33 Madeleine Parent, militante féministe et syndicaliste (1918-2012)

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Madeleine Parent fut une femme de conviction avec une « volonté de fer et un collier de perles » (Elkouri, 2012) qui a combattu les mœurs et les idées dogmatiques de son époque pour défendre les droits des travailleuses. Elle fut l’instigatrice de plusieurs grèves au travers du Canada et principalement pour les tisserandes du Québec qui travaillaient dans des situations exécrables. Sa ténacité, ainsi que sa volonté qui transparaissent dans l’ensemble de son œuvre, n’eurent d’autres choix que d’inspirer les femmes dans leurs luttes, car Madeleine leur a permis de s’autodéterminer dans le milieu du travail à une époque où la disparité entre les hommes et les femmes était omniprésente.

Mouvement étudiant

Le parcours scolaire de Madeleine fut prépondérant dans son parcours de militante. D’abord, elle fut élevée dans une famille anticléricale. La citation suivante illustre l’origine de son esprit laïque :

Quand je suis devenue pensionnaire, je me suis aussi rendu compte de la condition des femmes laïques : c’étaient des jeunes filles qui étaient servantes dans les couvents. (Lacelle, 2005 : 21)

Cet état d’esprit face à la religion et son bilinguisme ont motivé son choix d’étudier à l’Université McGill, une institution laïque, contrairement à l’Université de Montréal. Son militantisme scolaire débuta dès le début de son parcours universitaire. Elle s’impliqua dans des associations catholiques et dans la branche contestataire du milieu étudiant (Lévesque, 2003 : 11). En 1937, elle participa à la création du Canadien Student Assembly, une organisation exigeant l’octroi de 500 bourses pour les étudiants issus des milieux ruraux. Elle fit la rencontre de professeurs grandement inspirants, ainsi que de futures collègues militantes comme Laura Sabia, qui devint présidente du Comité d’action canadien sur le statut de la femme, et Helen McMaster, qui devint organisatrice syndicale des Ouvriers unis du textile de l’Ontario. Ces mouvements étudiants furent l’occasion pour Madeleine d’échanger avec plusieurs étudiants sur des sujets tels que « [l’autonomie] provinciale, [le] corporatisme, [le] syndicalisme, [les] relations entre l’église et l’État […] » (Lévesque, 2003 : 32-33), grâce aux échanges entérinés par le Student Christian Movement (SCM), notamment. Sa présence dans les milieux étudiants lui a permis de voyager et de faire de belles rencontres. C’est à ce moment qu’elle a rencontré sa meilleure amie Léa Roback, une syndicaliste et féministe engagée (Lévesque, 2003 : 37). Malgré son jeune âge, la volonté et la détermination de Madeleine se ressentait à l’université. Ainsi, « en 1939, Madeleine Parent se [rendit] à Québec afin de demander [au premier ministre Duplessis] son appui pour la déconfessionnalisation de la Confédération des travailleurs du Canada (CTCC) » (Lévesque, 2003 : 42).

Contexte sociopolitique de l’époque

Toutefois, le contexte politique de l’époque était coercitif. En effet, il s’agissait de la période de la Grande Noirceur avec Maurice Duplessis et son idéologie conservatrice antisyndicale. La loi du cadenas (mesure anti-communiste) demeure le meilleur exemple de l’idéologie politique de l’Union Nationale. Il était alors difficile pour Madeleine et l’ensemble des syndicalistes d’exercer des moyens de pression sans être dépeints comme des communistes par ledit Premier Ministre qui associait fallacieusement tout mouvement syndical à cette idéologie. Elle était constamment victime de répression (Lévesque, 2003 : 15). Pire encore, Duplessis poussa l’audace en trafiquant le processus de vote syndical afin de cesser la grève de la Dominion textile en 1952 (Lacelle, 2005 : 46-47). Dans ce climat sociopolitique, les revendications de Madeleine Parent et de ses acolytes incarnaient la lutte pour un syndicalisme revendicateur et le mouvement nationaliste de gauche (Lévesque, 2003 : 16-17) représentait davantage l’idéologie de l’époque de la révolution tranquille.

Mouvement syndicale canadien

Dès la fin de ses études, Madeleine débuta sa carrière dans le milieu syndical. Elle devint organisatrice syndicale à la Merchant Cotton de Saint-Henri, à Côte Saint-Paul, à Hochelaga, ainsi qu’à Valleyfield (Lévesque, 200 : 13). Elle y rencontra son mari Kent Rowley qui était aussi dans le domaine (Lévesque, 2003 : 16-17).

