16 Pr Albert Wright rend hommage au Pr Abdou Moumouni Dioffo
Albert-Michel Wright
En juillet 1956, Abdou Moumouni Dioffo devient le premier Africain à réussir l’agrégation en Sciences physiques sous le régime colonial. La nouvelle explosa à la manière d’un bouquet de feux d’artifice, tant au Niger qu’ailleurs dans l’Afrique colonisée… Ceci d’autant plus qu’elle était renforcée par l’annonce simultanée de deux autres brillantes admissions d’Africains, le Burkinabé Joseph Ki Zerbo à l’agrégation d’histoire et le Nigérien Bâ Boubacar à l’École Normale Supérieure de Paris où il devait préparer l’agrégation de mathématiques.
Quel élogieux palmarès à l’actif de l’intelligentsia africaine en formation en France!
J’étais élève au Collège classique et moderne de Niamey (devenu Lycée National en 1960 et actuel Lycée Issa Korombé). La sensationnelle nouvelle suscita dans tout le collège fierté, admiration et émerveillement! Et voici que quatre ans plus tard, arrivent dans notre lycée les deux premiers professeurs africains en sciences exactes : Christian Angelo, un Bénino-nigérien, qui prend en charge les classes de première et Abdou Moumouni Dioffo qui encadre les terminales scientifiques, notamment la classe de Mathématiques élémentaires.
Pour les élèves des séries scientifiques dont je faisais partie, ces deux personnages deviennent désormais le point de mire et tout simplement la légende vivante du lycée! Nous passions notre temps à singer leur façon de s’exprimer, de marcher, certains de leurs tics d’enseignants… Cela, sans méchanceté, parce que tout simplement nous les admirions comme des héros dont l’exemple devait raffermir notre volonté de réussite pour devenir, nous aussi, les prochains agrégés en sciences exactes!
Pour comprendre l’engouement et le respect qu’inspirait cette manifestation éclatante du SAVOIR qu’ils symbolisaient, il faut se rappeler que la domination coloniale directe vivait ses derniers moments sur le continent africain et qu’au Niger, les autochtones titulaires du baccalauréat de l’enseignement secondaire se comptaient encore sur les doigts d’une main! Alors, voir arriver tout d’un coup un licencié et un agrégé ès sciences physiques… quel phénomène!
Pendant l’année scolaire 1960-1961, Abdou Moumouni devint notre professeur de physique – chimie. Sa dévotion à la physique et le soin religieux qu’il a apporté à déclencher notre éveil de conscience et notre enthousiasme à poursuivre nos études dans des branches scientifiques nous ont tous marqués à des degrés divers.
Ma formation en sciences physiques s’est poursuivie en France, après l’obtention de mon « bac math-élem », comme on disait à l’époque. J’ai à nouveau rencontré Abdou Moumouni à Odeillo, en juillet 1968, dans les Pyrénées françaises, lieu d’implantation du premier et célèbre grand four solaire de 1 000 kilowatts de puissance thermique, construit sous la direction du Professeur Francis Trombe qui fut aussi l’un des examinateurs de la thèse d’État soutenue par Abdou Moumouni à Paris, en 1967. Cela a été ma première occasion de découvrir le formidable potentiel énergétique du soleil et de prendre conscience des possibilités de son exploitation pour les applications terrestres.
Devenu professeur de physique-chimie au lycée national en 1969 et plus tard conseiller pédagogique en sciences physiques dans les CEG du Niger, j’ai pourtant continué à suivre avec intérêt les travaux entrepris à l’Office de l’énergie solaire (ONERSOL, actuel CNES), par Abdou Moumouni, devenu Directeur de ce Centre en 1969, après qu’il eût exercé, soit comme professeur, soit comme chercheur, d’abord au Sénégal, puis en Guinée et enfin au Mali, où il a créé le Centre d’énergie solaire de ce pays avec l’appui de l’équipe dirigeante RDA du Mali de l’époque présidée par Modibo Keita.
Intéressé par mon profil de formation intégrant des connaissances de base en phénomènes de transferts, hydrodynamique et thermodynamique, il m’a convaincu de venir m’associer à ses travaux, ce que j’ai fini par accepter, en renonçant à ma carrière d’enseignant, pour demander mon rattachement à l’ONERSOL, en octobre 1973.
Devenu à partir de ce moment et pendant 12 ans, le bras droit d’Abdou Moumouni, j’ai participé tant aux calculs, à la réalisation et au suivi expérimental des différents prototypes de systèmes mis au point à l’ONERSOL, mais aussi à la remarquable tentative d’implantation locale d’une capacité industrielle d’équipements solaires à des fins de vulgarisation et de commercialisation, qu’il a entreprise à partir de 1974.
