7 Pour une stratégie fédérale de recherche et d’innovation juste, équitable et créative
Ce mémoire de l’Association science et bien commun a été présenté à Industrie Canada à Québec, le 7 février 2014.
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Sommaire des recommandations
1. Organiser une consultation bonifiée sur la prochaine Stratégie fédérale de recherche et d’innovation, de manière à offrir aux Canadiennes et aux Canadiens suffisamment de temps, de ressources et d’occasions pour qu’ensemble ils réfléchissent de manière approfondie à l’avenir des sciences et des technologies au Canada.
2. Limiter les partenariats entre les établissements publics de recherche et les grandes entreprises aux situations où les avantages pour le public sont évidents et où l’intégrité du partenaire public est garantie.
3. Ne pas faire des retombées financières le principal critère d’évaluation et de sélection des propositions de partenariat de recherche entre le secteur public et le secteur privé.
4. Mettre en place une politique obligatoire du libre accès aux données et aux publications pour tous les organismes fédéraux ou financés par le gouvernement fédéral.
5. Créer un réseau national de boutiques de sciences et soutenir la création de tels programmes dans tous les collèges et universités du Canada.
6. Créer un poste de directeur parlementaire des sciences indépendant du gouvernement et responsable de superviser les politiques relatives aux sciences et aux technologies, de même que le bon usage des connaissances scientifiques dans l’élaboration des politiques.
7. Soutenir la création, dans chaque région du Canada, de conseils consultatifs citoyens de la recherche représentant tous les secteurs de la communauté.
8. Cesser de concentrer le financement de la recherche parmi quelques scientifiques ou groupes de recherche et l’élargir à une pluralité de chercheurs de tous les domaines.
9. Distribuer équitablement les sommes consacrées au soutien aux études de 2e et 3e cycles et aux stages postdoctoraux de manière à aider un grand nombre de personnes et non une petite minorité.
10. Soutenir la mise en place d’une formation de base en éthique de la recherche pour tous les étudiants de cycles supérieurs et les jeunes chercheurs.
Non au déficit démocratique de la consultation proposée par Industrie Canada en janvier 2014
L’Association science et bien commun souhaite d’emblée affirmer que le processus de consultation proposé par Industrie Canada est inacceptable. Alors que la stratégie du pays en matière de sciences, de technologies et d’innovation est une question majeure, le délai proposé par Industrie Canada, responsable de la mise en œuvre de la consultation, est beaucoup trop court et n’a été précédé d’aucune annonce permettant aux intéressés de se préparer adéquatement. Seuls les groupes déjà bien organisés et au fait de ces questions auront été susceptibles de présenter une réflexion approfondie en aussi peu que quatre semaines, si bien qu’il est à prévoir que de grands pans de la société canadienne ne pourront s’exprimer dans le cadre de cette consultation.
La participation active de la population en général et des chercheurs en particulier à la réflexion sur la politique scientifique canadienne est pourtant nécessaire, pour deux grandes raisons. Tout d’abord, il s’agit de sommes très importantes issues des fonds publics fédéraux : 6,123 milliards de $ en 2011 dont 1,3 milliard de $ pour le Québec, soit 21,5 % du financement fédéral – annexe 3, premier tableau (ces financements n’incluent pas les crédits d’impôt à la recherche accordés aux entreprises). Le choix de l’allocation de ces fonds est un sujet sur lequel, en démocratie, tous les citoyens devraient pouvoir s’exprimer, que ce soit lors des élections ou lors de débats publics. Malheureusement, les résultats de l’enquête Web que notre Association a menée en octobre et novembre 2013 (Annexe 1) montrent que seuls un peu plus de 4 % des répondants se disent très bien informés à propos de la politique scientifique canadienne, alors que 74 % s’en disent peu ou pas informés, ce qui nous parait énorme. En revanche, il est important de s’en informer pour plus de 69 % des répondants, ce qui confirme le bien-fondé d’une véritable démarche de consultation auprès des citoyens canadiens.
