’hui, en raison de la crise de l’énergie fossile, l’usage de l’énergie issue du rayonnement direct ou diffus du soleil se développe davantage : il s’agit d’une source d’énergie dont la déperdition de la substance « nous parvient sous la forme d’un rayonnement qui nous éclaire et nous chauffe » (Ringeard-Demarcq, 1979).

Ce rayonnement solaire « est indispensable à l’homme pour sa survie : sa croissance, son équilibre biologique en dépendent; la plupart de ses besoins sont satisfaits directement ou indirectement grâce à l’énergie du soleil, les plantes et les bêtes le nourrissent, les forêts lui donnent les éléments de construction de son habitation et le combustible, les plantes textiles servent à le vêtir… » (Ibid.).

Aussi les usages multiples de cette énergie « renouvelable » s’accompagnent-ils partout d’une régulation juridique propre à favoriser son utilisation rationnelle.

C’est le cas des pays d’Afrique au sud du Sahara où la production d’électricité en provenance des énergies renouvelables sous forme d’installations photovoltaïques (installations solaires) est ancienne et gagne en importance. Le Sénégal peut être cité en exemple. Pays fortement ensoleillé, avec une irradiation annuelle variant entre 1 850 et 2 250 kWh/m²/an ou une moyenne de 5,7 kWh/m²/j, il déploie, malgré une faible optimisation de son potentiel énergétique, des efforts indéniables scandés par l’action des pouvoirs publics qu’accompagnent les acteurs du secteur privé pour promouvoir l’usage de l’énergie solaire, notamment en milieu rural ou périurbain (Projet ACE – WA et ENDA énergie 2016). Conforté par l’action conjuguée de l’État et du secteur privé, l’usage de l’énergie solaire s’est établi. Il demeure que l’accès à l’électricité en provenance des énergies renouvelables s’opère dans un contexte où la réflexion juridique semble absente, alors que le besoin de droit est évident pour assurer un développement ambitieux et maîtrisé des sources d’énergies renouvelables. C’est dire que le droit de l’énergie est, ici, un droit à venir.

Un usage conforté par l’action de l’État et du secteur privé

Au Sénégal comme sur le reste du continent, les problématiques de l’énergie charrient de nombreuses préoccupations que les acteurs tant étatiques que privés tentent d’appréhender, en termes de recherches, d’expérimentation et d’innovations industrielles.

La Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar a récemment été le théâtre des Rencontres internationales Decottignies qui ont permis aux participants de revenir sur le rôle pionnier joué par le Sénégal dans ces domaines et de leur fournir l’occasion de pousser plus avant l’analyse des problèmes posés par le droit et les politiques de l’énergie. Pour autant, il n’est pas inutile de préciser que l’objet de ces rencontres a également été de montrer que l’accès à l’énergie qui est au cœur des ambitions scientifiques, politiques et économiques des pays d’Afrique au sud du Sahara est une nécessité que le phénomène de la mondialisation ne fait qu’encourager.

Conscient des défis et des enjeux que pose la maîtrise de l’énergie, le Sénégal encourage la promotion des énergies renouvelables par l’appel à des mesures incitatives, impliquant non seulement les pouvoirs publics, mais aussi le secteur privé, national ou étranger.

A. L’action de l’État : une volonté politique clairement affichée

La réalité politique et institutionnelle du secteur des énergies renouvelables au Sénégal est dominée par la mise en place d’un plan de Redéploiement Énergétique du Sénégal (RENES) préconisant la diversification des sources d’approvisionnement intégrant les ressources locales et la maîtrise de l’énergie.

