8 Simone de Beauvoir, France (1908-1986)
Jean-Sébastien Lapointe
Simone de Beauvoir est une philosophe, romancière, épistolière, mémorialiste et essayiste française. Elle est considérée comme une théoricienne majeure du féminisme et a inspiré le mouvement de libération des femmes dans les années 1970 grâce à son livre fondateur Le deuxième sexe (1949).
Enfance
Simone de Beauvoir est née dans une famille aisée vite appauvrie après la Première Guerre mondiale. Son père, qui espérait avoir un fils, a transmis à sa fille son amour de la littérature tout en l’encourageant à faire des études pour gagner sa vie. Simone, à l’âge de 15 ans, avait décidé qu’elle serait un « écrivain célèbre ». Elle écrivit effectivement plusieurs romans, notamment autobiographiques.
C’est finalement la philosophie qui devint son domaine principal d’études.
Le couple Beauvoir-Sartre : inédit pour l’époque
Simone de Beauvoir a entretenu pendant plusieurs décennies une relation singulière avec le philosophe Jean-Paul Sartre qu’elle rencontra à la Faculté des lettres de l’Université de Paris en 1928. Cette relation à la fois amoureuse, amicale et intellectuelle aussi unique que particulière pour l’époque ne se termina qu’en 1980, soit au décès de Sartre. En effet, le couple ne se maria jamais, même si Sartre l’avait proposé à Beauvoir en 1929 afin qu’ils puissent tous les deux enseigner dans le même établissement après leur diplôme. Bien qu’étant très attachée à Sartre, Simone de Beauvoir refusa sa demande. Elle a raconté cet épisode dans le second tome de son autobiographie, La Force de l’âge (1960) :
Je dois dire que pas un instant je ne fus tentée de donner suite à sa suggestion [qu’ils se marient]. Le mariage multiplie par deux les obligations familiales et toutes les corvées sociales. En modifiant nos rapports avec autrui, il eût fatalement altéré ceux qui existaient entre nous. Le souci de préserver ma propre indépendance ne pesa pas lourd; il m’eût paru artificiel de chercher dans l’absence une liberté que je ne pouvais sincèrement retrouver que dans ma tête et mon cœur.
Beauvoir et Sartre ne cohabitèrent jamais, contrairement aux usages de l’époque. Ils eurent également une conception assez libertine de la vie amoureuse et sexuelle, surtout à cette époque (années 1930 et suivantes). En effet, ils firent un « pacte » leur permettant de vivre des « amours contingentes » chacun de leur côté. C’est ainsi que Beauvoir entretint des relations avec certains de ses étudiants, autant des hommes que des femmes. Elle fréquenta notamment Olga Kosakiewitcz, Bianca Bienenfeld et Jacques-Laurent Bost.
Leur couple se fonda aussi sur une collaboration et un dialogue intellectuel permanent. Ils s’influencèrent donc mutuellement : il y a du Beauvoir dans la pensée de Sartre et il y a du Sartre dans la pensée de Beauvoir! D’ailleurs, les deux se définirent toute leur vie durant comme existentialistes et athées. Mais chacun tint à ne pas fusionner sa pensée avec celle de l’autre; il importa pour chacun d’eux de garder un esprit de liberté et d’indépendance.
Beauvoir et la Seconde Guerre mondiale : résistante, opposante ou collabo?
L’Allemagne nazie envahit les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg France en mai 1940. Le 22 juin, la France s’avoua vaincue et signa l’armistice. Jusqu’à 1944, la France fut occupée militairement par l’Allemagne dans une zone au Nord et à l’Ouest et par l’Italie dans une zone dans le Sud-Est. Une zone libre fut cependant sous l’autorité d’un gouvernement collaborationniste aux forces de l’axe : le régime de Vichy, dirigé par le maréchal Philippe Pétain et par Pierre Laval. Pendant longtemps, Simone de Beauvoir et son compagnon Jean-Paul Sartre étaient considérés comme des résistants engagés dans la lutte contre Vichy.
Or, des recherches et des travaux récents ont nuancé l’implication de Beauvoir à ce sujet. Plusieurs, dont la professeure Ingrid Galster et Diane Johnson du New York Times, considèrent que Beauvoir, à défaut d’avoir pris les armes et le maquis pour joindre officiellement la Résistance, était tout de même une opposante au régime de Vichy : elle et Sartre fondèrent en 1941 Socialisme et liberté, un éphémère groupe de résistance intellectuelle. D’autres, comme le philosophe Michel Onfray, croient plutôt qu’elle était une collaborationniste : elle avait en effet travaillé en 1943 comme chroniqueuse consacrée au music-hall à Radio-Vichy et avait pris des vacances avec Sartre en Italie avec des billets gratuits payés par le gouvernement fasciste de Mussolini.
Des écrits et des idées qui choquent!
En 1943, Simone de Beauvoir publia son premier roman, L’invitée. Ce dernier raconte, à travers des personnages imaginaires, la relation entre Sartre, Kosakiewitcz et elle-même. Bien qu’il connût un vif succès, le roman choqua. Beauvoir fut suspendue de son poste de professeur à l’Éducation nationale en juin de la même année à la suite de la publication de ce roman, mais aussi en raison d’une plainte d’« excitation de mineure à la débauche » déposée contre elle en 1941. Elle fut toutefois réintégrée après la Libération en 1945, mais jamais plus elle n’enseigna.