La deuxième raison concerne les effets de cette politique scientifique sur la vie des Canadiens et Canadiennes. En effet, la future Stratégie de recherche et d’innovation influencera la vie de l’ensemble des citoyens, les sciences et les technologies ayant non seulement le potentiel de créer des retombées économiques, mais aussi celui de changer nos manières de vivre et de penser notre monde. Les sciences et les technologies offrent bien plus à la société canadienne que la création « de nouveaux produits ou procédés ou des produits ou des processus grandement améliorés ». Les sciences permettent d’enrichir nos manières de comprendre le monde. Elles nous proposent de nouvelles manières de nous penser, de penser notre monde et notre relation à celui-ci. Ces « technologies de l’esprit » peuvent, au moins autant que les produits plus concrets, participer à l’amélioration des conditions de vie des Canadiens et des Canadiennes et être partie intégrante de « l’environnement propice à la découverte et à l’innovation » que le gouvernement canadien cherche à offrir.
Mentionnons également la part de plus en plus importante du financement de la recherche universitaire canadienne qui provient des fonds publics fédéraux (Annexe 3, tableau 2). De 1999 à 2011, la part de ces fonds est passée de 38,2 % à 49,8 % du financement global. Pourtant, malgré cette augmentation relative, la proportion des fonds alloués au Québec a diminué, passant de 29 % du financement fédéral en 2000 à 25,6 % en 2011, alors que la Colombie-Britannique, qui en recevait 9,2 % en 2000, en a reçu 13,9 % en 2011 (Annexe 3, tableau 3 bis). Le Manitoba a perdu 1 % du financement, mais toutes les autres provinces ont perdu ou gagné moins de 1 %. Pourquoi cette différence? Les citoyens québécois ont le droit de le comprendre et de se prononcer sur cette situation.
Pour toutes ces raisons, la brièveté du document de référence (6 pages) proposé par Industrie Canada est non seulement étonnante et décevante, mais nous paraît sous-estimer la capacité et le droit des citoyens de s’intéresser aux enjeux de politique scientifique de leur pays. Comment les encourager à le faire avec si peu de moyens? Les efforts pour publiciser la consultation nous semblent aussi avoir été très faibles. Plusieurs groupes et personnes qui auraient pu y contribuer ne savent probablement même pas qu’une telle consultation s’est déroulée. De manière similaire, la formule retenue exclut certainement par défaut la majorité des Canadiens et Canadiennes, qui ne se sentiront pas assez outillés pour un exercice de ce type. Il aurait été judicieux, pour le gouvernement, de multiplier les occasions et les modes de participation. Une enquête Web similaire à celle conduite auprès des citoyens et citoyennes du Québec par l’Association science et bien commun et l’Agence Science-Presse au cours de l’automne 20131 aurait permis de recueillir l’opinion d’un public élargi.
Enfin, les questions qui sont proposées aux fins de discussion ne permettent aucunement de réfléchir collectivement à l’avenir global des sciences, des technologies et de l’innovation au Canada. Le rôle des sciences et des technologies semble avoir été décidé par le gouvernement avant même que celui-ci ne se donne la peine de consulter les citoyens, ceux et celles qu’il représente.
Malgré les lacunes évidentes du processus proposé par le gouvernement canadien, l’Association science et bien commun a décidé de participer à la consultation pour faire entendre sa voix et ses préoccupations, tout en débordant du cadre limité des questions imposées par Industrie Canada, et ce, dans l’espoir de contribuer à une véritable réflexion sur les sciences et les technologies au Canada. Toutefois, nous espérons que cette consultation n’est que la première étape d’un processus plus large, plus inclusif et mieux défini.
Notre première recommandation est donc que le gouvernement canadien lance bientôt une véritable consultation sur sa politique scientifique, offrant aux citoyens canadiens le temps et les informations nécessaires à leur réflexion sur la science qu’ils souhaitent pour le Canada.
L’innovation au sein des entreprises
• Quelles mesures pourraient être prises, par le gouvernement ou d’autres parties, pour améliorer la mobilisation des connaissances et de la technologie des universités, des collèges, des écoles polytechniques et des laboratoires gouvernementaux vers le secteur privé?
Réponse de l’Association science et bien commun
Il importe d’abord de rappeler que les entreprises n’ont pas toutes les mêmes capacités à investir en recherche et développement. Les grandes entreprises sont tout à fait en mesure de financer leur propre « recherche scientifique et développement expérimental ». Si elles le font moins au Canada qu’ailleurs, c’est peut-être parce que le gouvernement fédéral le fait pour elles par le biais de ses importants « crédits d’impôt à l’investissement (CII) en recherche-développement dans le contexte du Programme de la recherche scientifique et du développement expérimental (RS&DE) » et des programmes de partenariats de recherche.