C’est qu’il a fallu, face à la situation énergétique préoccupante née du choc pétrolier des années 1970, faire des choix et, pour parer aux difficultés de fourniture du pays en électricité, se tourner vers les énergies renouvelables. Cet impératif, dicté par la volonté d’alléger considérablement le fardeau des ménages, a permis de rendre l’énergie disponible, par l’augmentation de la capacité de production au niveau national. Il trouve un second souffle non seulement dans une série de textes dont la circulaire primatoriale du Premier ministre n° 10226/PM/SGG/ECS du 21 décembre 1978 relative à la prise en compte de la variante solaire dans les marchés publics de fourniture d’énergie, la loi n° 81-22 du 25 juin 1981 instituant des avantages fiscaux dans le domaine de l’utilisation de l’énergie solaire et éolienne, l’arrêté n29/MEMI du 21 avril 1999, instituant une Cellule de contrôle de Qualité des composants photovoltaïques mais, aussi, dans le lancement de programmes et d’actions visant à susciter l’accès à l’énergie solaire, apparue comme une solution alternative à l’énergie fossile.

L’actualité en matière énergétique est également marquée, au début des années 1990 et 2000, par l’adhésion du pays aux initiatives et programmes de la CEDEAO tels la Politique sur les énergies renouvelables (PERC), la Politique sur l’efficacité énergétique (PEEC), le Programme sur la bioénergie, destinés à briser la fracture existant entre les pays membres dans la distribution de l’électricité.

En outre, le Sénégal a adhéré à l’initiative des Nations Unies d’accès aux énergies durables pour tous (SE4ALL). Il fait de la question des énergies renouvelables sinon l’axe central, du moins un des huit piliers fondamentaux sur lesquels le gouvernement compte s’appuyer, à travers le « Plan Sénégal émergent (PSE) » (http://www.gouv.sn/-Plan-Senegal-Emergent-PSE,65-html) pour hisser en 2035 le Sénégal, en en faisant un pays émergent. Ce plan décrit un certain nombre d’objectifs à atteindre dans ses axes stratégiques :

  • Une énergie bon marché disponible en quantité suffisante;
  • Un prix de l’électricité réduit à moitié (de l’ordre de 60 – 80 FCFA/kWh);
  • La réduction des coupures de courant et des pertes associées;
  • L’élargissement de l’accès à l’électricité pour la population rurale du Sénégal à 60 % en 2017, avec une couverture universelle de la population. Pour y parvenir, le plan prévoit un financement d’un montant de 800 milliards de francs CFA avec un financement public de 270 milliards de francs CFA et un financement privé de 530 milliards;
  • Poursuite de la restructuration et la régularisation du secteur, ainsi que l’encouragement et la pérennisation des opérateurs et investisseurs privés;
  • Renforcement de la coopération régionale et sous régionale par une meilleure intégration des infrastructures énergétiques.

Pour appuyer cet ambitieux plan, la Banque africaine de développement a approuvé en 2016 son document de stratégie pays pour le Sénégal pour une période de cinq années. Une bonne part de cette enveloppe est consacrée au renforcement des infrastructures de soutien à la production d’énergie.

Le Sénégal est partie prenante dans un accord signé avec la Société Financière Internationale (SFI) de la Banque mondiale pour un accord visant à développer jusqu’à 200 mégawatts d’énergie solaire (Niane, 2015). Cet accord est signé dans le cadre de l’initiative solaire à grande échelle de la Banque mondiale qui vise à aider les pays africains à accélérer la transition énergétique à moindre coût.

Ces actions sont destinées à favoriser progressivement l’émergence des énergies renouvelables en général et du solaire en particulier. Ainsi engagé, le pays entend mettre en œuvre une politique énergétique nationale diversifiée, capable de résorber les problèmes énergétiques à un taux d’indépendance en énergie commerciale hors biomasse d’au moins 15 % d’ici 2025 et l’obtention en 2017 d’un taux de 20 % d’énergies renouvelables dans la puissance électrique globale installée.

Par ailleurs, la volonté politique affirmée de l’État en matière d’énergie solaire s’est traduite par l’inauguration, en octobre et novembre 2016, de deux centrales d’une capacité de production de 40 MW, Synergy II et SolarKima. À cela, il convient d’ajouter la signature de cinq contrats d’achat d’installations solaires entre la SENELEC (entreprise nationale d’exploitation et de distribution d’énergie) et des promoteurs privés.