Sensibilisée aux problèmes des travailleurs depuis son action dans les filatures où elles formaient 40 % de la main-d’œuvre, Madeleine s’est retrouvée dans le mouvement féministe par le biais du mouvement syndical. (Lévesque, 2003 : 18)

Madeleine a grandement aidé à organiser les grèves du textile au Québec, entre 1946 et 1952, notamment la grève des tisserandes de la Dominion textile de Valleyfield, ainsi que celle de l’Ayers Woolen Mill de Lachute. Ces ouvriers, composés principalement de femmes, étaient les plus exploités des travailleurs de l’époque (semaines de travail de 60 h, mauvaises conditions dans les usines, salaires dérisoires, etc.). Elle s’est battue contre vents et marées afin de défendre ces femmes et d’améliorer leurs conditions. Leurs emplois n’étaient pas garantis et les congés maternités étaient inexistants (Lacelle, 2005 : 27). En 1946, les dirigeants de la compagnie s’amusèrent à dire qu’elle était une ressortissante russe (Lévesque, 2003 : 52), tandis que Duplessis tenta de la faire emprisonner l’année suivante (Lévesque, 2003 : 53). Selon elle, « ils cherchaient à démontrer qu’il y avait quelque chose de pas naturel, d’étranger chez une femme qui se bat pour les travailleurs » (Lévesque, 2003 : 55). Cela témoigne des injustices que vivaient les femmes au quotidien à cette époque. Heureusement, malgré les efforts des policiers et de Duplessis, Madeleine et les 900 travailleuses et travailleurs du textile remportèrent leur grève à Valleyfield, tandis que les moyens de pression des employés de Lachute se soldèrent par une défaite.

Elle s’impliqua également dans des revendications de l’Ontario et des Maritimes. À la suite de la défaite contre la Dominion textile, elle alla s’installer à Sudbury afin d’aider la lutte du syndicat Mine-Mill (organisation des mineurs et des fondeurs de Sudbury) dans leur campagne de maraudage contre les Métallurgistes unis d’Amérique (MUA/USWA). En adéquation avec ses valeurs féministes, elle porta une attention particulière aux francophones, ainsi qu’aux femmes, filles et mères des syndiqués (Lévesque, 2003 : 61-62).

Kent et Madeleine avaient un profond désir de parvenir à former une centrale syndicale indépendante des centrales américaines. Le CSC (Confédération des syndicats canadiens) qu’ils chapeautaient était une réponse à l’isolement de certaines factions du syndicat des textiles (OUTA) (Lévesque, 2003 : 71). Leur désir était d’unir leur force syndicale indépendamment de la volonté des centrales américaines, afin d’éviter des défaites comme celle de Valleyfield : « Son principal intérêt restait l’organisation : elle ne manquait pas de saisir au bond l’occasion de faire avancer les choses » (Lévesque, 2003 : 68-70). Elle amena une nouvelle façon de penser le syndicalisme.

Le fait de poser [des] questions et de considérer les luttes syndicales dans une optique politique nationale et internationale témoignent de la conception du syndicalisme mis de l’avant par Madeleine. (Lévesque, 2003 : 78)

Toutes les luttes syndicales menées par Madeleine caractérisent cette militante combative et déterminée.

Après toute une nuit de négo, c’était habituellement les avocats qui étaient abattus et épuisés alors qu’elle paraissait toute fraîche, calme et coiffée, avec son collier de perles, continuant de se battre pour chaque principe. (Elkouri 2012)

Elle consacra sa vie à plusieurs causes. Dans la majorité de ses campagnes syndicales, « la menace de la syndicalisation a suffi à inciter les employeurs à augmenter les salaires et à bonifier les avantages afin d’acheter les travailleurs et les travailleuses » (Lévesque, 2003 : 91). On peut qualifier les changements amenés par Madeleine de « renouveau syndical », considérant qu’elle a réussi à implanter des branches syndicales dans plusieurs provinces canadiennes (Québec, Ontario et Nouvelle-Écosse) avec des valeurs différentes du syndicalisme d’affaire des centrales internationales (Lévesque, 2003 : 93).