En effet, pourquoi une entreprise investirait-elle en recherche et développement quand elle peut déléguer cette activité risquée à des scientifiques payés par l’État? Les données de Statistique Canada permettent de constater que le financement de l’effort interne de recherche du gouvernement fédéral a diminué de pratiquement 3 % en moyenne au cours de la période 2002- 2011 et se situe à 282 millions selon les dernières données disponibles. Le financement fédéral des entreprises commerciales a crû de 10 % en moyenne au cours de cette même période pour atteindre 234 millions en 2011, alors que le financement fédéral de la recherche universitaire a augmenté en moyenne de 4,7 % sur la période pour atteindre 803 millions de dollars en 2011. Cette évolution du financement fédéral de la recherche au Québec se traduit par une modification des parts respectives de chacun des secteurs de financement : la recherche interne fédérale ne représente plus que 21,4 % au lieu de 36,8 % au début de la période; les entreprises commerciales ont augmenté fortement (en moyenne, 10 %) leur financement en provenance du fédéral pour atteindre 234 millions de dollars en 2011; et les universités ont connu une augmentation moyenne en provenance du fédéral (4,7 %) légèrement au-dessus de la moyenne de la croissance du financement fédéral (3,2 %) (Annexe 3, tableau 2 bis).
L’argument principal à l’appui de cette politique d’aide aux grandes entreprises est la création d’emplois et la stimulation de leurs investissements au Canada. Malheureusement, il est loin d’être évident que les retombées soient au rendez-vous si l’on se fie, par exemple, à une étude économique approfondie portant sur l’industrie pharmaceutique (Gagnon, 2012). En comparant l’aide publique accordée par le Québec à ce secteur aux retombées économiques qu’il engendre, l’auteur a en effet révélé que la première dépassait largement les secondes. Autrement dit, les entreprises profitent de ces appuis gouvernementaux, mais ne livrent pas la marchandise attendue. Martin et Ouellet (2010, p. 3) concluent ainsi leur étude de la gouvernance des universités dans l’économie du savoir : « L’économie du savoir vise essentiellement à valoriser, au bénéfice de l’entreprise privée, la recherche et les connaissances financées publiquement, selon une logique de socialisation des coûts et de privatisation des profits. » C’est pourquoi nous pensons que les partenariats entre les établissements publics de recherche et la grande entreprise devraient être l’exception plus que la norme. Ils ne devraient être mis en place que dans les cas où les retombées vraisemblables pour la société dépassent les investissements consentis et où l’intégrité des scientifiques employés par le secteur public et celle de leur établissement peuvent être garanties. C’est notre deuxième recommandation.
Le cas des PME nous semble différent. Du point de vue du bien commun et en conservant les mêmes exigences d’intégrité, il nous semble davantage acceptable que l’État soutienne les activités de recherche des entreprises n’ayant pas les capacités de financer leur propre recherche et développement. Les 502 Québécois et Québécoises sondés à l’automne 2013 par l’Association science et bien commun partageaient cette vision. En effet, dans une question portant sur les trois finalités de la recherche scientifique qui devraient être priorisées, le soutien des PME a été sélectionné par près de 15 % des répondants contre moins de 3 % pour les grandes entreprises du pays. Les choix les plus populaires étaient : trouver des solutions aux problèmes concrets auxquels est confrontée l’humanité (86 %), accroître les connaissances dans un domaine, sans égard aux retombées à court terme (72 %), trouver des solutions aux problèmes concrets auxquels est confronté notre pays (51 %) et soutenir le développement des pays pauvres (25 %) (Annexe 1).
Une certaine part du budget de recherche du gouvernement pourrait ainsi être consacrée aux PME démontrant un besoin réel d’aide en R&D. Cependant, il ne faudrait pas oublier que toutes les PME ne sont pas des entreprises à but lucratif. Ces fonds devraient ainsi être aussi accessibles aux organismes sans but lucratif et aux coopératives. Les critères de sélection des demandes retenues devraient ainsi non seulement tenir compte des retombées financières des partenariats, mais aussi des retombées relatives à la création et à la reconnaissance de connaissances, à la diffusion des savoirs, à l’amélioration des conditions de vie des Canadiens et Canadiennes ou de populations ailleurs dans le monde ou à la conservation de l’environnement. C’est notre troisième recommandation.