On peut objecter que toutes ces productions sont injectées directement dans le réseau national et ne bénéficient pas aux populations défavorisées dans la lutte contre la pauvreté. Il n’est toutefois pas inutile de relever que la volonté exprimée par les pouvoirs publics de développer l’accès à l’énergie solaire ne souffre d’aucune ambiguïté.

Diverses institutions sont responsables du pilotage des politiques publiques en matière d’énergies renouvelables. Ainsi, il est créé un ministère de l’Énergie et du Développement des Énergies renouvelables (MEDER), disposant de prérogatives dans la planification et la mise en œuvre de la politique énergétique du gouvernement et, donc, de la promotion et du développement des énergies renouvelables. La régulation, le contrôle et le suivi des activités des opérateurs et exploitants du secteur des énergies renouvelables sont quant à elles confiées à des Agences, Commissions et autres structures qui mettent un point d’orgue à faciliter l’accès aux énergies renouvelables. La mise en place du Comité interministériel sur les énergies renouvelables (CIER) par l’arrêté primatorial n° 001577 du 17 février 2011, dont le rôle est de faciliter la concertation et la mise en cohérence des activités conduites au sein des ministères responsables de l’énergie et des énergies renouvelables, va dans le même sens. Le secteur privé participe, lui aussi, à ce processus.

B. L’apport du secteur privé : un levier du développement des énergies renouvelables

Le secteur privé s’est montré dynamique dans les activités liées au développement des énergies renouvelables et dans l’accompagnement de l’État pour répondre aux défis et enjeux de la lutte contre les changements climatiques, faciliter l’accès universel aux énergies durables. Les actions du secteur privé ont revêtu plusieurs formes. L’intervention des acteurs de ce secteur est d’autant plus facile que des conditions sont créées, propres à assurer leur accès au marché des énergies renouvelables : en effet, instruits par l’expérience, ils ont décidé de se déployer de façon concertée au sein d’un Conseil patronal des énergies renouvelables du Sénégal (COPERES). Cet organe participe, par ses initiatives, aux efforts des pouvoirs publics tendant au développement des énergies renouvelables.

Les organisations de la société civile ne sont pas en reste, elles qui travaillent dans la conception, la diffusion et la sensibilisation du public sur les technologies liées aux énergies renouvelables par des contrats de partenariat public-privé. Leurs modes d’action se déclinent principalement en unions, réseaux et plates-formes. À titre d’illustration, nous pouvons citer une organisation comme Enda Énergie qui contribue depuis 1982 à faciliter la compréhension et le développement des conditions d’accès aux services énergétiques modernes (http://endatiersmonde.org/instit). Elle travaille notamment depuis quelques années à la conception et diffusion des technologies d’efficacité énergétique telles que les boulangeries traditionnelles améliorées ou des fours de fumage de poisson aux conséquences sanitaires réduites. En outre, elle œuvre remarquablement dans la promotion de l’intégration des énergies renouvelables dans la planification énergétique et les plans de développement du Sénégal. À ces actions, Enda Énergie ajoute, par le biais du Réseau INFORSE West Africa qu’elle coordonne pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, diverses activités dont la promotion des énergies durables, la promotion de l’accès des populations aux services énergétiques durables et la mise en place de politiques et programmes de développement en émission de carbone en faveur des populations pauvres ou vulnérables.

On peut citer le Centre Écologique Albert Schweitzer (CEAS, Sénégal) qui, s’inscrivant en droite ligne de l’initiative SE4ALL des Nations Unies, lancée en 2012, s’est lui aussi engagé en faveur de l’accès aux énergies renouvelables pour tous. Au Sénégal, cette organisation a principalement perfectionné un séchoir solaire à poisson et proposé des formations dans la fabrication des pompes, chauffe-eau solaires et autres couveuses à poussins (http://www.ceas.ch/fr/projets_en_cours).