Féminisme au travers de son militantisme

Le caractère singulier des luttes de Madeleine s’illustre dans sa détermination à protéger et donner des acquis aux travailleuses. Selon elle, « ces travailleuses avaient besoin du soutien des féministes dans leurs rapports avec les administrateurs et les conseils d’administration des mai sons d’hébergement » (Lévesque, 2003 : 88). Les résultats de ces luttes étaient forts positifs.

Et cette confiance que les femmes acquéraient en elles-mêmes, le sens de leur autonomie et de leurs possibilités, les initiatives qu’elles prenaient pour s’organiser, c’était beau à voir. (Lacelle, 2005 : 27)

Toute sa vie, elle milita pour les droits des femmes. Sa motivation à travailler avec les groupes féministes provenait du fait que les ouvrières devenaient également féministes en se syndiquant.

Les ouvrières […] revendiquaient non seulement des salaires, mais une indépendance, une dignité au travail. (Lacelle, 2005 : 82)

Notamment, elle était présente à la marche « Du pain et des roses » de 1995, ainsi qu’à la Marche des femmes contre la pauvreté et la violence faite aux femmes en l’an 2000 (Lévesque, 2003 : 19). Au cours de sa vie, elle s’impliqua dans plusieurs comités tels que le comité directeur du Comité ontarien sur le statut de la femme, ainsi qu’au comité exécutif du Comité canadien d’action sur le statut de la femme (CCA) et au National action commitee (NAC). En outre, elle s’impliqua dans les projets de loi provincial et fédéral d’équité salariale (Lévesque, 2003 : 95-96). De plus, elle a fermement défendu les droits des femmes autochtones en soutenant la cause de Mary Pitawanakwat qui se battait contre les tribunaux en raison d’abus, d’agressions sexuelles et de discrimination basée sur ses origines autochtones. Elle fut également présente lors des revendications autochtones contre la Loi sur les Indiens qui amenuisa les droits de certaines autochtones. Dans son désir profond d’égalité des sexes, Madeleine n’a jamais discriminé quelconque femme. Surprenamment, elle s’est dissociée de Lise Payette qui était alors présidente du 50e anniversaire des cérémonies entourant le droit de vote des femmes en refusant sa proposition d’être marraine lors des célébrations, en raison des propos à connotation raciste tenu s lors d’un reportage (Lévesque, 2003 : 105).

Dans toutes ces luttes, Madeleine Parent n’a jamais négligé la relève et elle a assuré l’éducation de futures générations militantes. Elle n’a pas seulement déterminé les priorités parmi les questions de l’heure, elle a aussi accompli un travail didactique, enseignant à ses consœurs le contexte politique, la capacité d’analyse, les tactiques de lobbying et les stratégies d’organisation aux femmes plus jeunes. (Lévesque, 2003 : 102)

Conclusion

Ce qui m’intéressait, c’était de faire du travail avec les gens, directement. Pour moi, ce processus de discuter avec les gens, de comprendre et de convaincre, de débattre des idées de se concerter pour revendiquer, je trouve ça merveilleux! (Lacelle, 2005)

Les batailles menées par Madeleine Parent ont forgé le Québec d’aujourd’hui et de demain. Cette grande dame qu’on peut qualifier de « combative, engagée, non opportuniste, déterminée, stratège, têtue, lucide, courageuse… et avant-gardiste » est la plus grande figure de l’époque, celle qui a fait changer le Québec (Elkouri, 2012). Solidaire de plusieurs causes sociales, elle marcha à côté de 60 000 contestataires lors du sommet des Amériques afin de s’opposer à la ZLÉA (Lévesque, 2003 : 19).

Celle qui a œuvré pour le droit d’accès universel à l’éducation dans les années 1930 aurait beaucoup aimé voir jusqu’au bout la fière lutte menée par les étudiants du Québec et tous leurs alliés (Elkouri, 2012).

Références

Breault, Normand. (2012). Madeleine Parent, inspiratrice de nos luttes. Relations, n° 758, 2012, p.19-20. Repéré à http://id.erudit.org/iderudit/66908ac

Elkouri, Rima. (2012, 17 mars). L’héritage de Madeleine Parent. La Presse. Repéré à http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/rima-elkouri/201203/16/01-4506487-lheritage-de-madeleine-parent.php

Lacelle, Nicole. (2005). Entretiens avec Madeleine Parent et Léa Roback. Montréal, Québec : Les éditions du remue-ménage. 173 p.

Lévesque, André. (2003). Madeleine Parent, militante. Montréal, Québec : Les éditions du remue-ménage. 128p.

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