Avec cette vision élargie du secteur privé – qui ne le limite pas aux entreprises à but lucratif, mais inclut les organismes sans but lucratif –, deux mesures semblent à même d’améliorer la mobilisation des connaissances et de la technologie, de même que l’innovation technologique et sociale : l’engagement sur la voie du libre accès et le recours aux boutiques de sciences mises en place et soutenues par les universités.
Tout d’abord, le gouvernement du Canada devrait s’engager clairement dans la voie du libre accès aux publications et aux données scientifiques produites grâce aux fonds publics. Pour ce faire, il doit imposer à tous ses organismes l’obligation de rendre accessibles en libre accès sur le Web leurs travaux et données de recherche. C’est notre quatrième recommandation. Le libre accès désigne une nouvelle façon de faire circuler les connaissances issues de la recherche scientifique. Au cœur de cette initiative, à laquelle se joignent sans cesse de nouvelles universités et revues, se trouve la volonté de supprimer les « murs payants » imposés par les éditeurs scientifiques commerciaux (groupes Nature, Elsevier, etc.) aux internautes qui veulent consulter leurs publications. Le libre accès, s’il profite d’abord aux chercheurs et chercheuses en leur offrant plus de visibilité et un accès plus complet au savoir scientifique, facilite également la diffusion des savoirs produits par les scientifiques vers le public (entreprises, individus et organismes sans but lucratif). L’Association science et bien commun, avec deux autres organismes, a soumis un mémoire en ce sens à la consultation sur le libre accès organisée par les trois organismes subventionnaires de la recherche3. Ce libre accès aux publications scientifiques financées par des fonds publics est une condition indispensable au déploiement de l’esprit d’innovation au Canada.
Le gouvernement fédéral devrait ensuite soutenir l’établissement d’un réseau national de boutiques de sciences, des organismes qui facilitent le lien entre le monde universitaire et la société civile ou le milieu associatif, à la source d’innovations rapides.
Comme nous l’avons écrit dans notre mémoire destiné au Sommet sur l’enseignement supérieur du gouvernement québécois (Association science et bien commun, 2013), les boutiques de sciences (science shops) sont nées aux Pays-Bas dans les années 1970. Ce sont soit de petites organisations autonomes, soit des services intégrés à une université. Leur but est de permettre aux organismes à but non lucratif de leur région d’accéder à des compétences ou à des connaissances scientifiques dont ils estiment avoir besoin, grâce à la médiation d’étudiants. En effet, ce sont des étudiants qui, accompagnés par un professeur et sous la supervision de la boutique de sciences, réalisent dans le cadre de leur formation des travaux en réponse aux demandes de ces organisations, tout en s’initiant au transfert de connaissances. Il peut s’agir de recherche scientifique ou d’autres travaux universitaires (réalisation d’un projet, enquête de terrain, synthèse de documents, etc.).
Les boutiques de sciences, très variées dans leur structure et leur fonctionnement, sont actuellement regroupées dans un réseau international (www.scienceshops.org), appuyé notamment par la Commission européenne. On en trouve en Australie, en Chine, en Afrique du Sud et dans plusieurs universités nord-américaines.
Ces programmes réinventent une université qui se situe au cœur de sa communauté et qui facilite l’accès des acteurs locaux aux connaissances scientifiques, tout en développant les qualités d’engagement et la responsabilité sociale des étudiants, futurs travailleurs et acteurs locaux. Ils valorisent une pédagogie orientée vers le développement de la pensée analytique, synthétique et critique et vers une compréhension des valeurs communes et de la citoyenneté plutôt qu’une pédagogie magistrale sanctionnée par des examens. Ils s’inscrivent parfaitement dans l’horizon d’un développement durable, juste, équitable, soucieux de ne pas gaspiller les ressources et d’assurer les meilleures pratiques aux uns et aux autres, dont les piliers sont des institutions et des acteurs engagés en faveur du bien commun.
Créer un réseau national de boutiques de sciences, en encourageant tous les collèges et universités canadiens à s’en doter et en les aidant ensuite à se réseauter, serait une action très positive que pourrait lancer la prochaine Stratégie canadienne de recherche et d’innovation. C’est notre cinquième recommandation.
De plus, pour assurer les dépenses à bon escient des fonds publics en matière de recherche, de même que le bon usage des connaissances scientifiques, nous soutenons la proposition récente du NPD de créer un directeur parlementaire des sciences indépendant. Selon la proposition du NPD, qui nous semble très pertinente, cette personne aurait notamment pour mandat « de mener des analyses indépendantes de la politique fédérale en matière de sciences et technologie ». C’est notre sixième recommandation.
