40 Elise Nyemb, propriétaire et coiffeuse au Cameroun (1979-)

À la rescousse du cheveu crépu

En entrant dans l’établissement, nous sommes accueillis par son grand sourire. Difficile de ne pas lui rendre la pareille. Elle, c’est Elise Nyemb, la propriétaire du salon de coiffure « My space » où nous nous retrouvons cet après-midi de juin 2016. A 37 ans, elle est à la tête d’une start-up au concept particulier. Le nom de la start-up, « So natural… So me », lui convient bien.

Basée à Douala, la capitale économique de son pays natal le Cameroun, Elise mène un combat sans pareil : le retour au naturel des femmes Camerounaises. Pari facile croirons certains, et pourtant, il se trouve que plus du tiers de la population féminine camerounaise a encore recours à des « assouplissants » pour avoir des cheveux « maniables ». Crépus, les cheveux des femmes d’Afrique centrale présentent en général une texture différente de celle qu’on voyait jusqu’à récemment dans les médias. Héritage de la colonisation, effet de mode ou mimétisme, ces femmes ont pour habitude d’avoir recours à des produits chimiques qui modifient la texture naturelle de leur chevelure pour quelques mois.

Motivations

Dans le cas d’Elise, c’est un ras-le-bol qui l’amena à se couper les cheveux le 17 mai 2008. Une date plus qu’importante à ses yeux.

Je voulais briser le cercle vicieux défrisage-repousses-défrisage dans lequel je m’étais délibérément plongée avec ce que cela comporte comme impact financier et même sanitaire.

À ce moment, si elle se sentit libérée, son entourage le prit plutôt mal. Certains se moquèrent d’elle, comme la plupart des jeunes filles et femmes qui, à cette époque, décidaient de garder leurs cheveux naturels.

Il y a cette incompréhension qui fait en sorte que la société Camerounaise ne voit la femme qu’avec des cheveux raides, des boucles ou des ondulations. À la limite avec des rajouts lui tombant jusque dans le bas du dos, mais une fois de plus, rien à voir avec son propre cheveu. Malgré les railleries, Elise tint bon et persévéra dans son nouveau mode de vie. Plus que sa propre volonté, le soutien indéfectible de son époux lui fut d’une grande aide. Il était « son premier fan ».

Sur le plan professionnel, Elise, commerciale pour une grosse boîte installée au Cameroun à l’époque, intriguait la clientèle. Elle recevait tout type de commentaires qu’elle prenait plaisir à relayer sur son blog, comme la fois où une cliente, propriétaire d’un salon de coiffure, lui avait proposé des soins capillaires et un défrisage dans son institut, puisqu’« elle ne se coiffait jamais ». Au fil du temps, son afro et elle s’imposèrent dans le paysage de la société pour laquelle elle travaillait. Ce qui au départ semblait être une curiosité, devint sa particularité.

Les clients étaient intrigués par cette jeune femme au look bizarre. Puis, ils ont été séduits par le contraste qui existait entre mon physique et mon professionnalisme.

En dehors de son travail, Elise voyait l’intérêt grandissant des femmes pour le cheveu crépu. Elle décida de sensibiliser les femmes sur les dommages collatéraux du défrisage et de les éduquer à l’entretien de leurs cheveux naturels à travers son blog. Les bidouilles d’une nappy raconte le quotidien d’une nappy (Natural and happy : femme fière de porter ses cheveux naturels) au Cameroun. L’idée lui vint du fait qu’elle trouvait très peu de plateformes dédiées à la beauté du cheveu noir sur Unternet. Peu à peu, elle sortit du cadre de la toile et partagea son aventure capillaire avec ses compatriotes. C’est ainsi qu’est né le concept « So natural… So me ». Son ambition est de sensibiliser les femmes Camerounaises au cheveu naturel et de briser le mythe qui l’entoure. Elle commença alors par effectuer une visite dans un établissement d’éducation secondaire, celui que fréquentait sa fille aînée, aujourd’hui âgée de 19 ans. Celle-ci lui rapportait la stigmatisation dont les élèves de sexe féminin n’ayant pas eu recours au défrisage étaient victimes. À cet effet, un sondage lui permit de constater que seulement 20 % des élèves de ce lycée avaient encore leurs cheveux naturels. Le reste les avaient défrisés, et ce, depuis l’école primaire pour la plupart, leurs parents voyant le défrisage comme une solution facile pour entretenir le cheveu rebelle de leurs filles.

La rencontre avec les enfants fut un succès!

Je pense que les parents ont un rôle de transmission envers les enfants et la plupart des petites filles ont comme modèle leur maman. Au quotidien, mes filles et moi nous partageons des sessions coiffures au cours desquelles je leur inculque les gestes nécessaires pour sublimer leur cheveu naturel. Mon aînée n’a donc jamais pensé au défrisage.

Essor

À la suite de cette première rencontre, la passionnée du cheveu naturel fut sollicitée par plusieurs personnes. Sa communauté Facebook connut un boom et elle organisa d’autres événements du genre. Dans la foulée, elle organisa la première rencontre de « nappy » au Cameroun. Malgré le faible nombre de partenaires voulant s’associer à son concept, l’événement rencontra un succès certain et fut relayé par les médias nationaux. Dès lors, Elise fut contactée pour partager son savoir et sa passion. Au Nigéria, en France, dans d’autres villes camerounaises, elle prend plaisir à enseigner ce qu’elle sait.

En début d’année avait lieu la troisième rencontre « So natural … So me ». Un rendez-vous aujourd’hui incontournable pour la communauté nappy camerounaise grandissante. De plus, l’ouverture de son salon coiffure consacré aux « nappy » a permis de mieux mener son combat.

Les femmes au cheveu naturel sont souvent mal comprises par nos coiffeuses qui sont formées à coiffer un cheveu de style européen. Ce qui fait qu’elles ressortent très souvent de là déçues ou avec des conseils ou produits qui ne conviennent pas à leur type de cheveu. Je vois mon salon comme un endroit où elles peuvent se sentir à l’aise, se faire coiffer sans tabou et recevoir les conseils appropriés. Je ne coiffe donc pas les femmes aux cheveux défrisés ou celles qui considèrent le cheveu naturel comme un phénomène de mode.

Ce sont les mentalités qu’il faut d’abord changer pour mener à bien ce combat, Elise en est persuadée. Tant qu’à faire, elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et peut désormais s’appuyer sur ses partenaires un peu plus nombreux pour l’aider dans sa mission.

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