Ce tableau d’ensemble met en exergue une convergence des actions entre le secteur privé et les pouvoirs publics, se concrétisant dans le développement de l’usage des énergies renouvelables. De la sorte, l’accès à l’énergie trouve son compte, le gouvernement sénégalais s’efforçant par ailleurs de se montrer à la hauteur de ses engagements. Cependant, la mise en œuvre des politiques publiques en matière d’énergie solaire nécessite un encadrement juridique approprié sans lequel il n’est pas de politique du tout. Or, c’est là que le bât blesse : en dépit des instruments juridiques en vigueur au Sénégal, le droit de l’énergie solaire est encore à construire.

Un usage encadré par un champ juridique insuffisant

Au-delà de l’aménagement formel, le cadre juridique actuel se caractérise par l’hétérogénéité des règles, l’éclatement des normes. Certes, le Sénégal s’est doté d’un texte régissant les activités du secteur de l’électricité (Loi n° 98-29 du 14 avril) et d’une loi relative aux énergies renouvelables (Loi n° 2010-21 du 20 décembre 2010), épine dorsale des politiques publiques en matière de promotion de l’accès à l’énergie. Mais il n’y a pas de textes spécifiques, pas plus qu’il n’y a un corps de règles autonome concernant l’énergie solaire. En vérité, le législateur n’a pas autonomisé un corps de règles propres à l’énergie solaire, il n’a pas prévu un régime distinct de celui des autres énergies renouvelables.

Le cadre actuel est révélateur des carences de notre droit. Nous tenterons de le vérifier, avant d’envisager les contours qu’une règlementation de l’énergie solaire pourrait prendre.

A. L’état actuel du cadre juridique : une révélation des carences

En l’état du droit sénégalais, on ne peut inférer l’existence dans le domaine qui nous intéresse d’un interventionnisme revêtant le caractère essentiellement de droit public du droit de l’énergie, c’est-à-dire d’un « ensemble de règles juridiques encadrant l’usage des choses conférant un dynamisme », selon l’expression de Christophe Krolik qui définit ainsi le droit de l’énergie (Krolik, 2011b, p. 486).

L’auteur de ces lignes n’entend nullement biffer d’un trait de plume ce qui est fait depuis des années pour encadrer les activités (droit minier, droit de l’urbanisme, droit des contrats…) et les infrastructures énergétiques (droit administratif des biens, droit immobilier…). Il ne peut nier que l’État du Sénégal a entrepris depuis 1998 des réformes significatives du secteur de l’électricité, en y apportant des innovations propres à favoriser le développement et la diversification des sources d’énergie.

L’État a, par ailleurs, renforcé ce dispositif par l’adoption, en 2010, d’une loi d’orientation sur les énergies renouvelables. Cette loi comporte une définition des énergies renouvelables. Ainsi, par « énergie renouvelable », il faut entendre une source d’énergie se renouvelant assez rapidement après utilisation/consommation pour être considérée comme inépuisable à l’échelle du temps. La loi énumère six formes principales d’énergies renouvelables. L’énergie solaire émane du rayonnement direct ou diffus du soleil. L’énergie éolienne provient du vent. L’énergie hydrolienne est issue des courants sous-marins. L’énergie marémotrice correspond à l’énergie issue du mouvement de l’eau créé par les marées (variations du niveau de la mer, courant de marée). Petite hydraulique se dit de l’énergie émanant de la transformation d’une chute d’eau ou du courant d’un cours d’eau. L’énergie de la biomasse provient de la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus végétaux et animaux, ainsi que des déchets industriels et municipaux.