Former des gens innovateurs et qui ont l’esprit d’entreprise
Questions aux fins de discussion
Comment le Canada peut-il continuer à former, à attirer et à maintenir en poste les chercheurs les plus talentueux au monde dans nos entreprises, nos établissements de recherche, nos collèges, nos écoles polytechniques et nos universités?
Réponse de l’Association science et bien commun
Pour « continuer à former, à attirer et à maintenir en poste les chercheurs les plus talentueux », le Canada doit avant tout redonner une place respectée à la science et aux scientifiques, c’est-à-dire les soustraire à l’influence directe des gouvernements et de l’entreprise privée, tout en facilitant leurs échanges avec la population canadienne, dans l’intérêt général, dans l’intérêt de tous.
Le musèlement des scientifiques de la fonction publique fédérale, incapables de communiquer directement avec les médias et le public, la fermeture des bibliothèques de recherche de Pêches et Océans Canada, le financement direct par le gouvernement de plusieurs centres de recherche en évitant l’évaluation par les pairs assurée par les trois organismes subventionnaires (CRSH, CRSNG, IRSC) ne constituent que quelques exemples des décisions et politiques récentes du gouvernement canadien qui nuisent à la formation, au recrutement et à la rétention des scientifiques au pays. Revenir sur ces décisions ramènerait la confiance des Canadiens et Canadiennes dans la science qu’ils soutiennent par le biais de leurs impôts.
Un très grand nombre de répondants à l’enquête Web menée l’automne dernier auprès des Québécoises et Québécois indiquaient en effet leur inquiétude ou leur colère devant la limitation du droit de parole des scientifiques fédéraux. « Ce muselage est irresponsable et indigne d’un pays démocratique », indiquait une Montréalaise. « Je crois que l’avis de scientifiques devrait toujours constituer un élément essentiel dans l’analyse des différents dossiers gérés par le gouvernement. Et pas qu’un seul scientifique… plusieurs, afin d’avoir une vision plus complète du problème », confiait une femme des Laurentides. Un récent sondage d’Environics Research révèle de plus que non seulement les scientifiques employés par le gouvernement du Canada, mais aussi les citoyens et citoyennes qu’il représente ne partagent pas les choix de ce dernier en matière de sciences (L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2014).
Le gouvernement devrait permettre aux scientifiques à son emploi d’échanger librement avec les citoyens et citoyennes ainsi qu’avec les médias, en faisant confiance au jugement de ces personnes et à leur souci pour le bien commun du pays. Le gouvernement devrait également donner plus de poids aux avis des scientifiques (gouvernementaux ou non) dans l’élaboration de ses politiques (par exemple, en ce qui a trait à la lutte à la criminalité ou encore aux changements climatiques). D’autre part, le gouvernement devrait favoriser l’ouverture du monde scientifique à la société par l’entremise du libre accès et des boutiques de science et en créant des formes novatrices de débats publics ou de mobilisation de la population sur des enjeux scientifiques.
Un exemple de telles pratiques novatrices pourrait être la formation dans chaque région ou métropole canadienne d’un Conseil consultatif citoyen de la recherche formé de 100 citoyens représentant tous les secteurs de la communauté. La méthode du « conseil consultatif » est bien connue au Québec, où elle désigne un groupe de personnes soigneusement choisies pour guider et accompagner une organisation. Nous proposons de l’adapter en utilisant une méthode britannique, celle du « panel de citoyens », qui est formé de volontaires, qui fonctionne surtout sur Internet et qui est représentatif d’une population désignée. Composés de 100 membres au moins, fonctionnant exclusivement sur Internet ou en sous-comités, les conseils consultatifs citoyens de la recherche (CCCR) seraient formés à la suite d’une invitation publique des universités d’une région donnée, de manière à en être démographiquement représentatifs.
À la différence d’un conseil d’administration, un conseil consultatif citoyen de la recherche aurait un pouvoir de recommandation auprès des instances universitaires sur divers sujets dont le budget, le développement de nouveaux programmes, la création de chaires de recherche, la préservation de l’environnement dans les pratiques du campus et les défis de la société auxquels pourrait répondre la recherche scientifique. Les instances universitaires auraient l’obligation de le consulter régulièrement et de rendre publics ses avis et recommandations. Ce comité consultatif aurait également un pouvoir d’initiative, c’est-à-dire qu’il pourrait décider de ses actions.