« On ne nait pas femme, on le devient »
En 1949, elle publia Le Deuxième sexe, ouvrage en deux tomes, qui est considéré comme le fondement de sa pensée et de sa philosophie, ainsi que comme le fondement de la théorie et de la pratique féministes. Dans cette œuvre, elle a déconstruit le mythe de la féminité, forgé depuis des millénaires par les hommes. Selon elle, la féminité ne constitue en aucun cas une nature ou une essence, mais plutôt une condition imposée par l’histoire et la société. Elle remettait ainsi en cause les préjugés et les stéréotypes qui contribuaient à faire de la femme un objet tandis que l’homme était considéré comme un sujet, un absolu. Dans ce livre, elle considérait le mariage comme une institution bourgeoise aussi répugnante que la prostitution lorsque la femme est sous la domination de son mari. Elle y évoquait également l’avortement, qui était considéré comme un homicide et un acte contre nature à l’époque. Vif succès — 22 000 exemplaires vendus dès la première semaine de sa publication —, Le Deuxième sexe a autant été décrié, que ce soit par Armand Hoog et François Mauriac, qu’applaudi, notamment par Francine Bloch. L’œuvre a fait scandale à tel point que le Vatican le mit à l’index.
En 1964, elle publia un court récit autobiographique intitulé Une mort très douce où elle décrit les derniers instants qu’elle vécut auprès de sa mère mourante. Dans ce récit, elle évoque les thèmes de l’euthanasie et de l’acharnement thérapeutique. Elle traite également de la mort, de son point de vue athée, et de celui de sa mère, qui était croyante.
Engagement politique
En 1945, avec Sartre, Raymond Aron et quelques autres collaborateurs, elle fonda la revue Les Temps modernes. Cette revue politique, littéraire et philosophique, est toujours en activité à l’heure actuelle.
Lors de la Guerre d’Algérie (1954-1962), Simone de Beauvoir fut très influente pour obtenir la reconnaissance des tortures infligées aux femmes durant ce conflit. Avec la militante féministe franco-tunisienne Gisèle Halimi, elle cofonda en 1971 le mouvement Choisir afin de dépénaliser et la légalisation de l’avortement en France. La même année, elle rédigea le Manifeste des 343, une pétition comprenant 343 femmes françaises qui avaient eu le courage de signer le manifeste « Je me suis fait avorter », s’exposant ainsi à l’époque à des poursuites pénales pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement. Le Manifeste des 343 commence ainsi :
Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre.
Ce manifeste en inspira un autre publié en 1973 : le Manifeste des 331, où 331 médecins français se déclaraient pour la liberté de l’avortement. Ces deux manifestes contribuèrent à la dépénalisation de l’avortement en France en 1975 par la loi Veil.
Simone de Beauvoir est aujourd’hui considérée comme une philosophe et penseuse marquante de l’existentialisme et comme une théoricienne et militante féministe incontournable. Ses écrits sur sa vision de l’homme et de la femme, sa vie conjugale inédite pour l’époque et ses nombreuses implications en ont marqué plusieurs. D’ailleurs, à ses funérailles en 1986, la philosophe et féministe Élisabeth Badinter avait déclaré : « Femmes, vous lui devez tout! ».
Hommage
Le Prix Simone de Beauvoir a été créé en France en son honneur en 2008 et est décerné aux personnes qui se sont illustrées, par leur œuvre artistique et leur action, à promouvoir la liberté des femmes dans le monde.
Références
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Chrisafis, Angelique (2008), « Academic tug-of-love over De Beauvoir legacy », The Guardian, 4 janvier 2008.
http://www.theguardian.com/world/2008/jan/04/highereducation.books
Dupuis, Jérôme (2008), « Ce qu’on n’ose pas voir sur Beauvoir », L’Express, 3 janvier 2008.
http://www.lexpress.fr/culture/livre/ce-qu-on-n-ose-pas-voir-sur-beauvoir_822547.html
Galster, Ingrid (2013), « Beauvoir: les pillages et les déformations de Michel Onfray », Le Monde, 19 février 2013.
http://www.huffingtonpost.fr/ingrid-galster/beauvoir-michel-onfray-polemique_b_2709362.html
Lecarme-Tabone, Éliane. « Beauvoir Simone De (1908-1986) », Encyclopædia Universalis [en ligne].
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Johnson, Diane (1990), « The Life She Chose », The New York Times, 15 avril 1990.
http://www.nytimes.com/books/98/12/06/specials/bair-simone.html
Musset, Shannon. « Simone de Beauvoir (1908—1986) », Internet Encylopedia of Philosophy [en ligne]
http://www.iep.utm.edu/beauvoir/
« Bataille de France », Encyclopédie Wikipédia [en ligne]
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_France
« Claude Askolovitch face à Michel Onfray », émission Avant-Premières, 2 février 2012 [vidéo].
https://www.youtube.com/watch?v=5_ZYboo_T7k
« Jean-Paul Sartre », consulté en ligne : http://www.histoiredumonde.net/Jean-Paul-Sartre.html
« Les Temps modernes », Encyclopédie Wikipédia [en ligne].
http://en.wikipedia.org/wiki/Les_Temps_modernes
« On n’est pas couché : extrait de l’entrevue avec Michel Onfray », 26 janvier 2013, [vidéo].
http://www.youtube.com/watch?v=q0p_AXiDgMI
« Simone de Beauvoir », Encyclopédie Wikipédia [en ligne]
http://fr.wikipedia.org/wiki/Simone_de_Beauvoir