Les objectifs poursuivis par le législateur se déclinent en plusieurs points, à savoir :

  • Mettre en place un cadre réglementaire pour le développement des énergies renouvelables;
  • Réduire l’utilisation des combustibles fossiles;
  • Favoriser tous les moyens de production, de stockage, de distribution et consommation pour des besoins domestiques et industriels en milieu urbain tout comme en zone rurale;
  • Contribuer à l’amélioration de la sécurité d’approvisionnement en énergie;
  • Diversifier les sources de production;
  • Promouvoir la diffusion des équipements liés aux énergies renouvelables;
  • Réduire les émissions de gaz à effet de serre.

La loi relative aux énergies renouvelables poursuit donc des objectifs ambitieux, adossés à une vision claire de l’État sénégalais en matière de développement des énergies durables.

Cette loi est complétée par deux décrets d’application, le décret n° 2011-2013 du 21 décembre 2011 portant application de la loi d’orientation sur les énergies renouvelables et relatif aux conditions d’achat et de rémunération de l’électricité produite par des centrales à partir des sources d’énergie renouvelables ainsi que leur raccordement au réseau, et le décret n° 2011-2014 du 21 décembre 2011 portant application de la loi d’orientation sur les énergies renouvelables relatif aux conditions d’achat et de rémunération du surplus d’énergie électrique d’origine renouvelable résultant d’une production pour consommation propre, qui constituent des instruments d’une stratégie de gouvernance du secteur en question.

Par ailleurs, la Lettre de Politique de Développement du Secteur de l’Énergie (LPDSE), adoptée en octobre 2012 et couvrant la période 2013-2017, prévoit de développer un programme de « mix énergétique » associant le thermique, l’hydroélectricité, le charbon, le gaz naturel, les énergies renouvelables, en exploitant au mieux toutes les possibilités d’interconnexion régionale et sous régionale.

Toutefois, l’autorité normative n’encadre pas suffisamment les comportements.

Or pour assurer un accès minimum d’énergie à chacun et à moindre coût, dans la pérennité et le respect de l’environnement, on ne peut faire l’économie d’une codification qui appelle une consolidation tant formelle que substantielle.

Un pas important serait alors franchi si la finalité était la consécration d’un véritable « droit de l’énergie ». En l’état, le Sénégal n’a pas un « droit de l’énergie », mais un droit « applicable à l’énergie », « comprenant des normes régissant le secteur énergétique, mais relevant d’autres champs juridiques » (Sablière, 1999). De par leur finalité extérieure à l’énergie, « ces règles fixent un cadre complémentaire dans leur domaine particulier d’intervention » (Prieur, 1982). Tel est le cas du droit de l’environnement, du droit de l’urbanisme, du droit immobilier, etc. « Pour déterminer le champ normatif de rattachement, une approche finaliste peut être retenue en considérant que relève du droit de l’énergie la norme ayant pour objet principal d’encadrer l’usage de l’énergie. A contrario, une norme régissant le secteur énergétique, mais revêtant une finalité principale extérieure à l’énergie (recettes fiscales, organisation des transports, planification territoriale…) devrait être considérée comme relevant du droit applicable à l’énergie » (Krolik, 2011b, p. 487).

Il serait donc de bonne politique qu’on dessinât les contours d’un « droit à l’énergie solaire », une nouvelle sorte de servitude.

En vérité, il ne peut échapper au spécialiste que le corpus énergétique en vigueur révèle des lacunes, dont la formalisation insuffisante des droits. Alors que le droit de l’énergie met en avant l’accès universel à l’énergie propre à un coût économiquement acceptable, la loi n° 2010-21 du 20 décembre 2010 portant loi d’orientation sur les énergies renouvelables ne renvoie nulle part au droit à l’énergie et au « droit de tous à l’électricité ». Dans l’exposé des motifs de la loi, l’accent est plutôt mis sur la satisfaction de besoins, à savoir « la production en quantité suffisante, le stockage, le transport ainsi que la commercialisation des produits sur toute l’étendue du territoire national ». En outre, il s’agit d’une part de « répondre, de façon adéquate, aux défis de la croissance économique et de la mondialisation et, d’autre part, de présenter l’environnement et le climat dans le cadre des activités de production et consommation d’énergie, conformément aux souhaits et aux exigences de la communauté internationale ».