En appuyant la création de CCCR, la Stratégie fédérale de recherche et d’innovation pourrait mobiliser l’intérêt et la participation active des citoyens canadiens à la science qu’ils financent par le biais de leurs impôts. C’est notre septième recommandation.
Excellence en recherche et développement dans les secteurs public et de l’éducation postsecondaire
Questions aux fins de discussion
• Comment le Canada pourrait-il s’appuyer sur ses réussites en tant que chef de file mondial dans le domaine de la recherche axée sur la découverte?
• L’ensemble des programmes du gouvernement du Canada sont-ils conçus de manière à appuyer de la meilleure façon possible l’excellence en recherche?
Réponse de l’Association science et bien commun
Le Canada doit cesser de surfinancer quelques scientifiques de « haut vol » au détriment d’une multitude de chercheurs qui se retrouvent sous-financés – c’est notre huitième recommandation. Des études montrent en effet qu’il y a une limite à l’accroissement de la productivité des chercheurs déjà largement soutenus. Par exemple, une étude des chercheurs et chercheuses en écologie et en évolution les plus cités n’a trouvé aucune relation entre le nombre de citations par article et le financement reçu (Lortie et coll. 2012). Les auteurs en venaient même à conclure que la productivité serait mieux servie par un accroissement du soutien aux chercheurs et chercheuses peu financés. De manière similaire, Fortin et Currie (2013) n’ont trouvé qu’une faible corrélation entre le financement reçu du CRSNG et le nombre de publications, le plus grand nombre de citations ou le nombre d’articles à haut facteur d’impact en biologie animale, en chimie et en écologie et évolution.
Dans le même esprit, nous estimons que la création d’un petit nombre de bourses très généreuses qui soutiennent une poignée d’étudiants, étudiantes et stagiaires au postdoctorat au détriment de la majorité est contre-productive. Nous recommandons ainsi au gouvernement fédéral de renoncer aux bourses d’études les plus généreuses (Vanier, Joseph-Armand-Bombardier ou Alexander-Graham-Bell, par exemple) afin de redistribuer ces montants à un plus grand nombre d’étudiants (par l’entremise des bourses régulières) et à bonifier le soutien de base (dans le cas des bourses de maîtrise particulièrement, celles-ci étant maintenant réduites à une année, soit beaucoup moins de temps qu’il n’en faut pour effectuer des études à ce niveau). Aux niveaux supérieurs, l’immense majorité des étudiants, étudiantes, chercheurs et chercheuses sont excellents et pourraient contribuer à notre société de manière plus importante si on leur en donnait les moyens. C’est notre neuvième recommandation.
La compétition de plus en plus intense entre les demandeurs de bourse ou de subvention (en raison de la diminution des taux de succès) augmente également la pression que subissent les scientifiques. Comme nous l’avons expliqué dans notre mémoire sur la conduite responsable de la recherche (Association science et bien commun, 2014), cette pression augmente le risque d’inconduites chez les scientifiques (fraude, plagiat, etc.) et d’épuisement professionnel. Une compétition trop intense entre les demandeurs de bourse ou de subvention peut également amener les scientifiques à opter pour des projets moins risqués, avec un moins grand potentiel d’innovations techniques, sociales ou intellectuelles.
Pour toutes ces raisons, la future stratégie fédérale qui vise à « appuyer de la meilleure façon possible l’excellence en recherche » devrait soutenir un plus grand nombre de chercheurs et chercheuses – aux études ou au travail.
Finalement, nous recommandons très fortement, comme nous l’avons fait au gouvernement québécois, que la future Stratégie de recherche et d’innovation appuie et finance la réalisation de programmes de sensibilisation des étudiants universitaires canadiens à l’intégrité scientifique et à la responsabilité sociale et environnementale des chercheurs (Association science et bien commun, 2014). Nous considérons en effet que tous les étudiants des cycles supérieurs, ainsi que les jeunes chercheurs devraient suivre une formation de base en éthique de la recherche et de la science.
Cette initiation pourrait même commencer au premier cycle universitaire, car nombreux sont les emplois qui nécessitent une compréhension minimale de la « nature de la science ». De plus, ce serait aussi une façon d’enrichir la culture scientifique des Canadiens et Canadiennes en général, ces étudiants de premier cycle se retrouvant par la suite dans toutes les strates de la société et pouvant devenir des participants à des projets de recherche. Piron (2013) propose même de commencer cette sensibilisation pendant l’enfance et l’adolescence, par le biais du jeu.