Parmi les systèmes mis au point et commercialisés, on peut citer :
- Les capteurs plans à doubles vitrages utilisés comme sources chaudes de moteurs thermodynamiques SOFRETES : le moteur à deux pistons en ligne et de 1 kilowatt, expérimenté à Bossey-Bangou en 1969, pour l’hydraulique villageoise; le moteur à vis de 10 kilowatts, expérimenté à Karma en 1975 – 1977 pour irriguer une rizière, dans les environs de Niamey;
- Plus de 500 chauffe-eau solaires entièrement conçus en aluminium et construits localement par la SONIEN/ONERSOL, une des premières usines d’appareils solaires de ce type, en Afrique de l’Ouest. La qualité industrielle de cette production est aujourd’hui attestée par la longévité de ces appareils dont certains sont encore en service sur plusieurs villas à Niamey et à l’extérieur, après plus de 30 ans d’usage!
- Quelque 70 distillateurs solaires performants de capacités 10 litres et 25 litres/jour, pour la production d’eau distillée industrielle.
Le professeur Abdou Moumouni Dioffo (à droite et de face, deuxième image) au travail avec le personnel de l’ONERSOL et le coopérant militaire français Gérard Carbo, ingénieur des Arts et Métiers, au début des années 1970. En arrière-plan, les premiers chauffe-eau solaires réalisés à Niamey. Toutes les images sont issues de la collection privée de Marc Jacquet-Pierroulet (voir le portfolio photographique « Les ateliers du solaire » dans le présent ouvrage).
Parmi les systèmes dont les travaux de conception et de réalisation ont été avancés à différents stades de réalisation sans qu’ils aient pu être achevés, on peut citer de manière non exhaustive :
- Un moteur solaire thermodynamique à cycle de Rankine du fréon 11 ou du fréon 113 et à fort taux de détente, muni de son échangeur thermique pour permettre une production de puissance mécanique de 10 kilowatts; ce moteur, objet du brevet d’invention OAPI N0 5 408/04898 du 13 février 1975, a d’abord été construit en 1979/80 en collaboration avec l’industriel allemand Spilling de Hambourg, puis testé en usine pendant 1 200 heures en 1980/82 (ce qui équivaut a une année solaire de fonctionnement), avant d’être transporté au Niger où il est malheureusement remisé dans un local depuis mars 1984, sans que se soit manifestée la volonté de poursuite des efforts de recherche/développement. Et pourtant, la pertinence du choix de cette technique est maintenant confirmée avec la production d’électricité commerciale réussie dans les centrales thermiques à capteurs cylindro-paraboliques de Luz en Californie depuis les années 1988 et la programmation récente du projet DESERTEC, qui ambitionne de couvrir une partie des besoins européens en électricité, à l’horizon 2050, à l’aide de ce même type de centrales thermodynamiques, que les Européens projettent d’installer dans le SAHARA;
- Un four solaire à miroir réflecteur de forme paraboloïde, éclairé par deux héliostats mobiles, destiné à produire à son foyer une puissance thermique de 50 kilowatts avec l’atteinte d’une température de 1 500 °C. Plus de 100 millions de francs CFA ont été investis dans le début de réalisation de ce projet pendant la période 1978/81, avec notamment l’implantation sur site de la charpente support du paraboloïde, des deux héliostats et du local où devait être aménagé le foyer de cuisson des produits à traiter;
- Début de construction de la source chaude solaire du moteur thermodynamique ONERSOL-SPILLING. Elle comporte des capteurs plans à doubles et triples vitrages en liaison avec des collecteurs cylindro–paraboliques orientés suivant l’axe du monde. Elle a fait l’objet de la délivrance par l’OAPI du brevet N° 55409/04899 du 13 février 1975. Elle devait constituer un générateur de vapeur de fréon 113 capable de maintenir dans l’échangeur, une température de 170 °C, avant admission dans le moteur[1].
Comme évoqué ci-dessus, Abdou Moumouni avait obtenu, tout comme auparavant au Mali, l’accord et l’appui des autorités politiques de l’époque pour construire une unité de production industrielle, la Section Fabrication de l’ONERSOL (SONIEN), implantée dans la Zone industrielle de Niamey en 1975. Cette entreprise a été équipée de machines-outils modernes et performantes lui assurant une capacité nominale de production de 400 chauffe-eau, plus 2 000 m2 de capteurs plans thermiques par an. Première chaîne de production industrielle de cette qualité, dans cette partie du monde, elle devait par ailleurs servir de support au nécessaire travail de développement des systèmes solaires conçus par la Section Recherche de l’ONERSOL, en parallèle avec une production commerciale des systèmes dont la mise au point était achevée.