Ce dispositif est en l’état révélateur de distorsions entre des préoccupations économiques et la recherche d’un ordre juridique susceptible d’encadrer l’usage de l’énergie solaire. Un droit est à venir, prenant en considération outre le caractère composite, le caractère particulier de l’énergie solaire. C’est l’examen de ce problème qui nous occupe maintenant.

B. L’appel à un corps de règles autonome : la construction d’un droit de l’énergie solaire

Le Sénégal dispose du soleil en permanence; l’implantation d’un grand réseau d’énergie solaire y est donc possible. Par ailleurs, le silicium qui permet de fabriquer les photopiles est d’origine locale. Cependant, de nombreux problèmes freinent le développement de ce sous-secteur.

L’un des problèmes est d’ordre économique. En effet, le nombre d’installations photovoltaïques est encore faible au Sénégal : le matériel utilisé pour la fabrication du silicium est importé et coûte cher.

Des problèmes d’ordre juridique existent également. On sait que certains exploitants d’installations solaires ont recours à des surfaces non utilisées (les toits, par exemple) en érigeant des servitudes permettant l’installation de cellules photovoltaïques. Or les droits réels ne fournissent pas toujours aux intéressés une solution juridique adéquate. Il serait judicieux d’introduire un type de servitude personnelle en la forme d’un « droit à l’énergie solaire » pour ainsi faciliter le financement de grosses installations photovoltaïques.

Pour aller dans le même sens, il ne serait pas inutile de compléter la législation actuelle en recherchant son adéquation avec les règles de droit public posées par le législateur, règles qui entendent valoriser la construction d’installations solaires, en particulier sur des constructions et des installations.

D’autres réformes doivent être mises en œuvre pour consacrer l’effectivité du droit à l’énergie, bien que le droit de l’énergie soit important.

Enfin, et surtout, le Sénégal doit se doter d’un Code de l’énergie pour clarifier les frontières des champs juridiques, placer l’énergie solaire au cœur du cadre juridique et révéler le droit de l’énergie.

Si on avait un Code de l’énergie, on pourrait, à l’instar de ce que la doctrine propose, notamment pour la Métropole – toutes choses étant égales par ailleurs -, attribuer un livre à chacune des six formes d’énergies renouvelables.

La production d’énergie électrique aurait pu être régie par un livre unique, quelle que soit la source énergétique employée. Les titres de chaque livre se seraient ensuite référés au cycle énergétique de la forme d’énergie considérée (production, transport, distribution, fourniture et valorisation). En cas de besoin, les chapitres auraient pu distinguer la source originaire : l’énergie radiative du soleil (énergie solaire), l’énergie mécanique de l’eau (énergie hydraulique). Outre la mise en adéquation entre la science juridique et les sciences de la nature, cet agencement aurait permis (…) d’appréhender l’énergie dans sa plénitude, et d’offrir la perspective d’un véritable Code de l’énergie (Krolik, 2011b, p. 490).

Point n’est alors besoin d’insister sur l’urgence d’édifier un corps de règles autonome, un Code des énergies renouvelables susceptible d’impacter significativement les besoins en énergie des populations sénégalaises. De la codification, on attend évidemment qu’elle fixe des règles, sinon des valeurs, nouvelles, une vérité d’ailleurs largement partagée par la doctrine (Gaudemet, 1986).

Le droit vit et évolue au contact de la société. Le Code de l’énergie, outre sa fonction de guide juridique, contribue également à la réalisation de ses principes et objectifs par une éducation à son objet : l’énergie. Le défi est ambitieux puisqu’il appelle un changement de cap, une évolution à contre-courant du système de la société de consommation (Krolik, 2011b, p. 491; Albertini, 1997).

Références

Albertini, Pierre. 1997. « « La codification et le Parlement » ». AJDA.

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  1. Comme en témoignent la domestication et l’élevage des animaux.

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