La formation mise en place devra miser sur l’identité morale des chercheurs, en les formant davantage à l’histoire, à la sociologie et l’économie de la science, notamment au décodage des politiques scientifiques, afin qu’ils soient moins naïfs, plus avertis des pièges et des risques liés aux conflits d’intérêts et plus conscients de leurs responsabilités vis-à-vis des citoyens et de la société qui les appuient. C’est notre dixième recommandation.
Conclusion
La recherche scientifique a un potentiel immense pour une société démocratique, bien au-delà des retombées financières et de la création d’emplois. En faisant participer les citoyens à la réflexion sur son avenir et sur la manière dont les fonds publics devraient l’appuyer, un gouvernement renforcerait la confiance des citoyens dans les institutions de recherche scientifique de leur pays. Cette confiance est essentielle à la création d’une société du savoir aspirant à l’égalité et à la justice. Or les propositions d’Industrie Canada nous semblent aller dans une direction tout à fait différente. Caractérisée par un déficit démocratique que nous refusons, la présente consultation ressemble à un simulacre qui ne pourra que nuire à la confiance des citoyens canadiens dans la recherche qui se fait dans leur pays. Nos dix recommandations visent au contraire à rétablir cette confiance en proposant des mesures justes, équitables et créatives en vue d’une science qui pourra inspirer confiance et même fierté aux Canadiens et Canadiennes.
Références
Association science et bien commun. 2013. Du libre accès jusqu’aux boutiques de sciences : quatre idées pour des universités québécoises au cœur de la société du savoir, mémoire présenté au ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie en vue du Sommet sur l’enseignement supérieur, 11 p. (reproduit dans ce livre).
Association science et bien commun. 2014. De la conduite responsable en recherche à la responsabilité sociale et environnementale des chercheurs, mémoire présenté aux Fonds de recherche du Québec, 22 p. (reproduit dans ce livre)
Fortin, Jean-Michel et David J. Currie. 2013. « Big Science vs. Little Science: How Scientific Impact Scales with Funding. » Plos One, 8(6) : e65263. [www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0065263]
Gagnon, Marc-André. 2012. « L’aide financière à l’industrie pharmaceutique québécoise : le jeu en vaut-il la chandelle? » Interventions économiques/Papers in Political Economy, 44. [http://interventionseconomiques.revues.org/1611]
Institut professionnel de la fonction publique du Canada. c2014. La désintégration de la science publique au Canada. [http://www.pipsc.ca/portal/page/portal/website/issues/science/vanishingscience]
Institut de la statistique du Québec, Compendium d’indicateurs de l’activité scientifique et technologique au Québec, Édition 2013. En particulier le chapitre 2 de la partie 2 : Création de connaissance, la recherche et le développement. [http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/science- technologie-innovation/compendium-2013.pdf]
Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur, Association science et bien commun et Groupe de recherche et d’intervention en science ouverte. 2013. La politique de libre accès des trois organismes, mémoire présenté aux trois organismes, 6 p. (reproduit dans ce livre)
Lortie, Christopher J., Lonnie Aarssen, John N. Parker et Stefano Allesina. 2012. « Good news for the people who love bad news: an analysis of the funding of the top 1% most highly cited ecologists. » Oikos, 121 : 1005-1008.
Martin, Éric et Maxime Ouellet. 2010. La gouvernance des universités dans l’économie du savoir. Rapport de recherche de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques. 30 p. [www.iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2011/06/Gouvernance-web.pdf]
Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie. Système d’information de la recherche universitaire (SIRU). Financement de la recherche universitaire québécoise par catégorie de pourvoyeurs de fonds, 1999 à 2011.
Piron, Florence. 2013. « Citoyenneté, pensée critique et science. Comment sensibiliser les jeunes aux liens entre ces trois dimensions de la démocratie contemporaine? », Revue Apprendre et enseigner aujourd’hui, la revue du conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec. Vol 3, p. 6- 9.
Statistique Canada. Estimations des dépenses canadiennes au titre de recherche et développement au Canada et dans les provinces (DIRD) Estimations nationales 2003 à 2013 et estimations provinciales 2007 à 2011, (décembre 2013) et Estimations nationales 1997 à 2002 et estimations provinciales 2002 à 2006 (décembre 2008). [http://www.statcan.gc.ca/pub/88-221-x/88-221- x2013001-fra.pdf]