La Section Fabrication de l’ONERSOL concrétisait de la sorte un vieux rêve caressé par Abdou Moumouni, – démonstration de ce fameux et récent leitmotiv du jeune Président Obama, « Yes, we can! » -, celui d’implanter au Niger une capacité endogène de production industrielle de matériels solaires, y compris demain, de son moteur thermodynamique! Ce moteur d’ailleurs représentait lui aussi, son espoir d’apporter une réponse adéquate au besoin d’énergie des populations pauvres du Niger, elles qui se retrouvent disséminées dans plus de 13 000 villages à travers ce vaste territoire de 1 267 000 km2! En effet, des unités énergétiques autonomes de 10 à 20 kilowatts de puissance (comme escomptées par son moteur) répondent parfaitement à la demande d’énergie de villages peuplés de 1 500 à 2 000 habitants.
L’objectif de tous ces efforts de recherche-développement et sa motivation, c’était cela! En effet, on oublie souvent de dire, s’agissant de son œuvre dans le domaine des Énergies renouvelables (EnR), qu’elle a été le prolongement sur le terrain de son engagement d’étudiant africaniste des années 1950, à Paris. Homme de science, il fut aussi un militant engagé des luttes anticolonialistes en faveur d’une Afrique libre et présente dans le concert des Nations. Il le prouva en rejoignant dès 1950 l’Association des Étudiants du RDA (AERDA) qui venait à la rescousse de ce grand parti de masse, le RDA, victime récente d’une violente répression coloniale après les événements de Dimbokro, le 29 janvier 1950. Avec Cheikh Anta Diop, il baigna plus tard dans l’ambiance intellectuelle du Quartier latin, dans le sillage de penseurs nationalistes aussi célèbres qu’Aimé Césaire, Frantz Fanon, Majhmout Diop ou aux côtés de camarades comme Amadou Mahtar M’Bow, Ossende Afana, Joseph Ki Zerbo, Jean Suret Canale, Samir Amin… pour ne citer que ceux-là.
Façonné dans le moule de la pensée alors développée dans les Assemblées de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), prêchant la nécessité d’établir une Afrique Fédérale indépendante et unie, il est resté imprégné des principes ayant guidé la conduite et influencé l’action de la plupart des étudiants africains formés en France entre 1950 et 1980.
C’est pourquoi il se retrouva impliqué dans les multiples tentatives de construction d’une Afrique véritablement indépendante parce qu’ayant réussi à se libérer progressivement de ce besoin maladif d’assistance perpétuelle, grâce aux efforts déployés par ses fils, en vue de maîtriser les sciences et techniques, seuls vrais outils d’accès au développement. C’est ainsi qu’il a apporté sa contribution aux réflexions ayant débouché sur l’élaboration de Plan d’Action de Lagos en 1980 ainsi qu’au projet de création d’une Académie des Sciences d’Afrique.
En 1986, avec son ami l’ingénieur Sall Khalilou du Bureau d’études ORGATEC, ils ont réalisé un important travail de consultants dans l’espoir de sauver le Centre Régional d’Énergie solaire (CRES) de Bamako[2]. Ils proposaient la mise en place d’un programme coordonné de recherche qui serait sous-tendu par un dispositif de formation de ressources humaines d’une part, conforté par la mise en place d’une capacité régionale de production de matériels solaires d’autre part, le tout reposant sur une synergie d’exploitation solidaire de moyens identifiés et recensés, donc déjà disponibles dans les différents centres de R et D des États du CILSS et de la CEAO. Ce travail n’a malheureusement pas retenu l’intérêt ni l’attention qu’il méritait de la part des décideurs politiques des États de la CEAO et du CILSS. Il n’a donc pas produit les fruits attendus, tout comme ce merveilleux Plan d’Action de Lagos, à cause, hélas, des grippages politiques!
Force est de constater, 19 ans après la disparition d’Abdou Moumouni, que son œuvre reste inachevée surtout qu’il n’y a pas de successeurs…, s’agissant des ressources humaines compétentes! Il y a donc là un problème réel de reprise et de poursuite de certains de ses travaux qui restent pourtant d’intérêt et d’actualité. Mais cela ne peut se faire qu’en revivifiant les centres d’acquisition du savoir scientifique et en encourageant l’enrôlement de jeunes étudiants. À Niamey existe un cadre favorable à une relance, notamment en créant une synergie de collaboration entre la Faculté des Sciences, l’EMIG et le CNES. La difficulté subjective qui va persister restera celle de ressusciter chez nos jeunes cette soif d’apprendre, ainsi que l’acceptation du sacrifice au travail pour servir sa communauté, car il faut bien reconnaître que le travail de recherche scientifique n’est pas une sinécure! Mais cette difficulté est elle aussi surmontable en y mettant les moyens financiers à même de motiver une nouvelle promotion de chercheurs.
- Note des éditeurs : tous ces projets et les infrastructures encore existantes sont bien montrés et évoqués par le fils d’Abdou Moumouni Dioffo dans le documentaire de Malam Saguirou cité en présentation. ↵
- Note des éditeurs : ce centre sera mis en place sous la direction technique de Jean-Pierre Girardier. ↵
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